1867

Un chapitre du livre premier découvert ultérieurement et qui fournit des précisions cruciales pour l'analyse du mode de production capitaliste.


Un chapitre inédit du Capital

Karl MARX

Résultats du procès de production immédiat


II. La production capitaliste comme production de plus-value

F. Procès de circulation et procès de production

a) Vente et achat de la force de travail sur le marché

Nous avons vu que la transformation de l'argent en capital s'articule en deux procès autonomes, qui appartiennent à deux sphères absolument différentes et séparées l'une de l'autre. Le premier correspond à la sphère de la circulation des marchandises, et se déroule donc sur le marché : c'est l'achat-vente de la force de travail; le second, c'est la consommation de la capacité de travail achetée, autrement dit : le procès de production.

Dans le premier procès, le capitaliste et l'ouvrier se font face uniquement comme possesseur d'argent et possesseur de marchandise. Leur transaction - comme celle de tous les acheteurs et vendeurs - est un échange d'équivalents. Dans le second l'ouvrier opère, pour un temps, comme élément vivant du capital : la catégorie de l'échange en est tout à fait exclue. En effet, avant même que ce procès ne commence, le capitaliste s'est approprié par l'achat tous les facteurs matériels et personnels de la production. Cependant, bien qu'existant indépendamment l'un de l'autre, ces deux procès se conditionnent réciproquement : le premier introduit le second, et celui-ci accomplit le premier.

Dans le premier procès - l'achat et la vente de la capacité de travail -, le capitaliste et l'ouvrier se manifestent uniquement comme acheteur et vendeur de marchandises. Ce qui distingue cependant l'ouvrier des autres vendeurs de marchandises, c'est la nature particulière, la valeur d'usage spécifique, de la marchandise qu'il vend. Mais, la valeur d'usage particulière des marchandises ne change en rien la forme économique déterminée de la transaction, ni le fait que l'acheteur représente l'argent, et le vendeur la marchandise.  [1] Il suffit donc d'isoler le premier procès, et de ne considérer que son caractère formel, pour démontrer que le rapport entre le capitaliste et l'ouvrier ne se distingue en rien de celui des possesseurs de marchandises qui échangent entre eux, à leur profit réciproque, argent et marchandise au moyen d'un libre contrat. Ce simple tour de passe-passe n'a rien de sorcier, et pourtant il représente tout l'arsenal de la sagesse de l'économie vulgaire.

Nous avons vu que le capitaliste doit convertir son argent, non seulement en force de travail, mais encore en les facteurs objectifs du procès de travail, les moyens de production. Mais, si nous considérons, d'une part, l'ensemble du capital, c'est-à-dire tous les acheteurs de force de travail et, d'autre part, l'ensemble des vendeurs de force de travail, c'est-à-dire tous les ouvriers, nous constatons que l'ouvrier ne vend pas n'importe quelle marchandise : encore et toujours, il est obligé de vendre sa propre capacité de travail (qui devient ainsi une marchandise). En effet, en face de lui, il trouve à titre de propriété d'autrui toutes les conditions de production, les moyens de production aussi bien que les moyens de subsistance et l'argent. Bref, toute la richesse objective s'oppose à l'ouvrier comme propriété des possesseurs de ces marchandises.

Cela implique que l'ouvrier travaille en étant dépouillé de toute propriété, les conditions de son travail lui faisant face comme propriété d'autrui. Que le capitaliste nº 1 possède l'argent et achète les moyens de production au capitaliste nº 2, tandis que l'ouvrier, avec l'argent reçu du capitaliste nº 1, achète les moyens de subsistance au capitaliste nº 3, ne change rien à ce que nous venons de dire, puisque tous ensemble les capitalistes nº 1, 2 et 3 sont les propriétaires exclusifs de l'argent, des moyens de production et des moyens de subsistance.

L'homme ne peut vivre que s'il produit des moyens de subsistance, mais il ne peut les produire que s'il détient des moyens de production, conditions matérielles du travail. Il est facile de comprendre que si l'ouvrier est dépouillé des moyens de production, il l'est aussi des moyens de subsistance, de même qu'inversement, s'il est privé des moyens de subsistance, il ne peut créer ses moyens de production.

Ce qui d'emblée, dans le premier procès - avant même la transformation réelle de l'argent ou de la marchandise en capital - imprime aux conditions de travail le caractère de capital, ce n'est pas la nature de l'argent, des marchandises ou des valeurs d'usage matérielles en tant que moyens de subsistance et moyens de production; c'est le fait que cet argent et ces marchandises, ces moyens de production et ces moyens de subsistance se dressent comme des puissances autonomes, personnifiées par leurs propriétaires en face de la capacité de travail, dépouillée de toute richesse matérielle; le fait que les conditions matérielles, indispensables à la réalisation du travail, soient étrangères (entfremdet) à l'ouvrier et, qui plus est, apparaissent comme des fétiches doués d'une volonté et d'une âme propres; le fait enfin, que des marchandises figurent comme acheteuses de personnes.

En réalité, l'acheteur de la capacité de travail n'est que la personnification du travail objectivé, dont une fraction est cédée à l'ouvrier sous forme de moyens de subsistance pour que la force vivante du travail s'incorpore à l'autre fraction, et qu'au moyen de cette incorporation, le capital se conserve tout entier et croisse même au-delà de sa masse initiale.

Ce n'est pas l'ouvrier qui acquiert les moyens de subsistance et de production, ce sont les moyens de subsistance qui achètent l'ouvrier, afin d'incorporer sa force de travail aux moyens de production.

Les moyens de subsistance sont la forme matérielle particulière d'un capital qui existe en face de l'ouvrier, avant que celui-ci ne les acquière par la vente de sa capacité de travail. Ainsi, lorsque commence le procès de production, la force de travail est déjà vendue, et les moyens de subsistance sont déjà passés - de jure du moins - dans le fonds de consommation de l'ouvrier. Comme on le voit, ces moyens de subsistance ne constituent pas un élément de procès de travail. Celui-ci - outre l'activité de la force de travail - n'exige rien d'autre que la matière et les moyens de travail.

