1865

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Le Capital - Livre III

Le procès d'ensemble de la production capitaliste

K. Marx

§ 5 : Subdivision du profit en intérêt et profit d'entreprise. Le capital productif d'intérêts.


Chapître XXII : Le partage du profit. – Le taux et le taux « naturel » de l’intérêt

Nous ne pouvons pas étudier ici en détail les questions qui font l'objet de ce chapitre, pas plus que les problèmes du crédit que nous aurons a examiner plus tard. La concurrence entre les prêteurs et les emprunteurs et les perturbations passagères du marché financier qui en résultent, sortent du cadre de nos recherches; il en est de même du cycle du taux de l'intérêt, qui suppose l'étude du cycle industriel, que nous ne pouvons pas aborder, ainsi que de la question de l'égalisation approximative des taux de l'intérêt sur le marché mondial. Nous ne nous occuperons que de la forme propre du capital productif d'intérêts et du rapport entre l'intérêt et le profit.

L'intérêt étant une partie du profit que le capitaliste industriel doit abandonner au capitaliste d'argent, il doit avoir pour limite supérieure le profit, car lorsqu'il devient égal à ce dernier la part de l'industriel est nulle. Si nous faisons abstraction des cas anormaux où l'intérêt est effectivement plus élevé que le profit (et où par conséquent il ne peut pas être payé au moyen de ce dernier), nous pouvons admettre que le maximum de l'intérêt ne peut pas dépasser le profit moins une partie (dont nous nous occuperons plus loin) représentant les wages of superintendence, le salaire de surveillance. Quant à la limite inférieure de l'intérêt, elle ne petit pas être fixée.

« Le rapport entre la somme qui est payée pour l'usage d'un capital et ce capital lui-même constitue le taux de l'intérêt exprimé en argent ».
« Le taux de l'intérêt dépend : 1° du taux du profit; 2° de la base d'après laquelle le profit entier est partagé entre le prêteur et l'emprunteur » (Economist, 22 janvier 1853).
« Etant donné que ce que l'on paie comme intérêt pour l'usage de ce qu'on emprunte est une partie du profit que l'objet emprunté peut produire, l'intérêt doit dans tous les cas être déterminé par ce profit » (Massie H., op. cit., 49).

Supposons d'abord qu'il y ait un rapport invariable entre le profit total et la partie de celui-ci qui doit être payée, à titre d'intérêt, au capitaliste d'argent. L'intérêt variera en même temps que le profit total, dont les oscillations sont déterminées, à leur tour, par celles du taux général du profit. Si, par ex., le taux moyen du profit est de 20 % et si l'intérêt est égal au quart du profit, le taux de l'intérêt sera de 5 % ; dans les mêmes circonstances, à un taux du profit de 16 %, correspondra un taux de l'intérêt de 4 %. Les taux du profit et de l'intérêt étant respectivement de 20 et de 8 %, l'industriel fera le même profit que lorsque ces taux sont respectivement de 16 et de 4 % ; il fera un profit plus considérable si au taux du profit de 20 % cor­respond un taux de l'intérêt de 7 ou de 6 %. Lorsque l'intérêt est une quote-part constante du profit moyen, il varie proportionnellement à ce dernier. Si, par exem­ple, il est admis que l'intérêt représente le cinquième du profit moyen, il sera de 2 lorsque le profit sera de 10, de 4 lorsque le profit sera de 20, de 5 lorsque le profit sera de 25, de 6 lorsque le profit sera de 30 et de 7 lorsque le profit sera de 35, et les différences entre le taux du profit et celui de l'intérêt seront respectivement de 8, de 16, de 20, de 24 et de 35. Des taux différents, 4, 5, 6, 7 %, de l'intérêt expriment donc une même quote-part du profit, celui-ci variant dans les limites de 20, 25, 30, 35 et, dans ces circonstances, le profit industriel (la différence entre le profit total et l'intérêt) est d'autant plus élevé que le taux général du profit est plus grand.

