1865

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Le Capital - Livre III

Le procès d'ensemble de la production capitaliste

K. Marx

§ 5 : Subdivision du profit en intérêt et profit d'entreprise. Le capital productif d'intérêts.


Chapître XXVIII : L'instrument de circulation et le capital. Théories de Tooke et Fullarton.

Toolke [1], Wilson et d'autres, qui confondent à plaisir l'argent, instrument de circulation, avec l'argent, capital-argent sous une forme générale et avec l'argent productif d'intérêt (moneyed capital), établissent deux distinctions entre l'instrument de circulation et le capital.

L'instrument de circulation circule comme monnaie lorsqu'il est affecté à la dépense du revenu, c'est-à-dire aux transactions entre les consommateurs improductifs et les petits négociants, dénomination sous laquelle il faut comprendre tous ceux qui vendent des produits à la consommation improductive, à l'exclusion de la consommation productive, c’est-à-dire la production. Bien que dans cette fonction l'argent circule comme monnaie, il ne contribue pas moins au renouvellement incessant du capital. Dans chaque pays une quantité déterminée d'argent est affectée à cette fonction.

Par contre l'argent est capital dès qu'il sert à la transmission du capital, soit comme moyen d'achat (instrument de circulation), soit comme moyen de paiement. Ce n'est donc pas sa fonction de moyen d'achat ou de paiement qui le distingue de la monnaie, car il peut servir de moyen d'achat dans les transactions à argent comptant entre négociants et négociants et il peut servir de moyen de paiement entre négociant et consommateur, du moment que le crédit intervient et que le revenu est dépensé avant d'être perçu.

La différence réside dans ce fait que lorsque l'argent est capital il ne renouvelle pas seulement le capital du vendeur, mais est dépensé comme capital par l'acheteur. Elle provient donc de ce que, d'une part, l'argent est une forme du revenu, de l'autre, une forme du capital, et non de ce que d'un côté il serait question de circulation et de l'autre de capital. Qu'il s'agisse de transactions entre négociants ou de transactions entre négociants et consommateurs, il faut dans un cas comme dans l’autre qu'une quantité suffisante d'argent circule et cette circulation est la même pour les deux fonctions.

La théorie de Tooke donne lieu à plusieurs confusions, parce que :

1/ Que l'argent serve à dépenser un revenu ou à transmettre un capital, il fonctionne pour permettre un achat, une vente ou un paiement, il agit comme moyen d'achat ou de paiement, en un mot comme instrument de circulation. Peu importe à ce point de vue le rôle qu'il joue dans les comptes de ceux qui le dépensent ou de ceux qui le reçoivent, qu'il soit pour eux un capital ou un revenu. Bien que les catégories d'argent circulant dans les deux sphères soient différentes, c'est la même monnaie, par exemple un billet de cinq livres, qui passe d'une sphère à l'autre et accomplit alternativement les deux fonctions; ce qui est d'ailleurs inévitable, le petit commerçant ne pouvant donner à son capital d'autre forme que celle de la monnaie qu'il reçoit de ses clients. On peut admettre que la véritable monnaie divisionnaire a son centre de circulation dans la sphère du petit commerce, ce qui ne veut pas dire que le petit commerçant ne reçoive pas également de la monnaie à pouvoir libératoire absolu, des livres sterling et des billets de 5 à 10 £ ; mais ces pièces d'or et ces billets ainsi que la monnaie divisionnaire dont il n'a pas l'emploi direct, il les dépose journellement ou hebdomadairement chez le banquier qui opère pour lui le paiement de ses achats. Ces pièces d'or et ces billets sortent ensuite des banques, se distribuent dans le public qui les reçoit en qualité de consommateur ou comme revenu, et reviennent à la caisse du petit commerçant dont ils renouvellent le capital ou reconstituent le revenu. Ce dernier fait, qui est important, est complètement perdu de vue par Tooke. Dès que l'argent est avancé comme capital-argent pour commencer un procès de reproduction (Vol. II, première partie) la valeur capital existe comme telle : dans les marchandises produites, il n'y a plus seulement le capital, mais aussi la plus-value, il n'y a plus le capital primitif, mais le capital transformé, portant en lui une source de revenu. La marchandise que le petit négociant donne en échange de l'argent qui reflue dans sa caisse, est à son point de vue un capital augmenté de profit, son capital plus son revenu. Cet argent reconstitue en même temps son capital sous forme de monnaie.

Il est donc contraire aux faits de transformer en une différence entre la circulation et le capital une distinction qui existe entre la circulation du revenu et la circulation du capital. Tooke donne dans cette erreur parce qu'il se place uniquement au point de vue des banques d'émission. Les billets que celles-ci mettent en circulation ne leur coûtent que des dépenses de papier et d'impression. Ce sont des titres de crédit sur leur caisse, qui leur rapportent de l'argent et sont un moyen de mise en valeur de leur capital ; mais ils sont distincts de leur capital, que celui-ci leur appartienne ou soit emprunté, et c'est pour cette raison qu'elles font une distinction entre la circulation et le capital, distinction qui doit rester en dehors de la conception théorique, surtout de celle exposée par Tooke.

2/ Le caractère de l'argent comme instrument de circulation n'est pas influencé par la fonction qui lui est assignée, qu'il représente le revenu ou le capital. Lorsqu'il est dépensé comme revenu, il fonctionne surtout comme instrument de circulation (monnaie), parce que les ventes et les achats sont divisés et éparpillés et que les ouvriers, qui constituent la plus grande partie de ceux qui dépensent du revenu, ne peuvent guère acheter à crédit. Lorsqu'il s'agit au contraire de transactions dans le monde du commerce, où l'instrument de circulation représente le capital, l'argent fonctionne avant tout comme moyen de paiement, tant à cause de la concentration que du rôle important joué par le crédit. Mais cette distinction entre l'argent, moyen de paiement, et l'argent, moyen d'achat (instrument de circulation), appartient à l'argent en propre et ne provient pas d'une distinction entre l'argent et le capital ; de même que ce n'est pas parce que dans le petit commerce il circule avant tout du cuivre et de l'argent et dans le grand commerce avant tout de l'or, que la différence entre le cuivre et l'argent d'une part et l'or de l'autre puisse correspondre à une différence entre la circulation et le capital.