Il est vrai que l'ouvrier doit conserver sa capacité de travail en consommant les moyens de subsistance, mais cette consommation privée - qui est en même temps reproduction de la force de travail - est extérieure au procès de production des marchandises. Dans la production capitaliste, il est possible que tout le temps disponible du travailleur soit absorbé par le capital, la consommation des moyens de subsistance n'étant pratiquement qu'une simple incidence du procès de travail, à l'instar de la consommation de charbon par les machines à vapeur, de l'huile par les rouages mécaniques ou du foin par le cheval, ou à l'instar de la consommation privée de l'esclave. C'est en ce sens que Ricardo, par exemple (cf. ci-dessus note p. 153), range non seulement les matières premières, les instruments, etc., mais encore « la nourriture et l'habillement » parmi les objets qui donnent une « efficacité au travail », et servent donc de « capital » dans le procès de travail.

Quoi qu'il en soit, dans la pratique, le travailleur libre consomme les moyens de subsistance en les achetant comme marchandises. Lorsqu'ils passent dans ses mains - donc à plus forte raison lorsqu'il les consomme - ils ont cessé d'être du capital. Ce ne sont donc pas des éléments matériels inhérents au procès de production immédiat du capital, bien qu'ils représentent la forme d'existence matérielle du capital variable, qui apparaît sur le marché, au sein de la sphère de circulation, comme acheteur de la force de travail.  [2]

Lorsqu'un capitaliste, disposant de 500 thalers, en transforme 400 en moyens de production et en dépense 100 pour acheter des forces de travail, ces dernières représentent son capital variable. Avec ces 100 thalers, les ouvriers achètent à leur tour les moyens de subsistance, soit au même capitaliste, soit à d'autres. Ces 100 thalers ne sont donc que la forme monétaire des moyens de subsistance qui forment la substance du capital variable. Toutefois, au sein du procès de production immédiat, le capital variable n'existe plus sous la forme d'argent, ou de marchandise, mais sous celle du travail vivant que le capitaliste s'est approprié en achetant la force de travail sur le marché. C'est seulement grâce à cette transformation du capital variable en travail que la somme de valeurs avancée soit en argent, soit en marchandises, se métamorphose réellement en capital. Bien que l'achat-vente de la force de travail soit la condition de la transformation d'une partie du capital en capital variable, il forme un procès distinct et indépendant du procès de production immédiat qu'il précède. Il n'en constitue pas moins le fondement absolu et un élément du procès de production capitaliste si nous considérons celui-ci dans sa totalité, et pas seulement à l'instant de la production immédiate de marchandises.

C'est seulement parce que l'ouvrier, pour pouvoir vivre, vend sa force de travail, que la richesse matérielle se transforme en capital. C'est donc seulement face au travail salarié que se changent en capital les objets. représentant les conditions objectives du travail, autrement dit, les moyens de production et les choses représentant les conditions matérielles de la conservation de l'ouvrier : les moyens de subsistance.

Cependant, le capital, pas plus que l'argent, n'est un objet. Dans l'un et l'autre, des rapports de production sociaux déterminés entre individus apparaissent comme des rapports se nouant entre objets et individus. Autrement dit, des rapports sociaux déterminés semblent être des propriétés sociales naturelles des objets. Sans salariat, dès lors que les individus se font face comme des personnes libres, pas de production de plus-value, et sans celle-ci, pas de production capitaliste, donc ni capital ni capitaliste ! Capital et travail salarié (comme nous appelons le travail de l'ouvrier qui vend lui-même sa capacité de travail) expriment deux facteurs d'un seul et même rapport.

L'argent ne peut devenir du capital sans s'échanger au préalable contre la force de travail que l'ouvrier vend comme une marchandise; d'autre part, le travail ne peut être salarié qu'à partir du moment où les propres conditions objectives de l'ouvrier se dressent en face de lui comme des forces autonomes, propriété d'autrui, valeur existant pour soi et ramenant tout à elle, bref, du capital. En conséquence, si du point de vue de sa matière, c'est-à-dire de sa valeur d'usage, le capital se réduit aux conditions objectives du travail, du point de vue formel, celles-ci doivent s'opposer au travail comme des puissances étrangères et autonomes, comme valeur - travail objectivé - qui traite le travail vivant comme un simple moyen pour se conserver et s'accroître elle-même. Le travail salarié - le salariat - est donc une forme sociale nécessaire du travail pour la production capitaliste, tout comme le capital - valeur concentrée en puissance - est la forme sociale nécessaire que doivent assumer les conditions objectives du travail pour que le travail soit salarié.

Il s'ensuit que le travail salarié est la condition nécessaire de la formation du capital et demeure toujours la prémisse nécessaire de la production capitaliste. C'est pourquoi, même si le premier procès - échange de l'argent contre de la force de travail, ou achat de la force de travail - n'entre pas, en tant que tel, dans le procès de production immédiat, il entre en revanche dans la production d'ensemble du rapport.  [3]

Comme nous l'avons vu, ce premier procès - achat et vente de la force de travail - implique que les moyens de production et de subsistance se soient rendus autonomes face au travail pur et simple, en étant personnifiés par les acheteurs qui nouent contrat avec les ouvriers en tant que vendeurs. De ce procès inhérent à la sphère de circulation, c'est-à-dire au marché, nous passons maintenant au procès de production immédiat qui est, avant tout, procès de travail.

b) La force de travail dans le procès de production immédiat

Dans le procès de travail, l'ouvrier comme tel entre avec les moyens de production en un rapport normal et actif, déterminé simplement par la nature et le but du travail. Il les approprie et les traite en simples moyens et matières du travail, si bien qu'ils cessent d'exister à part, tournés qu'ils étaient sur eux-mêmes et doués d'une âme propre, bref, ils ne sont plus séparés du travail. A présent, le travail est rétabli dans son union avec les conditions objectives qui sont la simple matière et les organes de son activité créatrice. La peau que l'ouvrier tanne, il la traite comme simple objet de son activité productive, et non comme capital  [4] : il ne tanne pas la peau du capitaliste.  [5]

Pour autant que le procès de production n'est que procès de travail, l'ouvrier y consomme les moyens de production comme de simples aliments du travail; en revanche, pour autant qu'il est aussi procès de valorisation, le capitaliste y consomme la force de travail de l'ouvrier, en s'appropriant le travail vivant comme sang vital du capital. La matière première et l'objet du travail en général ne servent qu'à absorber le travail d'autrui, l'instrument de travail faisant office de conducteur, de véhicule dans ce procès d'absorption. En incorporant à ses éléments matériels la force de travail vivante, le capital devient un monstre animé, et se met à agir « comme s'il était possédé par l'amour ».

