1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

K. Marx

Camphausen

n° 213, 4 février 1849


Cologne, 3 février.

Nous apprenons de source tout à fait sûre que le ministère Brandenburg aura démissionné avant que la première session de la Chambre ne soit ouverte, et que M. Camphausen, nouveau président du Conseil, affrontera les Chambres lors de la séance inaugurale.

Nous étions sûrs qu'il se tramait quelque chose de ce genre lorsque les amis colonais de cet homme d'État expérimenté répandaient, il y a quelques jours, le bruit qu'il était las de la vie politique :

« Ah ! je suis las de cette agitation !
À quoi bon ces douleurs, ces joies ?
Douce paix,
Viens, ah ! viens au fond de mon cœur ! [1]

et voulait se retirer à nouveau dans le calme de sa vie domestique pour borner ses méditations au domaine moins excitant de la spéculation sur les graisses.

Pour tout esprit clairvoyant, c'était lumineux : M. Camphausen éprouvait le besoin de se faire prier de sauver une nouvelle fois la Couronne et, « ému de sa propre générosité », de jouer pour la seconde fois, avec la correction que l'on sait, le rôle d'accoucheur du trône constitutionnel.

L'opposition bourgeoise à la Chambre se réjouira de cette « victoire » parlementaire. Les Allemands sont oublieux et pardonnent facilement. La même gauche qui, l'an passé, faisait opposition à M. Camphausen, saluera avec reconnaissance son entrée en fonctions comme une grande concession de la Couronne.

Mais pour que le peuple ne se fasse pas de nouvelles illusions, nous allons passer en revue les exploits des plus distingués de ce penseur, homme d'État.

M. Camphausen réveilla la Diète unifiée, enterrée le 18 mars et s'entendit avec elle sur quelques principes de la future constitution.

M. Camphausen obtint de cette bonne entente le terrain juridique, c'est-à-dire la négation indirecte de la révolution.

M. Camphausen nous combla encore avec les élections indirectes.

M. Camphausen renia une fois de plus la révolution dans l'un de ses principaux résultats en transformant la fuite du prince de Prusse en voyage d'études, et en le rappelant de Londres.

M. Camphausen organisa la milice civique de telle façon que, dès le départ, elle n'était plus un armement du peuple, mais un armement de classe, dressant en adversaires le peuple et la milice civique.

M. Camphausen toléra simultanément que la bureaucratie et l'armée de la vieille Prusse se reconstituent et deviennent, de jour en jour, plus à même de préparer des coups d'État contre-révolutionnaires.

M. Camphausen fit exécuter contre les paysans polonais pour ainsi dire désarmés les mémorables massacres aux shrapnells.

M. Camphausen entreprit la guerre avec le Danemark pour se débarrasser du trop-plein patriotique et redonner à la Garde prussienne sa popularité. Lorsque ce but fut atteint, il fit tous ses eflorts pour faire passer à Francfort le sale armistice de Malmö, nécessaire à la marche de Wrangel sur Berlin.

M. Camphausen se borna à supprimer en Rhénanie quelques lois réactionnaires de la vieille Prusse, mais il a laissé subsister dans toutes les anciennes provinces la législation policière du droit provincial.

M. Camphausen fut le premier à intriguer contre l'unité de l'Allemagne, unité qui était à l'époque encore nettement révolutionnaire, d'abord en convoquant, à côté de l'Assemblée nationale de Francfort, son Parlement ententiste de Berlin et ensuite en travaillant de toutes les façons à ruiner les décisions et l'influence de l'Assemblée de Francfort.

M. Camphausen exigea d'elle qu'elle restreigne son mandat d'Assemblée constituante à un simple mandat d'Assemblée « ententiste ».

M. Camphausen exigea aussi qu'elle le reconnaisse en publiant une adresse à la Couronne, comme si elle était une Chambre constitutionnelle que l'on pouvait ajourner et dissoudre à volonté.

M. Camphausen exigea aussi qu'elle renie la révolution et il en fit même une question de confiance.

M. Camphausen soumit à son Assemblée ce projet de constitution qui se trouve à peu près sur le même plan [2] que la constitution octroyée et souleva à l'époque une tempête générale de réprobation.

M. Camphausen se glorifia d'avoir été le ministre de la conciliation, conciliation qui n'était rien d'autre qu'une conciliation entre la Couronne et la bourgeoisie pour trahir ensemble le peuple.

M. Camphausen démissionna enfin lorsque cette trahison eut atteint le degré de préparation et de maturité nécessaire pour être mise en pratique par le ministère d'action et ses constables.

M. Camphausen devint ambassadeur auprès du soi-disant pouvoir central et le resta sous tous les ministères. Il resta ambassadeur tandis qu'à Vienne des troupes croates, ruthènes et valaques violaient le territoire allemand, incendiaient par leurs bombardements la première ville de l'Allemagne et la traitaient de façon plus révoltante que Tilly n'avait traité Magdebourg [3]. Il resta ambassadeur et ne bougea pas le petit doigt.

M. Camphausen resta ambassadeur sous Brandenburg et participa ainsi à la contre-révolution prussienne; il donna son nom à la récente circulaire prussienne [4] qui réclamait ouvertement et sans se cacher le rétablissement de l'ancienne Diète confédérale.

M. Camphausen se charge finalement aujourd'hui du ministère pour couvrir la retraite des contre-révolutionnaires et assurer pour longtemps les conquêtes de novembre et de décembre.

Voilà quelques-uns des exploits de Camphausen. S'il devient ministre maintenant, il se hâtera d'en augmenter la liste. Nous, pour notre part, nous en tiendrons la comptabilité la plus exacte possible.


Notes

[1] Cf. Gœthe : Wanderers Nachtlied (Le chant nocturne du voyageur).

[2] Cf. « Projet d'une loi constitutionnelle pour l'État prussien », du 20 mai 1848.

[3] Tilly, général en chef de la Ligue catholique durant la guerre de Trente ans, après avoir pris la ville de Magdebourg le 20 mai 1631, laissa ses soldats libres de piller. La ville fut presque complètement détruite par un incendie et les déprédations des soldats; environ 30.000 de ses habitants furent massacrés.

[4] La note circulaire du gouvernement prussien, adressée à tous les diplomates prussiens dans tous les États allemands le 23 janvier 1849, proposait un plan pour rétablir l'organe central de la Confédération germanique : la Diète confédérale. Cette institution réactionnaire et féodale avait été imposée au peuple allemand par décision du Congrès de Vienne et remplacée en 1848 par un gouvernement d'Empire provisoire.


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