Toutes circonstances égales, c'est-à-dire le rapport entre le profit total et l'intérêt restant à peu près invariable, le capitaliste industriel pourra payer et payera un taux d'inté­rêt directement en rapport avec le taux du profit [1]. Or le taux du profit est en raison inverse du développement de la production capitaliste ; le taux de l'intérêt, pour autant qu'il se règle effectivement sur celui du profit, variera donc également en raison inverse du développement industriel.

Nous verrons plus tard qu'il n'en est pas toujours ainsi. Nous dirons cependant que l'intérêt, même l'intérêt moyen, se fixe d'après le profit ou plus exactement d'après le taux général du profit, et que dans tous les cas le taux moyen du profit peut être considéré comme la limite supérieure de l'intérêt.

La grandeur du profit qui doit être partagé entre le capitaliste industriel et le capitaliste d'argent, est déterminée par le taux moyen du profit. Ce taux étant donné, l'intérêt qui sera payé au capitaliste prêteur varie en raison inverse de la partie du profit qui est retenue par le capitaliste emprunteur; les circonstances qui règlent le partage entre les deux diffèrent complètent et agissent souvent en sens inverse [2] de celles qui fixent l'importance du profit, c'est-à-dire de la valeur produite par du travail non payé qui est à partager.

Lorsque l'on considère les cycles, dans lesquels se meut l'industrie moderne, - accalmie, reprise des affaires, prospérité, surproduction, krach, dépression, accalmie, etc., évènements dont l'analyse sort du cadre de notre étude, - on voit que l'intérêt est généralement bas dans les périodes de grande prospérité et de profits extraordinaires, qu'il monte lorsque la prospérité arrive à son point culminant, et qu'il atteint son maximum et s'élève à un taux usuraire lorsque la crise bat son plein [3]. C'est ainsi que la prospérité s'étant affirmée d'une manière décisive pendant l'été 1813, on vit l'intérêt, qui au printemps 1842 avait été de 4 %, tomber à 2 % [4] et même à 1 ½ % au mois de septembre 1843 (Gilbart, I, p. 166), pour remonter à 8 % et plus durant la crise de 1847. Ce qui n'empêche pas que parfois un taux réduit de l'intérêt corresponde à un arrêt des affaires et qu'un relèvement en accompagne la reprise.

L'intérêt atteint son taux le plus élevé pendant les crises, lorsque de l'argent doit être emprunté coûte que coûte. La hausse provoque alors la baisse des valeurs et fournit l'occasion aux gens qui ont de l'argent disponible d'acheter à un prix ridiculement bas des titres portant intérêt, qui remonteront tout au moins à leur prix moyen dès que la baisse de l'intérêt se manifestera [5].

Deux causes principales agissent cependant pour que le taux de l'intérêt tende à baisser indépendamment des variations du taux du profit.

D'après Ramsay le taux de l'intérêt « dépend en partie du taux du profit brut et en partie de la proportion suivant laquelle celui-ci est partagé en intérêt et profit d'entreprise (profits of enterprise). Cette proportion dépend de la concurrence entre les prêteurs et les emprunteurs, laquelle est influencée, niais non déterminée exclusivement, par le taux probable du profit brut [6]. Si la concurrence ne se règle pas exclusivement d'après le taux probable, c'est que d'un côté il y a beaucoup d'emprunteurs dont l'argent ne doit pas servir à une entreprise productive, et que d'autre part le total du capital qui peut être prêté dépend de la richesse du pays et non des variations quelles qu'elles soient du profit brut. » (Ramsay, op. cit., pp. 206, 207.)

