1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


VIII. Qu'est-ce que la dictature du prolétariat  ?


8. Quelle doit être notre position face à de possibles guerres entre les Etats ouvriers ?

Les thèses sont à ce point stratosphériques, éloignées de la réalité des inévitables luttes militaires à venir, qu'elles ne considèrent même pas un des faits les plus spectaculaires des dernières années, pour ce qui est des dictatures prolétariennes existantes, à savoir l'invasion d'une dictature prolétarienne par une autre, les invasions de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie par l'U.R.S.S. Il s'agit d'un fait nouveau qui, à en juger par le silence de la résolution, ne se posera semble-t-il plus jamais, puisqu'il n'est pas mentionné et ne donne pas lieu à la mise en oeuvre d'une politique. Nous pensons qu'il s'agit malheureusement d'une perspective très crédible, et que nous sommes entrés dans des décades qui verront très probablement se répéter des guerres entre dictatures prolétariennes, entre Etats ouvriers.

Ces -  possibles  - guerres entre Etats ouvriers, ou occupations des uns par les autres, acquerront une nouvelle dimension dès qu'il s'agira de la première dictature révolutionnaire du prolétariat. Jusqu'à présent, nous avons vu deux invasions d'Etats ouvriers par l'U.R.S.S., provoqués par la crainte de la caste bureaucratique soviétique que ces Etats deviennent révolutionnaires, comme conséquence du début de la révolution politique et de l'apparition embryonnaire des formes conseillistes ou soviétiques. Il est pour nous tout à fait autorisé de croire que ces bureaucraties ouvrières entreront dans un désespoir chronique dès qu'elles verront surgir des dictatures révolutionnaires du prolétariat, qui augureront de leur liquidation en tant que caste privilégiée.

Mais on ne peut non plus écarter le fait que, poussé par des intérêts économiques nationalistes, elles fassent éclater des guerres semblables à celle qui commence aujourd'hui entre le Cambodge et le Vietnam. Sans entrer dans le débat sur leur nature ou non de dictatures prolétariennes, un problème nouveau est posé quant à la possibilité de guerres entre Etats ouvriers, dans lesquelles un des deux belligérants ne repose pas sur une dictature révolutionnaire. D'un autre côté, la campagne que la Chine met en avant depuis des années, contre le "social-impérialisme russe", constitue la préparation idéologique d'une guerre possible entre ces deux super-Etats ouvriers bureaucratisés.

Le grave problème théorique, posé par la possibilité de guerres entre Etats ouvriers bureaucratisés ou entre un Etat ouvrier bureaucratisé et un Etat ouvrier révolutionnaire, a une importance capitale et nous oblige à commencer à discuter afin de nous doter d'une ligne marxiste pour l'action face à la possibilité de tels évènements. Sans vouloir épuiser la question, nous considérons qu'elle est bien plus importante que l'influence des téléphones cybernétiques pour la future dictature prolétarienne.

Une variante de cette possibilité est constituée par l'inévitable soulèvement armé de nationalités opprimées par ces dictatures bureaucratiques, que nous soutiendrons inconditionnellement.

Si la guerre se produit entre l'un des deux gigantesques Etats ouvriers et un petit Etat ouvrier, nous croyons en principe que la lutte qui s'établit se situe dans le cadre du droit à l'auto-détermination des petites nations prolétariennes, et que cette guerre est provoquée par la soif d'hégémonie, de type nationaliste, de la grande nation contre la petite nation ouvrière. Dans ce cas, nous pensons qu'il faut lutter contre le grand-chauvinisme russe ou chinois, pour le droit à l'auto-détermination nationale du petit Etat ouvrier.

Supposons au contraire le cas d'une guerre entre deux Etats bureaucratisés de forces relativement identiques. Disons, par exemple, le Cambodge et le Viet-Nam, en supposant qu'ils soient des Etats ouvriers. Notre politique plus générale sera pour la fraternité entre tous les Etats ouvriers et le règlement pacifique et démocratique du conflit. Cette position doit s'accompagner d'une campagne permanente pour la fédération démocratique des républiques ouvrières existantes. Ce mot d'ordre est décisif et doit être le plus important, à partir de cette date, de notre Internationale. Plutôt que les téléphones cybernétiques, cette campagne pointe la nécessité programmatique la plus importante actuellement pour le prolétariat mondial et notamment celui des Etats ouvriers. Elle tend à dépasser le retard actuel dans le développement des forces productives des Etats ouvriers, et à porter à l'impérialisme un coup fantastique. Elle a également pour but d'empêcher que l'impérialisme ne manoeuvre sur la base des divergences entre Etats ouvriers, et de lui opposer une unité de fer. Elle a en même temps pour but d'éviter l'exploitation économique à travers les échanges commerciaux des Etats ouvriers moins développés par les Etats plus développés. Ce mot d'ordre de Fédération des Etats Ouvriers existants a beaucoup plus d'importance que celui, lancé à l'époque par Trotsky, de Fédération des Républiques Socialistes Européennes. Comme ce dernier mot d'ordre, il est propagandiste mais fondamental. Il pointe également la révolution politique, parce que les gouvernements bureaucratiques actuels n'accepteront jamais cette fédération, qui va à l'encontre de la source de leurs privilèges, à savoir les Etats ouvriers actuels avec leurs frontières.

Mais cette ligne est essentiellement propagandiste et nous ne pouvons en rester là dans le cas d'une guerre, d'attaques militaires. En principe, en étudiant soigneusement la question de savoir si un des Etats ouvriers a par rapport à l'autre des ambitions hégémoniques, nous aurons une politique de défense de l'Etat ouvrier agressé, contre celui qui a la responsabilité d'avoir pris l'initiative de l'agression. Quand la guerre se produit entre un Etat ouvrier bureaucratisé et un Etat ouvrier révolutionnaire, les trotskystes soutiennent inconditionnellement l'Etat ouvrier révolutionnaire, qu'il soit ou non l'agresseur.


Notes

[1] "Démocratie socialiste et dictature du prolétariat", p. 3-4.

[2] Idem, p. 4.

[3] "L'Etat ouvrier, Thermidor et bonapartisme", La nature de l'URSS, p. 221-222.

[4] "Le Programme de Transition, pp. 40-42.

[5] "La Quatrième Internationale et l'URSS. La nature de classe de l'Etat soviétique", La nature de l'URSS, p181-182.


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