1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


III. Démocratie bourgeoise ou démocratie ouvrière ?


2. La Chine de Chang-Kai-Chek et celle de Mao, a égalité pour la démocratie prolétarienne ?

Ces deux conceptions irréconciliables des libertés démocratiques ont amené, en toute logique, deux interprétations radicalement opposées des grandes révolutions ouvrières. C'est le cas des révolutions chinoise et vietnamienne. Pour le SU, "il est vrai que dans certains pays semi-coloniaux, la faiblesse des anciennes classes dominantes aboutit à des rapports de forces sociaux tellement favorables que le renversement du capitalisme peut être accompli sans l'épanouissement de la démocratie prolétarienne (la Chine et le Vietnam sont les deux principaux exemples à ce propos)" (SU, 1977) [1]. Comme nous le voyons, le critère utilisé est celui des libertés démocratiques-bourgeoises. Il en résulte ainsi que le régime de Mao est égal ou pire que celui de Chang-Kai-Chek pour la "démocratie prolétarienne". Quelle différence existe-t-il entre cette conception et celle des démocrates libéraux et des social-démocrates ?

Pour ces derniers, ce qui fait que les deux régimes se ressemblent, est le fait qu'aucun des deux n'accorda de libertés démocratiques. Pour la majorité du SU "le renversement du capitalisme peut être accompli sans l'épanouissement de la démocratie prolétarienne".

Bien que les premiers parlent de démocratie en général, et le SU de démocratie prolétarienne, ils disent tous deux - à quelques mots près  - la même chose. Le critère du SU est à ce point formel et bourgeois qu'il considère, comme il n'y eut pas et n'y a toujours pas de liberté de la presse et d'organisation pour les partis bourgeois et ouvriers, ni de démocratie syndicale pour les travailleurs chinois en tant qu'individus, que la Chine ouvrière est égale à l'autre pour ce qui est de la "démocratie prolétarienne". Le SU s'arrête à ce moment de son raisonnement, mais s'il le poursuivait il devrait dire que "puisqu'au Venezuela, en Colombie et au Costa Rica, il y a bien plus de libertés démocratiques individuelles que sous la régime de Chang ou de Mao, il y a donc bien plus de démocratie ouvrière dans ces pays capitalistes". C'est ce qu'ils disent dans une autre partie du document quand, parlant du contrôle du parti unique, ils signalent que "cela signifie en fait limiter et non pas étendre (souligné dans l'original) les droits démocratiques du prolétariat comparés à ceux dont il jouit sous la démocratie bourgeoise". (SU, 1977) [2].

Au contraire, Trotsky pensait que "pour les ouvriers, la réduction de la journée de travail est la pierre de touche de la démocratie, parce que c'est seulement cela qui leur donne la possibilité d'une participation réelle à la vie sociale du pays". (Trotsky, 1930) [3].

Le point de vue de Trotsky était celui des besoins du prolétariat et de l'avancée de sa prise de conscience; le point de vue du SU est celui des libertés académiques individuelles des universités occidentales, là où ils espèrent être écoutés et applaudis. Sur ce point, ils cèdent devant les pires préjugés libertaires européens, et n'écoutent même plus les travailleurs européens, qui ont un instinct de classe plus sûr par rapport à la Chine et au Vietnam.

En Chine, le prolétariat est organisé en syndicats et les paysans en communes, qui sont légaux et regroupent des dizaines de millions de travailleurs. Ce seul fait marque l'énorme différence avec le régime de Chang-kai-shek, sous lequel les syndicats et les communes étaient pratiquement inexistants ou férocement persécutés. C'est la même chose avec le papier, les rotatives, la radio, les salles de réunion. Ils étaient auparavant aux mains de la bourgeoisie et de l'impérialisme ; aujourd'hui, bien que contrôlés par la bureaucratie, ils appartiennent à la classe ouvrière et à la paysannerie. C'est pourquoi, la révolution ouvrière chinoise, bien que dirigée par la bureaucratie, a signifié une colossale expansion de la "démocratie prolétaire" en relation, non seulement au régime de Chang, mais aussi aux démocraties bourgeoises les plus avancées, qui reposent sur l'exploitation totalitaire et barbare des nations opprimées et des peuples coloniaux.

Mais la plus haute expression de la démocratie ouvrière et paysanne est que, alors que la Chine de Chang connaissait une faim endémique, dans celle de Mao on est parvenu au miracle de faire en sorte que tous les travailleurs aient leur repas assuré. Nous comprenons qu'un professeur ou un étudiant occidental, qui s'est délecté à la lecture de Rabelais, ne comprenne pas ce que cela a à voir avec la démocratie.

La conquête de ces libertés ne vous fait pas ignorer que les masses chinoises et vietnamiennes ont besoin d'autres libertés, également essentielles, comme la démocratie interne dans les communes paysannes, les syndicats et les comités d'usine, et la légalisation des partis révolutionnaires.

Le prolétariat chinois a également besoin de conquérir les libertés formelles, comme la liberté de la presse, d'opinion et de réunion. La lutte pour leur obtention est fondamentale pour continuer à étendre la démocratie ouvrière et paysanne, dans la mesure où elle risque de reculer, de perdre de ses conquêtes, avec en conséquence le danger de restauration bourgeoise impérialiste. Nous savons que pour continuer à avancer et obtenir ces nouvelles libertés il faut une nouvelle révolution, une révolution politique contre les maîtres bureaucratiques. Mais aucune de ces vérités ne doit nous amener à ignorer que les grandes révolutions de Chine et d'Indochine ont provoqué une extension de la démocratie prolétarienne et paysanne jamais vues sous les régimes bourgeois antérieurs, aussi bien le régime chinois que les régimes impérialistes.


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