1859

"À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale."


Critique de l'économie politique

Karl MARX

PREMIER LIVRE : DU CAPITAL

PREMIÈRE SECTION : LE CAPITAL EN GÉNÉRAL

Chapitre II : La monnaie ou la circulation simple


II. Moyen de circulation
b) La circulation de la monnaie.

La circulation réelle se présente d'abord comme une masse d'achats et de ventes s'effec­tuant fortuitement et parallèlement. Dans l'achat comme dans la vente, la marchandise et l'argent s'affrontent en restant toujours dans la même relation, le vendeur du côté de la mar­chandise, l'acheteur du côté de l'argent. L'argent, moyen de circulation, apparaît donc tou­jours comme moyen d'achat et, de ce fait, ses caractères distinctifs dans les phases opposées de la métamorphose des marchandises ont cessé d'être reconnaissables.

L'argent passe dans la main du vendeur au cours du même acte qui fait passer la marchan­dise dans la main de l'acheteur. Marchandise et argent circulent donc en sens opposé et ce déplacement, qui fait passer la marchandise d'un côté et l'argent de l'autre, s'opère simultané­ment en une quantité indéterminée de points sur toute la surface de la société bourgeoise. Mais le premier pas que fait la marchandise pour entrer dans la circulation est en même temps son dernier pas  [1]. Qu'elle change de place parce que l'or est attiré par elle (M-A) ou bien qu'elle l'est elle-même par l'or (A-M), d'un seul coup, ce seul déplacement la fait tomber de la circulation dans la consommation. La circulation est un mouvement continuel de marchandises, mais de marchandises toujours autres, et chaque marchandise n'effectue qu'un seul mouvement. Chaque marchandise entre dans la deuxième moitié de sa circulation non sous la forme de la même marchandise, mais sous celle d'une autre marchandise, celle de l'or. Le mouvement de la marchandise métamorphosée est donc le mouvement de l'or. La même pièce de monnaie, ou l'individu d'or identique, qui, dans l'acte M-A, a une fois changé de place avec une marchandise, apparaît inversement à son tour comme point de départ de A-M et change ainsi de place une seconde fois avec une autre marchandise. Comme elle était passée de la main de l'acheteur B dans la main du vendeur A, elle passe maintenant de la main de A devenu acheteur dans la main de C. Le mouvement formel d'une marchandise, sa transformation en argent et sa reconversion d'argent en marchandise, ou encore, le mouve­ment de métamorphose totale de la marchandise, se présente donc comme le mouvement exté­rieur de la même pièce de monnaie qui change deux fois de place avec deux marchan­dises différentes. Si morcelés et fortuits que soient les achats et les ventes parallèles dans la circulation réelle, un vendeur fait toujours face à un acheteur et l'argent qui prend la place de la marchandise vendue doit, avant d'être venu dans les mains de l'acheteur, avoir déjà changé de place une fois avec une autre marchandise. D'autre part, il repasse tôt ou tard de la main du vendeur devenu acheteur dans celle d'un nouveau vendeur et, par la fréquente répétition de ses changements de place, il exprime l'enchaînement des métamorphoses des marchan­dises. Les mêmes pièces de monnaie, suivant toujours une direction opposée à celle des marchandises en mouvement, passent donc, chacune avec une fréquence plus ou moins grande, d'un point de la circulation à un autre et décrivent ainsi un arc de circulation plus ou moins grand. Ces différents mouvements de la même pièce de monnaie ne peuvent se succéder que dans le temps et, inversement, la multiplicité et le morcellement des achats et des ventes apparaissent dans le changement de place unique, simultané, des marchandises et de l'argent qui s'effectue parallèlement dans l'espace.

La circulation des marchandises M-A-M sous sa forme simple s'accomplit par le passage de l'argent de la main de l'acheteur dans celle du vendeur, et de la main du vendeur devenu acheteur dans celle d'un nouveau vendeur. La métamorphose de la marchandise est par là terminée, de même que, par suite, le mouvement de l'argent pour autant qu'il en est l'expres­sion. Mais, comme de nouvelles valeurs d'usage sont constamment produites sous forme de mar­chan­dises et qu'elles doivent donc être constamment jetées de nouveau dans la circu­la­tion, M-A-M se répète et se renouvelle sous l'impulsion des mêmes possesseurs de marchan­dises. L'argent, qu'ils ont déboursé comme acheteurs, revient dans leurs mains dès qu'ils apparaissent de nouveau comme vendeurs de marchandises. Le renouvellement constant de la circulation des marchandises se reflète ainsi dans le mouvement de l'argent qui, non seule­ment roule constamment d'une main à l'autre sur toute l'étendue de la société bourgeoise, mais décrit en même temps toute une série de petits cycles différents, partant d'une infinité de points et revenant à ces mêmes points pour recommencer le même mouvement.

