1939

Brochure qui aurait dû paraître comme n°19 des Cahiers Spartacus en juin 1939 mais la Gestapo détruisit les matricules. Après guerre, Wilebaldo Solano remit copie d'un jeu d'épreuves (déposé à la Bibliothèque nationale de Paris) à René Lefeuvre qui l'édita dans la compilation Espagne: les fossoyeurs de la révolution sociale (Spartacus, série B, n°65, décembre 1975).


Juan Andrade

L'assassinat d'A. Nin : ses causes, ses auteurs

Téléchargement fichier zip (compressé) : cliquer sur le format de contenu désiré

Format MS Word/RTF Format Acrobat/PDF

Pourquoi fut assassiné Andrès Nin

En premier lieu, parce que Nin symbolisait en Espagne la génération qui, après avoir créé et donné la vie à l’Internationale Communiste, se sépara d’elle en la voyant prisonnière d’une caste bureaucratique et d’une politique boiteuse. Fidèle jusqu’à la mort aux principes révolutionnaires qui furent ceux de la III° Internationale au moment qu’elle se constitua sous la direction de Lénine et de Trotski, Nin abandonna celle-ci pour continuer à défendre les principes fondamentaux du mouvement communiste révolutionnaire, foulés aux pieds par la bureaucratie stalinienne. Attitude que ne pardonne pas la clique criminelle qui, sous la direction de Staline, maintient par la violence le prolétariat russe dans la soumission, et voudrait réduire au même sort la classe ouvrière internationale.

Cependant ce ne fut pas là la seule cause fondamentale de l’infâme assassinat d’Andrès Nin. On en trouve les causes immédiates dans la révolution espagnole elle-même. Andrès Nin était le secrétaire politique du parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) et, par suite, l’interprète le plus autorisé de sa politique. Cette politique n’était rien d’autre que la défense conséquente des intérêts du prolétariat dans la révolution espagnole. C’était une politique qui tendait avant tout à assurer l’indépendance de la classe ouvrière et à empêcher que ne prévalent les tendances bourgeoises républicaines et celles du Front Populaire, lesquelles, par leur tactique de concessions et de compromis, rendirent possible le soulèvement fascisto-militaire du 19 juillet 1936. En assassinant Andrès Nin, on voulait écraser le POUM, anéantir la force révolutionnaire la plus active du prolétariat espagnol. Par un tragique paradoxe, ce n’est pas à la bourgeoisie elle-même qu’il a été réservé de réaliser cette tâche, mais au parti communiste et aux membres des autres sections de la III° Internationale, spécialement recrutés pour réaliser cette œuvre contre-révolutionnaire. Lorsque Nin eut été assassiné, que de nombreux autres camarades de son parti eurent été massacrés ou fusillés, que des centaines de militants du POUM eurent été emprisonnés, qu’un grand nombre d’autres eurent été odieusement maltraités dans les « tchékas » du S.I.M., dans les cachots de la police d’Etat, sur les pontons ou dans les camps de travail du sinistre commandant stalinien Astorga, le POUM fut déclaré dissous afin de lui interdire toute manifestation politique publique. C’est là précisément ce qu’on voulait obtenir pour que la classe ouvrière fût privée de son expression authentique au moment qu’elle en avait le plus besoin.

Pour quelles raisons a-t-on supprimé « légalement » le POUM ?

Pour quoi combattait Nin, pour quoi est-il mort ?

Pour défendre le mot d’ordre de guerre sur le front et de révolution à l’arrière ; 

Pour défendre les Comités ouvriers, organes démocratiques légitimes de la révolution ;

Pour défendre l’hégémonie totale du prolétariat  dans le pouvoir ;

Pour défendre l’instauration d’une économie socialiste et la disparition du capitalisme ;

Pour défendre toutes les conquêtes faites le 19 juillet par le prolétariat ;

Parce qu’il soutenait que l’unique garantie de notre victoire résidait dans la solidarité révolutionnaire de la classe ouvrière internationale et non dans l’action des pays impérialistes « démocratiques » ;

Parce qu’il combattait toute la politique boiteuse de front populaire en face de l’impérialisme démocratique européen ;

Bref, parce que le P.O.U.M. résolu à défendre les idéaux révolutionnaires du socialisme et instruit par toutes les expériences de la révolution espagnole depuis le 14 avril 1931, voulait assurer au prolétariat l’instauration d’un régime de propriété collective, la construction du socialisme, et n’était pas disposé à voir le sacrifice des travailleurs du front et de l’arrière profiter aux partis petit-bourgeois radicaux et à l’impérialisme démocratique européen, principaux responsables du soulèvement. C’est ce que le stalinisme n’a pas pardonné ni ne pardonne à Andrès Nin, au P.O.U.M., et à tous les véritables révolutionnaires.