Comme on le sait, le travail ne crée de la valeur que s'il revêt une forme utile bien déterminée, de même que chaque forme utile particulière exige un travail, des matières et des moyens d'une valeur d'usage spécifique (fileur, coton, broches, etc.). C'est pourquoi, le travail ne peut être absorbé que si le capital possède la forme de moyens de production spécifiques, correspondant aux procès de travail déterminés. Ce n'est que sous cette forme qu'il peut effectivement absorber du travail vivant.

C'est pourquoi, aux yeux du capitaliste, de l'ouvrier et de l'économiste (qui ne peut concevoir de procès de travail en dehors de l'appropriation capitaliste), les éléments matériels du procès de travail se présentent comme du capital, de par leurs propriétés matérielles. C'est pourquoi, l'économiste est incapable de distinguer entre l'existence matérielle de ces simples facteurs du procès de travail et la propriété, sociale qui s'y amalgame, et en fait du capital. Il en est incapable, parce que, dans la réalité, c'est un seul et même procès de travail - auquel les moyens de production, de par leurs propriétés matérielles, servent de simples aliments du travail - qui transforme ces moyens de production en simples moyens d'absorption du travail.

Dans le procès de travail considéré en soi, l'ouvrier utilise les moyens de production; dans le procès de travail, qui est en même temps procès de production capitaliste, les moyens de production emploient l'ouvrier, en sorte que le travail n'est plus qu'un moyen grâce auquel une somme donnée de valeurs, soit une masse déterminée de travail objectivé, absorbe du travail vivant, en vue de se conserver et de s'accroître. Le procès de travail est donc procès d'auto-valorisation du travail objectivé grâce au travail vivant.  [6]

Le capital utilise donc l'ouvrier, et non l'ouvrier le capital : seuls les objets qui emploient l'ouvrier et ont donc une existence, une volonté et, une conscience personnifiées dans le capitaliste, sont du capital.  [7]

Pour autant que le procès de travail est le simple moyen et la forme réelle du procès de valorisation, bref, pour autant qu'il consiste à objectiver dans les marchandises - outre le travail matérialisé dans le salaire - un surcroît de travail non payé, plus-value, c'est-à-dire pour autant qu'il est procès de production de la plus-value, le point de départ de tout ce procès est l'échange de travail objectivé contre du travail vivant, ou plus exactement l'échange d'un travail objectivé moindre contre un travail vivant plus important.

Dans le procès d'échange, une somme d'argent représentant une marchandise (ou travail objectivé) s'échange contre une quantité égale de travail objectivé dans la capacité vivante du travail : conformément à la loi de la valeur qui règle l'échange des marchandises, on y échange des équivalents, quantités égales de travail objectivé, même si l'une est objectivée dans une chose et l'autre dans une personne en chair et en os. Mais cet échange n'est que l'amorce du procès de production, au sein duquel, en réalité, s'échange plus de travail sous une forme vivante qu'il n'en a été dépensé sous forme objectivée.

L'économie politique classique a eu le grand mérite de concevoir tout le procès de production comme un procès se déroulant entre le travail objectivé et le travail vivant, le travail vivant étant opposé au capital, simple travail objectivé, c'est-à-dire valeur qui se valorise elle-même grâce au travail vivant.

Son seul défaut, c'est : de n'avoir pas su montrer comment cet échange d'une quantité plus grande de travail vivant contre une quantité moindre de travail objectivé ne contredit pas la loi de l'échange de marchandises, autrement dit, la détermination de la valeur des marchandises par le temps de travail; et, en conséquence, d'avoir identifié purement et simplement l'échange d'une quantité déterminée de travail objectivé contre la force de travail dans le procès de circulation avec l'absorption de travail vivant dans le procès de production par le travail objectivé sous forme de moyens de production, d'où confusion entre le procès d'échange du capital variable contre la force de travail et le procès d'absorption du travail vivant par le capital constant dans le procès de production.

Ces erreurs s'expliquent par l'emprise qu'exerce le capital sur les économistes. De fait, l'échange d'une quantité moindre de travail objectivé contre une quantité plus grande de travail vivant apparaît comme un seul et unique procès, sans aucun intermédiaire aux yeux du capitaliste : ne paie-t-il pas le travail qu'après sa valorisation ?

Ainsi donc, lorsque l'économiste moderne oppose au travail vivant le capital, travail objectivé, il n'entend pas par travail objectivé les produits du travail ayant une valeur d'usage et incarnant certains travaux utiles, mais les produits en tant que matérialisation d'une quantité déterminée de travail social général, donc de valeur (argent) qui se valorise elle-même en s'appropriant le travail vivant d'autrui.