L'argent circulant, soit comme moyen d'achat, soit comme moyen de paiement - quelle que soit la sphère dans laquelle il circule, qu'il fonctionne comme capital ou comme revenu - est soumis, en ce qui concerne sa masse, aux lois que nous avons développées (Vol. I, chap. III, 2 b) en étudiant la circulation simple de la marchandise. Dans les deux cas la quantité d'argent en circulation (la currency) est déterminée par la rapidité de la circulation, l'activité du fonctionnement des pièces de monnaie dans un temps donné, le nombre d'achats et de ventes ou de paiements s'effectuant simultanément, le prix global des marchandises en circulation, enfin les comptes qui sont à balancer. La quantité d'argent nécessaire est déterminée exclusivement par sa fonction de moyen d'achat et de paiement et n'est influencée d'aucune manière par la fonction de capital ou de revenu que l'argent accomplit pour celui qui le dépense ou le reçoit.

3/ Un rapport interne relie les deux sphères du procès de reproduction, étant donné que d'une part la masse des revenus détermine l'importance de la consommation, et que d'autre part la masse du capital circulant dans la production et le commerce caractérise la rapidité du procès de reproduction. Cependant des circonstances identiques ont des effets différents et même opposés sur les quantités d'argent circulant dans les deux sphères ou sur les quantités de la circulation, comme disent les Anglais dans le langage des banques. De nouveau ce fait donne lieu à la distinction erronée que Tooke établit entre la circulation et le capital ; mais ce n'est pas parce que ces messieurs de la théorie du currency principle confondent deux choses bien distinctes, qu'il est permis d'introduire cette confusion dans la science.

Lorsque le procès de reproduction traverse une période d'accélération et d'énergie. lorsque la prospérité règne, les ouvriers trouvent facilement à s'occuper et voient leurs salaires monter. En même temps augmentent les revenus des capitalistes et s'élargit d'une manière générale la consommation. Les prix s'élèvent régulièrement pour les produits essentiels. Il en résulte que la quantité de monnaie en circulation doit suivre parallèlement une marche ascendante, du moins dans certaines limites, l'accélération de la circulation pouvant jusqu'à un certain point suppléer à l'extension de i'instrument monétaire. La partie du revenu social, qui est représentée par les salaires et qui est constituée par le capital variable que les capitalistes doivent avancer en argent, ne peut circuler alors qu'à la condition que la quantité de monnaie soit renforcée. Mais il faut bien se garder de porter cette quantité deux fois en compte, une fois comme argent nécessaire pour la circulation du capital variable et une seconde fois comme argent indispensable pour la, circulation du revenu des ouvriers. En effet, le salaire payé aux ouvriers est dépensé en achats au petit commerce, qui le fait rentrer assez régulièrement toutes les semaines dans les banques, après l'avoir utilisé à un certain nombre de petites transactions ; l'argent reflue donc sans difficulté aux capitalistes industriels, et les besoins d'argent de ceux-ci n'augmentent nullement parce qu'ils ont plus de salaires à payer et qu'il faut plus de monnaie pour la circulation de leur capital variable.

Le résultat d'une période de prospérité est de faire augmenter dans une large mesure la masse des instruments de circulation servant à la dépense des revenus.

Quant à la circulation intervenant exclusivement entre capitalistes et servant à la transmission du capital, elle est réglée directement comme rapidité par le crédit ; aussi la masse d'instruments de circulation nécessaire pour solder les comptes et même pour les achats au comptant est soumise à une diminution relative. Alors même qu'elle augmente d'une manière absolue et quelles que soient les circonstances, elle diminue relativement à l'expansion du procès de reproduction : d'une part les paiements sans l'intervention de la monnaie augmentent en importance ; d'autre part le mouvement de la même quantité d'argent fonctionnant comme moyen d'achat et de paiement est accéléré. Une même quantité d'argent assure le reflux d'une masse plus considérable de capitaux.


En somme, pendant les périodes de prospérité, la circulation monétaire est abondante (full), parce que la dépense de revenu augmente d'une manière absolue, bien que la transmission des capitaux se contracte relativement.

Ainsi que nous l'avons vu dans la première partie du deuxième volume, le reflux de l'argent correspond à la transformation A-M-A' du capital-marchandise en argent. L'intervention du crédit a pour effet de rendre le reflux en espèces indépendant du reflux effectif, tant pour le capitaliste industriel que pour le commerçant. Vendant tous les deux à crédit, leurs marchandises sont aliénées avant que l'équivalent leur soit remis en argent ; mais comme ils achètent également à crédit, la valeur de leurs marchandises leur est déjà restituée, soit sous forme de capital productif, soit sous forme de capital-marchandise, avant qu'elle soit réellement reconvertie en argent et que les paiements soient arrivés à échéance. Lorsque les affaires prospèrent le reflux se fait facilement et sans obstacle : le petit commerçant paie régulièrement le négociant de gros, celui-ci le fabricant, et ce dernier l'importateur de matières premières. Et ce reflux rapide et assuré se maintient en apparence longtemps après que la prospérité a disparu, grâce au crédit qui continue à fonctionner et qui substitue des rentrées d'argent sur le papier aux rentrées réelles. Les banques devinent la situation (voir plus haut, p. 457, la déclaration du directeur de la Banque de Liverpool) dès que leurs clients leur remettent plus de traites que d'argent.