Pour déterminer le taux moyen de l'intérêt, il faut calculer :

Aucune loi ne règle le taux moyen de l'intérêt dans un pays déterminé, et l'on peut dire qu'il n'y a pas un taux naturel de l'intérêt analogue aux taux naturels du profit et des salaires dont parlent les économistes. Massie dit à ce sujet avec infiniment de raison (p. 49) :

« Le seul point sur lequel on puisse discuter est de savoir quelle est la part de ces profits qui revient équitablement au prêteur et quelle est celle qui doit rester à l'emprunteur ; pour être fixé à cet égard, il n'y a guère d'autre méthode que de s'en rapporter à l'opinion des emprunteurs et des prêteurs en général, car l'équité en cette matière n'est que ce que le consentement commun veut qu'elle soit ».

Le taux moyen du profit étant donné d'avance, aucune influence ne peut être attribuée à la formule de l'équilibre de l'offre et de la demande. Il n'est fait appel à cette formule (et pratiquement on a raison d'agir de la sorte) que pour trouver les limites qui règlent la concurrence et en déterminent l'importance, et elle est surtout mise à contribution par les praticiens qui, mêlés directement aux phénomènes de la concurrence, désirent se faire une idée - superficielle, il est vrai - de la connexion intime des rapports économiques qu'elle abrite; dans ces conditions, elle sert à déterminer la limite des variations qui accompagnent la concurrence. Mais tel n'est pas le cas quand il s'agit du taux de l'intérêt ; ici il n'y a aucune raison pour que ce soient la concurrence dans son allure ni moyenne et l'équilibre entre la demande des emprunteurs et l'offre des prêteurs qui déterminent qu'un intérêt au taux de 3, de 4 ou de 5 % soit alloué au capital du prêteur ou que celui-ci pi-élève 20 ou 50 %, du profit brut. Lorsqu'il arrive que la concurrence décide, c'est simplement par accident, et seuls les pédants et les fantaisistes peuvent considérer comme inévitable ce qui alors est uniquement l'effet du hasard [7]. Rien n'est amusant comme les rapports parlementaires de 1857 et de 1858 sur la législation des banques et la crise commerciale, dans lesquels les directeurs de la Banque d'Angleterre, des banquiers de Londres et de la province et des professionnels de la théorie bavardent sur le « real rate produced » (le taux réel) sans avancer autre chose que des lieux communs comme « le prix du capital prêté varie d'après l'offre » ou « il est impossible qu'à la longue des taux élevés de l'intérêt coexistent avec de faibles taux du profit » [8]. La coutume, la tradition en matière de jurisprudence et d'autres facteurs interviennent autant que la concurrence pour déterminer le taux moyen de l'intérêt, pour autant que sous cette dénomination on désigne, non seulement une moyenne, mais une grandeur factice. C'est ainsi que dans les contestations en justice, on est obligé d'admettre un faux moyen légal. Mais quand on se demande s'il n'y a pas des lois générales qui limitent le taux moyen de l'intérêt, on constate qu'une réponse ne peut être formulée que si, remontant à l'origine de l'intérêt, on considère que celui-ci est une fraction du profit moyen. C'est un seul et unique capital qui fonctionne d'un côté comme capital donné en prêt, de l'autre comme capital industriel ou commercial; mais il ne fonctionne qu'une fois et ne produit qu'une fois du profit (en tant que capital prêté, il ne joue aucun rôle dans le procès de production). Le partage de ce profit entre les deux personnes qui y ont droit est une question empirique dont la solution dépend du hasard autant que le partage du profit entre les actionnaires d'une société anonyme. La répartition quantitative de la valeur produite entre la plus-value et le salaire, répartition qui fixe en réalité le taux de profit, repose sur la différence qualitative entre la force de travail et le capital, deux variables indépendantes qui se fixent réciproquement leurs limites, il en est de même, ainsi qu'on le verra plus loin, du partage de la plus-value entre la rente et le profit. Les choses se passent tout autrement quand il s'agit de l'intérêt ; ici nous nous trouvons en présence d'une différence qualitative résultant du partage purement quantitatif d'une même partie de la plus-value.