Cette appropriation s'effectue sur le marché au moyen de l'échange entre capital variable et force de travail, mais ne s'accomplit vraiment que dans le procès de production réel.  [8]

Au début, la subordination du procès de travail au capital ne change rien au mode de production réel, elle se traduit pratiquement en ceci : l'ouvrier passe sous le commandement, la direction et la surveillance du capitaliste, bien sûr, uniquement pour ce qui est de son travail qui appartient au capital.  [9]

D'abord, le capitaliste veille à ce que l'ouvrier ne perde pas son temps, que chaque heure de son travail fournisse le produit d'une heure de travail et qu'il n'emploie que du temps de travail moyen nécessaire pour fabriquer le produit. Dès lors que le rapport capitaliste domine la production et que l'ouvrier et le capitaliste reviennent constamment sur le marché, l'un comme vendeur et l'autre comme acheteur, le procès de travail dans son ensemble devient continu, au lieu d'être interrompu comme lorsque le travailleur, en tant que producteur autonome de marchandises, dépend de la vente de ses marchandises à la clientèle particulière. En effet, le minimum de capital doit être désormais assez grand pour occuper en permanence l'ouvrier et pour attendre la vente des marchandises.  [10]

Ensuite, le capitaliste oblige les ouvriers à prolonger le plus possible la durée de leur journée au-delà du temps de travail nécessaire à la reproduction de leur salaire, puisque c'est précisément cet excédent de travail qui lui procure une plus-value.  [11]

De même que la valeur d'usage n'intéresse le possesseur de marchandises que parce qu'elle est le support de leur valeur d'échange, de même le procès de travail n'intéresse le capitaliste que parce qu'il est le support et le moyen du procès de valorisation. Pour lui, dans le procès de production, du fait qu'il est procès de valorisation, les moyens de production continuent d'être de simples valeurs monétaires, indifférentes à la forme matérielle et à la valeur d'usage spécifique sous lesquelles ils se présentent. Exactement de la même manière, le travail n'y est pas considéré comme une activité productive ayant une valeur d'usage particulière, mais comme une substance créatrice de valeurs, comme un travail social général qui s'objective et dont le seul élément est la quantité.

Ainsi, chaque branche particulière de la production n'est pour le capital qu'une sphère de placement de son argent pour en tirer plus d'argent, pour conserver la valeur existante et l'accroître, ou pour s'approprier du surtravail  [12]. Or, dans chaque branche particulière de la production, le procès de travail, donc aussi les facteurs de celui-ci, sont différents. Les bottes ne se fabriquent pas avec les broches, le coton et les fileurs !

Toutefois, le placement de capitaux dans telle ou telle branche de production, les quantités dans lesquelles le capital de la société se répartit entre les diverses branches de la production et enfin les proportions dans lesquelles il migre d'une branche à l'autre, tout cela est déterminé par les besoins changeants de la société pour les produits de ces branches particulières, c'est-à-dire par la valeur d'usage des marchandises qui y sont produites : même si l'on ne paie que la valeur d'échange d'une marchandise, on ne l'achète que pour sa valeur d'usage. Étant donné que le produit immédiat du procès de production est la marchandise, le capitaliste ne peut réaliser son capital qui, à la fin de ce procès, existe sous forme de marchandises (donc aussi la plus-value y renfermée), que s'il trouve des acquéreurs pour ses marchandises.

Le capital en soi et pour soi est indifférent à la spécificité de chaque branche particulière de la production : seule la difficulté plus ou moins grande de vente des marchandises de telle ou telle branche détermine où, comment et dans quelle mesure il se place dans une branche donnée de la production ou en émigre, bref modifie sa distribution entre les diverses branches productives.

Dans la pratique, cette mobilité du capital se heurte à des obstacles, dont nous n'avons pas à analyser ici le détail. Mais, comme nous le verrons par la suite, d'une part, le capital crée des moyens pour les surmonter, pour autant qu'ils naissent directement de son rapport de production; d'autre part, avec le développement de son propre mode de production, il élimine tous les obstacles légaux ou extra-économiques entravant la liberté de se mouvoir dans les diverses branches de production et, en premier lieu, il renverse et brise toutes les barrières juridiques ou traditionnelles, qui l'empêchent d'acheter à sa guise telle ou telle sorte de force de travail, ou de s'approprier tel ou tel genre de travail.

En outre, bien que la force de travail possède une forme spécifique dans chaque branche de production (ainsi l'art de filer, de ressemeler, de forger) et que, pour chaque branche particulière de production, il faille donc une force de travail étroitement spécialisée, une force de travail particularisée, cette mobilité du capital implique, qu'il soit lui-même indifférent à la nature particulière du procès de travail qu'il s'approprie. Qui plus est, le capital exige une même fluidité ou mobilité du travail, c'est-à-dire de la capacité d'application de la force de travail par l'ouvrier.

Nous verrons que le mode de production capitaliste crée lui-même des obstacles économiques qui s'opposent à sa tendance propre  [13]. Cependant, il élimine tous les obstacles légaux et extra-économiques à cette variabilité.  [14]

Si le capital - valeur qui se valorise elle-même - est indifférent à la forme matérielle particulière qu'il revêt dans le procès de travail - soit comme machine à vapeur, soit comme tas de fumier ou soie - l'ouvrier ne l'est pas moins au contenu particulier de son travail.

Au reste, son travail appartient au capital et n'est que la valeur d'usage de la marchandise vendue par l'ouvrier à seule fin de se procurer de l'argent et, avec cet argent, des moyens de subsistance. Changer de travail ne le préoccupe que dans la mesure où toute espèce particulière de travail exige une formation différente de la force de travail. Son indifférence au contenu particulier du travail ne lui procure donc pas l'aptitude de changer sur commande ses capacités de travail. Cependant, il prouve son indifférence lorsqu'il lance ceux qui prennent la relève - la génération montante - d'une branche d'activité à l'autre, selon les impératifs du marché. De fait, plus est développée la production capitaliste d'un pays, plus grande est la mobilité exigée de la capacité de travail. Plus l'ouvrier est indifférent au contenu particulier de son travail, plus est fluide et intense la migration du capital d'une branche de production à l'autre.

