1867

Un chapitre du livre premier découvert ultérieurement et qui fournit des précisions cruciales pour l'analyse du mode de production capitaliste.


Un chapitre inédit du Capital

Karl MARX

Pages éparses


Vente de la force de travail et syndicats

Lorsque le travail [1] commence vraiment, il a déjà cessé d'appartenir à l'ouvrier, celui-ci ne peut donc plus le vendre. En effet, la marchandise spécifique qu'est la force de travail a ceci de particulier : c'est à la conclusion du contrat entre l'acheteur et le vendeur de cette marchandise, qu'elle passe réellement dans les mains de l'acheteur, sous forme de valeur d'usage. Or, la valeur d'échange de cette marchandise - comme celle de toutes les autres - est fixée avant qu'elle n'entre dans la circulation, bien qu'elle soit vendue comme capacité, force, et qu'il faille un certain temps pour qu'elle produise. Sa valeur d'échange existe donc dans la sphère de circulation avant sa vente, alors que sa valeur d'usage n'existe qu'une fois sa force dépensée dans le procès de production.

Son aliénation et sa manifestation réelle en tant que valeur d'usage sont donc dissociées dans le temps. Il en est comme d'une maison, dont on m'a cédé l'usage pour un mois. Ce n'est qu'après avoir habité un mois la maison que je tiens sa valeur d'usage. De même, la valeur d'usage de la force de travail ne m'est fournie qu'après qu'elle aura travaillé pour moi.

Pour les valeurs d'usage de marchandises dont l'aliénation formelle par la vente est séparée dans le temps de la cession réelle de la valeur d'usage au vendeur, l'argent du vendeur agit d'abord comme moyen de paiement, ainsi que nous l'avons déjà vu [2]. La force de travail est vendue pour un jour, une semaine, etc., mais elle ne m'est payée qu'après qu'elle aura été consommée pendant un jour, une semaine, etc. Dans tous les pays où le rapport capitaliste est développé, la force de travail est payée après seulement qu'elle aura fonctionné. Partout l'ouvrier avance l'usage de sa marchandise au capitaliste, et attend jusqu'à ce qu'elle soit consommée par l'acheteur. Il lui fait donc crédit jusqu'à ce qu'il obtienne paiement de sa valeur d'usage.

On constate, aux temps de crise et même lors d'une banqueroute, que ce perpétuel crédit de l'ouvrier au capitaliste - crédit qui résulte de la nature particulière de la valeur d'usage vendue - n'est pas une simple vue de l'esprit [3].

Néanmoins, que l'argent fonctionne comme moyen d'achat ou comme moyen de paiement, l'échange des marchandises ne change pas pour autant de caractère. Le prix de la force de travail est fixé contractuellement lors de son achat, même si elle ne se réalise que plus tard. Cette forme de paiement ne modifie en rien le fait que ce prix porte sur la valeur de la force de travail, et non du produit ou du travail (qui de toute façon n'est jamais comme tel une marchandise).

Comme on l'a vu, la valeur d'échange de la force de travail est payée en même temps que le prix des moyens de subsistance nécessaires, étant données les habitudes de chaque société, afin que l'ouvrier exerce en général sa capacité de travail avec le degré adéquat de force, de santé et de vitalité, et perpétue sa race [4].

L'homme se distingue de toutes les autres espèces animales par ce que ses besoins n'ont pas de limites et sont parfaitement extensibles : nul autre animal ne peut comprimer ses besoins de manière aussi extraordinaire, et limiter ses conditions de vie à un tel minimum. Bref, il n'est pas d'animal ayant autant de disposition à l'irlan­disation. Dans la valeur de la force de travail, il n'y a pas à considérer ce minimum physiologique d'existence.

Le prix de la force de travail - comme celui de n'importe quelle autre marchandise - peut monter au-dessus ou descendre au-dessous de sa valeur, autrement dit s'écarter, dans l'un ou l'autre sens, du prix qui est l'expression monétaire de la valeur. Le niveau des besoins vitaux, dont la somme totale représente la valeur de la force de travail, peut augmenter ou diminuer. Cependant, l'analyse de ces oscillations n'a pas sa place ici, mais dans l'étude du salaire [5].

Dans la suite de notre étude, nous verrons que, pour l'analyse du capital, il est parfaitement indifférent que l'on présuppose un niveau bas ou élevé des besoins des ouvriers. D'ailleurs, en théorie comme en pratique, on part de la valeur de la force de travail comme d'une grandeur donnée. Par exemple, si un individu fortuné veut con­ver­tir son argent en capital - en capital d'exploitation d'une fabrique de coton, mettons -, il s'informera tout d'abord du niveau moyen des salaires de la localité où il a l'inten­tion de s'établir. Il sait que le salaire - tout comme le prix du coton - s'écarte sans cesse de la moyenne, mais que ces oscillations finissent par se compenser. Dans l'éta­blis­sement de ses comptes, il prend donc le salaire comme une grandeur donnée de valeur.

Par ailleurs, la valeur de la force de travail constitue la base rationnelle et déclarée des syndicats, dont il importe de ne pas sous-estimer l'importance pour la classe ouvrière. Les syndicats ont pour but d'empêcher que le niveau des salaires ne descende au-dessous du montant payé traditionnellement dans les diverses branches d'industrie, et que le prix de la force de travail ne tombe au-dessous de sa valeur. Ils savent, certes, que si le rapport entre l'offre et la demande change, le prix de marché change aussi. Mais, d'une part, un tel changement est loin d'être le simple fait unilatéral de l'acheteur, dans notre cas du capitaliste; d'autre part, il existe une grande différence entre, d'une part, le montant du salaire déterminé par l'offre et la demande (c'est-à-dire le montant résultant de l'opération « honnête » de l'échange de marchan­dises, lorsque acheteur et vendeur traitent sur un pied d'égalité) et, d'autre part, le montant du salaire que le vendeur - l'ouvrier - est bien forcé d'accepter, lorsque le capitaliste traite avec chaque ouvrier pris isolément et lui impose un bas salaire, en exploitant la détresse exceptionnelle de l'ouvrier isolé, indépendamment du rapport général de l'offre et de la demande.