Je répéterai encore ici ce que j'ai déjà écrit en 1859 dans Zur Kritik der politischen Œkonomie (p. 83, 84.) :

"Pendant les périodes où le crédit domine, la rapidité de la circulation monétaire augmente plus que les prix des marchandises, tandis que la régression du crédit est accompagnée d'une baisse des prix plus lente que la diminution de la vitesse de la circulation."

Pendant les périodes de crise le contraire se passe de ce que nous venons de constater pour les périodes de prospérité. La circulation des moyens d'achat (pour la dépense du revenu) se contracte, les prix et les salaires baissent, le nombre des ouvriers occupés diminue et la masse des transactions devient plus petite. Par contre, dans la circulation des moyens de paiement le besoin d'avances d'argent devient plus grand à mesure que le crédit devient plus difficile, un point sur lequel nous reviendrons plus loin.

Il est hors de doute que la baisse du crédit, qui est le résultat d'un ralentissement du procès de reproduction, entraîne une diminution de la masse d'instruments de circulation nécessaire pour la dépense du revenu et une augmentation de celle indispensable pour la transmission du capital. Mais il convient d'examiner jusqu'à quel point cette conclusion est d'accord avec celle formulée par Fullarton et d'autres :

"Une demande d'emprunt de capital et une demande d'instruments de circulation supplémentaires sont des choses toutes différentes et qui ne se produisent guère simultanément [2]."

D'abord il est évident qu'en temps de propérité la demande d'instruments de circulation doit augmenter. Mais il est non moins vrai que si un fabricant, qui est amené à augmenter sa dépense de capital sous forme d'argent, demande à la banque où il dispose d'un crédit une plus grande quantité d'or ou de billets de banque, sa demande ne porte pas sur du capital, mais sur la forme spéciale sous laquelle il veut dépenser son capital ; sa demande se rapporte exclusivement à la forme technique sous laquelle il met son capital en circulation. C'est ainsi que suivant le développement du crédit, le même capital variable, le paiement de la même masse de salaires, exige dans tel pays une plus grande masse d'instruments de circulation que dans tel autre, une plus grande masse, par ex., en Angleterre qu'en écosse, et une plus grande en Allemagne qu'en Angleterre. De même en agriculture, le même capital en activité dans le procès de reproduction exige suivant les saisons des quantités différentes de monnaie pour l'exercice de sa fonction.

L'opposition signalée par Fullarton n'est donc pas fondée. Ce n'est pas, comme il le dit, le renforcement de la demande d'emprunts qui distingue les périodes de dépression des périodes de prospérité, mais la facilité avec laquelle cette demande est accueillie lorsque les affaires sont prospères et la difficulté qu'elle rencontre lorsqu'elles sont dans le marasme. Et ce sont précisément le développement extraordinaire du crédit pendant les périodes de prospérité et l'énorme condescendance avec laquelle les demandes considérables d'emprunt sont accueillies, qui sont les causes des difficultés que rencontre le crédit dans les périodes de crise. Les deux périodes ne se différencient donc pas par l'importance des demandes d'emprunt; mais bien, ainsi que nous l'avons constaté plus haut, en ce que dans les temps prospères c'est la demande d'instruments de circulation pour les transactions entre consommateurs et commerçants qui prédomine, et que dans les périodes de crise c'est la demande d'instruments de circulation pour les transactions entre capitalistes qui sévit, alors que l'autre diminue.

Fullarton et d'autres signalent comme très important ce fait que lorsque les securities, les gages et les traites, affluent en masse à la Banque d'Angleterre, la circulation en billets de celle-ci diminue et réciproquement. La quantité de securities dépend de l'importance des escomptes et des avances sur gages. C'est ainsi que Fullarton dit dans le passage que nous reproduisons en note à la page 503 : les securities varient généralement à la Banque d'Angleterre en sens inverse de la circulation en billets, et ceci confirme le principe admis de tout temps par les banques privées qu'aucune banque ne peut pousser son émission de billets au delà d'une limite déterminée par les besoins du public; veut-elle faire des avances au delà de cette limite, il faut qu'elle les prenne sur son capital, soit en convertissant des titres, soit en y affectant des rentrées d'argent que sans cela elle aurait converties en titres.

Ce passage nous fait voir en même temps ce que Fullarton entend par capital. Lorsque la banque ne parvient plus à faire des avances avec ses propres billets - qui ne lui coûtent rien - à quoi a-t-elle recours ? Elle vend les securities qu'elle a en réserve, des fonds publics, des actions, des titres quelconques portant intérêts. Mais pourquoi vend-elle ces titres ? Pour se procurer de l'argent, de l'or ou des billets de banque, comme ceux de la Banque d’Angleterre, ayant cours légal. Ce qu'elle avance dans cette opération est en tout état de cause de la monnaie et cette monnaie constitue dès lors une partie de son capital. La chose est évidente quand elle avance de l'or ; il en est de même quand elle avance des billets, puisque pour les obtenir, elle a dû vendre des titres portant intérêts. Lorsqu'il s’agit d'une banque privée, elle n'obtient, en échange des titres qu'elle vend, que des billets de la banque d'Angleterre ou des billets de sa propre émission, car elle accepterait difficilement en paiement des billets d'une autre banque; quand il s'agit de la Banque d'Angleterre, elle se voit forcée de donner en échange de ses propres billets, c'est-à-dire du capital, des titres portant intérêts, sans compter qu'elle retire par là ses propres billets de la circulation si elle remet ensuite ces billets en circulation ou si elle émet un lot de nouveaux billets du même import, ces billets représentent du capital : ils seront remis comme avances à des capitalistes ou seront reconvertis en titres ou fonds publics lorsque plus tard la demande qui les a rendus nécessaires n'existera plus. Dans toutes ces opérations le mot capital a le sens qu'on lui donne dans le langage des banques, où l'on dit que le banquier touche à son capital lorsqu'il se voit obligé de prêter plus d'argent que son crédit ne le comporte.

