1921

Un livre d'A. Rosmer, successivement syndicaliste révolutionnaire, communiste et trotskyste.
Les souvenirs des années de formation du communisme par l'un de ceux qui le firent.


Moscou sous Lénine
1921

Alfred Rosmer

VI : Retour à Paris : un autre monde

J’étais rentré en France en octobre 1921. Dès février 1922, j’étais rappelé à Moscou pour participer à un Comité exécutif élargi de grande importance, celui qui devait discuter la tactique du “ front unique ”. Je n’avais eu que le temps de constater que la situation en France était plus mauvaise encore que je ne l’avais imaginé. Après mon long séjour au cœur de la Révolution, je tombais dans un pays où l’élan révolutionnaire, si vif à la fin de la guerre, s’était grandement apaisé ; partout des réserves et une passivité qui freinaient la poussée vers le communisme. Chose étrange, c’est à la direction de la minorité syndicaliste que je trouvai les plus détestables “ politiciens ” - au sens péjoratif qu’eux-mêmes donnaient à ce terme. Ils écrivaient, discouraient inlassablement sur la vraie manière de faire la révolution - car pour eux la Révolution d’Octobre n’était pas une véritable révolution ; ils bâtissaient, en paroles, la société communiste ; tout cela dissimulé sous une hypocrisie écœurante ; et pendant que, suffisants et contents d’eux-mêmes, ils bavardaient, la direction de la C.G.T. préparait la scission.

Au Parti communiste et à l’Humanité, la plupart des dirigeants et rédacteurs étaient restés au Parti non par conviction mais par calcul ; on se plaignait - dans le privé - de “ Moscou ”, on trouvait ses rappels insupportables ; on rusait avec l’Internationale communiste au lieu de s’expliquer franchement. Des 21 conditions d’admission et des décisions du 2e congrès, celles qu’on avait le plus volontiers acceptées c’étaient ce qui concernait la participation aux élections et à l’activité parlementaire ; un siège de député était convoité, non en tant que poste de combat, aussi exposé que d’autres, mais parce que c’était une position confortable, aux avantages multiples ; le vieux parti socialiste, trop souvent, continuait. On complotait dans les coins, quand on se savait entre compères et qu’on parlait à cœur ouvert ; on s’ingéniait à trouver les moyens de “ paraître ” être d’accord avec les décisions de l’Internationale communiste. Là aussi l’hypocrisie était de règle. Car la masse, elle, restait attachée à la Révolution russe et à l’Internationale communiste. Elle résistait à la critique incessante qu’en faisaient les agents de la contre-révolution, les journaux de la bourgeoisie, les leaders réformistes de la C.G.T. ; des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires installés maintenant à Paris s’efforçaient, par une information tronquée et truquée de tromper les ouvriers, de les détourner des soviets. Mais les critiques, les récits, les insinuations venant de syndicalistes et d’anarchistes la troublaient, l’inquiétaient [32].


Notes

[32] Encore en février 1922, on pouvait lire dans le Populaire, quotidien du Parti socialiste, dirigé par Léon Blum et Jean Longuet, un article intitulé “ Trotsky excommunié par son père ” où, pour faire bonne dose à la sottise, le rédacteur concluait par cette remarque : “ Trotsky a, d’ailleurs, renoncé à la religion juive en épousant une Russe. ”


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