En conséquence, les ouvriers se coalisent afin de se placer en quelque sorte sur un pied d'égalité avec les capitalistes pour le contrat de vente de leur travail. Telle est la raison (la base logique) des syndicats [6]. Ce qu'ils recherchent, c'est d'éviter que, sous la pression directe d'une détresse qui lui est particulière, l'ouvrier ne soit contraint à se satisfaire d'un salaire inférieur à celui qui était fixé auparavant par l'offre et la demande dans la branche d'activité déterminée [7], de sorte que la valeur de la force de travail tombe au-dessous de son niveau traditionnel dans cette industrie. Remarquons que cette valeur de la force de travail « représente pour l'ouvrier lui-même le mini­mum de salaire, et pour le capitaliste le salaire uniforme et égal pour tous les ouvriers de l'entreprise » [8].

Les syndicats ne permettent donc jamais à leurs membres de travailler au-dessous de ce minimum de salaire [9]. Ce sont des sociétés de sécurité créées par les ouvriers eux-mêmes.

L'exemple suivant montre comment ces organisations formées par les ouvriers eux-mêmes s'y prennent pour défendre la valeur de la force de travail. Dans toutes les entreprises de Londres, il existe ce qu'on appelle des « sweaters ». Un sweater, « c'est quelqu'un qui se charge de fournir à un premier entrepreneur une certaine quantité de travail au salaire habituel en le faisant exécuter par d'autres à un prix moindre », de sorte que la différence - son profit - est pris sur la sueur des ouvriers qui en fait exécutent l'ouvrage » [10] . Ce profit ne représente rien d'autre que la différence entre la valeur de la force de travail payée par l'entrepreneur et le prix inférieur à la valeur de la force de travail payée aux ouvriers par l'intermédiaire qui fait suer ceux qui travaillent [11].

Notons en passant qu'il est caractéristique...

Cette forme de salaire aux pièces est utilisée, par exemple, dans les poteries anglaises, pour engager, sur la base d'un faible salaire aux pièces, de jeunes apprentis (de 13 ans), qui se surmènent, précisément au cours de leur période de croissance, « pour le plus grand profit de leur patron ». Telle est l'une des causes - admise offi­ciel­lement - de la dégénérescence de la population ouvrière des poteries [12].

Dans les branches d'industrie où l'on vient tout juste d'introduire le travail aux pièces, on assiste à une augmentation du salaire ouvrier à la suite de l'intensité accrue du travail. Mais, sitôt qu'elle atteint un certain montant, cette augmentation devient une raison pour les patrons de diminuer les salaires, parce qu'ils les tiennent pour plus élevés qu'il ne le faut à l'ouvrier. C'est pourquoi, il importe de dénoncer le travail aux pièces comme un moyen direct d'abaisser les salaires [13].

Il est clair que le mode de paiement du salaire ne change en rien la nature de celui-ci. Cependant, un tel mode de paiement peut favoriser plus que tel autre le développement du procès de production capitaliste (au reste, certaines techniques de travail impliquent tel mode de paiement) [14].

Les différences individuelles de salaire (plus fortes dans le système du salaire aux pièces que dans celui du salaire au temps) ne sont, bien sûr, que des déviations du niveau normal de salaire. Mais, à moins que certaines circonstances n'en paralysent l'effet, le salaire aux pièces tend à baisser ce niveau lui-même.

Comme prix global du travail quotidien moyen, le salaire contredit la notion de valeur. En effet, tout prix doit pouvoir être réduit à une valeur, puisque le prix - comme tel - n'est que l'expression monétaire de la valeur. Que les prix actuels se situent au-dessus ou au-dessous du prix correspondant à leur valeur ne change rien au fait qu'ils sont une expression quantitativement incongrue de la valeur de la marchan­dise, même si, dans le cas supposé, le prix est quantitativement trop élevé ou trop bas. En effet dans le cas du prix du travail, l'incongruité est d'ordre qualitatif.

La valeur d'une marchandise étant égale au travail nécessaire qu'elle renferme, la valeur d'une journée de travail - effectuée dans les conditions adéquates de production et avec le degré social moyen, habituel, d'intensité et d'adresse - est égale à la journée de travail contenue dans la marchandise, ce qui est une absurdité et ne détermine absolument rien.

La valeur du travail - c'est-à-dire le prix du travail qualitativement dépouillé de son expression monétaire - est donc une forme irrationnelle; en fait, c'est simplement une autre forme, inversée, de la valeur de la force de travail. (Le prix, non réductible à la valeur - que ce soit directement ou par une série d'intermédiaires - exprime n'im­porte quel échange, purement contingent, d'un article quelconque contre de l'argent. C'est ainsi que des choses qui, par nature, ne sont pas des marchandises et sont donc hors du commerce des hommes, peuvent être transformées en marchandises, dès lors qu'on les échange contre de l'argent. D'où la liaison entre vénalité, corruption et argent. Étant une marchandise métamorphosée, l'argent ne révèle pas d'où il provient, ce qui a été transformé en lui : conscience, virginité ou patates ?)

Comme expression immédiate du rapport de valeur, le salaire aux pièces est tout aussi irrationnel que le salaire au temps, forme la plus directe du salaire. Il y a, par exemple, dans une marchandise (abstraction faite du capital constant qu'elle renferme) une heure de travail objectivé, soit 6 d. L'ouvrier obtient 3 d., autrement dit, pour l'ouvrier, la valeur d'une marchandise n'est pas déterminée par la valeur mesurée par le temps de travail qu'elle renferme. En fait, son salaire aux pièces n'exprime donc directement aucun rapport de valeur.

Comme on le voit, la valeur de cette marchandise n'est pas mesurée par le temps de travail qu'elle renferme. A l'inverse, c'est cette marchandise qui mesure le temps de travail nécessaire, effectué par l'ouvrier. En conséquence, le salaire touché par l'ouvrier est du travail au temps, puisque cette marchandise est uniquement appelée à mesurer le temps pour lequel l'ouvrier reçoit le salaire et à garantir qu'il a utilisé uniquement du temps de travail nécessaire, bref, que le travail a été exécuté avec l'intensité voulue et, de plus, possède (en tant que valeur d'usage) la qualité requise. Le salaire aux pièces n'est donc rien d'autre qu'une forme déterminée du salaire au temps qui, lui, n'est qu'une autre forme de la valeur de la force de travail ou du prix respectif de la force de travail, soit qu'il corresponde quantitativement à cette valeur, soit qu'il s'en écarte.

