1867

Une publication réalisée en collaboration avec le site le.capital.free.fr.


Le Capital - Livre premier

Le développement de la production capitaliste

Karl MARX

III° section : la production de la plus-value absolue

Chapitre X : La journée de travail


IV. Travail de jour et nuit. – Le système des relais

Les moyens de production, le capital constant, considérés au point de vue de la fabrication de la plus-value, n'existent que pour absorber avec chaque goutte de travail un quantum proportionnel de travail extra. Tant qu'ils ne s'acquittent pas de cette fonction, leur simple existence forme pour le capitaliste une perte négative, car ils représentent pendant tout le temps qu'ils restent, pour ainsi dire, en friche, une avance inutile de capital, et cette perte devient positive dès qu'ils exigent pendant les intervalles de repos des dépenses supplémentaires pour préparer la reprise de l'ouvrage. La prolongation de la journée de travail au-delà des bornes du jour naturel, c'est-à-dire jusque dans la nuit, n'agit que comme palliatif, n'apaise qu'approximativement la soif de vampire du capital pour le sang vivant du travail. La tendance immanente de la production capitaliste est donc de s'approprier le travail pendant les vingt-quatre heures du jour. Mais comme cela est physiquement impossible, si l'on veut exploiter toujours les mêmes forces sans interruption, il faut, pour triompher de cet obstacle physique, une alternance entre les forces de travail employées de nuit et de jour, alternance qu'on peut obtenir par diverses méthodes. Une partie du personnel de l'atelier peut, par exemple, faire pendant une semaine le service de jour et pendant l'autre semaine le service de nuit. Chacun sait que ce système de relais prédominait dans  la première période de l'industrie cotonnière anglaise et qu'aujourd'hui même, à Moscou, il est en vigueur dans cette industrie.

Le procès de travail non interrompu durant les heures de jour et de nuit est appliqué encore dans beaucoup de branches d'industrie de la Grande-Bretagne « libres » jusqu'à présent, entre autres dans les hauts fourneaux, les forges, les laminoirs et autres établissements métallurgiques d'Angleterre, du pays de Galles et d'Écosse. Outre les heures des jours ouvrables de la semaine, le procès de la production comprend encore les heures du dimanche. Le personnel se compose d'hommes et de femmes, d'adultes et d'enfants des deux sexes. L'âge des enfants et des adolescents parcourt tous les degrés depuis huit ans (dans quelques cas six ans) jusqu'à dix-huit [1]. Dans certaines branches d'industrie, hommes, femmes, jeunes filles travaillent pêle-mêle pendant la nuit [2].

Abstraction faite de l'influence généralement pernicieuse du travail de nuit [3], la durée ininterrompue des opérations pendant vingt-quatre heures offre l'occasion toujours cherchée et toujours bienvenue de dépasser la limite nominale de la journée de travail. Par exemple dans les branches d'industrie extrêmement fatigantes que nous venons de citer, la journée de travail officielle comprend pour chaque travailleur douze heures au plus, heures de nuit ou heures de jour. Mais le travail en plus au-delà de cette limite est dans beaucoup de cas, pour nous servir des expressions du rapport officiel anglais, « réellement épouvantable » (truly fearful [4]). « Aucun être humain, y est-il dit, ne peut réfléchir à la masse de travail qui, d'après les dépositions des témoins, est exécutée par des enfants de neuf à douze ans, sans conclure irrésistiblement que cet abus de pouvoir de la part des parents et des entrepreneurs ne doit pas être permis une minute de plus [5]. »

