1922

Publié dans le Bulletin communiste du 9 novembre 1922.

Texte écrit par Monatte (Archives Monatte), légèrement corrigé par R. Louzon.

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Déclaration suite au congrès de Paris du PCF

Pierre Monatte

Novembre 1922


Au lendemain du congrès communiste de Paris, le désarroi est grand parmi les communistes français, qu’ils soient ou non membres du parti. Pour tout le monde, le parti entre en décomposition ; les militants de toutes fractions l’ont constaté et les journaux l’ont proclamé avec une joie bruyante. Le parti se désagrège, les fractions le constituant se détachent les unes des autres, mais sans se rendre compte des raisons pour lesquelles ils s’éloignent et sans apercevoir la route qui s’ouvre devant chacun d’eux.

Dans ce brouillard d’octobre 1922, nous croyons utile à quelques-uns de faire entendre notre voix. Parmi nous, les uns sont membres du parti, d’autres ne le sont pas, mais tous nous sommes des syndicalistes révolutionnaires, c’est-à-dire que nous attribuons au syndicat le rôle essentiel dans la lutte révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat et que nous donnons au parti un rôle auxiliaire et non un rôle directeur.

En parlant nous obéissons à un double motif. 1°) Nous désirons que le foyer de décomposition n’étende pas ses ravages au mouvement syndical ; 2°) nous voulons empêcher que l’on exploite le syndicalisme révolutionnaire en faveur d’une tendance du parti au moment précis où elle tourne le dos à la Révolution.

La rupture qui vient de se produire entre le centre et la gauche du parti communiste [1] est-elle le fait de questions de personnes. En ce cas elle serait accidentelle et fortuite. Ou bien trahit-elle un état permanent de déséquilibre et devait-elle arriver presque forcément ? Dans le premier cas elle est guérissable ; dans le second, elle ne peut que devenir plus profonde et la rupture d’aujourd’hui annoncerait la scission de demain.

Le congrès de Marseille de l’an dernier, plus tard le Conseil national, puis le congrès de Paris sont là pour démontrer que depuis longtemps une crise grave travaille sinon les couches profondes du parti, au moins la croûte des membres influents qu’ils soient des militants ardents et sincères ou des élus, des aspirants élus et leur clientèle. Nous laisserons à la gauche politique le soin de raconter les diverses phases des discussions et des tractations poursuivies avec le centre à la Commission mixte. Nous n’en connaissons que ce qui a été écrit ou dit publiquement mais cela suffit largement pour nous permettre de penser qu’en cette circonstance le Centre n’a fait semblant de conclure une alliance que pour pouvoir mieux la déchirer. En toutes langues cela s’appelle une trahison [2].

La signification exacte peut difficilement apparaître à ceux qui n’ont pas assisté à ce congrès et qui n’ont pas constaté par eux-mêmes la frappante insuffisance du sentiment internationaliste chez la plupart de ces délégués à un congrès communiste, à ceux qui n’ont pas senti quelle hostilité sourde les animait contre Moscou et contre l’idée révolutionnaire.

Ce congrès marque le triomphe des adversaires de la Révolution [3]. Il n’est pas de déclarations hypocrites capables de donner le change.

Pour nous qui mettons la Révolution russe [4] au-dessus de tous les différends de tactique et de doctrine, nous estimons que c’est notre devoir de mettre en garde les ouvriers et les vrais révolutionnaires qui sont dans le Parti, et de leur demander si c’est en faveur de la rupture avec Moscou qu’ils avaient mandaté leurs délégués à ce congrès ?

Tous les courants qui vont vers un même but sont des alliés, qu’ils le veuillent ou non et si l’un d’eux vient à se briser, ses voisins et ses alliés n’en sont pas renforcés mais affaiblis. C’est pourquoi le syndicalisme révolutionnaire risque d’être affaibli et non d’être renforcé par la crise du parti, comme il a été affaibli quand les anarchistes ont ouvert leur campagne violente contre la dictature du prolétariat et contre les hommes et les méthodes de la Révolution russe.

Aujourd’hui en la personne du centre, qui n’est pour une large part qu’une fraction fardée et masquée de la droite, c’est le vieux parti qui renaît, qui continue, le parti de l’impuissance parlementaire et de la faillite démocratique. Ses préoccupations électorales, l’importance qu’il accorde aux problèmes nationaux qu’il regarde d’ailleurs par le petit bout de la lorgnette, tout en témoigne.

Avec la Gauche politique et avec Moscou nous ne sommes point d’accord sur le rôle du syndicalisme, mais de ce côté les positions sont franches, tandis qu’elles ne le sont pas de l’autre côté. Il ne suffit pas de proclamer la reconnaissance de l’autonomie syndicale, pour pratiquer celle-ci. Des exemples trop nombreux ont montré que l’autonomie syndicale organique ne servait souvent de prétexte que pour soumettre en fait les syndicats à l’influence de l’Etat ou de groupements de politiciens, comme le cas de la rue Lafayette. Il importe que la C.G.T.U. ne tombe point non plus sous l’influence d’une politique extérieure faite sous le couvert de l’autonomie syndicale et qu’elle ne laisse point exploiter des préventions légitimes.

Pour conclure, nous demandons aux militants syndicalistes d’autant plus faciles à abuser qu’ils ne suivent pas de près la vie du parti de regarder avec attention et de voir quels sont ceux qui se trouvent dans la bonne direction.

Nous demandons aux ouvriers et aux révolutionnaires qui sont dans le Parti si c’est bien leur pensée qui a été exprimée par leurs délégués au congrès, ou bien si une fois de plus, les hommes qui encadrent le parti, les anciens et les futurs candidats à quelque fonction électorale, l’ont entraîné sans qu’il s’en doute ou même en faisant violence à ses sentiments profonds, hors du chemin qui mène à la révolution.

Dans cette hypothèse, la plus vraisemblable d’ailleurs, ils diront avec nous que ce n’est pas l’Exécutif de Moscou qui peut créer le véritable parti communiste, mais les ouvriers communistes d’ici restés trop longtemps silencieux dans les rangs du parti.

Pierre Monatte, Robert Louzon, Maurice Chambelland, Ferdinand Charbit, L. Clavel, Y. Orlianges.


Notes

[1] Alors que l’I.C. avait arbitré le 15 octobre en faveur d’une direction à parité par le centre et la gauche du PCF, Cachin déclara le 20, après les votes au congrès (centre 1698 mandats, gauche 1516 et 814 abstentions) : «  au nom du centre, nous prenons seuls la direction du parti ».

[2] Monatte avait ajouté ici : «  Et l’on peut dire qu’un haut-le-cœur général a ponctué le discours de Ker », phrase biffée par R. Louzon.

[3] Louzon a fait changer « de Moscou » pour « de la Révolution ».

[4] Louzon a ici retiré «  et de l’Internationale Communiste ».


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