Si le salaire aux pièces tend à laisser une grande marge de jeu à l'individualité des ouvriers, et donc à élever au-dessus du niveau général le salaire de quelques-uns d'entre eux, il pousse tout autant à abaisser au-dessous de ce niveau le salaire des autres ouvriers, diminuant ce niveau en général sous l'aiguillon de la concurrence ten­due à l'extrême parmi les travailleurs.

Si l'intensité du travail - les autres facteurs restant les mêmes - se mesure d'après la masse du produit fourni par l'ouvrier en un temps donné, il faut - pour avoir une idée du salaire au temps des différents pays, par exemple le salaire d'une journée de travail d'une longueur donnée - comparer ce salaire à ce qu'il représente lorsqu'il est exprimé en salaire aux pièces. C'est ainsi seulement qu'on obtiendra le véritable rap­port entre travail nécessaire et surtravail, ou entre salaire et plus-value.

On constate alors que le salaire aux pièces est souvent plus élevé dans les pays pauvres, et le salaire apparent au temps plus élevé dans les pays riches. De fait, l'ouvrier exige, dans les pays pauvres, une plus grande partie de la journée de travail pour reproduire son salaire : le taux de plus-value est donc plus petit, et le salaire relatif plus élevé. Le prix réel du travail y est donc supérieur.

Si l'on considère différentes nations, abstraction faite de la productivité due à chacun des ouvriers, l'intensité varie tout autant que la durée du temps de travail. La journée de travail nationale plus intense est égale à la journée de travail moins intense plus x. Si l'on prend pour étalon de la journée internationale de travail celle des pays producteurs d'or et d'argent, la très intense journée de travail anglaise de 12 heures s'exprime en plus d'or que celle moins intense d'Espagne, c'est dire qu'elle est plus élevée que la journée de travail moyenne, réalisée en or et en argent.

Si l'on considère une journée de travail totale de grandeur donnée, un salaire national plus élevé n'implique donc pas, dans la pratique, que le prix du travail ou d'une quantité donnée de travail soit plus élevé, pour ce qui est non seulement de la valeur d'usage, mais encore de la valeur d'échange, et donc aussi de son expression monétaire. (En effet, en supposant donnée la valeur de l'or et de l'argent, une expres­sion monétaire supérieure exprime toujours plus de valeur, et vice versa.)

Si l'on considère au même moment les salaires en monnaie des ouvriers des diffé­rentes nations, on supposera toujours donnée la valeur de l'or et de l'argent, puisqu'un changement de cette valeur touche au même moment les diverses nations : il n'y a donc aucun changement dans leur rapport réciproque.

Lorsque nous avons une durée plus grande de travail, de même qu'une intensité accrue - ce qui, au niveau international, revient au même - le salaire peut donc être plus élevé dans un pays que dans un autre, mais il peut néanmoins représenter :
une partie moindre de la journée totale (autrement dit, il peut être relativement plus bas);
un prix moindre du travail. Si, par exemple, l'ouvrier obtient par jour 3 sh. pour 12 h., cela représente moins qu'un salaire quotidien de 2 ½sh. pour 11 h. En effet, cette heure de plus-value renferme une usure bien plus grande, donc une reproduction plus rapide, de la force de travail. La différence serait encore plus considérable, si c'était 2 ½ sh. pour 10 h., et 3 pour 12 h. [15]


Différence de centralisation des moyens de production dans les divers pays

Bien que l'adresse et la technologie puissent être d'un grand effet, il importe essentiellement que l'élément du travail vivant soit prépondérant pour que se déve­loppent les manufactures. C'est pourquoi le système de la parcellisation du sol, en empêchant un accroissement de population, tend indirectement à freiner l'exten­sion des manufactures. Qui plus est, il a cet effet d'une manière directe, en tenant une nombreuse population attachée et occupée à la terre, l'agriculture représentant la principale occupation, celle qui entraîne fierté et satisfaction. Ceci étant, le filage, le tissage, etc. ne sont, en France, que des activités domestiques accessoires, nécessaires à l'entretien immédiat de la population. Le surplus économisé est thésaurisé dans le but d'augmenter l'héritage, et cette population n'est pas disposée à essaimer loin de ses foyers en quête d'occupations différentes ou d'habitudes nouvelles. C'est donc justement là où épargne est synonyme de thésaurisation, qu'elle réussit, dans des proportions toujours plus élevées, à préserver son intégrité, la formation du capital et le développement de la production capitaliste se trouvant entravés par les conditions économiques mêmes qui favorisent la thésaurisation. Devenir propriétaire, posséder une maison ou une parcelle de terre, tel devient aussi le but principal de l'ouvrier d'usine et de presque tous les paupérisés ayant déjà perdu toute propriété : de fait, ils ont les yeux braqués sur la terre. Or, il se trouve que le processus inverse s'est déroulé en Angleterre.

Il suffit de considérer la nature des occupations d'une très importante classe de Français pour saisir que, contrairement à ce qui se passe en Angleterre, l'industrie manufacturière française se compose de petites entreprises. On constate, une fois de plus, combien l'expropriation des travailleurs de la terre est nécessaire au développe­ment de la grande industrie [16]. En France, certaines de ces petites entreprises sont ac­tion­nées par la vapeur et l'eau, de nombreuses sont tributaires du travail animal ou emploient encore essentiellement, voire uniquement, du travail manuel.

Le baron C. Dupin a une excellente définition : l'industrie française est liée au systè­me de tenure du sol. Il dit notamment : « Étant le pays de la propriété morcelée et des petits biens-fonds, la France est aussi le pays du morcellement de l'industrie et des petits ateliers. » Cf. Rapport des inspecteurs de fabrique, p. 67-68, 31 octobre 1851.

Un inspecteur des fabriques - A. Redgrave - donne pour 1852 le panorama des manufactures textiles françaises de tout ordre. Il met en évidence que la force motrice est de 2,053 chevaux-vapeurs, de l'eau 0,959, et des autres forces mécaniques 2,057. (L.c., p. 69). Il compare ces données avec le nombre des manufactures, etc. (tableau établi pour la Chambre des Communes en 1850), et il en vient à la conclusion qu'il existe « une différence notable entre le système manufacturier textile anglais et français ».