Si le changement de forme des marchandises apparaît comme un simple changement de place de l'argent et si la continuité du mouvement de la circulation se manifeste dans le seul argent, la marchandise ne faisant jamais qu'un pas dans la direction opposée à celle de l'argent alors que l'argent fait toujours le second pour la marchandise et dit B là où la mar­chandise a dit A, le mouvement tout entier semble avoir l'argent pour point de départ, bien que ce soit la marchandise qui, dans la vente, attire l'argent hors de son gîte et qu'elle fasse donc tout aussi bien circuler l'argent que l'argent la fait circuler elle-même dans l'achat. Comme, de plus, l'argent affronte toujours la marchandise sous la même forme de moyen d'achat, mais qu'en cette qualité il ne met les marchandises en mouvement qu'en réalisant leur prix, le mouvement de la circulation se présente tout entier ainsi : l'argent change de place avec les marchandises en réalisant leurs prix dans des actes particuliers de la circulation s'effectuant soit simultanément et parallèlement, soit successivement, la même pièce de monnaie réalisant tour à tour différents prix de marchandises. Si, par exemple, on considère M-A-M'-A-M"-A-M''', etc., sans tenir compte des aspects qualitatifs, qui cessent d'être recon­nais­sables dans le procès de circulation réel, on ne distingue plus que la même opération monotone. Après avoir réalisé le prix de M, A réalise tour à tour les prix de M', M", etc., et les marchandises M'-M''-M''', etc., prennent toujours la place abandonnée par l'argent. L'argent semble donc faire circuler les marchandises en réalisant leurs prix. Dans cette fonction de réalisation des prix, il circule lui-même sans cesse, tantôt changeant seulement de place, tantôt parcourant un arc de circulation, tantôt décrivant un petit cycle où coïncident points de départ et point d'arrivée. Moyen de circulation, il possède sa propre circulation. Le mouvement formel des marchandises impliquées dans un procès apparaît donc comme un mouvement propre de l'argent qui permet l'échange des marchandises immobiles par elles-mêmes. Le mouvement du procès de circulation des marchandises se manifeste donc dans le mouvement de l'argent  [2] en tant que moyen de circulation - dans la circulation de la monnaie.

Si les possesseurs de marchandises ont présenté les produits de leurs travaux privés comme des produits du travail social en transformant une chose, l'or, en mode d'existence immédiat du temps de travail général et, partant, en monnaie, leur propre mouvement universel, par lequel ils rendent possible l'échange matériel de leurs travaux, se présente maintenant à eux comme le mouvement propre d'une chose, comme la circulation de l'or. Pour les possesseurs de marchandises, le mouvement social lui-même est, d'un côté, une nécessité extérieure et, d'un autre côté, un procès médiateur purement formel, qui permet à chaque individu de retirer de la circulation, en échange de la valeur d'usage qu'il y jette, d'autres valeurs d'usage de même volume de valeur. La valeur d'usage de la marchandise commence avec sa sortie de la circulation, tandis que la valeur d'usage de l'argent  [3] en tant que moyen de circulation est sa circulation même. Le mouvement de la marchandise dans la circulation n'est qu'un aspect fugitif, tandis que les déplacements incessants y deviennent la fonction de l'argent  [4]. Cette fonction propre de l'argent à l'intérieur du procès de circulation lui donne en tant que moyen de circulation une nouvelle détermination formelle, qu'il nous faut maintenant développer plus en détail.