« La méthode qui consiste en général à faire travailler des enfants alternativement jour et nuit, conduit à une prolongation scandaleuse de la journée de travail, aussi bien quand les opérations sont pressées que lorsqu'elles suivent leur marche ordinaire. Cette prolongation est dans un grand nombre de cas non seulement cruelle, mais encore incroyable. Il arrive évidemment que pour une cause ou l'autre un petit garçon de relais fasse défaut çà et là. Un ou plusieurs de ceux qui sont présents et qui ont déjà terminé leur journée doivent alors prendre la place de l'absent. Ce système est si connu, que le directeur d'une laminerie auquel je demandais comment s'effectuait le remplacement des relayeurs absents me répondit : « Vous le savez aussi bien que moi », et il ne fit aucune difficulté pour m'avouer que les choses se passaient ainsi [6]. »
« Dans une laminerie où la journée de travail nominale pour chaque ouvrier était de onze heures et demie, un jeune garçon travaillait au moins quatre nuits par semaine jusqu'à 8 h 30 du soir du jour suivant et cela dura pendant les six mois pour lesquels il était engagé. Un autre âgé de neuf ans travaillait jusqu'à trois services de relais successifs, de douze heures chacun et à l'âge de dix ans deux jours et deux nuits de suite. Un troisième maintenant âgé de dix ans travaillait depuis 8 heures du matin jusqu'à minuit pendant trois nuits et jusqu'à 9 heures du soir les autres nuits de la semaine. Un quatrième maintenant âgé de treize ans travaillait depuis 6 heures du soir jusqu'au lende­main midi pendant toute une semaine et parfois trois services de relais l'un après l'autre depuis le matin du lundi jusqu'à la nuit du mardi. Un cinquième qui a aujourd'hui douze ans a travaillé dans une fonderie de fer à Stavely depuis 6 heures du matin jusqu'à minuit pendant quatorze jours; il est incapable de continuer plus longtemps. George Allinsworth âgé de neuf ans : « Je suis venu ici vendredi dernier. Le lendemain nous devions commencer à 3 heures du matin. Je suis donc resté toute la nuit ici. J'habite à cinq milles d'ici. J'ai dormi dans les champs avec un tablier de cuir sous moi et une petite jaquette par-dessus. Les deux autres jours j'étais ici vers 6 heures du matin. Ah! c'est un endroit où il fait chaud ! Avant de venir ici, j'ai travaillé également dans un haut fourneau pendant toute une année. C'était une bien grande usine dans la campagne. Je commençais aussi le samedi matin à 3 heures; mais je pouvais du moins aller dormir chez moi, parce que ce n'était pas loin. Les autres jours je commençais à 6 heures du matin et finissais à 6 ou 7 heures du soir, etc [7]. »

Ecoutons maintenant le capital lui-même exprimant sa manière de voir sur ce travail de vingt-quatre heures sans interruption. Les exagérations de ce système, ses abus, sa cruelle et incroyable prolongation de la journée, sont naturellement passés sous silence. Il ne parle du système que dans sa forme normale.

MM. Naylor et Wickers, fabricants d'acier, qui emploient de six cents à sept cents personnes, dont dix pour cent au-dessous de dix-huit ans, sur lesquels vingt petits garçons seulement font partie du personnel de nuit, s'expriment de la manière suivante :

« Les jeunes garçons ne souffrent pas le moins du monde de la chaleur. La température est probablement de 86 à 90 degrés Fahrenheit. A la forge et au laminoir, les bras travaillent jour et nuit en se relayant; mais, par contre, tout autre ouvrage se fait. le jour, de 6 heures du matin à 6 heures du soir. Dans la forge, le travail a lieu de midi à minuit. Quelques ouvriers travaillent continuellement de nuit sans alterner, c'est-à-dire jamais le jour. Nous ne trouvons pas que le travail, qu'il s'exécute le jour ou la nuit, fasse la moindre différence pour la santé (de MM. Naylor et Wickers bien entendu ?), et vraisemblablement les gens dorment mieux quand ils jouissent de la même période de repos que lorsque cette période varie... Vingt enfants environ travaillent la nuit avec les hommes... Nous ne pourrions bien aller (not well do) sans le travail de nuit de garçons au-dessous de dix-huit ans. Notre grande objection serait l'augmentation des frais de production... Il est difficile d'avoir des contremaîtres habiles et des « bras » intelligents : mais des jeunes garçons, on en obtient tant qu'on en veut... Naturellement, eu égard à la faible proportion de jeunes garçons que nous employons, une limitation du travail de nuit serait de peu d'importance ou de peu d'intérêt pour nous [8]. »

M. J. Ellis, de la maison John Brown et Cie, fabricants de fer et d'acier, employant trois mille ouvriers, hommes et jeunes garçons, « jour et nuit , par relais », pour la partie difficile du travail, déclare que dans la pénible fabrication de l'acier, les jeunes garçons forment le tiers ou la moitié des hommes. Leur usine en compte cinq cents au-dessous de dix-huit ans, dont un tiers ou cent soixante-dix de moins de treize ans. Il dit, à propos de la réforme législative proposée :

