1913

"La Vie Ouvrière", 5 février 1913.

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L’Union Catholique des Cheminots

P. Monatte


Une nouvelle croisade se prépare. Les catholiques français s’apprêtent à partir. Il ne s’agit pas de s’en aller en Palestine reconquérir te tombeau du christ sur les infidèles. C’est la classe ouvrière d’ici qu’il faut délivrer de l’impiété et de l’esprit socialiste.

Ne riez pas. Ne haussez pas les épaules. Rien n’est plus sérieux.

Ces jours derniers, le père Rutten, le fondateur des syndicats catholiques belges, donnait à Paris, dans une série de conférences, « les enseignements les plus opportuns ». Le 13 janvier, à Fougères, c’était l’abbé Desgranges qui tentait la constitution d’un syndicat catholique de la chaussure. Quelques jours auparavant, pareille tentative était risquée à Limoges.

Tentatives qui ont été défaites. A Fougères, la classe ouvrière ne toléra pas que parle un porte parole du cercle St-Joseph qui trahit les grévistes en 1907.

Les premiers engagements sont des victoires pour le syndicalisme. Mais nous ne sommes qu’au début des hostilités. Nous allons avoir d’autres chocs à soutenir.

Certes, tous les dix ans, il s’est trouvé un abbé Garnier pour promener sa soutane dans les milieux ouvriers. Et cela sans le moindre succès.

Alors qu’un mouvement ouvrier chrétien pouvait prendre force en Allemagne et en Belgique, jamais en France il n’a pu enfoncer de racines. Et nous pouvions croire que la classe ouvrière française, foncièrement anti-cléricale, était vaccinée à jamais contre toute influence catholique.

N’en est-il plus de même aujourd’hui ? Pas tout à fait. L’église, depuis dix ans a travaillé silencieusement ; aujourd’hui elle croit avoir construit les fondements pour une action sociale au grand jour.

Depuis dix ans, elle a multiplié les patronages d’enfants du peuple. Il n’est pas un quartier de Paris qui n’en possède un, véritable fourmilière d’enfants. Ces garçonnets attirés par l’appât de jeux divers, le curé a continué à les surveiller dans la vie, souvent les a guidés dans le choix d’un métier, dans la découverte d’un emploi, en un mot, il a gardé des rapports avec le garçonnet il y a dix ans, ouvrier maintenant. Voilà comment une partie de la dernière génération, une faible partie certainement, mais une partie, est passée sous l’influence de l’église. Voilà les éléments prêts à former les cadres ouvriers de ces syndicats catholiques impossibles jusqu’à ce jour chez nous.

Nous avons laissé ce travail souterrain se poursuivre ; nous n’avons pas vu le danger à laisser les enfants du peuple jouer à saute mouton sous la surveillance d’un prêtre. Nous n’avons pas su organiser à côté de nos syndicats et de nos coopératives des groupes de pupilles et des patronages.

Nous pourrions payer cher cette négligence.

Il est une faute que nous payerons durement, qu’il est fatal que nous payions, c’est celle d’avoir laissé se constituer dans les chemins de fer, une union catholique, forte peut-être de 50.000 membres, forte d’au moins 20.000. Nous n’avons pas su briser son développement au lendemain de la grève de 1910. Nos discordes lui ont laissé le champ libre.

Aujourd’hui le résultat d’avoir groupé tant d’ouvriers dans une corporation, grise de confiance les milieux catholiques. Ce qui a été fait dans les chemins de fer doit être possible dans les autres industries. En avant pour la nouvelle croisade.

Nous publions plus loin la liste des groupes de l’union catholique des chemins de fer, avec le nom des prêtres qui les dirigent, et les dates de leurs réunions mensuelles. L’énumération de ces 420 groupes mieux que toutes les paroles, fera saisir l’étendue du danger.

Nous avons en outre extrait du rail, le dernier et beau livre de Pierre Hamp, dont les cents dernières pages sont comme l’épopée de la grève des cheminots, deux petits tableaux remarquables où l’on voit s’agiter et vivre deux agents de l’union catholique.

Mais, il nous faut plus ; il faut que sur ces premiers témoignages viennent s’assembler les témoignages de tous ceux qui savent quelque chose.

Née la veille de la grève des cheminots de 1898, l’union catholique s’est développée au lendemain de la grève de 1910, 500 prêtres ne sont pas seuls à veiller sur elle ; derrière leurs soutanes se cachent les compagnies de chemin de fer.

C’est pour les compagnies que travaillent l’abbé Reymann et ses 500 collègues. Chaque pouce de terrain gagné par eux et par l’aumône de la charité n’est pas seulement perdu pour l’organisation syndicale et pour la revendication de la justice, il est gagné par le patronat des chemins de fer, par le patronat de toutes les corporations.

Il n’est que temps d’engager la lutte. La première tâche consiste, pour nous, à rassembler la montagne de faits qui attestent la complicité de l’union catholique avec les compagnies. Si nous sommes capables de dresser cette montagne de faits, nous aurons préparé les chances les plus sérieuses d’une victoire rapide, non seulement contre l’union catholique des chemins de fer au bénéfice de l’organisation syndicale, mais contre toutes les tentatives qui se font jour dans les milieux ouvriers.

Aussi demandons-nous à nos abonnés, aussi demandons-nous aux secrétaires des groupes du syndicat national des chemins de fer, de la Fédération de la voie ferrée, de la fédération des mécaniciens et chauffeurs de nous aider à faire aboutir l’enquête que nous ouvrons aujourd’hui sur la besogne faite par l’union catholique des chemins de fer. Ils en saisiront certainement l’importance et l’urgence.


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