En effet, le nombre des manufactures est trois fois plus élevé en France qu'en Angleterre, mais celui des ouvriers qu'elles occupent n'y est supérieur que d'un cinquième. Cependant, les proportions très différentes des machines et de l'énergie motrice apparaissent nettement dans le tableau suivant :

 
France :
Angleterre :
 
Nombre de manufactures 12.986 4.330 (En fait, on compte en France
comme entreprise ce qui n'entre pas
dans cette catégorie en Angleterre.)
Nombre d'ouvriers 706.450 596.082
Nombre moyen d'ouvriers employés par entreprise 54 137
Nombre moyen de broches employées par ouvrier 7 43 (Donc, six fois plus en Angleterre
qu'en France.)
Nombre moyen d'ouvriers par métier à tisser (mécaniques ou à main) 2 2 (métiers mécaniques uniquement)

 

Ainsi donc, on trouve plus d'ouvriers en France qu'en Angleterre, mais c'est uni­que­ment parce que les statistiques anglaises ignorent les métiers à main. En revan­che, les entreprises emploient en moyenne deux fois plus d'ouvriers en Angleterre qu'en France : 54/137 = 27/68 = 13/34 = 1/3 environ.

En Angleterre, un plus grand nombre d'ouvriers est concentré sous la direction d'un même capital. En France, il y a trois fois plus de fabriques, mais elles n'occu­pent qu'un cinquième d'ouvriers en plus : on y trouve donc moins d'ouvriers pour un même nombre d'entreprises.

Si l'on calcule le nombre d'outils utilisés par ouvrier, il y a en Angleterre six fois plus de broches qu'en France. Si tous les ouvriers ne faisaient que du tissage, il y aurait en France 4 945 180 broches, et un cinquième de moins en Angleterre. Mais, on trouve un métier mécanique pour deux ouvriers en Angleterre, en France, on a un métier mécanique ou à main.

Ouvriers :
596 082
  x 43
  1 788 246
  2 384 328
 
25 631 526

En Angleterre, 25.631.526 broches. En outre, la force-vapeur utilisée dans les fabriques de Grande-Bretagne est de 108 113 CV. la proportion d'ouvriers employés est d'environ 2 1/2 par CV; la même pro­portion en France donnerait une force-vapeur de 128 409, alors qu'au total elle n'est en 1852 que de 75.518, produits par 6 080 machines à vapeur, dont la puissance moyenne est inférieure à 12 1/2 CV. Le nombre de machines à vapeur employées dans les fabriques de textile françaises semble avoir été de 2 053 en 1852, et la force de ces machines correspond à 20 282 CV répartis comme suit :

 
Entreprises :
CV :
Pour le filage 1 438 16 494
Pour le tissage 101 1.738
Pour la finition, etc. 242 612
Pour activités annexes 272 1 438
  2 053 20 282
(L.c., p. 70.)

« Du fait qu'elle n'a pas les os et les muscles des manufactures, à savoir le fer et le charbon, la France sera toujours retardée dans sa progression comme pays manu­facturier. » (L.c.).

Par tête d'ouvrier, les fabriques anglaises ont bien plus de machines mécaniques ou automatiques (mechanic power) et, dans un même temps, l'ouvrier anglais trans­forme donc plus de matières premières que le français. En conséquence, la capacité pro­ductive du travail anglais, aussi bien que du capital qui l'emploie, est beaucoup plus grande.

Le nombre d'entreprises est bien moindre en Angleterre qu'en France. Le nombre d'ouvriers employés en moyenne par entreprise est bien plus élevé en Angleterre qu'en France, bien que le nombre total en soit plus élevé en France (la différence est cependant minime par rapport au nombre d'entreprises).

Comme on le voit, les deux pays ont un niveau de développement très différent des forces productives et du mode de production capitaliste, à la suite de circonstan­ces historiques entre autres, qui ont eu un effet complexe sur la grandeur respective de la concentration des moyens de production qui dépend de l'expropriation plus ou moins grande de la masse des producteurs immédiats.

L'accumulation capitaliste est tout le contraire de l' « épargne » et de la thésaurisa­tion des producteurs immédiats - bien supérieurs en France qu'en Angleterre. Le degré où le surtravail des producteurs peut être « épargné », « thésaurisé », « accu­mulé » et rassemblé en grandes masses - bref, être concentré et utilisé comme capital - correspond très exactement au degré de thésaurisation du surtravail. Il dépend donc du degré où la grande masse des producteurs réels est dépouillée des conditions nécessaires à l' « épargne », à la « thésaurisation » et à l' « accumulation », étant pri­vée de toute possibilité de s'approprier son propre surtravail du fait qu'elle est expro­priée de ses moyens de production. L'accumulation et la concentration capitalis­tes impliquent la faculté de s'approprier à une grande échelle le surtravail d'autrui, c'est dire que les masses elles mêmes sont hors d'état de revendiquer, de quelque manière que ce soit, leur propre surtravail : telle est la base du mode de production capitaliste.

Il est donc faux, ridicule, mensonger et imposteur de décrire et d'expliquer cette accumulation capitaliste, en l'assimilant et en la confondant avec un procès qui lui est diamétralement opposé, voire l'exclut, puisqu'il correspond à un mode de production sur les ruines duquel seulement la production capitaliste peut se développer. C'est cette erreur entre toutes qui est soigneusement entretenue par l'économie politique. Ce qu'il y a de vrai dans tout cela, c'est que dans la société bourgeoise, tout ouvrier - s'il est très intelligent et rusé, doué d'instincts bourgeois et favorisé par une chance excep­tionnelle - peut lui-même être transformé en un exploiteur du travail d'autrui. Mais, s'il n'y avait pas de travail à exploiter, il n'y aurait ni capitaliste, ni production capitaliste.

En fait, Ricardo console les ouvriers en leur disant qu'à la suite de la croissance des forces productives du travail et de l'augmentation du capital constant aux dépens de la partie variable, il se produit aussi une augmentation de la partie de la plus-value consommée sous forme de revenu, et donc une demande accrue de domestiques. Cf. Ricardo, Principles, etc., p. 473.

« La propriété... est essentielle pour empêcher l'ouvrier ordinaire, non qualifié, de déchoir au niveau d'une machine achetée au prix marchand minimum de sa produc­tion, c'est-à-dire au prix de l'existence et de la reproduction de l'espèce des ouvriers, prix auquel ils sont invariablement réduits tôt ou tard, quand les intérêts du capital et du travail sont absolument distincts et ne s'ajustent plus l'un à l'autre qu'en vertu du seul fonctionnement de l'offre et de la demande. » Cf. Samuel Laing, National Distress, etc., Londres, 1844, p. 46.