D'abord, il saute aux yeux que la circulation monétaire est un mouvement infiniment morcelé, puisqu'en lui se reflètent le morcellement infini en achats et ventes du procès de circulation et l'indifférente disjonction des phases complémentaires de la métamorphose des marchandises. Dans les petits circuits de la monnaie où coïncident point de départ et point d'arrivée, apparaît sans doute un mouvement en retour, un véritable mouvement circulatoire, mais, d'abord, il y a là autant de points de départ que de marchandises et, par leur multiplicité indéterminée déjà, ces circuits échappent à tout contrôle, à toute mesure, à tout calcul. Le temps qui sépare le départ du retour au point de départ est tout aussi peu déterminé. Aussi bien est-il indifférent de savoir si, dans un cas donné, un tel circuit est décrit ou non. Que l'on puisse débourser de l'argent d'une main sans le récupérer de l'autre, il n'est pas de phénomène économique plus connu. L'argent part de points infiniment divers et revient en des points infiniment divers, mais la coïncidence du point de départ et du point d'arrivée est fortuite, parce que le mouvement M-A-M n'implique pas nécessairement que l'acheteur redevient vendeur. Mais la circulation monétaire représente encore moins un mouvement rayonnant d'un centre vers tous les points de la périphérie et refluant de tous les points de la périphérie vers le même centre. Ce qu'on appelle circuit monétaire, tel qu'on se l'imagine vaguement, se réduit au fait que sur tous les points on observe l'apparition et la disparition, le déplacement incessant de la monnaie. Dans une forme médiatrice supérieure de la circulation monétaire, par exemple, la circulation des billets de banque, nous verrons que les conditions de l'émis­sion de la monnaie impliquent les conditions de son reflux. Au contraire, dans la circulation simple de la monnaie, c'est accidentellement que le même acheteur redevient vendeur. Quand de véritables circuits s'y manifestent d'une façon constante, ils ne sont que le reflet de procès de production plus profonds. Par exemple, le fabricant prend de l'argent le vendredi chez son banquier, il le verse le samedi à ses ouvriers, ceux-ci en dépensent tout de suite la plus grande partie chez les épiciers, etc., et ces derniers le rapportent le lundi au banquier.

Nous avons vu que dans les achats et les ventes s'effectuant dans l'espace pêle-mêle et pa­ral­lè­lement, l'argent réalise simultanément une quantité donnée de prix et ne permute qu'une fois avec la marchandise. Mais, d'autre part, pour autant qu'apparaissent dans son mou­ve­ment le mouvement des métamorphoses totales des marchandises et l'enchaînement de ces métamorphoses, la même pièce de monnaie réalise les prix de marchandises différentes et accomplit ainsi un nombre plus ou moins grand de tours. Si donc nous prenons le procès de circulation d'un pays dans un laps de temps déterminé, un jour par exemple, la masse d'or requise pour la réalisation des prix, et par conséquent pour la circulation des marchandises, sera déterminée par un double facteur : d'une part, la somme totale de ces prix, d'autre part, le nombre moyen des tours effectués par les mêmes pièces d'or. Le nombre de ces tours - ou la vitesse de rotation de la monnaie - est lui aussi déterminé, ou encore il ne fait qu'exprimer la vitesse moyenne à laquelle les marchandises parcourent les différentes phases de leur métamorphose, à laquelle ces phases s'enchaînent et à laquelle les marchan­dises ayant par­cou­ru leurs métamorphoses sont remplacées dans le procès de circulation par des marchan­dises nouvelles. Donc, tandis que, dans la fixation des prix, la valeur d'échange de toutes les marchandises était transformée idéalement en une quantité d'or de même grandeur de valeur et que, dans les deux actes isolés de la circulation A-M et M-A, la même somme de valeur existait sous le double aspect de la marchandise d'une part et de l'or d'autre part, le mode d'existence de l'or comme moyen de circulation se trouve déterminé non par son rapport isolé avec les marchandises particulières au repos, mais par son mode d'existence mouvant dans le monde des marchandises en mouvement; il est déterminé par la fonction qu'il exerce en représentant par son changement de place le changement de forme des marchandises, en représentant donc par la rapidité de son changement de place la rapidité de leur changement de forme. Sa présence réelle dans le procès de la circulation, c'est-à-dire la masse d'or réelle qui circule, est donc alors déterminée par son mode d'existence fonctionnel dans le procès total lui-même.

La circulation de la monnaie suppose la circulation des marchandises : la monnaie fait circuler des marchandises qui ont des prix, c'est-à-dire qui sont déjà idéalement mises en équation avec des quantités d'or déterminées. Dans la détermination même du prix des marchandises, la grandeur de valeur de la quantité d'or servant d'unité de mesure, ou la valeur de l'or, est supposée donnée. Ceci posé, la quantité d'or requise pour la circulation est d'abord déterminée par la somme totale des prix des marchandises à réaliser. Mais cette somme totale est elle-même déterminée par le niveau des prix, le niveau relativement élevé ou bas des valeurs d'échange des marchandises estimées en or et par la masse des marchandises circulant à des prix déterminés, donc par la somme des achats et des ventes à des prix donnés  [5]. Si un quarter de froment coûte 60 shillings, il faut deux fois plus d'or pour le faire circuler, ou pour réaliser son prix, que s'il ne coûte que 30 shillings. Pour la circulation de 500 quarters à 60 shillings, il faut deux fois plus d'or que pour la circulation de 250 quarters au même prix. Enfin, pour la circulation de 10 quarters à 100 shillings, il suffit de deux fois moins d'or que pour la circulation de 40 quarters à 50 shillings. Il s'ensuit que la quantité d'or requise pour la circulation des marchandises peut diminuer malgré la hausse des prix, si la masse des marchandises mises en circulation diminue dans une proportion plus grande que ne croît la somme totale des prix, et qu'inversement la masse des moyens de circulation peut augmenter si la masse des marchandises mises en circulation diminue, mais que la somme de leurs prix monte dans une plus grande proportion. Ainsi, par exemple, de belles monogra­phies anglaises ont montré qu'en Angleterre, dans les premiers stades d'un renchérissement des céréales, la masse de monnaie en circulation augmente, parce que la somme des prix de la masse moindre des céréales est plus grande que ne l'était la somme des prix de leur masse supérieure, mais qu'en même temps la circulation de la masse des autres marchandises continue sans perturbation pendant un certain temps aux anciens prix. Par contre, à un stade ultérieur du renchérissement des céréales, la masse de la monnaie en circulation diminue, soit parce qu'à côté des céréales on vend moins d'autres marchandises aux anciens prix, soit qu'on vend autant de marchandises mais à des prix inférieurs.