Tout le monde sait que la Banque d'Angleterre fait toutes ses avances en billets de son émission. Or, d’après la règle énoncée par Fullarton, la Banque voit diminuer sa circulation en billets à mesure qu'augmentent ses escomptes et ses prêts sur gages, c'est-à-dire ses avances.

Comment les billets refluent-ils donc à la Banque ?

La réponse est très simple lorsque la situation résulte d'une balance défavorable et qu'elle a pour but de permettre une exportation d'or. Les traites sont escomptées en billets, ceux-ci sont échangés à la Banque même, à son issue department, contre de l'or et cet or est envoyé à l'étranger. C'est absolument comme si la Banque escomptait directement en or. Une situation de ce genre, qui dans certaines circonstances donne lieu à des demandes de 7 à 10 millions de livres sterling, n'ajoute pas même un billet de cinq livres à la circulation intérieure du pays, et si parlant de l'opération de la Banque, on dit qu'elle a avancé du capital et non des instruments de circulation, cette phrase a un double sens. Elle dit : d'abord que la Banque a avancé, non des titres de crédit, mais une valeur réelle, une partie de son capital ou des capitaux qu'elle a en dépôt; ensuite que la Banque à avancé de l'argent, non pour la circulation intérieure, mais pour la circulation internationale, laquelle ne se contente pas d'une monnaie ayant la forme d'une valeur, mais veut une monnaie ayant une valeur intrinsèque, l'or. Bien que cet or représente du capital tant pour la Banque que pour ceux qui l'exportent, il a été demandé, non à titre de capital, mais à titre de monnaie. La demande en est devenue nécessaire à un moment où les marchés étrangers regorgeaient de marchandises anglaises qu'ils ne parvenaient pas à écouler; ce qu'il fallait alors en Angleterre, ce n'était pas du capital en tant que capital, mais du capital en tant que monnaie, sous la forme qui en fait une marchandise universelle, sous la forme de métal précieux. Les exportations d'or ne sont donc pas, comme le disent Fullarton, Tooke et d'autres, a mere question of capital, une simple question de capital, mais a question of money, une question de monnaie (de monnaie dans une fonction spécifique). Le fait qu'elles ne sont pas une question de circulation intérieure comme le prétendent les gens du currency principle ne démontre pas, comme le croient Fullarton et d'autres qu'il s'agit d'une simple question de capital. "Que le capital (il s'agit de l'argent servant à, payer des millions de quarters de blés étrangers qu'on avait dû acheter parce que la récolte avait manqué en Irlande) soit transmis en marchandises ou en espèces, la nature de la transaction n'en est nullement affectée" (Fullarton, op. cit., p. 131). Ce qui est affecté, c’est le point de savoir si de l'on sera exporté ou non ; or le capital devra être transmis en or, parce qu'il ne peut pas du tout ou qu'il ne peut qu'avec une très grande perte être transmis en marchandises.

Les banques modernes éprouvent pour les exportations d'or une peur qui dépasse tout ce qu'a pu rêver le système monétaire, pour lequel les métaux précieux représentent la seule vraie richesse. écoutons l'interrogatoire de M. Morris, gouverneur de la Banque d'Angleterre, dans l'enquête faite par le Comité parlementaire sur la crise de 1847-48 :

Question 3846. Au sujet de la dépréciation des produits en stocks et du capital fixe, n'est-il pas à votre connaissance que tout le capital engagé dans les stocks et les produits de toute nature a été déprécié dans la même mesure, que des laines, des cotons et des soies brutes ont été expédiés sur le continent à des prix dérisoires et que le sucre, le café et le thé n'ont pu être écoulés qu'au prix de grands sacrifices comme dans les ventes forcées ? - Le pays dut inévitablement s'imposer un sacrifice considérable pour compenser l'exportation de l'or, qui avait été la conséquence de l'énorme importation de matières alimentaires.
Question 3848. N'êtes-vous pas d'avis qu'il aurait mieux valu recourir aux 8 millions de £ constituant le trésor de la Banque, que de chercher à rentrer en possession de l'or au prix de pareils sacrifices ? - Non, je ne suis pas de cet avis ".

C'est donc bien l'or qui est considéré ici comme la seule vraie richesse.

La découverte de Tooke que signale Fullarton (p. 121), savoir "qu'à part une ou deux exceptions pouvant être expliquées d'une manière satisfaisante, chaque baisse du change suivie d'un drainage de l'or a coïncidé partout, pendant le dernier demi-siècle, avec une restriction de l'instrument circulatoire et vice versa", démontre que ces drainages de l'or se produisent le plus généralement après une période de fièvre et de spéculation "comme un signal d'affaissement ... annonçant que le marché est encombré, que l'étranger cesse de demander nos produits, que les rentrées d'argent sont retardées, et comme la suite inévitable du marasme du commerce, de la fermeture des usines, de la misère de la classe ouvrière et d'une stagnation générale de l'industrie et des entreprises" (p. 129).

Cette explication répond victorieusement à la thèse des gens du currency principle qui soutiennent "qu'une circulation intense chasse l'or tandis qu'une circulation faible l'attire", thèse qui est d'ailleurs contredite par les faits, étant donné que la Banque d'Angleterre dispose toujours d'une forte réserve d'or pendant les périodes de prospérité et que cette réserve se constitue toujours pendant les périodes d'abattement et de stagnation qui suivent les crises.