Irlande. Émigration

Dans la mesure où l'augmentation - ou la diminution - de la population ouvrière dans le cycle décennal de l'industrie exerce une influence perceptible sur le marché du travail, c'est en Angleterre qu'on l'observe. Nous prenons ce pays comme modèle, parce que le mode de production capitaliste y est développé, alors que, sur le continent, il se meut encore essentiellement sur le terrain non adéquat d'une économie paysanne. Bref, c'est en Angleterre que l'on saisit le mieux les effets produits par les besoins de valorisation du capital sur l'expansion et la contraction de l'émigration.

Il faut remarquer tout d'abord que l'émigration du capital (c'est-à-dire la portion de revenu annuel placée comme capital à l'étranger, et notamment aux colonies et aux États-Unis d'Amérique) est bien supérieure par rapport au fonds d'accumulation annuel, que le nombre des migrants par rapport à l'augmentation annuelle de popula­tion. Au reste, les migrants anglais sont essentiellement des ruraux, fils de métayers, etc., et non pas des ouvriers. Jusqu'ici, l'émigration a été plus que compensée par l'immigration en provenance d'Irlande.

Aux périodes de stagnation et de crise, l'émigration tend à augmenter; c'est alors aussi que la portion de capital additionnel envoyée à l'étranger est la plus forte. Aux périodes où l'émigration humaine diminue, l'émigration de capital additionnel dimi­nue aussi. Le rapport absolu entre capital et force de travail utilisée dans un pays est donc peu affecté par les fluctuations de l'émigration, puisque les deux mouvements sont parallèles. Si l'émigration prenait en Angleterre des proportions graves par rapport à l'augmentation annuelle de la population, c'en serait fait de sa position hégé­monique sur le marché mondial.

L'émigration irlandaise, depuis 1848, a contredit toutes les attentes et prévisions des malthusiens : ils avaient proclamé qu'il est exclu que l'émigration dépasse le niveau de l'augmentation de la population. Les Irlandais, en dépit de leur pauvreté, ont résolu la difficulté en ce sens que ceux qui ont déjà émigré couvrent chaque année la plus grande partie des frais de voyage de ceux qui sont encore sur place. ces messieurs n'avaient-ils pas prédit que la famine, qui avait balayé un million d'Irlan­dais en 1847 et provoqué un exode massif aurait exactement le même effet que la peste noire au XIV° siècle en Angleterre. Or, c'est exactement l'inverse qui s'est pro­duit. La production a baissé plus vite que la population, et il en est de même des moyens d'employer les ouvriers agricoles, bien que le salaire actuel de ceux-ci ne dépasse pas celui de 1847, compte tenu des changements des prix moyens de subsis­tance. La population est tombée de 8 à 4,5 millions environ au cours de ces 15 dernières années. Toutefois, la production de bétail s'est quelque peu accrue, et lord Dufferin qui veut convertir l'Irlande en un simple pâturage à moutons, a parfaitement raison, lorsqu'il affirme que les Irlandais sont encore trop nombreux. En attendant, ils ne transportent pas seulement en Améri­que leurs os, mais encore tout leur corps vivant : l'exoriare aliquis ultor [17] sera terrible Outre-Atlantique.

Jetons un coup d'œil sur l'évolution des principales denrées agricoles au cours des deux dernières années :

 
1864
1865
Baisse :
Blé 875782 826 783 48 999
Avoine 7 826 332 7 659 727 166 605
Orge 761909 732 017 29 892
Baies 15 160 13 989 1 171
Pommes de terre 4 312 388 3 865 990 446 398
Navets 3 467 659 3 301 683 165 976
Lin 64 506 39 561 24 945
(Source officielle : Agricultural Statistics d'Irlande. Dublin, 1866, p. 4)

Cependant, des individus s'enrichissent alors que le pays se ruine rapidement, comme le montre l'évolution des gros revenus :

Revenus entre
1864
1865
3.000 - 4.000 £ 46 50
4.000 - 5.000 £ 19 28
5.000 - 10.000 £ 30 44
10.000 - 50.000 £ 23 25

 Il y a, enfin, 3 personnes, dont chacune a un revenu de 87706 £, et trois autres, dont chacune a 91509 £. Cf. Income and Property Tax Return, 7 August 1866. Lord Dufferin, qui compte parmi ces « surnuméraires », a donc bien raison d'estimer que l'Irlande compte toujours encore trop d'habitants !


Expropriation et dépopulation en Allemagne orientale au XVIII° siècle

C'est seulement sous Frédéric II qu'une ordonnance garantit aux sujets (paysans) le droit d'héritage et la propriété dans la plupart des provinces du royaume de Prusse. Elle visait à mettre fin à la misère dans les campagnes, qui menaçaient de se dépeu­pler. En effet, c'est précisément au siècle dernier (XVIII°) que les seigneurs de la terre s'efforcèrent d'accroître le rendement de leur économie, et trouvèrent avantageux de chasser certains de leurs sujets pour grossir de leurs terres les domaines seigneu­riaux.

Étant privés de leur patrie, les paysans chassés tombaient dans la misère. En même temps, on aggrava les charges des autres sujets jusqu'à les rendre intolérables, car le seigneur du domaine estimait qu'ils devaient désormais travailler également les terres cultivées naguère par les tenanciers expulsés. Cette « clôture des terres pay­sannes » (Bauernlegen) fut particulièrement odieuse dans l'Est de l'Allemagne.

Lorsque Frédéric II conquit la Silésie, des milliers de tenures y étaient aban­données par leurs exploitants; les huttes étaient en ruine, et les champs aux mains des seigneurs domaniaux. Toutes les tenures annexées durent être reconstruites, pourvues d'exploitants, équipées de bétail et d'instruments et distribuées à des paysans en pos­ses­sion héréditaire propre. A Rügen, les mêmes abus provoquèrent, encore au temps de la jeunesse de Moritz Arndt, des soulèvements de paysans; des soldats y furent détachés et les meneurs emprisonnés; par la suite, les paysans tentèrent de se venger; ils surprirent quelques nobles et les massacrèrent. En Saxe Électorale, les mêmes abus provoquèrent encore des rébellions en 1790 (Freytag) [18].

C'est à quoi tiennent les sentiments chevaleresques de la noblesse féodale !