De ce qui vient d'être dit il résulte qu'il n'existe pas de taux « naturel ), de l'intérêt. Alors que, contrairement au taux général du profit, la limite du taux moyen de l'intérêt (qu'il ne faut pas confondre avec le taux sans cesse décroissant du marché) ne peut pas être fixée par une loi générale, puisqu'il s'agit uniquement du partage du profit brut entre deux possesseurs du capital, on voit au contraire que le taux de l'intérêt, autant le taux moyen que le taux du marché, affecte une grandeur déterminée, tangible et régulière, que l'on ne rencontre pas dans le taux général du profit [9].

Le taux de l'intérêt est relié au taux du profit par la même relation que le prIx de la marchandise à la valeur. Pour autant que le taux de l'intérêt, dépende du taux du profit, il est déterminé par le taux général du profit et non par les taux spéciaux qui se rencontrent dans des industries spéciales, et encore moins par le profit extraordinaire qu'un capitaliste donné réalise dans une entreprise déterminée [10]. Il en résulte que le taux général du profit se répercute effectivement comme un élément déterminé et empirique sur le taux moyen de l'intérêt, bien que ce dernier ne l'exprime pas entièrement et fidèlement.

Il est vrai que le taux de l'intérêt varie selon les garanties offertes par les emprunteurs et les durées des prêts, mais cette différence n'empêche pas que le taux soit fixe et uniforme à des moments donnés, pour des garanties et des durées égales [11].

Lorsqu'on embrasse des périodes assez longues, le taux moyen de l'intérêt semble constant dans chaque pays ; il en est ainsi parce que le taux général du profit, malgré la variation continuelle des profits particuliers, ne se modifie qu'au bout de durées très longues et a lui-même une constance relative, qui se répercute dans le taux moyen de l'intérêt (average rate or common rate of interest).Quant au taux du marché, bien que variant d'un jour à l'autre, il doit être considéré à chaque moment comme une grandeur fixe au même titre que le prix de marché des marchandises, étant donné qu'à chaque moment le taux de l'intérêt est déterminé par le rapport entre l'offre et la demande de capital. Cet aspect des choses se vérifie d'autant plus exactement que le développement de la concentration du crédit accentue le caractère social du capital offert aux emprunteurs et l'amène plus spontanément et en masses plus considérables au marché financier. Il n'en est pas de même, le taux général du profit n'existant qu'à l'état de tendance comme un mouvement vers l'égalisation des profits individuels, de la concurrence entre capitalistes ; celle-ci se manifeste lentement, les capitaux ne se retirant quà la longue des entreprises donnant un bénéfice au-dessous de la moyenne pour se reporter sur des entreprises plus lucratives, et le capital supplémentaire ne s'engageant que petit à petit, dans des proportions différentes, entre ces deux catégories d'affaires. Aussi, alors que la fixation du taux de l'intérêt résulte d'une action en masse, voit-on dans les sphères de la production le capital se transporter lentement d'une industrie à l'autre.

Le capital productif d'intérêts, en sa qualité de marchandise - marchandise sui generis, d'une catégorie absolument distincte de la marchandise ordinaire a donc un prix, l'intérêt, et un prix du marché, déterminé comme celui de toute marchandise par l'offre et la demande. Ce taux du marché de l’intérêt, bien que variant continuellement, est à un moment donné aussi fixe et aussi uniforme que le prix du marché de n'importe quelle marchandise. Les capitalistes d'argent apportent leur argent au marché et les capitalistes producteurs l'achètent : d'un côté l'offre, de l'autre la demande. Les choses ne se passent pas aussi simplement pour le taux général du profit. Lorsque, dans une branche de production, le prix de la marchandise est au-dessus ou au-dessous du coût de production, l'égalité se rétablit entre les deux par une extension ou une réduction de la production : le capital en fonction est augmenté ou diminué et la marchandise est envoyée au marché en plus grande ou en plus petite quantité. Le rétablissement de l'égalité entre le prix moyen du marché et le coût de production efface l'écart qui s'était produit entre le taux spécial du profit et le taux général ou moyen, et dans cette opération le capital industriel ou commercial n'affecte pas comme tel la forme d'une marchandise ainsi que le fait le capital productif d'intérêts. Le taux général du profit est déterminé :

