1951

publié dans "Le Libertaire" - 30 mars 1951

peret

Benjamin Péret

Une protestation justifiée

26 mars 1951

 

Paris, le 26 mars 1951

À Monsieur le Rédacteur en chef,

Le 14 mars dernier, Combat consacrait son éditorial aux événements de Barcelone. Après avoir salué les grévistes catalans et présenté le mouvement avec objectivité, Monsieur Fabiani, l’auteur de l’article, écrivait : « De même que les Encycliques de Pie XII avaient porté au fascisme italien son premier coup, la prise de position pontificale annonce le déclin de la dictature espagnole. » Le fond du problème importe peu. Chacun sait que l’Eglise catholique romaine dispose de ressources telles qu’elles lui permettent d’être simultanément de part et d’autre de la barricade, afin de trouver son compte de quelque côté que le vent tourne.

Nous l’avons vu en Espagne, nous l’avons vu au cours de la dernière guerre, nous le reverrons encore. Cependant, lorsque l’archevêque de Majorque bénissait les aviateurs fascistes allant arroser de leurs bombes les populations espagnoles, lorsque l’ensemble du clergé italien approuvait « l’évangélisation » à l’ypérite de l’Éthiopie, le pape n’a pas le moins du monde désavoué ses sous-ordres. S’il n’a pas lui-même soutenu ouvertement le totalitarisme, c’est pour l’unique raison que l’infaillibilité commande la prudence. En toutes circonstances, il s’est abstenu de condamner autrement qu’en termes sybillins, et qui peuvent parfaitement passer pour s’appliquer à d’autres choses, les différents régimes fascistes.

Une telle mauvaise foi n’aurait rien pour nous émouvoir, si elle s’exprimait dans un quelconque journal de droite. Mais nous nous élevons contre le procédé qui, sous couvert d’un quotidien qui paraissait l’un des rares à maintenir une certaine honnêteté intellectuelle, tend à ternir l’éclat de l’action prolétarienne en Catalogne au profit d’une réhabilitation de l’Eglise, soudain promue au rang de restitutrice des libertés volées.

Déjà, au temps de l’affaire Mourre, l’un d’entre nous s’indignait contre le manque d’objectivité dont Combat avait fait preuve quant à la relation de l’incident. Toutefois l’enquête qui suivit nous apaisa quelque peu.

Mais aujourd’hui la mesure est comble. Un quotidien qui, dans son éditorial, réalise autour du cadavre éventuel de Franco l’impensable union du peuple de Barcelone et de l’ordure vaticane, quel qu’ait pu être son passé est devenu un quotidien réactionnaire.

 

Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Jean Brun, Adrien Dax, Georges Goldfayn, Jindrich Heisler, Adonis Kyrou, Benjamin Péret, Jean Schuster, Toyen, François Valorbe et Michel Zimbacca