1943

"Contra la Corriente" n° 7, septembre 1943, Groupe espagnol au Mexique de la Quatrième Internationale
Source : extrait de Documentacion historica del trotsquismo espanol (1936-1948), Ediciones de la Torre, 1996. Texte inédit en français. Première mise en ligne : mondialisme.org


Genèse de l’unité nationale

G. Munis

septembre 1943



[...] À l’échelle internationale, l’unité nationale est une vieille politique derrière laquelle les intérêts cachés de la bourgeoisie ont toujours su se dissimuler. Sous le système de la propriété privée, l’exploitation du prolétariat par la bourgeoisie ne peut prendre fin. Il n’existe pas de communauté d’intérêts mais une opposition d’intérêts [entre les classes], et la lutte des classes ne s’interrompt jamais. [...]

Le marxisme – qui rejette toute collaboration de classe, sans aucune exception – a toujours stigmatisé l’unité nationale, sous ses multiples formes, et à tous les degrés. [...] Quand, en 1914, l’idéologie de l’unité nationale a balayé la Deuxième Internationale, après avoir incubé en son sein pendant une longue période, une minorité révolutionnaire a combattu cette idéologie qui trahit les principes du marxisme. Sa lutte a abouti à la victoire de la Révolution russe, première affirmation du prolétariat dans l’histoire. Cela a permis la création de la Troisième Internationale, conçue par ses fondateurs comme un outil pour arracher le prolétariat à l’influence de la tendance collaborationniste et l’organiser dans tous les pays en vue de la révolution mondiale. Pendant cinq ans, de 1919 à 1924, l’Internationale communiste est restée fidèle à ses principes fondateurs. [...] L’assimilation des leçons de la période révolutionnaire de la Troisième Internationale et la compréhension des causes de sa dégénérescence constituent la meilleure école révolutionnaire pour les nouvelles générations. C’est un point de départ qui permet d’aller de l’avant ; ceux qui nient ou comprennent mal cette expérience seront forcément amenés à entraver la marche du prolétariat vers la révolution.

On peut affirmer, sans risque d’exagération, que toute l’histoire révolutionnaire peut se résumer à la lutte incessante contre l’esprit de l’unité nationale, instillé dans les rangs ouvriers par leurs propres dirigeants. Généralement, cette déviation commence par la collaboration de classe, ou la rupture avec les objectifs historiques du prolétariat, pour aboutir finalement à la conversion du mouvement ouvrier en un appendice de gauche de la bourgeoisie.

[...] L’idée du Front populaire, comme celle de n’importe quel autre bloc collaborationniste, était d’empêcher que le prolétariat pousse sa lutte contre la bourgeoisie jusqu’à ses ultimes conséquences. La victoire des masses sur les militaires et même la guerre civile ont gêné, contrarié, les dirigeants du Front populaire. Elle était le résultat de la guerre de classe et ils n’en voulaient pas, ils la craignaient, elle risquait de les anéantir ; la guerre de classe, pour utiliser le langage des staliniens, c’est le trotskysme. Ils ont lancé toutes leurs forces contre elle le 19 juillet [1936] jusqu’à la victoire de Franco. La paix avec les militaires, ce que la langue de bois officielle appelle la « réconciliation entre tous les Espagnols », figurait dès le premier jour dans les projets du cabinet Staline-Negrín-Prieto. [...]

Tout comme pendant la guerre civile, le stalinisme apparaît aujourd’hui comme le modèle de tous les projets conciliateurs. Il est la seule force à avoir conçu un programme complet en faveur de l’unité nationale. Tous les autres courants renégats le suivent, ou rivalisent avec lui. Ils ne sont séparés que des rivalités mesquines. Politiquement il n’existe pas de désaccord entre les staliniens et la tendance socialiste de Prieto.

Quant à l’anarcho-syndicalisme et à la gauche socialiste floue, ils continuent, comme en Espagne, à ne pas adopter de positions de classe et à barboter, ici et là, dans le marais stalinien lui-même, même s’ils n’arrêtent pas de dénoncer le stalinisme. Enfin, les conciliateurs d’hier demandent de donner l’accolade aux miliciens carlistes, aux généraux et aux phalangistes ; quant à leurs amis, ils continuent à leur apporter leur aide parce qu’ils sont incapables d’opposer à la collaboration de classes le principe du Front unique prolétarien et de la lutte classe contre classe. La force apparente du stalinisme découle de cette incapacité et elle représente un grand danger pour le futur mouvement révolutionnaire espagnol. La classe ouvrière, essentiellement les anarchistes et les socialistes de gauche, doit réagir.


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