Le taux général du profit procède donc de causes tout autres et beaucoup plus compliquées que le taux du marché de l'intérêt, qui dépend directement de l'offre et de la demande ; il n’est par conséquent pas un élément saisissable et donné comme le taux de l'intérêt. Même les taux particuliers de l’intérêt dans les diverses branches de production sont plus oui moins incertains et pour autant qu'ils apparaissent, ce sont leurs différences et non leur uniformité que l'on constate. Quant au taux général du profit, il est la limite inférieure vers laquelle tend le profit et non une mesure empirique et directement visible du taux réel du profit.

En établissant cette différence entre le taux de l'intérêt et le taux du profit, nous faisons abstraction des deux circonstances suivantes qui favorisent la consolidation du taux de l'intérêt : 1° la préexistence historique du capital productif d'intérêts et l'existence traditionnelle d'un taux général de l'intérêt ; 2° l'influence immédiate du marché mondial, beaucoup plus considérable sur le taux de l'intérêt que sur celui du profit, abstraction faite des conditions de production propres à un pays donné.

Le profit moyen n'est pas un élément donné d'avance, mais le résultat de l'équilibre d'une série de variations antagonistes. Il en est autrement du taux de l'intérêt qui est un facteur fixé journellement, servant de point de départ aux capitalistes industriels et commerçants pour le calcul de leurs opérations. Toute somme de 100 £ a le pouvoir de donner 3, 4 ou 5 % d'intérêt. Les ­bulletins météorologiques ne renseignent pas plus exactement sur les hauteurs du baromètre et du thermomètre que la cote de la bourse sur le taux de l'intérêt, non pas de tel ou tel capital, mais de tout le capital offert à ceux qui désirent emprunter.

Le marché financier met l'emprunteur en face du prêteur. La marchandise n'y a qu'une forme, l'argent, et toutes les différences qui peuvent caractériser le capital suivant les branches de production ou de circulation où il est engagé, y sont effacées. De même il n'y a aucune trace de la concurrence qui existe entre les producteurs ; ils sont confondus en une masse et sont simplement des emprunteurs devant le capital, qui a ce moment est absolument indifférent à l'application a laquelle il peut être destiné et est uniquement le capital commun de la classe figurant dans un phénomène d'offre et de demande. A mesure que la grande industrie se développe, le capital-argent se présente de moins en moins sur le marché sous forme de petites sommes appartenant à un nombre plus ou moins grand de capitalistes isolés; il y arrive en masses agglomérées et organisées, qui bien autrement que la production sont soumises au contrôle des banquiers, représentants du capital socialisé. Si bien que le capital à prêter qui du côté de l'offre affecte la forme d'une masse, subit du côté de la demande le poids d'une classe.

Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles le taux général du profit apparaît comme une image nébuleuse à côté du taux de l'intérêt, dont la grandeur, il est vrai, varie également, mais se présente cependant comme fixe aux yeux des emprunteurs, parce qu'elle varie dans la même mesure pour tous. De même que les variations de valeur de la monnaie ne l'empêchent pas d'avoir la même valeur par rapport à toutes les marchandises, de même que malgré leurs variations quotidiennes les prix du marché des marchandises sont relatés jour par jour dans les mercuriales, de même le taux de l'intérêt est noté régulièrement comme « prix de la monnaie ». C'est parce que le capital lui-même sous forme d'argent est offert comme marchandise et que son prix comme celui de toutes les marchandises est un prix du marché, que le taux de l'intérêt est toujours un taux général de l'intérêt, déterminé quantitativement, s'élevant à autant pour autant d'argent. Par contre, même dans les mêmes prix du marché, les taux du profit peuvent être différents, si les conditions dans lesquelles les capitaux produisent la même marchandise sont différentes; car le taux du profit de chaque capital est déterminé, non par le prix du marché de la marchandise, mais par la différence entre le prix du marché et le prix de revient. Et ces taux de profit, différents dans la même branche de production et différents d'une branche à l'autre, ne peuvent être ramenés à un taux unique que par leurs variations incessantes.


