1925

Source : La Révolution prolétarienne n°2 (février 1925).

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Oui, Monmousseau, chacun à sa place !

Pierre Monatte

Février 1925


Il est excellent que chacun apparaisse publiquement à la place qu’il occupe réellement, surtout quand il l’a choisie lui-même. A ce point de vue, la déclaration publiée le 30 janvier par le Comité de rédaction actuel de la Vie Ouvrière est une bonne chose. La situation est enfin nette.

Il y aura bientôt un an qu’une nouvelle crise – au bout de laquelle il y avait notre exclusion, à Rosmer, Delagarde et moi – s’ouvrait dans le Parti communiste français. Les membres du Comité Directeur étaient appelés à se prononcer sur les fameuses thèses présentées par Treint et contresignées par treize membres du C.D.

Une signature aurait pu être ajoutée, celle de Monmousseau. Il avait, en effet, collaboré activement à la rédaction de ces thèses révisant le front unique, dénonçant les tendances petites bourgeoises de certaines sections de l’Internationale, annonçant le passage d’une vague de menchevisme.

Si la signature de Monmousseau manquait au bas de ces thèses, tout au long de l’année, dans l’ombre, le secrétaire de la C.G.T.U. a épaulé Treint et sa politique putschiste.

Ceux qui savaient ces choses ne sont pas étonnés de voir aujourd’hui, où chancelle cette politique, son mystérieux associé sortir de l’ombre et voler à son secours.

Oui, chacun à sa place, Monmousseau. Pendant un an, vous avez été le complice de Treint. Soyez donc, enfin, à ses côtés, au grand jour.

Pour secourir Treint, vous n’avez rien trouvé de mieux que de me sauter sur le poil. C’est peut-être de bonne stratégie. Je ne vous demande pas si c’est très honnête, ni si le mouvement syndical en tirera grand bénéfice. En tout cas, ce n’est pas nous, c’est vous qui aurez mêlé la C.G.T.U. aux querelles du Parti. Vous en garderez la responsabilité.

Vous me reprochez – vous et vos dix cosignataires – de poser au sauveur du communisme aujourd’hui, au sauveur du syndicalisme hier. Je ne vous comprends pas. Si d’aucuns exècrent la pose, j’ai quelques droits à être rangé parmi eux. Et, mieux que personne, je sais que je n’ai rien sauvé, ni le communisme ni le syndicalisme. Des fautes, j’en ai sûrement commis un certain nombre. Je pourrais vous en énumérer les principales et avouer que dans ma vie de militant, je me suis trompé quelquefois sur les hommes, notamment sur vous-même en dernier lieu. Mais les crimes que vous me reprochez, je n’arrive pas à les regarder comme tels. Même si je me trompe dans leur appréciation, il est certain que je ne porte pas comme vous la responsabilité de fautes aussi graves que la grève des cheminots de mai 1920.

Vous m’imputez à crime :

  1. mon attitude, au temps de la lutte minoritaire au sein de la C.G.T., en deux circonstances, au Congrès de Lille quand je voulus sortir au beau milieu du discours provocateur de Fimmen, puis lors de la décision du Comité Central des C.S.R., de convoquer le Congrès de décembre 1921 ;
  2. de n’avoir pas adhéré à la C.G.T.U. et de n’avoir rien fait pour sa défense contre les anarchistes ;
  3. d’avoir donné des armes à Frossard, lors du Congrès de Paris, par notre déclaration de la « gauche ouvrière ».

Tant que vous vous êtes contenté de ragoter ces histoires sous le manteau, j’ai dédaigné de vous répondre. Je vous remercie de les avoir écrites, cela me donne l’occasion de m’expliquer.

Voyons les faits de la période de la lutte minoritaire. Je remarquai en passant qu’un certain nombre de minoritaires de la onzième heure se rattrapent maintenant en fait d’ardeur !

Quant à mon geste, lors du discours de Fimmen, je ne le regrette point. Je continue à penser que, dans cette occasion comme dans mon refus d’accepter, à la Commission d’enquête sur les incidents violents du lundi, la compagnie de Rivelli, j’avais cent fois raison, et qu’il est fâcheux que la minorité ne l’ait pas saisi. Le Congrès de Lille, les minoritaires y compris, est demeuré comme écrasé sous l’impression des coups de matraque ; moins passive, la minorité aurait fait sentir aux éléments indécis du Congrès le danger de la situation créée par les dirigeants confédéraux. Ne pas subir le contact de Rivelli à la Commission d’enquête, sortir pendant le discours provocateur de Fimmen, et rentrer quand il aurait été fini, ce n’étaient pas des gestes de scission mais des moyens de la conjurer en ranimant le Congrès. C’est, inspiré du même esprit, que je proposai à la Conférence minoritaire du soir l’envoi d’une délégation formée de représentants des plus importantes Fédérations et Unions de la minorité.