« Je ne crois pas qu'il y aurait beaucoup à redire (very objectionable) de ne faire travailler aucun adolescent au-dessous de dix-huit ans que douze heures sur vingt-quatre. Mais je ne crois pas qu'on puisse tracer une ligne quelconque de démarcation pour nous empêcher d'employer des garçons au-dessus de douze ans dans le travail de nuit. Nous, accepterions bien plutôt, ajoute-t-il dans le même style, une loi d'après laquelle il nous serait interdit d'employer la nuit des garçons au-dessous de treize et même de quatorze ans, qu'une défense de nous servir pour le travail de nuit de ceux que nous avons une bonne fois. Les garçons qui travaillent dans la série de jour doivent aussi alternativement travailler dans la série de nuit, parce que les hommes ne peuvent pas exécuter constamment le travail de nuit, cela ruinerait leur santé. Nous croyons cependant que le travail de nuit, quand il se fait à une semaine d'intervalle, ne cause aucun dommage (MM. Naylor et Wickers affirmaient le contraire pour justifier le travail de nuit sans intermittence, tel qu'il se pratique chez eux). Nous trouvons que les gens qui accomplissent le travail de nuit en alternant possèdent une santé tout aussi bonne que ceux qui ne travaillent que le jour... Nos objections contre le non-emploi de garçons au-dessous de dix-huit ans au travail de nuit seraient tirées de ce que nos dépenses subiraient une augmentation; mais c'est aussi la seule raison (on ne saurait être plus naïvement cynique !). Nous croyons que cette augmentation serait plus grande que notre commerce (the trade), avec la considération que l'on doit à son exécution prospère, ne pourrait convenablement le supporter.(As the trade with due regard to, etc., could fairly bear !) (Quelle phraséologie !) Le travail est rare ici et pourrait devenir insuffisant par suite d'un règlement de ce genre. »

(C'est-à-dire, Ellis, Brown et Cie pourraient tomber dans le fatal embarras d'être obligés de payer la force de travail tout ce qu'elle vaut [9].)

Les « forges cyclopéennes de fer et d'acier » de MM. Cammell et Cie sont dirigées de la même manière que les précédentes. Le directeur gérant avait remis de sa propre main son témoignage écrit au commissaire du gouvernement, M. White, mais plus tard il trouva bon de supprimer son manuscrit qu'on lui avait rendu sur le désir exprimé par lui de le réviser. M. White cependant a une mémoire tenace. Il se souvient très exactement que, pour messieurs les cyclopes, l'interdiction du travail de nuit des enfants et des adolescents est une « chose impossible; ce serait vouloir arrêter tous leurs travaux », et cependant leur personnel compte un peu moins de six pour cent de garçons au-dessous de dix-huit ans, et un pour cent seulement au­dessous de treize [10] !

M. E. F. Sanderson, de la raison sociale Sanderson, Bros et Cie, fabrication d'acier, laminage et forge à Attercliffe, exprime ainsi son opinion sur le même sujet :

« L'interdiction du travail de nuit pour les garçons au-dessous de dix-huit ans ferait naître de grandes difficultés. La principale proviendrait de l'augmentation de frais qu'entraînerait nécessairement le remplacement des enfants par des hommes. A combien ces frais se monteraient-ils ? Je ne puis le dire; mais vraisemblablement ils ne s'élèveraient pas assez haut pour que le fabricant pût élever le prix de l'acier, et conséquemment toute la perte retomberait sur lui, attendu que les hommes (quel manque de dévouement) refuseraient naturellement de la subir. »

Maître Sanderson ne sait pas combien il paye le travail des enfants, mais

« peut-être monte-t-il jusqu'à quatre ou cinq shillings par tête et par semaine... Leur genre de travail est tel qu'en général (mais ce n'est pas toujours le cas) la force des enfants y suffit exactement, de sorte que la force supérieure des hommes ne donnerait lieu à aucun bénéfice pour compenser la perte, si ce n'est dans quelques cas peu nombreux, alors que le métal est difficile à manier. Aussi bien les enfants doivent commencer jeunes pour apprendre le métier. Le travail de jour seul ne les mènerait pas à ce but. »

Et pourquoi pas ? Qu'est-ce qui empêcherait les jeunes garçons d'apprendre leur métier pendant le jour ? Allons ! Donne ta raison !

