1938

Révolution et contre-révolution en Espagne, de Felix Morrow, reste la meilleure analyse marxiste de la révolution espagnole de 1936-1937 et de son issue tragique.
E. Mandel (1977)


Révolution et contre-révolution
en Espagne (1936-1938)

Felix  Morrow

 

Postface


L'emprisonnement des ouvriers et des paysans et l'ouverture des lignes de front aux fascistes par les officiers " républicains ", telle est l'histoire de l'Espagne loyaliste de novembre 1937 à mai 1938.  Je n'ai eu le temps et la place que d'ajouter quelques mots à ce livre avant qu'il ne soit mis, avec retard, sous presse.

Le général Sebastian Pozas symbolise cette période de façon adéquate : officier sous la monarchie, officier sous la coalition socialiste républicaine de 1931-1933, officier sous le bienio negro de Gil Robles de 1933-1935, ministre de la Guerre avant que l'insurrection fasciste n'éclate.  Il remua ciel et terre pour quitter Madrid dans les sombres journées du siège de novembre 1936.  Lorsque c'en fut fini de l'autonomie catalane et que les troupes de la C.N.T. furent enfin totalement subordonnées au régime bourgeois, Pozas fut nommé chef de toutes les forces armées de la Catalogne et du front de l'Aragon.  Il purgea les armées des " incontrôlables " de la C.N.T. et du P.O.U.M. avec efficacité, en s'arrangeant pour que des divisions entières soient anéanties lorsqu'elles étaient envoyées au feu sans artillerie et sans protection aérienne.  Le " camarade " Pozas, qui faisait de la figuration au plenum du comité central du P.S.U.C., était de toute évidence l'homme qu'il fallait pour tenir le front de l'Aragon contre Franco... Il est maintenant en prison à Barcelone, accusé – et l'histoire militaire n'est que trop claire – d'avoir livré le front de l'Aragon à Franco.

Les conséquences de l'alliance avec la bourgeoisie " républicaine ", du programme du Front populaire, se font sentir maintenant.  Les fascistes ont atteint la Méditerranée.  Ils ont coupé en deux ce qui restait des forces antifascistes.  Pour le moment, la course entre Franco et le regroupement du prolétariat a été gagnée par le premier.  Les staliniens, les socialistes de Prieto et de Caballero, les dirigeants anarchistes, ont érigé des obstacles insurmontables sur la voie du regroupement, facilitant incommensurablement la victoire de Franco.

Ces criminels vont rapidement se déchirer entre eux.  Ils tâcheront de se rejeter la faute les uns sur les autres.  Dans ce cas, nous en saurons beaucoup plus sur les intrigues par lesquelles ils ont lié les pieds et les mains des travailleurs et des paysans, et rendu impossible une guerre victorieuse contre Franco.  Mais nous en savons déjà assez pour dire qu'aucun alibi ne leur permettra de se blanchir.  Tous – staliniens, socialistes et anarchistes – sont également coupables d'avoir trahi leurs partisans.  Tous ont trahi les intérêts des ouvriers et des paysans, les intérêts de l'humanité, en faveur du brutal régime fasciste.

Beaucoup échapperont à Franco, comme les fonctionnaires staliniens et social-démocrates à Hitler.  Mais les millions d'ouvriers et de paysans ne peuvent pas y échapper.  Pour eux, aujourd'hui comme demain et après-demain et tant que la vie continue, la tâche d'écraser le fascisme reste à l'ordre du jour.  Combattre ou être écrasés, ils n'ont pas d'autre alternative.

Le prolétariat espagnol, écrasé, comme le dit Berneri entre les stalino-prussiens et les Versaillais franquistes, peut cependant attiser la flamme qui embrasera le monde de nouveau.  Traversant les Pyrénées, au-delà desquelles la période de Front populaire s'achève comme en Espagne, cette flamme peut s'unir aux espoirs du prolétariat français, aujourd'hui confronté au choix entre la dictature bourgeoise nue et la voie révolutionnaire.

Mais si la conflagration révolutionnaire ne se produit pas, ou est étouffée, que se passera-t-il ?

Les leçons tragiques de l'Espagne concernent profondément, de toutes manières, la classe ouvrière américaine, et ont un rapport immédiat avec les problèmes "purement américains".

Ici, le problème sera bientôt posé d'une manière aussi inexorable qu'en France ou en Espagne.  La simple vérité est que le capitalisme américain est arrivé dans une telle impasse qu'il ne peut plus nourrir ses esclaves plus Iongtemps.  Une armée de chômeurs aussi vaste que celle de 1932 reçoit maintenant de la main de Roosevelt une portion de l'aumône insuffisante, offerte en 1933.  L'indice de production tombe à 4, 5, 6 fois au-dessous du niveau de la crise de 1929-1932.  Le gouvernement prépare de sang-froid la guerre impérialiste comme une " issue ". Crise, chômage, guerre, telles sont devenues les caractéristiques " normales de l'ordre capitaliste déclinant ". Depuis 1929, l'Amérique s'est " européanisée " ; nous rencontrons ici les problèmes que le prolétariat européen affronte depuis la guerre.

Le pessimisme, le défaitisme, sont les réactions de quelques-uns qui tirent des trahisons réformistes en Europe une justification pour abandonner les masses américaines au même sort.  Mais le pessimisme et le défaitisme sont étrangers aux ouvriers et aux masses travailleuses opprimées des villes et des campagnes.  Elles doivent combattre ou être écrasées, ils n'ont pas d'autre alternative.  La profonde, inépuisable vitalité de la classe ouvrière américaine est le capital le plus riche du mouvement ouvrier international.  Il n'a pas encore été utilisé, envoyé sur la brèche.  Dans les quatre dernières années, le prolétariat américain a donné autant de preuves de ses ressources et de sa puissance que la plupart d'entre nous n'osaient l'espérer en 1933.  Il s'est auto-organisé au sein de la citadelle même du capitalisme américain, l'acier, le caoutchouc, l'automobile.  Il peut renverser cette citadelle, s'il le veut et s'il a une direction capable de tirer les leçons de ces catastrophes.

Le but de ce livre est de fournir aux travailleurs conscients américains et à leurs alliés du matériel pour comprendre pourquoi le prolétariat espagnol a été défait, et par qui il a été trahi.

L'héroïsme des travailleurs et des paysans espagnols ne doit pas avoir été vain.  La bannière de la lutte à mort contre le capitalisme peut être reprise de leurs mains défaillantes par les ouvriers américains.  Qu'ils s'y agrippent avec l'aide d'une avant-garde qui a assimilé les formidables leçons de la Russie, de l'Espagne et de la France, avec une force et une assurance telle que le monde n'en a jamais vu, et qu'ils l'entraînent vers la victoire, pas seulement pour eux-mêmes, mais pour toute l'humanité laborieuse !

Minneapolis, 5 mai 1938


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