Le parti communiste et le P.S.U.C. étaient avant tout, en Espagne, les interprètes de la politique extérieure de l’Union Soviétique. Cette politique avait pour objectif principal de chercher un accord avec la bourgeoisie démocratique internationale, fût-ce en sacrifiant les intérêts et idéaux révolutionnaires du prolétariat. Pour développer et mener à bien cette politique, l’Union Soviétique, et son appendice mondial l’Internationale Communiste, ne pouvaient consentir que s’affermissent dans notre pays les conquêtes de la classe ouvrière. En conséquence de quoi le stalinisme se donna dès les premiers moments pour objectif principal d’anéantir le P.O.U.M. par tous les moyens et de le discréditer publiquement devant la classe ouvrière mondiale.

On parvint officiellement à condamner le P.O.U.M. au silence. Mais le prolétariat eut occasion d’apercevoir quotidiennement comment les conquêtes du 19 juillet étaient réduites à leur plus simple expression, comment les riches et les chefs de la bureaucratie et de l’armée se nourrissaient avec abondance, tandis que les travailleurs mourraient de faim ; comment les prisons, les « tchékas » du S.I.M. et de la police et les camps de travail se peuplaient de révolutionnaires éprouvés ; comment les collectivités agricoles et industrielles étaient persécutées et détruites ; comment les partis petit-bourgeois retrouvaient leur ancien pouvoir ; comment on privait le prolétariat de son droit à l’expression de sa pensée et de son droit de protestation et de critique ; comment les syndicats devenaient de simples organismes de l’Etat bourgeois, etc., etc.

Pour parvenir à cela, le parti communiste commença, dès le commencement de la révolution, une violente campagne contre le P.O.U.M., car il pensait, et à juste titre, que le P.O.U.M. était formé de la minorité révolutionnaire la plus consciente. La campagne commença à Madrid, où la situation militaire était la plus grave à la fin de 1936 et au commencement de 1937, et où notre section était numériquement faible. On ne lésina pas sur les moyens. Les radios madrilènes du parti communiste diffusaient quotidiennement toutes sortes de mensonges ; la presse stalinienne accusait nos camarades d’être alliés de Franco ; on refusait à la section madrilène le pain et l’eau, et, sur les fronts, on persécutait avec acharnement ses héroïques miliciens. Profitant de l’hégémonie presque entière dont le stalinisme jouissait dans l’appareil officiel de Madrid, on passa, après cette campagne préparatoire, aux voies de fait. La police s’empara de « Radio-Combatiente Rojo », et des hebdomadaires « P.O.U.M. » et la « Antorcha » et mit nos camarades hors d’état de mener publiquement la propagande. Ceci ne put se réaliser qu’avec la complicité de la gauche socialiste. Largo Caballero était président du Conseil. Angel Galarza, ministre de l’Intérieur, et Wenceslao Carrillo, directeur général de la police.

Mais ni la bourgeoisie démocratique, ni les diverses formes de dictature totalitaire ne peuvent aisément anéantir un parti révolutionnaire. Le P.O.U.M. vivait et agissait. Avec de grandes difficultés et parmi de grands dangers à Madrid, avec pleine vigueur et intensité en Catalogne. La région catalane était et reste la forteresse de notre parti. La campagne ne pouvait s’y dérouler avec autant de précipitation : il fallait la préparer et procéder par étapes. D’ailleurs, la Confédération Nationale du Travail et la F.A.I. se trouvaient alors au plus fort de leur puissance ; elles englobaient de grandes masses de travailleurs catalans qui connaissaient bien les militants du P.O.U.M. et ses chefs. Il fallait suivre un plan. Cependant on se hâta trop de juger la situation assez mûre pour une offensive à fond. Cette précipitation fut une des principales causes qui empêchèrent d’atteindre les objectifs finaux qu’on se proposait.


Archives P.O.U.M.
Début Précédent Haut de la page Sommaire P.O.U.M. Suite Fin
Archive A. Nin