1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


VIII. Qu'est-ce que la dictature du prolétariat ?


7. La défense des dictatures prolétariennes existantes.

Il est curieux de remarquer comment certains des plus grands dirigeants de notre Internationale sont passés de la position de l'inéluctabilité de la guerre mondiale à l'abandon de la défense des Etats ouvriers. Les thèses de la majorité du SU parlent de la défense d'un Etat ouvrier, d'une dictature, parlent de la contre-révolution interne sans signaler la possibilité d'une guerre impérialiste. C'est véritablement très curieux, parce qu'aussi bien le camarade Mandel que Pierre Frank, à partir de 1951, ont développé la thèse qui divisa le mouvement trotskyste mondial de l'inéluctabilité (dans un délai de six mois pour le camarade Mandel, de quelques années pour Frank et Pablo) de la guerre de l'impérialisme contre l'U.R.S.S. et les autres Etats ouvriers. A cette époque-là, ils se faisaient l'écho de la mode marquant l'inéluctabilité de la transformation de la Guerre Froide en guerre chaude. Nous avons toujours combattu cette conception des guerres et des guérillas inévitables à quelques mois ou années près. Mais nous nous trouvons aujourd'hui en présence d'une conception radicalement opposée à la conception antérieure. On parle de l'auto-défense des Etats ouvriers du futur, mais on ne dit pas un seul mot de la possibilité dans les prochaines décades de guerre des pays impérialistes contre les Etats ouvriers dégénérés actuels. Le document ne dit pas un seul mot de la première obligation du prolétariat mondial, celle de manifester le patriotisme de classe le plus conséquent à l'égard de ces dictatures prolétariennes, éduquant le prolétariat mondial au fait qu'il doit les défendre. Jamais le document ne signale les plus grandes conquêtes du prolétariat mondial, du début de ce siècle aux Etats ouvriers bureaucratisés actuels, ni ne lève le drapeau de leur défense intransigeante. Il encourage au contraire tous les préjugés démocratiques-bourgeois des travailleurs occidentaux contre ces dictatures prolétariennes. Et le fait que la bureaucratie par sa politique constitue un repoussoir pour les masses occidentales ne peut justifier l'ignorance de la nécessité de ce patriotisme de classe. De même, l'affirmation que ces préjugés démocratiques-bourgeois des travailleurs européens et nord-américains vont objectivement à l'encontre du totalitarisme bureaucratique ne peut constituer un prétexte. Ces préjugés font que les masses de ces pays sont manipulées par les bureaucraties syndicales et les partis sociaux-démocrates, en faveur de l'impérialisme et contre les dictatures prolétariennes existantes. C'est une situation très semblable à celle des ouvriers qui refusent de se syndiquer, se prêtant à la campagne bourgeoise selon laquelle les syndicats sont au service des bureaucrates et non des ouvriers. Avec cet argument, qui se base sur un fait certain - les immenses privilèges de la bureaucratie syndicale, les ouvriers qui haïssent le syndicat deviennent des agents du capitalisme au sein du mouvement ouvrier. La position marxiste face à ces ouvriers est déjà traditionnelle : nous sommes les plus ardents défenseurs de l'organisation syndicale de masse des travailleurs ; nous nous efforçons de faire en sorte que tous les ouvriers se syndiquent et nous dénonçons la campagne bourgeoise qui, s'appuyant sur la corruption de leurs chefs, a pour but de déconsidérer les syndicats. C'est sur cette base que nous faisons la critique la plus implacable de la bureaucratie.

Nous défendons par rapport aux syndicats comme pour toute autre organisation ou conquête ouvrières, le patriotisme de classe le plus conséquent. Si la devise de tout bourgeois qui se respecte est "qu'elle ait ou non raison, je suis inconditionnellement aux côtés de ma patrie bourgeoise", celle de tout ouvrier conscient, nous ne disons pas marxiste-révolutionnaire, demeure "qu'il ait ou non raison, je suis avec mon syndicat, avec mon Etat ouvrier". C'est le patriotisme prolétarien, de classe, de défense jusqu'au bout des organisations ouvrières existantes à niveau international, matérialisé dans la défense intransigeante des dictatures prolétariennes existantes, contre la campagne de dénigrement de l'impérialisme et, le moment venu, contre l'attaque militaire de ce même impérialisme.

S'il y a quelque chose de particulièrement marquant dans la résolution du SU, c'est justement cette absence de tout patriotisme de classe, de la défense des dictatures prolétariennes existantes contre la campagne néfaste de la social-démocratie et de l'impérialisme mondial. On n'y insiste pas, on n'y signale absolument pas le fait que ces dictatures prolétariennes sont un million de fois supérieures à la démocratie bourgeoise existant dans les pays impérialistes. Toute la résolution est faite pour démontrer que ce n'est pas cela, qu'il y aurait moins de démocratie ouvrière dans les Etats ouvriers déformés que dans les pays capitalistes. Si la Chine de Mao renferme les mêmes "droits démocratiques" que celle de Chang Kai-Chek, cela veut dire qu'elle en renferme beaucoup moins que le Venezuela ou les Etats-Unis. En conséquence, le document du SU prépare la conscience des ouvriers occidentaux à la défense de la démocratie impérialiste contre le totalitarisme des Etats ouvriers bureaucratisés, bien qu'il ne l'affirme pas explicitement.

Mais il ne doit pas en être ainsi. Une des tâches les plus importantes du trotskysme est précisément d'éduquer la classe ouvrière mondiale à reconnaître les dictatures prolétariennes existantes, de démontrer qu'elles sont bien plus démocratiques pour les travailleurs que n'importe quelle démocratie impérialiste, de pointer l'inéluctabilité de guerres contre-révolutionnaires menées par les pays capitalistes et impérialistes contre les Etats ouvriers, et la défense de ces derniers.


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