Points à développer ultérieurement : Primo. Une forme spéciale du crédit. On sait que lorsque la monnaie sert de moyen de paiement et non de moyen d'achat, la marchandise est aliénée, mais que sa valeur n'est réalisée que plus tard. Si le paiement n'a lieu qu'après que la marchandise est revendue, cette vente n'est pas une conséquence de l'achat, mais la condition de sa réalisation ; elle est par conséquent un moyen d'achat. Secundo. Des titres de créance, des lettres de change, etc., deviennent des moyens de paiement pour les créanciers. Tertio. La compensation des titres de créance remplace la monnaie.


Notes

[1] « Le taux naturel de l'intérêt est réglé par les profits des industriels ou commerçants » (Massie, op. cit., p. 51).

[2] Le manuscrit porte ici la remarque suivante : Ce chapitre montre qu'il vaut mieux, avant d'étudier les lois du partage du profit, développer comment le partage quantitatif se transforme en un partage qualitatif. Pour rattacher cette étude au chapitre précédent il suffit d'admettre provisoirement que l'intérêt est une fraction non encore définie du profit.

[3] « Dans la période qui suit immédiatement une crise, l'argent abonde et la spéculation est nulle; puis vient la seconde période dans laquelle l'argent est abondant et la spéculation intense suit la troisième où la spéculation ralentit et où l'argent est demandé enfin, dans la quatrième, l'argent est rare et la crise commence. » (Gilbart, op. cit., I, p. 144).

[4] Tooke explique cela « par l'accumulation du capital en excès, qui n'a pas trouvé dans les années précédentes l'occasion d'être employé lucrativement, par la diminution des trésors, et par le relèvement de la confiance dans les entreprises commerciales.» (History of Prices from 1839 till 1817, London, 1844, p. 54.)

[5] « Un ancien client d'un banquier se vit refuser un prêt contre une garantie de 200.000 £ en papier ; il se décidait à suspendre ses paiements, lorsque le banquier lui fit dire qu'il pouvait ne pas recourir à cette mesure extrême et qu'il consentait à lui acheter ses titres pour 15 000 £ » (The Theory of the Exchanges. The Bank Charter Act of 1844 etc., Londres, 1869, p. 80).

[6] Le taux de l'intérêt général étant déterminé par le taux moyen du profit, il arrive très souvent que des tripotages sans nom se produisent lorsque l'intérêt est à un taux réduit. Tels furent en 1844 les tripotages sur les valeurs de chemins de fer. Ce ne fut que le 16 octobre 1844 que la Banque d'Angleterre éleva le taux de l'intérêt à 3 %.