La vérité, en ce qui concerne les drainages de l'or, c'est que la demande de moyens internationaux de circulation et de paiement est différente de la demande de moyens de circulation et de paiement pour l'intérieur ("the existence of a drain does no necessarily imply any diminution of the internal demand for circulation", dit Fullarton, p. 112) et que l'exportation de métaux précieux, leur incorporation à la circulation internationale, diffère totalement de l'introduction de billets et de monnaie dans la circulation intérieure. Au surplus j'ai démontré précédemment que le mouvement du trésor constitué comme fonds de réserve pour les paiements internationaux est en lui-même complètement indépendant du mouvement de l'argent comme moyen de circulation. De sorte que si une complication se produit, elle résulte de ce que les fonctions très différentes du trésor résultant de sa qualité de monnaie ont pour base un fonds de réserve unique, fournissant les moyens de paiement pour l'intérieur, les moyens de circulation et la monnaie mondiale, ce qui a pour conséquence que dans des conditions données un drainage de l'or de la Banque pour la circulation à l'intérieur peut coïncider avec une exportation de métaux précieux. Elle résulte en outre de ce que dans des pays où le crédit et les instruments de crédit sont largement développés, on a sans raison assigné au trésor la fonction de servir de fonds de garantie pour la conversion des billets de banque, cause à laquelle il faut ajouter :

D'où cette plainte de Fullarton (p. 143) :

"On ne peut comparer le silence parfait et la condescendance avec lesquelles les variations de l'échange, sont accueillies dans les pays du continent avec l'inquiétude fiévreuse et la panique qui s'emparent de l'Angleterre chaque fois que le trésor de la Banque semble approcher du point où il sera épuisé, sans être frappé du grand avantage qu'une circulation métallique présente sous ce rapport".

Abstraction faite du drainage de l'or, comment une banque d'émission, telle la Banque d'Angleterre, peut-elle augmenter ses avances d'argent sans renforcer son émission ?

Tous les billets de banque sortis du portefeuille de la Banque, qu'ils circulent ou qu'ils dorment dans les coffres-forts des particuliers, sont considérés par la banque comme étant en circulation, comme ne lui appartenant plus. La banque donne-t-elle plus d'importance à ses opérations d'escompte et de prêt, à ses avances sur gages, les billets de banque qu'elle émet à cet effet doivent lui faire retour, car sans cela ils renforceraient la circulation, ce qui ne doit pas être. Ce retour des billets à la banque peut se faire de deux manières :

Primo. - La banque remet à A des billets contre un dépôt de titres ; A les emploie pour solder des traites qu'il doit à B et B les dépose à la banque. La circulation des billets est donc terminée, mais l'emprunt de A persiste. (The loan remains, and the currency, if not wanted, finds us way back to the issuer. Fullarton, p. 97). Les billets que la Banque avait remis à A sont rentrés dans son portefeuille ; par contre elle est créancière de A ou des personnes sur lesquelles sont tirées les traites escomptées par A, et elle est débitrice de B de la somme représentée par les billets qu'il lui a restitués. B dispose donc d'une partie du capital de la banque.

Secundo. - A paie B et B lui-même ou C, à qui il a remis les billets en paiement, emploie ces billets pour payer directement ou indirectement des traites à la banque. Cette fois la banque reçoit en paiement ses propres billets et la transaction est terminée (sauf que A doit restituer à la banque l'argent qu'elle lui a prêté).

Cette avance que la banque fait à A, doit-elle être considérée comme une avance de capital ou comme une simple avance de moyens de paiement [3] ?

[La réponse à cette question dépend de la nature même de l'avance, pour laquelle trois cas sont à distinguer :

Premier cas. - L'avance a été faite à A sur crédit personnel, sans aucune autre garantie. Dans ce cas la banque lui a avance, non seulement des moyens de paiement, mais un nouveau capital qu'il peut employer et mettre en valeur comme capital supplémentaire jusqu'au moment ou il en fera la restitution.

Deuxième cas. - A a donné en nantissement à la banque des valeurs, des fonds publics ou des actions, et a reçu comme avance en espèces les deux tiers, par exemple, de leur valeur à la cote du jour. Cette fois il a reçu des moyens de paiement dont il avait besoin, mais non un capital supplémentaire, car il a remis à la banque un capital d'une valeur supérieure à celui qu’il en a reçu. Ce capital d'une valeur plus grande revêtait une forme, celle de capital productif d'intérêt, qui n'était pas celle, de la forme de moyens de paiement, qui était indispensable pour l'usage qui devait en être fait momentanément, étant donné que A n'avait aucune raison pour le convertir par la vente en moyens de paiement. Ces valeurs que A a données en nantissement avaient entre autres destinations celle de servir de capital de réserve et c'est ce rôle qu'il leur a fait jouer. Il y a donc eu entre A et la banque un échange réciproque et momentané de capitaux, dont le résultat a été non de procurer à A un capital supplémentaire (au contraire), mais de lui faire obtenir des moyens de paiement dont il avait besoin. En ce qui concerne la banque, l'opération a abouti à une immobilisation momentanée du capital-argent qu'elle a prêté et à une transformation de capital-argent qui répond à la véritable fonction de la banque.

Troisième cas. - A a escompté un billet à la banque, qui lui en a remis le montant en espèces, déduction faite de l'escompte. Il lui a donc vendu une valeur non liquide pour obtenir en échange une valeur payable à vue ; contre des espèces sonnantes il a donné une traite, qui est maintenant la propriété de la banque. Peu importe qu'à défaut de paiement ce soit le dernier endosseur qui soit responsable devant la banque ; cette responsabilité il la partage avec les autres endosseurs et le tireur, contre lesquels il peut prendre son recours. Dans ce cas, il n'est donc pas question d'une avance ; il y a vente-achat ordinaire. A n'aura plus rien à restituer à la banque, car celle-ci rentrera dans ses fonds le jour de l'échéance de la traite. Il y a eu échange réciproque de capitaux entre A et la banque comme dans une vente ordinaire de marchandises, et c'est pour cette raison que A n'a pas reçu un capital supplémentaire. Ce qu'il désirait et ce qu'il a obtenu c'étaient des moyens de paiement, et la banque les lui a procurés en transformant, son capital-argent, en le faisant passer de la forme traite à la forme argent.