L'axiome de l'économie politique classique est la mobilité de la force de travail et la fluidité du capital. C'est exact pour autant que le mode de production capitaliste y tend impitoyablement, en dépit de tous les obstacles qu'il crée lui-même pour la plupart. De toute façon, pour exposer les lois de l'économie politique dans leur pureté, il faut faire abstraction de ces obstacles, comme en mécanique pure on néglige les frictions secondaires qui, dans chaque cas particulier, doivent être écartées pour que la loi s'applique.  [15]

Bien que le capitaliste et l'ouvrier n'aient sur le marché d'autres rapports que ceux d'acheteur (argent) et de vendeur (force de travail-marchandise), ce rapport prend d'emblée une tonalité particulière en raison du contenu spécifique de l'objet de ce commerce. Cela est d'autant plus manifeste que, comme l'exige le mode de production capitaliste, les deux parties apparaissent toujours à nouveau sur le marché, en ayant chacun sa même caractéristique en opposition à l'autre.

Au contraire, dans le rapport ordinaire des possesseurs de marchandises sur le marché, chaque possesseur de marchandises apparaît alternativement comme vendeur et acheteur. Ce qui y distingue les deux possesseurs de marchandises, en tant que vendeur et acheteur, s'efface sans cesse, puisqu'ils jouent alternativement tous deux le même rôle l'un en face de l'autre dans la sphère de la circulation.

Certes, l'ouvrier devient à son tour acheteur, après qu'il ait vendu sa capacité de travail et l'ait transformé en argent, tandis que les capitalistes lui font face comme de simples vendeurs de marchandises. Mais, entre ses mains, l'argent est un pur moyen de circulation. Sur le marché où s'échangent les marchandises, l'ouvrier se distingue du propriétaire de marchandises, qui est toujours vendeur, en ce que lui-même est toujours acheteur, comme le sont tous les autres possesseurs d'argent. En revanche, sur le marché du travail, l'argent fait toujours face à l'ouvrier sous forme de capital, le possesseur de cet argent étant du capital personnifié, le capitaliste; de même, l'ouvrier y fait toujours face au possesseur de l'argent comme simple personnification de la capacité de travail, donc du travail, bref comme ouvrier.  [16]

Sur le marché, on ne trouve donc pas face à face un simple vendeur et un simple acheteur, mais un capitaliste et un ouvrier qui s'opposent comme vendeur et acheteur, dès la sphère de circulation. Leur rapport de capitaliste et d'ouvrier conditionne en effet leur rapport d'acheteur et de vendeur. Ce rapport ne découle pas simplement de la nature de la marchandise elle-même, comme chez les autres vendeurs de marchandises qui produisent pour leurs propres besoins, en créant un produit déterminé sous forme de marchandise afin de s'approprier, par l'acte de vente, les produits d'autrui. Nous n'avons plus affaire à la division sociale du travail dont chaque branche est autonome, le cordonnier, par exemple, vendant des chaussures et achetant du cuir et du pain, mais à une division des éléments d'un procès de production qui en réalité forment un tout, mais dont l'autonomie est poussée jusqu'à l'antagonisme et la personnification respective. Ainsi donc, l'argent, forme universelle du travail objectivé, devient acheteur de la force de travail, source vivante de la valeur d'échange, et partant aussi de la richesse, du point de vue de la valeur d'échange (argent) et de la valeur d'usage (moyens de subsistance et moyens de production), la richesse réelle se manifeste en une personne face à la possibilité de la richesse, autrement dit, de la capacité de travail, qui est une autre personne.

Comme la plus-value est le produit spécifique du procès de production, le produit de celle-ci n'est pas seulement la marchandise, mais encore le capital. Comme on le sait, le travail se transforme en capital dans le procès de production. L'activité de la force de travail, c'est-à-dire du travail, s'objective dans le procès de production et devient ainsi de la valeur; mais, étant donné qu'avant même d'avoir commencé, le travail a déjà cessé d'appartenir à l'ouvrier, ce qui s'objective c'est, à ses yeux, du travail d'autrui, du capital, c'est-à-dire une valeur qui, étant autonome, s'oppose à la force de travail. Le produit appartient au capitaliste et, vis-à-vis de l'ouvrier, représente du capital tout autant que les éléments du procès de production.

Au reste, la valeur existante (argent) ne devient véritablement capital que du moment où : elle se valorise dans le procès de production où l'activité de la capacité de travail, le travail, agit comme une énergie qui s'incorpore à lui et devient sa propriété, et elle se distingue, en tant que plus-value, de la valeur avancée, ce qui est encore le résultat de l'objectivation de surtravail.

c) Le procès de production comme procès d'auto-valorisation du capital

Dans le procès de production, le travail devient du travail objectivé en opposition à la force de travail vivante et, du fait même de l'absorption et de l'appropriation du travail, la valeur avancée devient valeur en procès, - c'est-à-dire une valeur qui crée de la plus-value distincte d'elle. C'est uniquement parce que le travail se transforme en capital durant le procès de production, que la somme de valeurs avancée - capital purement potentiel - se réalise comme capital réel.  [17]

(...)  [18] c'est-à-dire dans la production, on obtient en retour une valeur supérieure à la somme des valeurs avancées par le capitaliste. La production de marchandises est simple moyen d'atteindre ce but, tout comme en général le procès de travail apparaît uniquement comme moyen du procès de valorisation au sens de création de plus-value, et non comme précédemment de création de valeurs.

Ce résultat s'obtient dans la mesure où le travail vivant que l'ouvrier doit exécuter, et qui s'objective donc dans le produit de son activité, est plus grand que le travail contenu dans le capital variable ou salaire, en d'autres termes, que le travail nécessaire à la reproduction de la force de travail.

La valeur avancée ne devenant capital que par la création de plus-value, la genèse du capital, tout comme le procès de production capitaliste, repose essentiellement sur les deux éléments suivants :

l'achat et la vente de la capacité de travail. Autrement dit, un acte qui se déroule dans la sphère de circulation, mais qui, du point de vue de l'ensemble du procès de production capitaliste, n'est pas seulement l'un de ses éléments et sa prémisse, mais encore son résultat constant. Cet achat-vente de la force de travail implique déjà que les conditions objectives du travail - moyens de subsistance et de production - soient séparées de la force vivante du travail, devenue l'unique propriété dont l'ouvrier dispose, et donc l'unique marchandise qu'il peut offrir à l'acheteur éventuel.