Propriété et capital

Bien que la formation du capital et le mode de production capitaliste reposent pour l'essentiel, non seulement sur l'abolition du mode de production féodal, mais encore sur l'expropriation des paysans, des artisans et en général du mode de pro­duction fondé sur la propriété privée du producteur immédiat sur les conditions de production; bien que le mode de production capitaliste, sitôt qu'il est introduit, se développe dans la mesure même où sont abolis cette propriété privée et le mode de production fondé sur elle, c'est-à-dire où ces producteurs immédiats sont expropriés par ce qu'on appelle la concentration du capital (centralisation); bien que ce proces­sus d'expropriation, tel qu'il se répétera systématiquement avec le clearing of estates (clôture des biens-fonds), introduise, partiellement comme acte de violence, le mode de production capitaliste - la théorie du mode de production capitaliste (l'économie politique, la philosophie du droit, etc.) et le capitaliste lui-même aiment à confondre leur mode de propriété et d'appropriation (qui, pour ce qui est de son développement, repose sur l'appropriation du travail d'autrui et, pour ce qui est de son fondement, sur l'expropriation du producteur immédiat) avec l'ancien mode de production (qui suppose, contrairement au leur, la propriété privée du producteur immédiat sur les conditions de production, c'est-à-dire une prémisse qui, dans l'agriculture et la manu­facture, etc., rendrait impossible le mode de production capitaliste).

Les capitalistes et leurs théoriciens présentent donc toute attaque contre leur forme d'appropriation comme une attaque contre la forme de propriété gagnée par le travail et, qui plus est, contre toute propriété. Naturellement, on a toujours le plus grand mal à démontrer que l'expropriation des masses laborieuses de leur propriété est la condition de vie de la propriété privée sous la forme capitaliste. Au reste, dans toutes les formes de propriété privée, on trouve pour le moins l'esclavage des membres de la famille, ceux-ci étant utilisés et exploités, ne serait-ce que par le chef de famille.

En général, la conception juridique, de Locke à Ricardo, est donc celle de la pro­priété petite-bourgeoise, alors que les conditions de production qu'ils décrivent appartiennent au mode de production capitaliste. Ce qui leur permet ce quiproquo, c'est le rapport entre acheteur et vendeur, ceux-ci restant formellement les mêmes dans les deux formes. On trouve donc, chez tous ces auteurs, la dualité suivante :

1. Du point de vue économique, ils font état des avantages tirés de l'expropriation des masses et du fonctionnement du mode de production capitaliste, en opposition à la propriété privée, fondée sur le travail;

2. Du point de vue idéologique et juridique, ils reportent l'idéologie de la pr­opriété privée, dérivant du travail sans plus de façons sur la propriété déterminée par l'expropriation du producteur immédiat.

D'où par exemple le radotage sur le transfert aux générations futures des charges actuelles par le moyen des dettes de l'État. Certes, A peut donner à B, qui lui emprun­te - effectivement ou apparemment - des marchandises une créance sur des produits futurs : n'existe-t-il pas aussi des poètes et des musiciens de l'avenir ? En fait, A et B ne consomment jamais un atome de ce produit futur. Chaque génération paie, en effet, ses propres frais de guerre. En revanche, un ouvrier peut, cette année, dépenser le travail des trois années suivantes.

« En prétendant qu'on peut repousser les dépenses présentes dans le futur et qu'on peut accabler la postérité afin de suppléer aux besoins de la généra­tion actuelle, on formule cette absurdité, à savoir que l'on peut consommer ce qui n'existe pas encore, et qu'on peut se nourrir de subsistances avant même que leurs semences n'aient été plantées [19]... Toute la sagesse de nos hommes d'État aboutit en fait à un grand transfert de propriété d'une catégorie de per­sonnes à une autre, en créant un fonds énorme pour payer les emplois et le péculat. » (Percy Ravenstone, Toughts on the Funding system and its Effects, Londres, 1824, p. 8 et 9.)

Les mineurs

Chaque grève montre comment les patrons exploitent le fait que les mineurs dépendent d'eux, pour ce qui est de leur logement. Par exemple, en novembre 1863, à Durnham, des mineurs furent chassés de leurs logis, avec femme et enfants, à la saison des pires intempéries, et leurs meubles furent jetés à la rue. La plupart d'entre eux dormit en plein vent; le reste envahit les logis vides afin de les réoccuper, la nuit au moins. Là-dessus, les exploiteurs des mines firent barricader, au moyen de plan­ches et de clous, les portes et fenêtres, pour priver les expulsés de ce qu'ils estimaient un luxe et un abri : dormir à même le sol dans des masures vides pendant les nuits glaciales de l'hiver. Les mineurs résolurent de se débrouiller en montant des huttes de bois et des wigwams de terre, mais les propriétaires des champs les firent démolir. Nombreux furent les enfants qui périrent ou dont la santé fut à jamais ruinée, au cours de cette campagne du capital contre le travail. » Cf. Reynold's Newspaper, 29 novem­bre 1863.


Notes

[1] Dans ses travaux préparatoires, Marx avait l'habitude de grouper en fin de chapitre les citations et les idées qu'il avait l'intention de traiter par la suite ou qu'il comptait utiliser lors de la seconde élaboration du texte. Les Pages Éparses représentent, au niveau du Vie Chapitre, un tel matériel. (N.R.)

[2] Cf. le Capital, livre I, tome II, Ed. Soc., p. 221. (N.R.)