Mais la quantité de monnaie circulante, comme nous l'avons vu, n'est pas déterminée seulement par la somme totale des prix des marchandises à réaliser; elle l'est en même temps par la vitesse à laquelle circule l'argent ou à laquelle, dans un laps de temps donné, il s'acquitte de cette réalisation. Si le même souverain fait le même jour 10 achats, chaque mar­chandise étant achetée au prix de 1 souverain, et change donc 10 fois de mains, il accomplit exactement la même besogne que 10 souverains dont chacun ne circule qu'une fois en un jour  [6]. La vitesse de rotation de l'or peut donc suppléer à sa quantité, ou encore le mode d'existence de l'or dans le procès de circulation n'est pas déterminé seulement par son mode d'existence comme équivalent à côté de la marchandise, mais aussi par son mode d'existence à l'intérieur du mouvement de métamorphose des marchandises. Toutefois la vitesse de rotation de la monnaie ne supplée à sa quantité que jusqu'à un certain degré, puisque à chaque moment donné des achats et des ventes morcelés à l'infini s'effectuent parallèlement dans l'espace.

Si la somme totale des prix des marchandises en circulation augmente, mais dans une proportion moindre que ne croit la vitesse de rotation de la monnaie, la masse des moyens de circulation diminuera. Si, inversement, la vitesse de rotation diminue dans une proportion plus grande que ne baisse la somme totale des prix de la masse des marchandises en circu­la­tion, la masse des moyens de circulation augmentera. Accroissement des moyens de circula­tion accompagnant une baisse générale des prix, diminution des moyens de circulation allant de pair avec une montée générale des prix, c'est là l'un des phénomènes les mieux établis dans l'histoire des prix des marchandises. Mais les causes qui provoquent une élévation du niveau des prix et simultanément une accélération dans de plus grandes proportions encore de la vitesse de rotation de la monnaie, ainsi que le mouvement inverse, ne rentrent pas dans l'étude de la circulation simple. A titre d'exemple, on peut signaler qu'en particulier, dans les périodes où prédomine le crédit, la vitesse de rotation de la monnaie croît plus vite que les prix des marchandises, alors qu'un amoindrissement du crédit entraîne une diminution des prix des marchandises plus lente que celle de la vitesse de la circulation. Le caractère superfi­ciel et formel de la circulation simple de l'argent apparaît précisément dans le fait que tous les facteurs qui déterminent le nombre des moyens de circulation : masse des marchandises en circulation, prix, montée ou baisse de ceux-ci, nombre d'achats et de ventes simultanés, vites­se de rotation de la monnaie dépendent du procès de métamorphose du monde des mar­chan­dises; celui-ci dépend à son tour du caractère d'ensemble du mode de production, du chiffre de la population, du rapport entre la ville et la campagne, du développement des moyens de transport, du degré de la division du travail, du crédit, etc., bref de circonstances qui toutes sont en dehors de la circulation simple de l'argent et ne font que se refléter en elle.

La vitesse de la circulation étant donnée, la masse des moyens de circulation est donc simplement déterminée par les prix des marchandises. Les prix ne sont donc pas élevés ou bas parce qu'il circule plus ou moins d'argent, mais il circule plus ou moins d'argent parce que les prix sont élevés ou bas. C'est là l'une des lois économiques les plus importantes et c'est peut-être l'unique mérite de l'économie politique anglaise post-ricardienne de l'avoir démontré jusque dans le détail par l'histoire des prix des marchandises. Si, donc, l'expérience montre que, dans un pays déterminé, le niveau de la circulation métallique, ou la masse de l'or ou de l'argent en circulation, est certes exposé à des fluctuations temporaires et parfois à des flux et reflux très violents  [7], mais qu'il reste le même en somme pour d'assez longues périodes, et que les écarts du niveau moyen ne conduisent qu'à de faibles oscillations, ce phénomène s'explique simplement par la nature contradictoire des circonstances qui détermi­nent la masse de la monnaie en circulation. Leur modification simultanée annule leur effet et laisse les choses en l'état.

