1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


VIII. Qu'est-ce que la dictature du prolétariat ?


3. La seule définition correcte : superstructure étatique d'une économie de transition ou des Etats ouvriers.

L'échec de la révolution européenne, l'isolement de la Révolution russe, la nécessité de reconstruire l'économie détruite par la guerre impérialiste et civile ont modifié d'une manière substantielle le caractère de la première dictature prolétarienne, de l'Etat ouvrier russe. Contre l'opinion de Lénine et de Trotsky, qui voyaient les soviets avancer et conquérir les pays européens, ou alors la contre-révolution impérialiste remporter la victoire en Russie et vaincre le premier Etat ouvrier triomphant, ni ceci ni cela ne s'est produit. La révolution européenne n'a pas triomphé, mais l'Etat ouvrier isolé a subsisté et a commencé à introniser un Etat bourgeois sans bourgeoisie, une bureaucratie gouvernementale technocratique qui a imposé un appareil étatique très semblable à celui des exploiteurs, bien que reposant sur les nouvelles bases économiques établies par la Révolution russe.

La soi-disant harmonie révolutionnaire entre la superstructure et la structure, entre la révolution politique des soviets démocratiques et révolutionnaires et la révolution sociale dans les rapports de production, s'est réduite en miettes et s'est transformée en une contradiction aiguë et permanente au sein du premier Etat ouvrier. La révolution politique des soviets n'eut pas de continuité : ils n'ont pas détruit les appareils étatiques bourgeois en Allemagne et en Europe, en s'imposant à eux et en commençant la liquidation de l'Etat ; de même, la révolution sociale dans les rapports de production n'a pu permettre d'accéder à la réorganisation socialiste de l'économie. En lieu et place des soviets démocratiques et révolutionnaires qui auraient dirigé l'Etat, il apparut une bureaucratie totalitaire et omnipotente, réformiste, nationaliste et privilégiée, dirigeant une économie sans exploiteurs ni propriétaires, une économie de transition au socialisme et non pas au communisme comme nous le préciserons plus tard. L'analogie avec le processus des syndicats et des partis ouvrières sociaux-impérialistes s'imposa : il s'agissait dans tous les cas d'organisations ouvrières, mais avec, à leur tête, une bureaucratie parasitaire et contre-révolutionnaire.

Trotsky eut l'occasion de modifier explicitement la définition que lui et Lénine avaient soutenue un moment, après le triomphe d'octobre 1917. Dans l'obligation d'accorder la réponse théorique aux faits, il sépara, en leur donnant une importante autonomie relative, ces deux catégories fondamentales qui ne s'étaient pas combinées de manière harmonieuse : la superstructure politique, et la structure économique, et il donna à cette dernière une importance décisive.

Cette opération théorique fut un retour aux sources de la pensée et de la théorie marxistes, le matérialisme historique qui définit la superstructure politique en prenant en compte essentiellement la structure économique de la société, c'est-à-dire la base sociale de classe de l'Etat ("la politique est le concentré de l'économie"), bien que cette superstructure possède un rapport dialectique à la structure et puisse avoir une autonomie très importante.

C'est ainsi que Trotsky inversa, ou plutôt termina l'inversion qu'il avait commencé à réaliser avec Lénine, quant au rapport entre superstructure et structure, afin de définir la dictature du prolétariat. A partir de l'expérience concrète, il abandonna la définition primitive superstructurelle de l'Etat basée sur des soviets révolutionnaires et démocratiques, pour prendre comme paramètre fondamental le social et non le politique, et la définir comme la superstructure étatique des rapports de production transitoires, non capitalistes. Dit en d'autres termes, la superstructure des Etats ouvriers.

Trotsky disait : "La difficulté de terminologie vient de ce que le mot dictature est employé tantôt dans un sens strictement politique, tantôt dans un sens plus profond, sociologique. Nous parlons de "dictature de Mussolini" et en même temps nous déclarons que le fascisme n'est que l'instrument du capital financier. De ces deux propositions, laquelle est exacte ? L'une et l'autre, mais sur des plans différents. Il est indiscutable que tout le pouvoir de décision est concentré dans les mains de Mussolini. Mais il est non moins vrai que tout le contenu réel de l'activité gouvernementale est dicté par les intérêts du capital financier. La domination sociale d'une classe ("dictature") peut prendre des formes politiques extrêmement différentes. Toute l'histoire de la bourgeoisie, du Moyen-âge à nos jours, en témoigne.

"L'expérience de l'Union Soviétique est déjà suffisante pour permettre d'étendre la même loi historique - avec tous les changements nécessaires - également à la dictature du prolétariat. Entre la conquête du pouvoir et la dissolution de l'Etat ouvrier dans la société socialiste, les formes et les méthodes de la domination prolétarienne peuvent changer brusquement selon la marche de la lutte de classes nationale et internationale" (souligné dans l'original) (Trotsky, 1935) [3].


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