Cette séparation est si radicale que les conditions objectives du travail apparaissent en face de l'ouvrier comme des personnes autonomes, le capitaliste, leur propriétaire, les personnifiant en opposition à l'ouvrier, simple possesseur de la capacité de travail. Cette séparation et cette autonomie sont une condition préalable à l'achat et la vente de la force de travail et à l'incorporation du travail vivant au travail mort comme moyen de conservation et d'accroissement de ce dernier, comme moyen de son auto-valorisation. Sans cet échange du capital variable contre la force de travail, il n'y aurait pas auto-valorisation du capital total, ni formation de capital en général : les moyens de production et de subsistance ne le transformeraient pas en capital.

le véritable procès de production. Ce second élément représente le procès réel de consommation de la force de travail achetée par le possesseur de marchandises et d'argent.

Dans le procès de production réel, les conditions objectives du travail - matière et moyens du travail - servent à objectiver non seulement le travail vivant, mais encore un travail excédant celui que contenait le capital variable. Elles servent donc de moyen d'absorption et de l'extorsion du sur travail qui s'exprime dans la plus-value (et le surproduit).

Considérons maintenant les deux éléments suivants : l'échange de la force de travail contre le capital variable; le procès de production proprement dit (où le travail vivant est incorporé comme agent au capital).

L'ensemble apparaît comme un procès où : une quantité moindre de travail objectivé s'échange contre une quantité supérieure, du fait que le capitaliste reçoit du travail vivant en échange du salaire qu'il verse; les formes objectives que le capital revêt immédiatement dans le procès de travail, les moyens de production (donc encore du travail objectivé) sont des moyens d'extorsion et d'absorption de travail vivant.

L'ensemble forme donc un procès qui se déroule entre le travail vivant et le travail objectivé, ce procès ne transformant pas seulement le travail vivant en travail objectivé, mais encore le travail objectivé en capital. En conséquence, c'est un procès ne produisant pas seulement des marchandises, mais encore de la plus-value, donc du capital.  [19]

Les moyens de production se présentent ici non seulement comme des moyens de réaliser le travail, mais encore - au même titre - comme des moyens d'exploiter le travail d'autrui.  [20]

A propos de la valeur (argent) qui matérialise le travail social moyen, on peut observer, en outre, qu'un travail de filage, par exemple, peut se situer au-dessus ou au-dessous de la moyenne du travail social. Autrement dit, telle quantité de travail de filage peut être égale, supérieure ou inférieure à une même quantité de travail social moyen ou au temps de travail de même grandeur (durée) objectivé, par exemple, dans une certaine quantité d'or. Mais, si le travail de filage est effectué avec le degré d'intensité normal de sa sphère, par exemple, si le travail utilisé dans le filé produit en une heure est égal à la quantité normale de filé produite en moyenne par une heure de travail de filage dans les conditions sociales existantes, le travail objectivé dans le filé sera le travail social moyen, et, comme tel, il a un rapport quantitatif déterminé avec le travail social, moyen et général, qui sert de mesure : il peut en représenter une quantité égale, moindre ou supérieure, et exprimer donc, lui aussi, une quantité déterminée de travail social moyen.


Notes

[1] Cf. la même question au début des notes en annexe au VI° chapitre, Pages éparses, ici p. 273. (N.R.)

[2] En ce sens donc Rossi a raison, dans sa polémique contre ceux qui rangent les moyens de subsistance parmi les éléments constitutifs du capital productif. Cependant, nous verrons dans un chapitre ultérieur qu'il part de prémisses erronées et finit par s'embrouiller dans ses raisonnements. [Dans les Fondements etc., tome 2, p. 90-94, Marx consacre effectivement tout un chapitre à la réfutation de Rossi. Par ailleurs, dans le IV° livre du Capital (en français : Histoire des Doctrines économiques, édit. Costes, tome 2, pp. 172-185), Marx consacre un autre chapitre à Rossi dans la section traitant du travail productif et improductif.]

[3] Il est facile d'en déduire ce qu'un Bastiat entend par production capitaliste quand il déclare que le salariat est une forme inessentielle et extérieure à la production capitaliste et découvre que « ce n'est pas la forme de la rémunération qui crée pour lui (l'ouvrier) cette dépendance ». Cf. Harmonies économiques, Paris 1851. [Cette note se retrouve en substance dans les Fondements etc., tome I°, p. 271. Dans le 2° tome., p. 551-556, Marx consacre tout un chapitre à la « théorie » du salaire de Bastiat.]
Une autre découverte - en fait, un plagiat d'économistes véritables - se trouve dans ce même écrit de 1851, où ce beau parleur ignorant écrit que « ce qui est encore plus décisif et infaillible, c'est la disparition des grandes crises industrielles en Angleterre » (p. 396). Bien qu'en 1851, Fr. Bastiat ait décrété la fin des grandes crises anglaises, l'Angleterre jouit d'une nouvelle grande crise dès 1857 et, selon les rapports officiels des Chambres de commerce anglaises, elle ne dut qu'à la guerre civile américaine d'avoir échappé en 1861 à une crise industrielle d'une ampleur jusque-là insoupçonnée. [Cf. K. Marx et Fr. Engels, La Guerre civile aux États-Unis (1861-1865), Paris, 1970, 10/18, pp. 53-65,178-181.]

[4] Dans le livre I° du Capital, tome I, p. 303, on retrouve une variante de cette phrase : « Dans une tannerie, par exemple, il tanne le cuir et non le capital » (en allemand : « Es ist nicht der Kapitalist, dem er das Fell gerbt », soit littéralement : « Ce n'est pas au capitaliste qu'il tanne la peau. ») Le lecteur peut se reporter pour un développement plus complet à ce passage du Capital (3° section, chap. XI; voir aussi le chap. VII). Le chapitre VII est intitulé en français : « La production de valeurs d'usage et la production de la plus-value », qui traduit l'allemand : « Arbeitsprozess und Verwertungsprozess » (Procès de travail et procès de valorisation, termes que nous retrouvons exactement dans notre Sixième Chapitre.) Les concepts de ce chapitre inédit ne diffèrent donc pas de ceux du texte original de Marx, mais de ceux des traductions. (N.R.)