Il n'y a donc réellement avance de capital que dans le premier cas ; dans le deuxième et le troisième il n'y a "avance de capital" que dans le sens vulgaire, c'est-à-dire que la banque avance à A du capital-argent, qui n'est capital pour A que dans ce sens qu'il s'agit d'un partie de son capital en général. En outre cette avance que lui fait la banque il ne la demande, ni l'emploie comme capital, mais spécialement comme moyen de paiement. S'il n'en était pas ainsi il faudrait considérer toute vente de marchandises, par laquelle on se procure des moyens de paiement, comme une avance de capital. - F. E.]

Les banques d'émission privées ont pour obligation d'échanger contre de l'or ou des billets de la Banque d'Angleterre les billets de leur émission dont le paiement est réclamé à leurs guichets. Lorsqu'elles avancent de leurs billets c'est donc en réalité comme si elles avançaient des billets de la Banque d'Angleterre, ou ce qui revient au même à leur point de vue, de l'or, c'est-à-dire une partie de leur capital de banque. Il en est de même lorsque la Banque d'Angleterre ou une banque quelconque, dont l'émission ne peut dépasser un maximum fixé par la loi, se voit obligée de vendre des valeurs pour retirer de la circulation une partie de ses propres billets, qu'elle consacre ensuite à des avances ; ces billets représentent alors une partie de son capital de banque rendu liquide.

Même si la circulation était purement métallique on pourrait avoir simultanément : 1) un drainage de l'or [il s'agit évidemment ici d'un drainage au moins en partie vers l'extérieur. F. E.] ; 2) une augmentation des avances d'or contre des titres et des valeurs, devant servir à des paiements et revenant à la banque sous forme de dépôts ou de recettes pour des traites échues. Il en résulterait que d'une part la banque verrait diminuer son trésor à mesure que les valeurs augmenteraient dans son portefeuille, et que d'autre part elle détiendrait, comme débitrice de ses déposants, des sommes dont elle était précédemment propriétaire ; enfin la masse totale des instruments de circulation aurait diminué.

Nous avons admis que les avances sont faites en billets et qu'elles peuvent entraîner une augmentation au moins momentanée et sans durée de l'émission. Les choses ne se passent pas nécessairement de la sorte. Au lieu de lui remettre des billets, la banque peut ouvrir un crédit à A, qui devient ainsi un déposant fictif. A paiera alors ses créanciers en chèques sur la banque, et les porteurs de ces chèques les donneront en paiement à leurs banquiers qui les porteront au Clearing House. Dans ce cas, les billets de banque n'interviennent pas dans les opérations et toute la transaction se ramène à ceci que l'on paie à la banque une créance qu'elle avait à récupérer au moyen d'un chèque sur elle-même et qu'elle inscrira au compte de A. La banque a donc avancé à A une partie de son capital.

Pour autant que cette demande d'avance d'argent soit une demande de capital, elle est une demande de capital-argent, de capital en ce qui concerne le banquier. c'est-à-dire une demande d'or quand il y a drainage de l'or par l'étranger, ou de billets de la Banque nationale, qui représentent du capital puisque les banques privées ne peuvent se les procurer qu'en les achetant. Nous avons vu que dans certains cas les banques et même la Banque d’Angleterre peuvent être obligées de vendre des valeurs, des fonds publics, des actions portant intérêt, afin de se procurer de l'or ou des billets. Lorsque ces valeurs sont des titres de la dette publique, elles représentent un capital uniquement pour celui qui les achète et à concurrence de la somme qu'il débourse pour les acquérir, tandis qu'en elles-mêmes elles sont simplement des titres de créance. Si elles sont représentées par des cédules hypothécaires, elles sont des titres à des rentes foncières éventuelles et si elles consistent en actions, elles sont des titres de propriété donnant droit à la perception d'une part de plus-value. Tous ces titres ne sont donc à proprement parler ni un capital, ni une partie de capital, et ils ne sont pas en eux-mêmes des valeurs. Il se peut aussi que par des transactions de ce genre de l'argent appartenant à la banque soit transformé en dépôt, de sorte qu'elle cesse d'en être propriétaire pour en devenir débitrice et qu'elle le détienne à un autre titre. Autant des faits de ce genre sont importants pour la banque, autant leur importance est minime au point de vue de la provision de capital et même de capital-argent dont le pays dispose. Le capital ne figure ici que comme capital-argent, même simplement à titre de capital s'il n'existe pas sous forme d'argent, ce qui est très important puisqu'il s'agit d'une confusion de la rareté et la demande pressante du capital de banque avec une réduction du capital réel, qui dans des circonstances pareilles existe au contraire en grande abondance sous forme de moyens de production et de produits, au point qu'il déprime les marchés.

