1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


VI. Le rôle du Parti Révolutionnaire et de la IV° Internationale.


6. Ie rôle de la IV° Internationale.

La résolution n'analyse pas et ne définit pas le rôle fondamental que doit jouer la IV° Internationale dans l'établissement de la dictature révolutionnaire du prolétariat et le développement des soviets. Elle ne tient pas compte non plus du rapport des partis opportunistes à ces mêmes phénomènes.

Il ne s'agit pas d'exclure, de manière sectaire, toute possibilité que les partis opportunistes, à certains moments, admettent les soviets et se plient à leurs décisions pour tenter de les dévier de leur dynamique s'opposant au pouvoir étatique bourgeois. Mais le fait frappant que démontrent les soixante dernières années de l'histoire contemporaine, est qu'en général les partis opportunistes se refusent à développer des formes soviétiques, ou toutes autres formes larges d'organisation du mouvement de masse. Parce qu'ils ont tiré la leçon des formes organisationnelles soviétiques russes et allemandes de la première après-guerre, qui par leur caractère-même facilitent le processus révolutionnaire.

Ceci a des implications d'une très grande importance pour la IV° Internationale. Notre parti mondial est le seul à avoir pour objectif programmatique fondamental le développement de ces organisations pour impulser la révolution socialiste. C'est à dire qu'il n'y a dans aucun pays du monde de possibilité que ces formes soviétiques se développent jusqu'à la destruction de l'appareil étatique bourgeois, si ne se développe pas parallèlement, et dans un processus de fécondation mutuelle, un parti trotskiste révolutionnaire de masse. "Tant que les conseils ne peuvent surgir qu'à la condition qu'il existe parmi les larges masses un ferment révolutionnaire, l'Internationale est toujours nécessaire." (Trotsky, 1935) [12].

C'est à dire qu'entre les soviets en tant que soviets révolutionnaires et le parti trotskyste, il doit s'établir un lien, un rapport dialectique très étroit. Seul le développement de forts partis trotskystes de masse peut garantir l'apparition et le développement à une échelle de masse, de soviets qui se poseront le problème de la révolution ouvrière.

Mais ce rôle fondamental de la IV° Internationale a deux autres aspects, autant sinon plus importants. Le premier est la lutte contre les courants ultra-gauchistes qui font des soviets un fétiche. Le deuxième, décisif, est la lutte implacable contre les partis opportunistes afin de développer les soviets, et d'en gagner la direction, comme de toute autre organisation de masse. Cela signifie que la IV° Internationale, sans laisser tomber la lutte pour les soviets, comprend que le processus historique, en ayant consolidé les grands partis opportunistes, rend plus difficile la concrétisation des perspectives futures d'apparition de grandes organisations soviétiques "typiques". Même si cela se produit, il est très difficile que cela acquière une dynamique rapide vers la révolution ouvrière. Le plus probable est que, sous l'influence des partis opportunistes, ces perspectives stagnent puis disparaissent, comme le signale correctement le SU.

La conséquence en est que la IV ° Internationale doit lutter contre les courants ultra-gauchistes, découvrant dans la réalité de la lutte de classes les organisations bien plus embryonnaires, primaires et traditionnelles que les soviets, que se donne le mouvement ouvrier; ces organisations, en fonction de ces circonstances, peuvent jouer un rôle d'organisations mobilisatrices révolutionnaires du prolétariat et des travailleurs dans la lutte pour le pouvoir. En ce sens, nous considérons que les organisations syndicales, les comités d'usine et les piquets ou comités d'auto-défense des travailleurs, surtout les organisations de front unique, peuvent jouer un rôle très important dans l'affrontement à la contre-révolution impérialiste, avant la prise du pouvoir. Nous voulons dire par là que la IV° Internationale doit s'efforcer de découvrir et reconnaître ce type d'organisations, comme les milices années de la Centrale Ouvrière Bolivienne en 1952, l'Assemblée Populaire en 1971, ou les syndicats péronistes en 1956-57, ou comme auraient pu l'être les Commissions Ouvrières en Espagne. Il serait criminel qu'à cause du fétichisme soviétique du SU, la IV° Internationale, au lieu d'impulser ces organisations que nous livre la réalité de la lutte de classes, en fonction de la tradition de chaque pays et de l'influence funeste des partis opportunistes de masse, essaie de remplacer ces organisations par des soviets irréels. Il est tout à fait possible que dans de nombreux pays des organisations soviétiques ne se développent qu'après la prise du pouvoir par le parti révolutionnaire ; et comme nous l'avons démontré, même ces organisations soviétiques sont soumises au flux et reflux du processus révolutionnaire après la prise du pouvoir.

Nous faisons toutes ces considérations pour aboutir à la conclusion la plus importante de nos thèses : la forme organisationnelle par laquelle s'exprime la dictature du prolétariat a une importance énorme, mais n'est pas décisive. Ce qui est décisif c'est que dans aucun pays au monde il n'y aura de dictature révolutionnaire du prolétariat, si elle n'est pas dirigée par un parti trotskyste ou trotskysant. C'est à dire que la dictature révolutionnaire du prolétariat dans les prochaines décades sera synonyme, non pas d'organisations soviétiques, mais de dictatures révolutionnaires de partis trotskystes ou trotskysants.


[*] Mandel met à découvert l'idée que le SU essaie de déguiser quand il dit être en faveur de la liberté pour tous les partis. Conséquent jusqu'au bout, comme c'est son habitude, il ne se complique pas l'existence en essayant de voir si les individus qui bénéficient de "libertés politiques illimitées" pour former n'importe quel type de partis, qui devront être automatiquement légalisés, bénéficient de ces droits en tant qu'individus ou en tant que délégués élus dans les soviets. Il dit que "cohérents avec eux mêmes les trotskystes ont réclamé, depuis le Congrés de Fondation de la Quatrième Internationale, la pluralité des partis politiques en URSS" (Comme réponse à Shirley Williams, ministre de l'éducation du cabinet de Callaghan, publié dans Inprecor, 16.2.77, p. 12) ; ce qui, comme nous le montrerons plus loin, est absolument faux.

Notes

[1] "Démocratie socialiste et dictature du prolétariat", p.6.

[2] Idem p. 6.

[3] Idem p. 5.

[4] Idem p. 11.

[5] La révolution trahie, p. 177-178.

[6] "Démocratie socialiste et dictature du prolétariat", p. 10.

[7] L'Internationale Communiste après Lénine, p. 180.

[8] "Démocratie socialiste et dictature du prolétariat", p. 5.

[9] Discours prononcé au 1er congrès des travailleurs de l'enseignement et de la culture socialiste de Russie", Oeuvres Complètes, tome 29, p. 540.

[10] Le Programme de Transition, p. 53.

[11] Idem, p. 53.

[12] "The ILP ant the Fourth International", Writings, (1935-1936), p. 147.


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