[3] « L'ouvrier... prête son industrie », mais, ajoute Storch cauteleusement, « il ne risque... de perdre que... son salaire ... ; l'ouvrier ne transmet rien de matériel. » Cf. Storch, Cours d'économie politique, etc., Pétersbourg, 1815, tome Il, p. 36 et suiv.
« Tout travail est paye quand il est terminé. » Cf. Inquiry into those Principles respecting the Nature of Demand, etc., Londres, 1821, p. 104.
D'autres conséquences pratiques, résultant de ce mode de paiement, n'appartiennent pas à ce secteur de notre recherche. Cependant, un exemple vaut d'être cité. Il existe à Londres deux sortes de boulangers, ceux qui vendent le pain à sa valeur réelle, les full priced, et ceux qui le vendent au-dessous de cette valeur, les undersellers. Cette dernière catégorie forme plus des trois quarts du nombre total des boulangers (p. XXXII, dans le Rapport du commis­saire du gouvernement H. S. Tremenhere sur les Grievances complained of by the journeymen bakers, etc., Londres, 1861). Ces « undersellers », presque sans exception, vendent du pain falsifié avec des mélanges d'alun, de savon, de chaux, de plâtre et autres ingrédients semblables, aussi sains et aussi nourrissants. (Cf. le livre bleu cité plus haut, ainsi que le rapport du Comité de 1855 sur l'adultération du pain et celui du Dr Hassall, Adulterations detected, 2° édit., Londres, 1861).
Sir John Gordon déclarait, devant le Comité de 1855, que « par suite de ces falsifications, le pauvre qui vit de deux livres de pain par jour n'obtient pas maintenant le quart des éléments nutritifs qui lui seraient nécessaires, sans parler de l'influence pernicieuse qu'ont de pareils aliments sur sa santé » ! Pour expliquer comment une grande partie de la classe ouvrière, bien que parfaitement au courant de ces falsifications, les endure néanmoins, Tremenhere donne cette raison : « C'est une nécessité pour elle de prendre le pain chez le boulanger ou dans la boutique du détaillant tel qu'on veut bien le lui donner », et d'ajouter, en se fondant sur l'affirmation de témoins oculaires. « Il est notoire que le pain préparé avec ces sortes de mixtures est fait expressément pour ce genre de pratiques. »
[Le lecteur retrouvera cette note au Livre 1 du Capital, tome I, p. 177. (N.R.)].

[4] Petty détermine la valeur du salaire journalier d'après la valeur de ce dont l'ouvrier a besoin « pour vivre, travailler et se reproduire ». Cf. Political Anatomy of Ireland, édit. de Londres, 1672, p. 69. Cité d'après Dureau de la Malle.
« Le prix du travail se compose toujours du prix des choses absolument nécessaires à la vie ». Le travailleur n'obtient pas un salaire suffisant « toutes les fois que le prix des denrées nécessaires est tel que son salaire ne lui permet pas d'élever conformément à son humble rang une famille telle qu'il semble que ce soit le lot de la plupart d'entre eux d'en avoir. » Cf. Jacob Vanderlint, Money Answers all Things, Londres, 1743, p. 19.
« Le simple ouvrier, qui n'a que ses bras et son industrie, n'a rien qu'autant qu'il parvient à vendre à d'autres sa peine... En tout genre de travail, il doit arriver, et il arrive en effet, que le salaire de l'ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer sa subsistance. » Cf. Turgot, Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, 1766, Œuvres, édit. Daire, tome I, p. 10.
« Le prix des subsistances nécessaires à la vie est en réalité ce que coûte le travail productif. » Cf. Malthus, An Inquiry into the nature of Rent, etc. Londres, 1815, p. 48 note. [Cette partie de la note se retrouve dans le livre I du Capital, tome IL p. 81.]
« D'une étude comparée des prix du blé et des salaires depuis le règne d'Edouard III, c'est-à-dire depuis 500 ans, il ressort que, dans ce pays, le revenu quotidien de l'ouvrier s'est tenu plus sou­vent au-dessous qu'au-dessus d'une mesure de blé d'un quart de boisseau. Cette mesure de blé forme une sorte de moyenne, et plutôt supérieure, autour de laquelle les salaires exprimés en blé oscillent selon l'offre et la demande. » Cf. Malthus, Principles of Political Economy, 2° édit., Londres, 1836, p. 254.
« Le prix naturel de n'importe quel objet est celui... que l'on donne à sa production... Le prix naturel du travail consiste en une quantité de denrées nécessaires à la vie et de moyens de jouissance telle que la requièrent la nature du climat et les habitudes du pays pour entretenir le travailleur et le mettre en état d'élever une famille, pour que le nombre des travailleurs demandés sur le marché n'éprouve pas de diminution... Le prix naturel du travail, bien qu'il varie sous des climats différents et en fonction des niveaux variables de la progression nationale, peut, en n'importe quel moment et lieu donnés, être considérés comme pratiquement stationnaire. » Cf. Torrens, An Essay of the external Corn Trade, Londres, 1815, p. 62. [Le lecteur retrouvera une partie de cette dernière citation au livre I du Capital, tome I, pp. 174-175 note.]

[5] « Lorsque le blé représente une partie notable des subsistances du travail, une augmentation de son prix naturel entraîne nécessairement une augmentation du prix naturel du travail, en d'autres termes, il faut une quantité plus grande de travail ou de produit pour le salaire de l'ouvrier. Or, comme il faut une somme plus grande de travail ou - ce qui est la même chose - de produit de son travail pour la subsistance de l'ouvrier, l'employeur recevra une somme moindre de produits du travail. » (Cf. Torrens, An Essay on the External Corn Trade, Londres, 1821, pp. 235-36).

[6] Cf. tome J. Dunning (Secrétaire de l'association des relieurs de Londres), Trade's Unions and Strikes, Londres 1860, pp. 6 et 7. [Marx cite Dunning à plusieurs reprises dans le Capital. (N.R.)]

[7] L.c., p. 7.

[8] L.c., p. 6

[9] On comprend que les capitalistes dénoncent ce taux uniforme du travail comme une atteinte à la liberté individuelle de l'ouvrier, et comme un obstacle qui empêche le capitaliste de suivre l'élan de son cœur et de récompenser le talent particulier de tel ouvrier. Mr Dunning, dont l'ouvrage susmentionné, non seulement touche au cœur de la question, mais en traite avec une ironie sereine, répond que les syndicats ne permettent pas au capitaliste de « payer autant qu'il lui plaît une spécialisation exceptionnelle ou une habileté particulière au travail », cependant qu'ils l'empêchent d'abaisser les 99 % de la masse salariale, c'est-à-dire le salaire de l'ouvrier moyen de son industrie, au-dessous du « minimum de salaire ». Bref, ils l'empêchent d'abaisser la valeur traditionnelle de la force de travail moyenne. Il est normal que les associations d'ouvriers contre le despotisme du capital soient dénoncées par un journaliste d'Edimbourg (On Combination of Trades, nouv. édit., Londres, 1834, p. 42) comme un esclavage auquel les Britanniques, libres de par leur naissance, se soumettent volontairement avec un incroyable aveuglement ! L'adversaire ne souhaite-t-il pas dans la guerre que les armées d'en face ne se soumettent pas au despotisme de la discipline ? Mais, notre journaliste, en proie à l'indignation morale, découvre pire encore. Les syndicats sont un sacrilège, car ils portent atteinte aux lois du libre commerce. Quelle horreur ! Dunning répond entre autres : « On, n'aurait donc pas un libre échange de coups, si l'une des parties avait un bras lié ou invalide, tandis que l'autre disposait de ses deux bras... L'employeur désire traiter un par un avec ses ouvriers, afin qu'il puisse donner aux sweaters le prix de leur travail chaque fois que cela lui plaît. Lorsqu'ils marchandent, leur bras droit est lié dans la vente par leurs besoins. C'est ce qu'il appelle le libre commerce, la liberté étant tout entière de son côté. Appelez cela commerce si vous voulez, mais ce n'est pas du libre-échange. » (L.c., p. 47).