[5] « En outre, il ressort des théories des économistes eux-mêmes que, dans le procès de production, le capital fait derechef du résultat du travail le substrat et la matière nouveaux du travail, la séparation momentanée du capital d'avec le travail faisant place à leur unité retrouvée. » Fr. Engels, Deutsch-Französische Jahrbücher, p. 99 [trad. fr. dans le Mouvement Socialiste d'août-septembre 1905].

[6] « Le travail est le moyen grâce auquel le capital produit du... profit. » John Wade, l.c., p. 161. « Dans la société bourgeoise, le travail vivant n'est qu'un moyen d'augmenter le travail accumulé. » (Manifeste du Parti communiste, 1848).

[7] Dans la production capitaliste, et donc aussi dans l'esprit des économistes, la propriété économique déterminée qu'ont les moyens de subsistance d'acheter les ouvriers, ou celle qu'ont les moyens de production - le cuir et la forme - d'utiliser des ouvriers cordonniers, cette inversion entre chose et personne - autrement dit, le caractère capitaliste - est si intimement liée à leur caractère matériel que Ricardo, par exemple, qui tient pourtant à distinguer en détail les éléments matériels du capital, utilise comme allant de soi, sans aucune hésitation ni autre commentaire, des expressions justes du seul point de vue économique telles que « capital, ou les moyens d'employer le travail » (et non pas « les moyens employés par le travail »), « quantité de travail employé par le capital », « le fonds qui doit employer les ouvriers » (L.c., pp. 92, 419, 252).
De même, en allemand moderne, le capitaliste, personnification des « choses » qui « prennent » le travail, s'appelle Arbeitsgeber (donneur de travail), et l'ouvrier qui « donne » le travail Arbeitsnehmer (preneur de travail). « Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l'individu qui produit, est dépendant et impersonnel » (Manifeste du Parti communiste).

[8] C'est ce qui explique que, pour exprimer le rapport entre travail et capital, les économistes usent de concepts tels que : travail immédiat et travail objectivé; travail présent et travail passé; travail vivant et travail accumulé : « Travail et capital... l'un, c'est le travail immédiat, l'autre, le travail accumulé. » Cf. James Mill, Elements of Political Economy, 1821, p. 75. « Travail antérieur [capital]... travail présent. » Cf. E.G. Wakefield, dans son édition d'A. Smith, 1836, tome 1, p. 231 note. « Travail accumulé [capital]... travail immédiat. » Cf. Torrens, l.c., ch. 1, p. 31. « Travail et capital, c'est-à-dire du travail accumulé. » Cf. Ricardo, l.c., p. 499. « Les avances spécifiques des capitalistes ne sont pas faites en habits [valeurs d'usage en général], mais en travail. » Cf. Malthus, The Measure of Value etc., 1823, pp. 17-18.
« Tout homme étant forcé de consommer avant de produire, le travailleur pauvre vit dans la dépendance du riche, et ne peut ni vivre ni travailler, s'il n'obtient de lui des denrées et des marchandises existantes, en retour de celles qu'il promet de produire par son travail... Pour obtenir son accord (du riche), il doit convenir, à chaque fois qu'il échange du travail fait contre du travail à faire, que ce dernier aurait une valeur supérieure au premier. » Sismondi, De la richesse commerciale, Paris, 1803, tome 1er, pp. 36-37.
Monsieur W. Roscher qui n'a manifestement aucune idée des travaux des économistes anglais et qui, en outre, se souvient inopportunément que Senior baptise le capital « abstinence », fait cette remarque aussi professorale que grammaticalement « habile » : « L'école de Ricardo se plaît à subordonner le capital à la notion de travail, en tant que « travail accumulé ». C'est tout à fait malhabile, parce que le possesseur de capital a certes (!) fait plus (!) que de le créer (!) simplement (!) et de le conserver ( !), précisément en s'abstenant d'en jouir lui-même, ce pour quoi il réclame, par exemple, des intérêts. » W. Roscher, Die Grundlagen der Nationalökonomie, 1858, p. 82.
[L' « habileté » dont parle Marx, c'est que Roscher amalgame Erhaltung (conservation) et Enthaltung (abstinence). La même citation se retrouve dans le livre I°, tome I, p. 215. (N.R.)]

[9] Ce passage introduit en quelque sorte le chapitre de caractère historique de la Soumission formelle du travail au capital, p. 191. (N.R.)

[10] « Si, dans le temps, il se produit un changement de leur (celle des artisans) position économique, s'ils deviennent les ouvriers d'un capitaliste qui leur avance leurs salaires, il en résulte deux choses : D'abord, ils peuvent travailler désormais avec continuité; ensuite, ils se trou vent flanqués d'un agent dont la fonction et l'intérêt sont de veiller à ce qu'ils fassent vraiment leur travail avec continuité... Dès lors, toute cette classe de personnes travaille avec une continuité accrue. Elle travaille tous les jours, du matin au soir, sans s'interrompre pour attendre ou rechercher la clientèle. Or, la continuité du travail ainsi rendue possible est assurée et renforcée par la surveillance du capitaliste. Ayant avancé leur salaire, il doit recevoir les fruits de leur travail. Son intérêt et son privilège, c'est de veiller à ce que les ouvriers ne travaillent pas avec des interruptions et de façon désordonnée. » R. Jones, Textbook of lectures etc., p. 37 passim. [Ce même auteur se retrouve cité dans le I° livre du Capital].

