1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


VIII. Qu'est-ce que la dictature du prolétariat ?


4. Les deux dictatures prolétariennes : bureaucratique-réformiste et révolutionnaire.

La dialectique nie très relativement les lois de la logique formelle. Elle les accepte, les utilise et les met en mouvement, les dépassant et signalant leurs contradictions et limites. C'est ce que fit Trotsky, par exemple, avec une des applications de la logique formelle, celle de la définition par le caractère commun et les différences spécifiques. Son opération théorique, lorsqu'il modifia la définition classique de Lénine, fut une application dialectique de génie de cette loi aristotélicienne, dans la mesure où il rechercha ce qu'avaient en commun la dictature de Lénine et celle de Staline, c'est à dire son caractère commun. Et il se rendit compte qu'elles n'avaient qu'un seul point commun : qu'elles étaient toutes deux basées sur l'expropriation économique des capitalistes, sur une économie de transition ; pour tout le reste, elles étaient radicalement différentes. En signalant ceci, il parvint à la seule définition marxiste de la dictature du prolétariat : le pouvoir d'Etat dans les pays où le capitalisme a été exproprié, c'est-à-dire dans les Etats ouvriers.

Mais Trotsky signala également que ce point commun quant aux rapports de production n'éliminait pas les différences spécifiques entre les deux dictatures. Et il précisa que les grandes différences de fonctionnement (idéologiques, programmatiques, de politique nationale et internationale) étaient l'expression superstructurelle des différences entre les secteurs respectifs du prolétariat que chacune représentait.

Celle de Lénine était l'expression des secteurs les plus exploités des ouvriers, de leur avant-garde internationaliste, révolutionnaire, et de la mobilisation permanente des masses. Celle de Staline, l'expression des secteurs privilégiés, de la bureaucratie et de l'aristocratie ouvrières, et de la passivité des masses. De là surgissent les définitions de ces deux Etats ou pays : ouvrier ou ouvrier révolutionnaire pour celui de Lénine ; ouvrier dégénéré pour celui de Staline : ouvrier par sa structure économique, dégénéré par sa superstructure étatique.

Cette définition de l'U.R.S.S. de la part de Trotsky, qualitativement différente de celle de Lénine et de celle de Staline, peut être symétriquement rapportée à la dictature du prolétariat, comme contenu de classe de l'Etat ouvrier. Ainsi, il y a eu sous Lénine une dictature révolutionnaire du prolétariat, en revenant une fois encore à la définition de Marx, et sous Staline une dictature dégénérée, réformiste, ou comme nous préférons la définir, bureaucratique.

Si Trotsky s'était uniquement contenté de donner cette nouvelle définition de l'Etat stalinien, il n'aurait pas été dialectique. Mais il consacra les dernières années de sa vie à signaler les effets de la superstructure politique contre-révolutionnaire stalinienne sur la structure économique, ses contradictions toujours plus accentuées, sa dynamique probable et les dangers qu'elle comportait, il a été le seul qui expliqua que le gouvernement stalinien affaiblissait d'une manière systématique la dictature du prolétariat, minant sa économie et l'appui du mouvement ouvrier.

Ces définitions de Trotsky et la méthode qui les sous-tendent on trait à la raison d'être du trotskysme. Toute tentative de définir la dictature du prolétariat à partir de la superstructure et non de la structure, comme le fait la majorité du SU, même si elle se réfugie dans les citations de Lénine et de Trotsky des premières années de la révolution, a des conséquences funestes pour la politique révolutionnaire : capituler, par ultra-gauchisme ou par opportunisme, devant l'opinion publique impérialiste et les partis sociaux-démocrates.

D'un autre côté, l'oubli des différences spécifiques, superstructurelles, amène à la capitulation politique devant le stalinisme. Tout comme la définition générique structurelle est indispensable pour défendre inconditionnellement ces Etats ouvriers bureaucratisés face à toute attaque impérialiste ou toute tentative contre-révolutionnaire bourgeoise à l'intérieur même de ces pays, la précision spécifique des traits bourgeois et bureaucratiques de la superstructure est essentielle pour impulser la révolution politique.


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