1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


V. Le fétichisme soviétique.


1. Les soviets : un "principe" organisationnel ?

L'insistante surestimation, par le SU, des formes organisationnelles soviétiques, laissant pratiquement de côté le rôle fondamental du parti révolutionnaire et de la mobilisation des masses, est un phénomène qui a été prévu par le marxisme. La Révolution Russe comme la révolution allemande amenèrent nos maîtres à réfléchir longuement sur cette déviation, qu'ils appelèrent "fétichisme organisationnel" (parlant spécifiquement du fétichisme soviétique), et dont ils nous avertirent des dangers.

Dans les Leçons d'octobre, Trotsky écrit : "Mais les jeunes partis européens qui ont plus ou moins accepté les soviets comme "doctrine", comme "principe", sont toujours exposés au danger d'une conception fétichiste des soviets considérés en tant que facteurs autonomes de la révolution. En effet, malgré l'immense avantage que présentent les soviets comme organisme de lutte pour le pouvoir, il est parfaitement possible que l'insurrection se développe sur la base d'autres formes d'organisation (comités d'usine, syndicats) et que les soviets ne surgissent comme organe du pouvoir qu'au moment de l'insurrection ou même après sa victoire.

Très instructive à ce point de vue, est la lutte que Lénine engagea après les journées de juillet contre le fétichisme soviétique. Les soviets socialistes-révolutionnaires et menchéviks étant devenus en juillet des organisations poussant ouvertement les soldats à l'offensive et persécutant les bolchéviks, le mouvement révolutionnaire des masses ouvrières pouvait et devait chercher d'autres voies. Lénine indiquait les comités d'usine comme organisation de la lutte pour le pouvoir." (1924) [1].

Mandel dit qu'il est possible que les partis opportunistes s'intègrent aux soviets, et en ce sens, ses critiques envers l'ultra-gauche, qui affirme le contraire, sont correctes. Nous pensons également que justement parce qu'ils sont opportunistes, il est possible qu'ils tentent de s'intégrer à ces organisations, dès qu'ils auront vérifié qu'elles auront acquis un caractère de masse. Mais Mandel s'arrête à mi-chemin. Que feront les opportunistes dans le soviet ? Ils y iront évidemment pour tenter de les transformer, afin de les rendre opportunistes et contre-révolutionnaires. Il n'y a pas d'autre possibilité. Et Mandel ne peut continuer, parce que pour empêcher cela, il devrait transformer ses soviets en soviets révolutionnaires, qui cesseraient alors de rassembler toute la population.

C'est pourquoi nous répétons, avec Trotsky, qu'il "est nécessaire" d'éviter de tomber dans le "fétichisme d'organisation", que nous ne devons pas transformer les soviets en un "principe", et que "la pure reconnaissance du système soviétique ne résout rien", parce que "la forme soviétique d'organisation ne possède pas de pouvoirs miraculeux".

Nous sommes pour les soviets, mais pour les transformer en soviets révolutionnaires. C'est ce que Lénine et Trotsky voulurent dire quand ils affirmèrent la nécessité de prendre une attitude indépendante vis à vis des soviets dirigés par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, pour prendre le pouvoir et les attaquer sans merci, parce qu'ils avaient commencé à se comporter comme une courroie de transmission de la politique contre-révolutionnaire de Kérensky.

Nous luttons pour que les organisations de masse (quelles qu'elles soient) soient révolutionnaires. Nous ne tombons ni dans la politique ultragauchiste - les ignorer si nous ne sommes pas d'accord avec elles -, ni dans la politique opportuniste - les suivre quoi qu'il arrive. Nous ne faisons un fétiche d'aucune d'elles, et nous nous rappelons que les soviets, de même que les syndicats, peuvent être dirigés aujourd'hui par les opportunistes, et demain par les contre-révolutionnaires. Les prédictions de Trotsky pour l'Autriche, dans le futur, peuvent être valables pour un autre pays : "... il existe la possibilité, non seulement que le mot d'ordre des soviets puisse ne pas coïncider avec la dictature du prolétariat, mais y compris qu'ils s'opposent, c'est-à-dire que les soviets en viennent à se transformer en un bastion contre la dictature du prolétariat." (Trotsky, 1929) [2]. Par ces paroles, Trotsky lance aussi un avertissement pour après la prise du pouvoir.


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