Ces considérations expliquent très simplement comment la banque peut voir s'accroître la masse de valeurs qui lui servent de couverture et par conséquent donner satisfaction à des demandes croissantes d'avances d'argent, alors que la masse de moyens de circulation reste constante ou diminue. Dans les périodes où la monnaie fait défaut, la masse des moyens de circulation est limitée – 1° parce l'or est drainé; 2° parce que la monnaie n'est demandé que pour des paiements, situation qui a comme conséquence que les billets émis font immédiatement retour à la banque et qu'un grand nombre de transactions se liquident par des virements de comptes sans l'intervention de billets de banque, par conséquent par de simples opérations de crédit. La monnaie, lorsqu'elle fonctionne exclusivement pour solder des comptes - en temps de crise on emprunte de l'argent pour payer et non pour acheter, pour terminer des affaires, et non pour en commencer - est caractérisée par une circulation fugace, même lorsque les paiements ne se font pas exclusivement par des virements aux livres ; il en résulte que lorsque la demande d'argent est intense, une quantité considérable de ces transactions peut être faite sans que plus d'extension soit donnée à la circulation. Cependant de ce que la circulation de la Banque d'Angleterre reste stationnaire et même diminue à des époques où elle donne plus d'importance à des avances d'argent, on ne peut pas inférer à première vue, comme le font Fullarton, Tooke et d'autres (qui confondent les avances d'argent avec les avances de capital) que la circulation de la monnaie ou des billets de banque fonctionnant comme moyens de paiement n'augmente et ne se développe pas. Car, étant donné que la circulation des billets fonctionnant comme moyen d'achat diminue lorsque les demandes d'avances augmentent, il se peut très bien que leur circulation comme moyens de paiement augmente alors que la circulation totale (celle des moyens de paiement et des moyens d'achat) reste stationnaire ou même diminue. La circulation des billets de banque servant de moyens de paiement et refluant immédiatement à la banque qui les a émis ne constitue une circulation aux yeux d'aucun de ces économistes.

Lorsque la circulation des moyens de paiement augmente plus rapidement que ne diminue celle des moyens d'achat, la circulation totale augmente, alors même que la masse d'argent fonctionnant comme moyens de paiement diminue dans une large mesure. Ce fait se présente à certains moments des crises, lorsque le crédit est radicalement suspendu, lorsque non seulement les marchandises et les valeurs sont invendables, mais que les traites ne sont plus admises à l'escompte et que seuls les paiements au comptant ou, comme dit le négociant, la "caisse", sont encore écoutés. Or Fullarton et d'autres ne comprennent pas que dans de pareils moments la disette d'argent est caractérisée par la circulation de billets fonctionnant comme moyens de paiement. Aussi considèrent-ils le phénomène comme accessoire :

"En ce qui concerne ces exemples d'ardente compétition pour la possession des billets de banque, qui caractérise les moments de panique et qui conduit parfois, comme à la fin de l'année 1825, à une extension, soudaine mais temporaire de l'émission, même lorsque le drainage de l'or continue encore, je considère qu'ils ne sont pas à considérer comme devant accompagner naturellement et nécessairement un ralentissement de l'échange; dans ce cas il n'y a pas demande de circulation (de moyens d'achat) mais demande de trésor de la part de banquiers et de capitalistes alarmés, demande qui se produit au dernier acte de la crise (donc comme réserve pour des moyens de paiement) après que le drainage a continué longtemps, et qui annonce qu'il va prendre fin" (Fullarton, p. 130).

En étudiant dans le premier volume (Chap. III, page 57) la monnaie comme moyen de paiement, nous avons montré comment une rupture violente de la chaîne des paiements fait passer la monnaie d'une forme purement idéale (de monnaie d’escompte) à une forme matérielle et absolue de la valeur, et les notes 1 et 2 au bas de la page 57 ont donné des illustrations de ce phénomène. Cette rupture est en partie la conséquence et en partie la cause de l'ébranlement du crédit et des circonstances qui l'accompagnent, c'est-à-dire l'encombrement des marchés, la dépréciation des marchandises, l'interruption de la production, etc. Il est clair que Fullarton, partant de la conception étroite que les banquiers ont de la circulation, substitue à la différence entre l'argent, moyen d'achat, et l'argent, moyen de paiement, la différence sans fondement entre la currency et le capital.

On pourrait encore poser la question : Que manque-t-il dans ces périodes des crises, du capital ou de la monnaie devant fonctionner comme moyen de paiement ? Cette question donne lieu à une controverse. Lorsque la crise résulte d'un drainage de l'or, il est évident que la demande a pour objet le moyen international de paiement. Or, la monnaie capable de fonctionner dans les paiements internationaux est l'or, la monnaie ayant une valeur intrinsèque. Mais cette monnaie est en même temps capital, non pas capital sous forme de marchandise, mais capital sous forme de monnaie (de monnaie dans le sens le plus élevé du mot, de monnaie sous une forme qui en fait la marchandise générale du marché mondial). De sorte qu'il n'y a pas opposition entre la demande de monnaie, moyen de paiement, et la demande de capital, mais entre le capital sous sa forme de monnaie et le capital sous sa forme de marchandise. C'est la forme de monnaie qui dans ce cas est demandée et qui seule peut fonctionner.

Abstraction faite de cette demande d'or (ou d'argent), il est incontestable que dans ces périodes le capital ne fait défaut d'aucune manière. Il ne pourrait en être ainsi que dans des circonstances extraordinaires, par exemple, s'il y avait renchérissement des céréales, disette de colon, etc. ; mais ces événements n'accompagnent pas nécessairement, ni régulièrement les crises, et l'on ne peut pas inférer que le capital fait défaut de ce qu'il y a une recrudescence des demandes d'avances de monnaie. Au contraire ; les marchés sont encombrés et submergés de marchandises, de sorte que ce n'est d'aucune manière le manque de capital-marchandise qui est cause de la gêne. Nous reviendrons plus loin sur cette question.