[7] Dans son Treatise on Pol. Econ. New-York, 1851, B. J. G. Opdyke essaie vainement d'établir que l'intérêt à un taux uniforme de 5 % résulte de lois éternelles. Mais incomparablement plus naïf est M. Kart Arnd, qui écrit tout an long dans Die natugemässe Volksswirtschaft gegen über dem Monopoliengeiste und dem Communismus, etc , Hanau, 1815 : « Dans la marche naturelle de la production il n'y a qu'un phénomène qui, dans les pays entièrement civilisés, semble devoir régler quelque peu le taux de l'intérêt ; c'est la proportion dans laquelle le cube de bois des forêts européennes augmente par la croissance annuelle des arbres. Cette croissance se fait, indépendamment de la valeur d'échange, [Quels drôles d'arbres qui arrangent leur croissance sans se préoccuper de leur valeur d'échange !] dans le rapport de 3 à 4 %. Par conséquent, [la croissance des arbres étant indépendante de leur valeur d'échange, bien que celle-ci puisse dépendre dans une large mesure de la croissance] il ne faut pas s'attendre à ce qu’il [le taux de l'intérêt] tombe au-dessous du niveau qu'il occupe actuellement dans les pays les plus riches » (p. 124). - Voilà ce que l'on peut appeler le « taux d’intérêt d'origine forestière », découverte qui n’étonnera pas quand on saura que celui qui l'a faite, acquiert dans le même ouvrage un autre titre à la reconnaissance de « notre science » comme « philosophe de l'impôt sur les chiens ».

[8] Tout en tenant compte du taux du marché, la Banque d'Angleterre élève ou abaisse le taux de l'escompte suivant que l'or est abondant ou se fait rare. « C'est pour cette raison que la spéculation sur les escomptes, basée sur les variations éventuelles du taux de la Banque d'Angleterre, occupe plus de la moitié de ceux qui sont à la tête du marché monétaire », c'est-à-dire du marché financier de Londres (The Theory of the Exchanges, etc., p. 413.)

[9] « Le prix des marchandises varie continuellement; elles sont des­ tinées à des usages très différents, tandis que l'argent convient à tous les usages. Alors que des marchandises, même du même genre, se différen­cient d'après leur qualité, la monnaie métallique a toujours la même valeur ou doit tout au moins l’avoir. D'où il résulte que le prix de l'argent, que nous désignons sous le nom d'intérêt, présente plus de fixité et d'unifor­mité que tout autre chose », (J. Steuart, Principles of Pol. Econ., trad. franç., 1789, IV, p. 27).

[10] « Cette règle du partage du profit est applicable, non pas à chaque prêteur ou emprunteur en particulier, mais aux prêteurs et emprunteurs en général … des gains extraordinairement grands ou petits étant la récompense d'une grande habileté ou la punition d'un manque de connais­sance, choses dans lesquelles les prêteurs n'ont rien à voir, car s'ils ne veulent pas pâtir de l'un ils ne doivent pas bénéficier de l'autre. Le même raisonnement est applicable aux entreprises. Si les commerçants et les industriels d'une branche réalisent avec l'argent qu'ils ont emprunté, plus que les profits ordinaires des commerçants et des industriels des autres branches de la même contrée, la différence, bien qu'il ait suffi de l'habi­leté et des connaissances ordinaires pour l'obtenir, revient à eux et non aux capitalistes qui leur ont avancé de l'argent … car ceux-ci ne leur auraient consenti aucun prêt pour exploiter une entreprise moins lucrative que celles qui peuvent payer le taux ordinaire de l'intérêt ; aussi les emprunteurs ne doivent-ils que le taux ordinaire quel que soit le profit qu'i!s réalisent avec l'argent qu'on leur avance » (Massie, op. cit., p. 50, 51).

[11] Le tableau suivant que nous empruntons au Daily News du 10 décembre 1887 et qui donne les taux de l'intérêt à la Bourse de Londres du 9 décembre, montre quelles différences énormes - de 1 à 5 % - ce taux peut présenter le même jour.

Taux en banque :

5 %.

Taux du marché, escompte à 60 jours :

3 5/8 %.

Ditto (à 3 mois) :

3 1/2 %.

Ditto (à 6 mois) :

3 5/16 %.

Prêts aux courtiers de change, au jour le jour :

1 à 2 %.

Ditto pour une semaine :

3 %.

Prêts aux agents de change, pour quinze jours :

4 1/2 à 5 %

Provision déposée dans une banque :

3 1/2 %

Ditto dans un comptoir d'escompte :

3 1/2 %

F. E.


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