[11] « Un axiome généralement admis par les économistes est que tout travail doit laisser un excédent. Cette proposition est pour moi d'une vérité universelle et absolue; c'est le corollaire de la loi de la proportionnalité [!], que l'on peut regarder comme le sommaire de toute la science économique, Mais, j'en demande pardon aux économistes, le principe que tout travail doit laisser un excédent n'a pas de sens dans leur théorie, et n'est susceptible d'aucune démonstration. » Cf. Proudhon, Philosophie de la misère.
Dans la Misère de la Philosophie, Réponse à la Philosophie de la misère de M. Proudhon, J'ai démontré que M. Proudhon n'avait pas la moindre idée de ce qu'est cet « excédent du travail », à savoir le surproduit dans lequel se matérialise le surtravail ou travail non payé de l'ouvrier. Ayant constaté que, dans la production capitaliste, tout travail laisse un excédent, il cherche à expliquer ce fait par une mystérieuse propriété naturelle du travail et à se tirer d'embarras avec des grands mots, tels que le « corollaire de la loi de la proportionnalité ». [Le lecteur trouvera le passage ci-dessus dans la Misère de la Philosophie, Paris, 1847, chap. I, 3, b.]

[12] Dans les pages qui suivent, Marx aborde des problèmes qu'il développe dans le livre II du Capital, par exemple dans les chapitres XIV et XV. (N.R.)

[13] Cf. infra, p. 222. Cf. également dans les Fondements, etc., vol. I, pp. 366-367; 372-377; 405. (N.R.)

[14] « Tout homme, s'il n'en était empêché par la loi, passerait d'un emploi à l'autre selon les exigences du cycle commercial. » Considerations concerning faking off the Bounty on Corn exported, Londres, 1753, p. 4. [On retrouvera cet ouvrage dans le livre I°du Capital, tome II, p. 13 n.]

[15] Dans aucun pays, la fluidité du capital, la mobilité du travail et l'indifférence de l'ouvrier au contenu de son travail ne sont plus manifestes qu'aux États-Unis d'Amérique. En Europe, et même en Angleterre, la production, capitaliste continue d'être affligée et faussée par des réminiscences féodales. En Angleterre, par exemple, les boulangeries, les cordonneries, etc. commencent seulement à être exploitées de façon capitaliste, parce que le capital anglais est encore imbu de préjugés féodaux de « respectabilité ». S'il est « respectable » de vendre des nègres comme esclaves, il ne l'est pas de fabriquer du pain, des saucisses, des bottes, etc. Tout cela explique que la plupart des machines et procédés qui soumettent les branches d'industrie « non respectables » d'Europe au mode de production capitaliste, proviennent des États-Unis.
En outre, plus que partout ailleurs, l'homme se désintéresse aux États-Unis de la profession qu'il exerce, y étant parfaitement conscient de ce que son travail donne invariablement le même produit : l'argent. Dans aucun autre pays, il ne passe avec autant de désinvolture par les branches d'activité les plus disparates. Cette « variabilité » de la force de travail se manifeste ici comme la caractéristique du travailleur libre par opposition à l'esclave, dont la capacité de travail est stable et ne s'emploie que de manière traditionnelle et locale, donnée une fois pour toutes. « Le travail de l'esclave est absolument défectueux pour ce qui concerne la variabilité... Dès lors que l'on cultive du tabac, celui-ci devient son seul produit et on continuera ainsi quels que soient les conditions du marché et l'état du sol. » Cairnes, The Slave Power, Londres, 1862, pp. 46-47.

[16] « Le rapport du fabricant et de l'ouvrier est... purement économique. Le fabricant est le “ capital ”, l'ouvrier le “ travail ”. » Cf. Fr. Engels, la Situation des classes laborieuses etc., p. 329.

[17] « Ils [les ouvriers] échangent leur travail [il faudrait dire : leur force de travail] contre des céréales [autrement dit, des moyens de subsistance]. Cela devient pour eux un revenu [c'est-à-dire tombe dans leur consommation individuelle]... tandis que leur travail est devenu du capital pour leur patron. » Sismondi, N.P.T., tome I, p. 90. « En donnant leur travail en échange, les ouvriers le transforment en capital. » (Ibid., p. 105).

[18] A ce point s'achève le texte déplacé par Marx (pages 469a-469m du manuscrit). Toujours d'après les indications de l'auteur, nous continuons maintenant avec les pages 263-264, la page 262 ayant été égarée.
Le passage ci-après représente une note commencée sur la page perdue 262 et vaut d'être souligné en raison de sa conclusion dialectique :
... aux trois ouvriers nouveaux ou avec quatre anciens. Si l'on pouvait louer les trois à 3 £ 10 sh. chacun, alors que les quatre demandaient 3 £ chacun, le prix du travail qu'ils feraient, serait plus bas, bien que leurs salaires soient plus importants. Effectivement, les causes qui élèvent les salaires des ouvriers élèvent souvent aussi le profit du capitaliste. Si, en travaillant davantage, un seul homme accomplit le travail de deux, le montant des salaires aussi bien que le taux de profit seront augmentés en général, non certes parce que la valeur du salaire a augmenté, mais au contraire parce que l'apport supplémentaire de travail a diminué son prix ou a diminué le temps pour lequel il fallait auparavant avancer ce prix. Au reste, l'ouvrier est surtout intéressé au montant de son salaire. Celui-ci étant donné, il est certainement conforme à son intérêt que le prix du travail soit élevé, mais l'effort qu'on lui impose est supérieur » (L.c., p. 14).
Du même ouvrage : « La situation de l'ouvrier ne dépend pas de ce qu'il reçoit à tel moment, mais de ce qu'il reçoit en moyenne pendant une période déterminée : plus la période considérée est longue, plus l'estimation en sera exacte. La meilleure période, c'est l'année. Elle comprend les salaires de l'été et de l'hiver » (p. 7). (N.R.)

[19] Cf. le texte des pages 469a-469m du manuscrit; ici, pp. 145-186. (N.R.)

[20] Ici s'achève un second passage introduit par Marx dans le corps du texte. La suite est la continuation de la page 469 du manuscrit. (N.R.)


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