« C'est que les hommes, qui chaque semaine travaillent alternativement tantôt le jour, tantôt la nuit, séparés pendant ce temps des garçons de leur série, perdraient la moitié des profits qu'ils en tirent. La direction qu'ils donnent est comptée comme partie du salaire de ces garçons et permet aux hommes d'obtenir ce jeune travail à meilleur marché. Chaque homme perdrait la moitié de son profit. (En d'autres termes, les MM. Sanderson seraient obligés de payer une partie du salaire des hommes de leur propre poche, au lieu de le payer avec le travail de nuit des enfants. Le profit de MM. Sanderson diminuerait ainsi quelque peu, et telle est la vraie raison sandersonienne qui explique pourquoi les enfants ne pourraient pas apprendre leur métier pendant le jour) [11]. Ce n'est pas tout. Les hommes qui maintenant sont relayés par les jeunes garçons verraient retomber sur eux tout le travail de nuit régulier et ne pourraient pas le supporter. Bref, les difficultés seraient si grandes qu'elles conduiraient vraisemblablement à la suppression totale du travail de nuit. » -
« Pour ce qui est de la production même de l'acier, dit E. F. Sanderson, ça ne ferait pas la moindre différence, mais ! »

Mais MM. Sanderson ont autre chose à faire qu'à fabriquer de l'acier. La fabrication de l'acier est un simple prétexte pour la fabrication de la plus-value. Les fourneaux de forge, les laminoirs, etc., les constructions, les machines, le fer, le charbon ont autre chose à faire qu'à se transformer en acier. Ils sont là pour absorber du travail extra, et ils en absorbent naturellement plus en vingt-quatre heures qu'en douze. De par Dieu et de par le Droit ils donnent à tous les Sandersons une hypothèque de vingt-quatre heures pleines par jour sur le temps de travail d'un certain nombre de bras, et perdent leur caractère de capital, c'est-à-dire sont pure perte pour les Sandersons, dès que leur fonction d'absorber du travail est interrompue. « Mais alors il y aurait la perte de machines si coûteuses qui chômeraient la moitié du temps, et pour une masse de produits, telle que nous sommes capables de la livrer avec le présent système, il nous faudrait doubler nos bâtiments et nos machines, ce qui doublerait la dépense. » Mais pourquoi précisément ces Sandersons jouiraient-ils du privilège de l'exploitation du travail de nuit, de préférence à d'autres capitalistes qui ne font travailler que le jour et dont les machines, les bâtiments, les matières premières chôment par conséquent la nuit ?

« C'est vrai, répond E. F. Sanderson au nom de tous les Sandersons, c'est très vrai. La perte causée par le chômage des machines atteint toutes les manufactures où l'on ne travaille que le jour. Mais l'usage des fourneaux de forge causerait dans notre cas une perte extra. Si on les entretenait en marche, il se dilapiderait du matériel combustible (tandis que maintenant c'est le matériel vital des travailleurs qui est dilapidé); si on arrêtait leur marche, cela occasionnerait une perte de temps pour rallumer le feu et obtenir le degré de chaleur nécessaire (tandis que la perte du temps de sommeil subie même par des enfants de huit ans est gain de travail pour la tribu des Sandersons) ; enfin les fourneaux eux-mêmes auraient à souffrir des variations de température »,

tandis que ces mêmes fourneaux ne souffrent aucunement des variations de travail [12].


Notes

[1] « Children's Employment Commission. » Third Report. London, 1864, p.4, 5, 6.

[2] « Dans le Staffordshire et le sud du pays de Galles, des jeunes filles et des femmes sont employées au bord des fosses et aux tas de coke, non seulement le jour, mais encore la nuit. Cette coutume a été souvent mentionnée dans des rapports présentés au Parlement comme entraînant à sa suite des maux notoires. Ces femmes employées avec les hommes, se distinguant à peine d'eux dans leur accoutrement, et toutes couvertes de fange et de fumée, sont exposées à perdre le respect d'elles-mêmes et par suite à s'avilir, ce que ne peut manquer d'amener un genre de travail si peu féminin. » L.c., 194, p. 36. Comp. Fourth Report (1865) 61, p. 13. Il en est de même dans les verreries.