Notes

[1] Nous reproduisons ici le texte original de Tooke dont nous avons donné un extrait p. 447 : "The business of bankers, setting aside the issue of promissory notes payable on demand, may be divided into two branches, corresponding with the distinction pointed out by Dr. Smith of the transactions between dealers and dealers, and between dealers and consumers. One branch of the bankers' business is to collect capital from those who have not immediate employment for it, and to distribute or transfer it to those who have. The other branch, is to receive deposits of the incomes of their customers, and to pay out the amount, as it is wanted for expenditure by the latter in the objects of their consumption the former being a circulation of capital, the latter of currency &rquot; (Tooke, Inquiry into the Currency Principle, p. 36) - La première branche est "the concentration of capital on the one hand and the distribution of it on the other &rquot;, la seconde est "administering the circulation for local purposes of the district &rquot;, ibid., p.37.- Kinnear se rapproche bien plus de la conception exacte dans le passage suivant : "L'argent est employé à deux opérations distinctes. Comme instrument d'échange entre commerçants il accomplit des transferts de capitaux, c'est-à-dire l"échange d'un capital déterminé en argent contre un capital égal en marchandise. Mais l'argent consacré au paiement des salaires ou aux ventes-achats entre les négociants et les consommateurs n'est pas du capital, mais du revenu ; il représente la fraction du revenu social qui est employée aux dépenses journalières. Cet argent est employé journellement à la circulation et c'est lui seul que dans le sens strict du mot on peut appeler moyen de circulation (currency). Les avances de capital dépendent exclusivement de la volonté des banquiers et des autres possesseurs de capitaux, car on trouve toujours des emprunteurs ; mais l'importance des moyens de circulation dépend des besoins de la société, au sein de laquelle l'argent est consacré aux dépenses quotidiennes" (J. G. Kinnear, The Crisis and the Currency, London, 1847).

[2] "A demand for capital on loan and a demand for additional circulation are quite distinct things, and not often found associated." (Fullarton, op. cit., p. 82. En tête du chapitre V). - "C'est en effet une grande erreur de s’imaginer que la demande d'avance d'argent (c'est-à-dire la demande d'emprunt d'un capital) est la même chose que la demande de moyens de circulation supplémentaires, ou de croire que les deux sont fréquemment associées. Chacune prend naissance dans des circonstances qui l'affectent particulièrement et qui sont loin d'être les mêmes pour l'une et l'autre. Lorsque tout annonce la prospérité, lorsque les salaires, sont élevés, lorsque les prix montent et que les fabriques sont occupées, il se produit généralement une demande de moyens de circulation supplémentaires, parce que les paiements deviennent plus considérables et plus nombreux. Au contraire, c'est principalement à un stade plus avancé du cycle commercial, lorsque les difficultés commencent à surgir, lorsque les marchés sont encombrés et que l'argent rentre difficilement, que l'intérêt hausse et que la Banque est assaillie de demandes d'avances de capital. Il est vrai que la Banque ne peut avancer du capital qu'au moyen de ses billets et que refuser ceux-ci c'est refuser de faire l'avance. Une fois l'avance accordée tout s'adapte aux nécessités du marché ; le prêt persiste et le moyen de circulation, lorsqu'il n'est plus nécessaire, retourne à la Banque qui l'a émis. Aussi un examen même superficiel des Rapports parlementaires convaincra tout le monde que les securities détenues par la Banque d'Angleterre sont plus fréquemment en raison inverse qu'en raison directe de la circulation ; de sorte que l'exemple de ce grand établissement ne contredit pas à la théorie que défendent avec tant d'insistance les banquiers de province et d'après laquelle aucune banque ne peut élargir sa circulation lorsque celle-ci est déjà adéquate aux buts auxquels répond généralement une circulation de billets de banque. En effet, toute avance au-delà de cette limite ne pourrait être prise que sur le capital de la banque, qui serait obligée soit de vendre une partie des garanties qu'elle a en réserve, soit de renoncer à faire de nouveaux placements contre des garanties de cette espèce. Le tableau concernant la période 1838 à 1840, qui accompagne les Rapports parlementaires et auquel je me suis rapporté dans une page précédente, fournit de nombreux exemples qui confirment ce principe, mais il y en a deux sur lesquels je désire insister. Le 3 janvier 1837, alors que la Banque faisait appel à toutes ses ressources pour maintenir le crédit et tenir tête aux difficultés du marché financier, ses avances pour des opérations de prêt et d'escompte s'élevaient à la somme énorme de 17 022 000 £, un chiffre qui n'avait guère été atteint depuis la guerre et qui représentait presque l'ensemble de l'émission. Et cependant sa circulation de billets n'était à cette date que de 17 076 000 £ ! D'autre part, le 4 juin 1833, la circulation atteignait 18 892 000 £ alors que le montant des garanties n'était que de 972 000 £, la somme probablement la plus faible qui se soit présentée pendant ce dernier demi-siècle !" (Fullarton, l.c., p. 97, 98). Qu'une demand for pecuniary accomodation (une demande d'emprunt de capital) n'est nullement identique à une demand for gold (une demande de monnaie, que Wilson, Tooke et d'autres appellent une demande de capital), c'est ce qui résulte clairement de la déclaration suivante de M. Weguelin, gouverneur de la Banque d'Angleterre : "L'escompte de traites jusqu'à ce montant (un million par jour, trois jours durant) ne diminuerait pas la réserve (de billets de banque) si le public ne désirait pas un renforcement de la circulation active. Les billets émis en échange des traites escomptées nous reviendraient par le canal des banques et des déposants. Si ces transactions n'ont pas pour but l'exportation de l'or ou si, la panique ne se déclarant pas dans le pays, le publie conserve ses billets au lieu de les présenter aux banques, la réserve ne sera pas affectée par ces événements." - "La Banque peut escompter journellement un million et demi - et cela se présente couramment - sans que sa réserve en souffre le moins du monde. Les billets de banque rentrent par les déposants, et la seule différence qui se manifeste, c'est le simple report d'un compte à l'autre." (Report on Bank Acts, 1857. Evidence, n° 241, 500). Les billets servent donc exclusivement dans ce cas comme moyen de reports de crédits.

[3] Le passage qui suit était incompréhensible dans le manuscrit et a dû être remanié entièrement (il s'agit de la partie entre parenthèses). La question qui y est traitée a déjà été examinée à un autre point de vue dans le chapitre XXVI. - F. E.


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