[10] L.c., p. 6.

[11] « On a créé à Londres une association philanthropique ayant pour but de conclure des contrats d'achat pour l'habillement militaire. Elle se fixe le même prix que celui que le gouvernement paie actuellement à ses adjudicataires, mais paie aux couturières affamées 30 % de plus que leurs salaires actuels. Elle obtient ce résultat en éliminant les « intermédiaires », dont le profit revient maintenant au « matériel humain » à qui il était enlevé jusqu'ici. Avec tous les avantages consentis par cette Association, une couturière ne peut pas gagner plus de 1 sh. pour 10 heures de travail ininterrompu de confection de chemises pour les militaires, à savoir pour deux chemises par jour. Pour d'autres pièces d'habillement, elles ne gagnent guère plus de 1 sh. 6 d. par jour, pour un travail de 12 heures. Dans les conditions actuelles de contrat, leurs salaires oscillent entre 5 et 8 d. pour un travail de 10 heures, et encore doivent-elles fournir le fil, etc. (Times du 13.3.1860.)

[12] « Parmi la main-d'œuvre des manufactures, il y a de nombreux jeunes qui sont engagés comme apprentis à l'âge précoce de 13 à 14 ans pour presser les bouteilles et les verreries. Ils reçoivent un salaire de 2 à 3 sh. par semaine. Puis, ils commencent à travailler d'après le système du travail aux pièces, et ils gagnent le salaire des manœuvres. D'après Longe, « cette pratique qui consiste à employer un grand nombre d'apprentis engagés dès l'âge de 13 ou 14 ans, est courante dans certains types de manufactures. Cette pratique n'est pas seulement très préjudiciable au commerce, mais c'est vraisemblablement l'une des grandes causes à laquelle il convient d'attribuer la mauvaise constitution des potiers. Ce système du salaire aux pièces, si avantageux pour le capitaliste... tend directement à pousser le jeune potier à un travail excessif, pendant les quatre ou cinq ans où il travaille aux pièces, mais à bas prix. C'est là une des grandes causes auxquelles il faut attribuer la dégénérescence des potiers ! » Cf. Children's Employment Commission. First Report, Londres, 1863, p. 13. [La dernière partie de cette citation est reproduite au livre Idu Capital, tome II, p. 225, note 3.] A cet âge tendre, les conséquences du surmenage auprès de fours brûlants sont faciles à imaginer !

[13] « En vérité, la principale objection contre le travail aux pièces dans les différentes industries, c'est qu'on se plaint que l'employeur veuille réduire le prix du travail, une fois qu'il a trouvé des ouvriers pour gagner de la sorte un bon salaire, - et ce procédé a été utilisé fréquemment pour faire baisser les salaires. » Cf. T.J. Dunning, l.c., p. 22.

[14] Ce dernier passage est barré d'un trait dans le manuscrit de Marx. (N.R.)

[15] Les pages 261 et 262 du manuscrit ont été égarées (Cf. notre note page 186, l'extrait que nous y reproduisons). Le texte de Marx continue par la page 379, qui traite en gros du même sujet. (N.R.)

[16] L'accumulation primitive n'est en fait rien d'autre que le processus au travers duquel les conditions de production deviennent autonomes, en étant séparés des producteurs, transformés en salariés. Le processus commence dans l'agriculture. « La grande culture n'exige pas une plus grande masse de capitaux que la petite ou la moyenne culture, elle en exige moins au contraire; mais, dans ces divers systèmes, les capitaux appliqués à l'agriculture doivent se trouver entre les mains d'un petit nombre d'hommes qui salarient les bras qu'ils emploient. » Cf. Mathieu de Dombasle, Annales agricoles de Roville, 1.2, p. 218.

[17] La citation complète (tirée de Virgile : imprécation de Didon, cf. l'Enéide, IV, 625) est : Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor (Qu'un vengeur naisse un jour de nos cendres), mais Marx souligne que les Irlandais sont bien vivants en Amérique, afin qu'un jour les États-Unis vengent la malheureuse Irlande, en ravissant à l'Angleterre sa position hégémonique dans l'économie mondiale, ce qui, en théorie, préfigure le déclin et la mort du capitalisme dans le premier pays industriel du monde, de par les simples lois inhérentes au capital, le prolétariat étant l'exécuteur de la sentence historique. (N.R.)

[18] Au chapitre de la législation sanguinaire contre les expropriés, on trouvera une autre citation de G. Freytag, sur le même thème, cf. Capital, livre I, tome 3, pp. 180-181. (N.R.)

[19] Dans les Fondements etc. (tome 1, p. 320), Marx dévoile aussi la mystification tendant à présenter l'accumulation du capital comme renoncement par les travailleurs à consommer les produits de leur travail. Les mécanismes de l'accumulation ne sont pas Individuels, mais sociaux. En effet, tout l'appareil économique et politique travaille directement et essentiellement à la formation du fonds d'accumulation (production pour la production sans cesse élargie). Au reste, comment les produits de consommation que l'on s'abstiendrait de consommer pourraient-ils convenir au procès de production ?
« A l'instar du créancier de l'État, chaque capitaliste possède, dans sa valeur nouvellement acquise, une assignation sur le travail futur : en s'appropriant le travail présent, il s'approprie en même temps le travail futur. (Cet aspect du capital mérite une attention particulière. En effet, sa valeur peut subsister indépendamment de sa substance. C'est tout le fondement du système du crédit.) Son accumulation monétaire porte donc sur des titres de propriété du travail - ce n'est nullement l'accumulation matérielle des conditions objectives du travail. » (N.R.)


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