1951

publié dans "Le Libertaire" - 07 juin 1951

peret

Benjamin Péret

Haute fréquence

24 mai 1951

 

Aux fins habituelles, une partie de la presse a tenté d’exploiter les récents incidents survenus au sein du surréalisme, ce qui nous entraîne à un minimum de rappels et de précisions.

Ni école, ni chapelle, beaucoup plus qu’une attitude, le surréalisme est, dans le sens le plus agressif et le plus total du terme, une aventure. Aventure de l’homme et du réel lancés l’un par l’autre dans le même mouvement. N’en déplaise aux spirites de la critique attablés, toutes lumières éteintes, pour évoquer son ombre, le surréalisme continue à se définir par rapport à la vie dont il n’a cessé d’exalter les forces en s’attaquant à leur aliénation séculaire.

Il n’a pas à ressembler à la lettre de ce qu’il fut jadis. Moins encore à la caricature qu’en proposent ses adversaires. Trafiquant d’une version de son passé historique rituellement expurgée par leurs soins, c’est en vain qu’ils essaieraient de faire prendre pour les limites du surréalisme celles, fort étroites, de leur entendement.

Beaucoup se rassurent aujourd’hui en croyant constater l’usure de certaines formes de « scandale » mises en vigueur par le surréalisme, sans s’apercevoir qu’elles ne pouvaient être que des formes temporaires de résistance et de lutte contre le scandale que constitue le spectacle du monde tel qu’il résulte de ses institutions. Ce scandale est aujourd’hui à son comble et justifie de notre part une protestation non moins active quoique nécessairement différente de la première. A qui fera-t-on croire que la dégénérescence des formations politiques traditionnelles suffit à rendre platonique notre passion de la liberté ? Les récents événements d’Espagne prouvent une fois de plus que l’absence de mots d’ordre partisans n’empêche pas le génie révolutionnaire de secouer toute servitude, à commencer par la sujétion provisoire de la revendication humaine à une idéologie régressive, régnant en despote sur les multitudes.

Face à ce fléau, nous soutenons plus que jamais que les différentes manifestations de la révolte ne doivent pas être isolées les unes des autres ni soumises à une arbitraire hiérarchie, mais qu’elles constituent les facettes d’un seul prisme. Parce qu’il permet aujourd’hui à ces feux diversement colorés mais également intenses de reconnaître en lui leur foyer commun, le Surréalisme, à meilleur escient encore que par le passé, se voue à la résolution des principaux conflits qui séparent l’homme de la liberté, c’est-à-dire du développement harmonieux de l’humanité dans son ensemble et ses innombrables manifestations, - de l’humanité enfin parvenue à un sens moins précaire de sa destinée, guérie de toute idée de transcendance, libérée de toute exploitation.

Pour nous, il va sans dire que la religion judéo-chrétienne reste, au sens propre, l’ennemie « acharnée » de l’homme, qu’elle réussisse ou non à s’incorporer aux idéologies totalitaires. Avec ses complices Travail, Famille, Patrie, elle n’en devra pas moins fermer sa fabrique d’estropiés et de cadavres. Pour en finir avec elle, nous en appelons systématiquement aux forces qu’elle tente d’étouffer dans le psychisme humain.

C’est à ces forces que s’allie, dans son éternelle disponibilité, la jeunesse avide de tout ce qui combat un utilitarisme de jour en jour plus aveugle. Ce sont elles qui se conjuguent et s’exaltent dans l’amour, annonçant un âge d’or où l’or n’aurait pas d’âge, où la fleur de l’âge, pour vivre, se passerait d’or. Ce sont elles encore qui font de la poésie le principe et la source de toute connaissance, en opposition permanente à la sottise (métaphysique, politique, etc.) et à ses manifestations journalistiques, radiophoniques, cinématographiques, etc.

La volonté du surréalisme de rendre à l’homme les pouvoirs dont il a été spolié n’a pas manqué de le conduire à interroger tous les aspects de la connaissance intuitive, en particulier ceux qu’embrassent les doctrines ésotériques, dont l’intérêt est de dévoiler dans l’espace et le temps certains circuits ininterrompus. Il n’en répugne que davantage à tout ce qui peut apparenter certains systèmes « occultes » à un ensemble de recettes d’agenouillement et réaffirme à ce propos son irréductible hostilité à tout fidéisme.

Dépassant de loin la simple hypothèse de recherche, le surréalisme - dont l’existence organique est devenue assez souple pour qu’à l’esprit de la présente déclaration puisse être associé l’ensemble de nos camarades étrangers - offre à la prospection nouvelle un terrain suffisamment vaste et magnétique pour que désir et liberté s’y recréent l’un l’autre à perte de vue.

Paris, le 24 mai 1951.

 

Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Roland Brudieux, Jacques Brunius, Jean Brun, Adrien Dax, Guy Doumayrou, Jacqueline Duprey-Senard, Jean-Pierre Duprey, Jean Ferry, Georges Goldfayn, Jindrich Heisler, Adonis Kyrou, Alain Lebreton, Gérard Legrand, André Liberati, Man Ray, Jehan Mayoux, Nora Mitrani, Henri Parisot, Octavio Paz, Benjamin Péret, André Pieyre de Mandriargues, Maurice Raphaël, Claude Rochin, Bernard Roger, Jean Schuster, Anne Seghers, Toyen, Clovis Trouille, François Valorbe et Michel Zimbacca