Mon deuxième crime n’est guère plus sérieux. En effet, je me ralliai au Comité Central des C.S.R. à la proposition de convocation d’un congrès de protestation contre les exclusions prononcées au lendemain de Lille. La Conférence minoritaire de Lille, envisageant un tel cas, avait, en effet, décidé cette convocation ; cette décision ne pouvait rester inappliquée. Je me ralliai donc à cette convocation, dans le désir de maintenir à tout prix la cohésion de la minorité. Sur quel point porte le différend ? Uniquement sur le fait de savoir qui devait convoquer ce congrès de protestation. La Conférence minoritaire de Lille en avait chargé le Comité Central des C.S.R., à un moment où elle ne pouvait savoir que des désaccords se produiraient entre certains militants à la tête de grosses Unions et Fédérations, par le Comité Central mené par Verdier et Besnard, et où je me trouvai, après une absence, presque seul de mon point de vue.

Convoqué par les C.S.R. ou par d’autres organisations, le Congrès unitaire de décembre 1921 – devenu Congrès de scission – n’aurait pas abouti à de plus fâcheux résultats. Pour ma part, j’étais tellement regardé comme un artisan de scission que Dudilieux m’apprit en ces termes qu’un mandat était arrivé à mon nom : « Voilà un mandat qui te « bottera » - celui des mineurs de fer de Chaligny, en Meurthe-et-Moselle ; - il se prononce contre les scissionnistes de droite et de gauche. » C’est ce mandat, qui me « bottait » en effet, que je défendis au Congrès.

Désigné par le Congrès comme membre de la C.A. provisoire de la C.G.T.U., j’aurais pris ma serviette à la deuxième séance et l’on ne m’aurait plus revu. Monmousseau ne fait là que reprendre un reproche que m’adressèrent alors les anarchistes.

C’est après la première séance que je décidai de ne plus remettre les pieds à la C.A. J’en ai donné jadis les raisons dans un article de Clarté (juillet 1922), que l’on s’est bien gardé de contester à l’époque :

«  Je suis allé à la première réunion ; on y a discuté, entre autres choses, du prix de la carte de la C.G.T.U. J’ai défendu le maintien du prix de 1 franc en me plaçant devant les deux hypothèses ; soit que l’unité se recolle, auquel cas il faudrait être en mesure de reverser le montant des cartes placées par nous, soit que la cassure devienne définitive, et dans ce cas il faudrait faire face à un gros et coûteux effort de propagande et le produit de 200 ou 300.000 francs serait le bienvenu. Non sans peine, à une ou deux voix de majorité, j’emportai un vote en ce sens. Le prix de la carte était fixé à 1 franc. Quelques jours après, je lisais dans la presse que ce prix était officiellement fixé à 0 fr. 50. Comment la décision régulière avait-elle été annulée ? Par qui ? Pourquoi ? Je n’en sais encore rien, ma foi. »

Je peux dire aujourd’hui ce que j’ai tu alors, c’est que cette décision prise à la première séance de la C.A. provisoire avait été annulée le lendemain sur l’intervention de Monmousseau.

Cette violation d’une décision régulière signifiait que les derniers espoirs de recoller les morceaux et de conjurer la scission étaient détruits.

Je ne suis pas allé à la C.G.T.U., je suis resté à mon syndicat, parce que j’estimais alors comme aujourd’hui que les ravages de la scission seraient limités dans la mesure où les syndicats, à la base, sauvegarderaient leur unité. Que la Confédération, les Fédérations, les Unions départementales se brisent, c’est un fait navrant, mais beaucoup moins dangereux que la cassure dans le syndicat même, face immédiatement au patron.

- Tu as une position particulière, qui n’a pas dépendu de ton syndicat, tu peux le quitter pour rallier la C.G.T.U., m’ont dit alors bien des camarades.

Précisément, parce que j’étais plus connu, j’ai refusé de donner l’exemple d’un syndicaliste, quittant son syndicat pour des raisons de doctrine ou de tactique.

Je sais, quand il le faut, ne pas prendre ma serviette. Cela m’a valu pas mal d’injures venues de toutes parts. Je les ai encaissées d’un cœur léger, certain que l’avenir me donnerait raison. Il m’a donné raison.