[3] « Il semble naturel », remarque un fabricant d'acier qui emploie des enfants au travail de nuit, « que les jeunes garçons qui travaillent la nuit ne puissent ni dormir le jour, ni trouver un moment de repos régulier, mais ne cessent de rôder çà et là pendant le jour. » L.c. Fourth Rep., 63, p. 13. Quant à l'importance de la lumière du soleil pour la conservation et le développement du corps, voici ce qu'en dit un médecin : « La lumière agit directement sur les tissus du corps auxquels elle donne à la fois solidité et élasticité. Les muscles des animaux que l'on prive de la quantité normale de lumière, deviennent spongieux et mous; la force des nerfs n'étant plus stimulée perd son ton, et rien de ce qui est en travail de croissance n'arrive à bon terme. Pour ce qui est des enfants, l'accès d'une riche lumière et l'action directe des rayons du soleil pendant une partie du jour sont absolument indispensables à leur santé. La lumière favorise l'élaboration des aliments pour la formation d'un bon sang plastique et durcit la fibre une fois qu'elle est formée. Elle agit aussi comme stimulant sur l'organe de la vue et évoque par ce la même une plus grande activité dans les diverses fonctions du cerveau. » M. W. Strange, médecin en chef du « General Hospital » de Worcester, auquel nous empruntons ce passage de son livre sur la Santé (1864), écrit dans une lettre à l'un des commissaires d'enquête, M. White : « J'ai eu l'occasion dans le Lancashire d'observer les effets du travail de nuit sur les enfants employés dans les fabriques, et contradictoirement aux assertions intéressées de quelques patrons, je déclare et je certifie que la santé des enfants en souffre beaucoup. » (L.c., 284, p.55). Il est vraiment merveilleux qu'un pareil sujet puisse fournir matière à des controverses sérieuses. Rien ne montre mieux l'effet de la production capitaliste sur les fonctions cérébrales de ses chefs et de leur domesticité.

[4] L.c., 57, p.12.

[5] L. c., (4th. Report, 1865) 58, p.12.

[6] L.c.

[7] L.c., p.13. Le degré de culture de ces « forces de travail » doit naturellement être tel que nous le montrent les dialogues suivants avec un des commissaires d'enquête : Jérémias Haynes, âge de douze ans : « Quatre fois quatre fait huit, mais quatre quatre (quatre l'ours) font 16... Un roi est lui qui a tout l'or et tout l'argent. (A king is Nor that has all the money and gold.) Nous avons un roi, on dit que c'est une reine, elle s'appelle princesse Alexandra. On dit qu'elle a épousé le fils du roi. Une princesse est un homme. » Win. Turner, âgé de douze ans : « Ne vit pas en Angleterre, pense qu'il y a bien un pays comme ça, n'en savait rien auparavant. » John Morris, quatorze ans: «J'ai entendu dire que Dieu a fait le monde et que tout le peuple a été noyé, excepté un; j'ai entendu dire qu'il y en avait un qui était un petit oiseau. » William Smith, quinze ans : « Dieu a fait l'homme; l'homme a fait la femme. » Edward Taylor, quinze ans : « Ne sait rien de Londres. » Henry Matthewmann, dix-sept ans : « Vais parfois à l'église. Un nom sur quoi ils prêchent, était un certain Jésus-Christ, mais je puis pas nommer d'autres noms et je puis pas non plus rien dire sur celui-là. Il ne fut pas massacré, mais mourut comme u un autre. D'une façon il n'était pas comme d'autres, parce qu'il était religieux d'une façon, et d'autres ne le sont pas. »(He was not the same as other people in some ways, because he was religious in some ways, and others, is n't. » (L.c. 74, p.15.) « Le diable est un bon homme. Je ne sais pas où il vit. Christ était un mauvais gars. (The devil is a good person. I don't know where he lives. Christ was a wicked man.) » Ch. Empl. Report Comm. V. 1866, p. 55, n° 278, etc. Le même système règne dans les verreries et les papeteries tout comme dans les établissements métallurgiques que nous avons cités. Dans les papeteries où le papier est fait avec des machines, le travail de nuit est la règle pour toute opération, sauf pour le délissage des chiffons, Dans quelques cas le travail de nuit est continué, par relais, pendant la semaine entière, depuis la nuit du dimanche ordinairement jusqu'à minuit du samedi suivant. L'équipe d'ouvriers de la série de jour, travaille cinq jours de douze heures et un jour de dix-huit heures, et l'équipe de la série de nuit travaille cinq nuits de douze heures et une de six heures, chaque semaine. Dans d'autres cas chaque série travaille vingt-quatre heures alternativement Une série travaille six heures le lundi et dix-huit le samedi pour coinpléter les vingt-quatre heures. Dans d'autres cas encore on met en pratique un système intermédiaire, dans lequel tous ceux qui sont attachés à la machine des faiseurs de papier travaillent chaque jour de la semaine quinze à seize heures. Ce système, dit un des commissaires d'enquête, M. Lord, paraît réunir tous les maux qu'entraînent les relais de douze et de vingt-quatre heures. Des enfants au-dessous de treize ans, des adolescents au-dessous de dix-huit ans et des femmes sont employés dans ce système au travail de nuit. Maintes fois dans le système de douze heures, il leur fallait travailler, par suite de l'absence des relayeurs, la double série de vingt-quatre heures. Les dépositions des témoins prouvent que des jeunes garçons et des jeunes filles sont très souvent accablés d'un travail extra qui ne dure pas moins de vingt-quatre et même trente-six heures sans interruption. Dans les ateliers de vernissage on trouve des jeunes filles de douze ans qui travaillent quatorze heures par jour pendant le mois entier, sans autre répit régulier que deux ou trois demi-heures au plus pour les repas. Dans quelques fabriques, où l'on a complètement renoncé au travail de nuit, le travail dure effroyablement au-delà du temps légitime, et « précisément là où il se compose des opérations les plus sales, les plus échauffantes et les plus monotones. »(Children's Employment Commission Report IV, 1865, p.38 et 39.)