La loi suivant laquelle, la vitesse de rotation de la monnaie et la somme des prix des marchandises une fois données, la quantité des moyens de circulation se trouve déterminée peut encore s'exprimer ainsi : quand les valeurs d'échange des marchan­dises et la vitesse moyenne de leurs métamorphoses sont données, la quantité d'or en circulation dépend de sa propre valeur. Si donc la valeur de l'or, c'est-à-dire le temps de travail requis pour sa produc­tion, augmentait ou diminuait, les prix des marchandises monte­raient ou baisseraient en raison inverse et, à cette montée ou à cette baisse générale des prix, la vitesse de la circula­tion restant la même, correspondrait une augmentation ou une diminu­tion de la masse de l'or requis pour la circulation de la même masse de marchandises. Le même changement aurait lieu si l'ancienne mesure de valeur était supplantée par un métal de plus grande ou de moin­dre valeur. Ainsi, lorsque, par une délicate attention pour les créan­ciers de l'État et par crainte des conséquences des découvertes de Californie et d'Australie, la Hollande remplaça la monnaie d'or par la monnaie d'argent, elle eut besoin de 14 à 15 fois plus d'argent qu'elle n'avait besoin d'or auparavant pour faire circuler la même masse de marchandises.

Du fait que la quantité d'or en circulation dépend des variations de la somme des prix des marchandises et des variations de la vitesse de la circulation, il résulte que la masse des moyens de circulation métalliques doit être susceptible de contraction ou d'expansion, bref que, suivant les besoins du procès de circulation, l'or doit, en tant que moyen de circulation, tantôt entrer dans le procès et tantôt en sortir. Comment le procès de circulation lui-même réalise ces conditions, c'est ce que nous verrons plus tard.


Notes

[1] La même marchandise peut être plusieurs fois achetée et revendue. Elle ne circule pas alors comme simple marchandise, mais remplit une fonction qui n'existe pas du point de vue de la circulation ample, de la simple opposition de la marchandise et de l'argent.

[2] 1° édition « de l'or ». (N. R.)

[3] 1° édition « de l'or ». (N. R.)

[4] 1° édition « de l'or ». (N. R.)

[5] La masse de la monnaie est indifférente « pourvu qu'il y en ait assez pour maintenir les prix contractés par les denrées ». (BOISGUILLEBERT : Le Détail de la France, p. 200.) « Si la circulation de marchandises de 400 millions de livres sterling exige une masse d'or de 40 millions et que cette proportion de 1/10 est le niveau adéquat, alors, si la valeur des marchandises en circulation, pour des causes naturelles, montait à 450 millions, la masse d'or devrait, pour rester à son niveau, monter à 45 millions. » (W. BLAKE : observations of the Effects produced by the Expenditure of Government, etc., Londres, 1823, pp. 80, 81.)

[6] « C'est la vitesse de rotation de l'argent, et non la quantité du métal, qui fait qu'il semble y avoir beaucoup ou peu d'agent. » (GALIANI : Della Moneta, p. 99.)

[7] Un exemple de baisse extraordinaire de la circulation métallique au-dessous de son niveau moyen a été offert par l'Angleterre, en 1858, comme on le verra par l'extrait suivant du London Economist : « En raison de la nature même du phénomène (le caractère fragmentaire de la circulation simple), on ne peut pas se procurer de données tout à fait précises sur la quantité de numéraire en fluctuation sur le marché et entre les mains des classes qui n'ont pas affaire aux banques. Mais peut-être l'activité ou la non-activité des Monnaies des grandes nations commerçantes est-elle un des indices les plus sûrs des variations de cette quantité de numéraire. On fabriquera beaucoup de monnaie quand on en utilise beaucoup, et peu quand on en utilise peu. A la Monnaie d'Angleterre, la frappe s'est élevée, en 1855, à 9 245 000 livres sterling; en 1856, à 6 476 000 livres sterling; en 1857, à 5 293 858 livres sterling. En 1858, la Monnaie n'a presque rien eu à faire. » (Economist, 10 juillet 1858, [p. 754 et suiv.]) Mais, à la même époque, il y avait dans les caves de la Banque environ 18 millions de livres sterling d'or.


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