«  Sans Monatte, mais non sans peine, dit le Comité de rédaction actuel de la Vie Ouvrière, nous avons engagé la lutte contre les gens du Pacte [1]. » Sans Monatte, est-ce bien sûr ? Je me souviens d’un article de l’Ecole émancipée d’avril 1922 à propos de trois motions de la Commission provisoire de la C.G.T.U., article reproduit par l’Humanité et qui fit une certaine besogne. Par la suite, une série d’articles dans l’Humanité [2] sur le Pacte et sur les projets de destruction de l’organisme confédéral, ne furent pas non plus sans utilité. Libre à Monmousseau et à ses amis d’avoir la mémoire courte, mais beaucoup de militants sérieux l’ont un peu plus longue.

Arrivons maintenant au Congrès de Paris de la fin 1922, où Frossard tenta la rupture avec l’Internationale communiste. Toute la tactique de Frossard consista à lier la C.G.T.U. à sa résistance, à l’entraîner dans une voie parallèle, la C.G.T.U. n’allant pas à l’I.S.R. [3] et le parti français sortant de l’I.C. Par l’entremise de Ker, Frossard s’est servi alors de Monmousseau comme Treint s’en sert aujourd’hui.

La manœuvre de Frossard nous apparaissait clairement. Nous résolûmes de la dénoncer. A quelques-uns, membres ou non du Parti, nous frappâmes sur la charnière de la manœuvre. Ce fut la déclaration de la gauche ouvrière. La charnière sauta ; les syndicalistes se dégagèrent, voyant enfin où on les conduisait.

Nous persistons à penser que nous avons contribué pour une bonne part à faire voir aux dirigeants de la C.G.T.U. plus loin que le bout de leur nez.

Déjà, sans me consulter, Chambelland avait dénoncé la traîtrise de Frossard dans un article de la Vie Ouvrière. Cela lui valut d’être chassé du secrétariat de rédaction par Monmousseau, Semard et leurs amis.

Si la manœuvre de Frossard avait réussi, et elle aurait réussi sans la démission des rédacteurs de l’Humanité et la déclaration de la gauche ouvrière, on pourrait chercher aujourd’hui où seraient les bolcheviks à la Cachin et à la Sellier. C’est l’échec de la manœuvre qui rallia le gros du Centre et non pas les petites habiletés dont on fait état maintenant.

Dans cette déclaration de la gauche ouvrière, nous disions ce que nous pensions. Nous n’avions pas plus besoin alors qu’aujourd’hui d’être orthodoxes pour défendre la révolution russe et l’Internationale. Et il est assez plaisant de voir les membres du groupe actuel de la Vie Ouvrière s’alarmer du syndicalisme que nous affirmions. Ce que nous déclarions tout haut, mais n’était-ce pas ce qu’ils étaient censés penser ? Malheureusement, ils ne savaient déjà plus ce qu’ils pensaient exactement.

Ils le savent aujourd’hui ; du moins ils croient le savoir. Leur déclaration du 30 janvier que signifie-t-elle ? Elle signifie que la tendance syndicaliste communiste du groupe de la Vie Ouvrière est définitivement morte. Ils ont abjuré l’indépendance du mouvement syndical. Ils sont communistes tout court. C’est leur droit. C’est aussi le nôtre de le constater. Treint, qui n’a jamais rien compris au syndicalisme, a trouvé le moyen d’apprendre ce que c’est au secrétaire de la C.G.T.U.

J’ai aussi le droit de constater que Monmousseau a failli aux engagements qu’il contracta, lorsque je lui remis le sort de la Vie Ouvrière. Deux conditions furent posées :

  1. que la Vie Ouvrière resterait une œuvre et une propriété collectives ;
  2. que la Vie Ouvrière, fidèle à son passé, défendrait l’indépendance du syndicalisme aussi bien à l’égard des partis politiques qu’à l’égard des anarchistes.

Cette deuxième condition, respectée pendant un certain temps, Monmousseau et le Comité actuel n’ont pas attendu le 30 janvier dernier pour la piétiner ; mais leur dernière déclaration est le faire-part officiel du décès de ce qui fut la tendance syndicaliste communiste de la Vie Ouvrière.


Notes

[1] Les anarchistes avaient signé en février 1921 un « pacte » secret (art. 1 : «  Ne révéler à personne l’existence de notre comité ») qui leur permit de jouer un rôle dirigeant dans les C.S.R. et la première direction provisoire de la CGTU, mais ils furent mis en minorité par le 1°congrès de St-Etienne en juin 1922.

[2] Monatte était alors responsable de la Vie sociale à l’Humanité

[3] Internationale Syndicale Rouge.


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