[8] Fourth Report. etc., 1865, 79, p. xvi.

[9] L.c., 80.

[10] L.c., 82.

[11] « Dans notre époque raisonneuse à outrance, il faut vraiment n'être pas fort pour ne pas trouver une bonne raison pour tout, même pour ce qu'il y a de pis et de plus pervers. Tout ce qui s'est corrompu et dépravé dans le monde s'est corrompu et dépravé pour de bonnes raisons. » (Hegel, l. c., p. 249.)

[12] L.c., p. 85. Les scrupules semblables des tendres fabricants verriers d'après lesquels « les repas réguliers fiers des enfants sont impossibles parce qu'un certain quantum de chaleur rayonné pendant ce temps par les fourneaux serait pure perte pour eux », ne produisent aucun effet sur le commissaire d'enquête, M. White. « L'abstinence ou l'abnégation » ou « l'économie » avec laquelle les capitalistes dépensent leur argent et la « prodigalité » digne d'un Tamerlan avec laquelle ils gaspillent la vie des autres hommes, ne l'émeuvent pas comme elles ont ému MM. Ure, Senior, etc., et leurs plats plagiaires allemands, tels que Roscher et Cie. Aussi leur répond-il : « Il est possible qu'un peu plus de chaleur soit perdu par suite de l'établissement de repas réguliers; mais même estimée en argent cette perte n'est rien en comparaison de la dilapidation de force vitale (the waste of animal power) causée dans le royaume par ci, fait que les enfants en voie de croissance, employés dans les verreries, ne trouvent aucun moment de repos pour prendre à l'aise leur nourriture et la digérer. » (L.c., p. XLV.) Et cela dans l'année de progrès 1865 ! Sans parler de la dépense de force qu'exige de leur part l'action de lever et de porter des fardeaux, la plupart des enfants, dans les verreries où l'on fait des bouteilles et du flintglass, sont obligés de faire en six heures, pour exécuter leur travail, de quinze à vingt milles anglais, et cela dure souvent quatorze à quinze heures sans interruption. Dans beaucoup de ces verreries règne, comme dans les filatures de Moscou, le système des relais de six heures. « Pendant la semaine, la plus grande période de répit comprend au plus six heures, sur lesquelles il faut prendre le temps d'aller et de venir de la fabrique, de se laver, de s'habiller, de manger, etc., de sorte qu'il reste à peine un moment pour se reposer. Pas un instant pour jouer, pour respirer l'air pur, si ce n'est aux dépens du sommeil si indispensable à des enfants qui exécutent de si durs travaux dans une atmosphère aussi brûlante... Le court sommeil lui-même est interrompu par cette raison que les enfants doivent s'éveiller eux-mêmes la nuit ou sont troublés dans le jour par le bruit extérieur. » M. White cite des cas où un jeune garçon a travaillé trente-six heures de suite, d'autres où des enfants de douze ans s'exténuent jusqu'à 2 heures de la nuit et dorment ensuite jusqu'à 5 heures du matin (trois heures !) pour reprendre leur travail de plus belle. « La masse de travail, disent les rédacteurs du rapport général, Tremenheere et Turnell, que des enfants, des jeunes filles et des femmes exécutent dans le cours de leur incantation de jour et de nuit (spell of labour) est réellement fabuleuse. » (L.c., XLIII et XLIV.) Et cependant quelque nuit peut-être le capital verrier, pour prouver son abstinence, sort du club fort tard, la tête tournée par le vin de Porto; il rentre chez lui en vacillant et fredonne comme un idiot : « Britons never, never shall be slaves ! (Jamais l'Anglais, non jamais l'Anglais ne sera esclave !) »


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