1923

L'engagement du combat face au stalinisme montant.


Cours Nouveau

Léon Trotsky

GROUPES ET FORMATIONS FRACTIONNELLES

La question des groupements et des fractions dans le Parti est devenue le pivot de la discussion. Vu son importance intrinsèque et l’acuité extrême qu’elle a revêtue, elle demande à être traitée avec une netteté parfaite. Or, fréquemment, elle est posée d’une façon erronée.

Nous sommes le seul parti du pays et, dans la période actuelle de dictature, il ne saurait en être autrement. Les différents besoins de la classe ouvrière, de la paysannerie, de l’appareil étatique et de son effectif agissent sur notre Parti, par l’intermédiaire duquel ils cherchent à trouver une expression politique. Les difficultés et contradictions inhérentes à notre époque, le désaccord temporaire des intérêts des différentes parties du prolétariat, ou du prolétariat et de la paysannerie, agissent sur le Parti par l’intermédiaire de ses cellules ouvrières et paysannes, de l’appareil étatique, des jeunes étudiants. Les nuances d’opinion, les divergences de vues épisodiques peuvent exprimer la pression lointaine d’intérêts sociaux déterminés et, dans certaines circonstances, se transformer en groupements stables ; ces derniers peuvent, à leur tour, tôt ou tard, prendre la forme de fractions organisées qui, s’opposant comme telles au reste du Parti, subissent par là même davantage les pressions extérieures. Telle est l’évolution logique des groupements à une époque où le Parti communiste est obligé de monopoliser la direction de la vie politique.

Qu’en résulte-t-il ? Si l’on ne veut pas de fractions, il ne faut pas de groupements permanents ; si l’on ne veut pas de groupements permanents, il faut éviter les groupements temporaires ; enfin, pour qu’il n’y ait pas de groupements temporaires, il faut qu’il n’y ait pas de divergences de vues, car là où il y a deux opinions, les gens se groupent fatalement. Mais comment, d’autre part, éviter les divergences de vues dans un Parti d’un demi-million d’hommes qui dirige le pays dans des conditions exceptionnellement compliquées et pénibles ? Telle est la contradiction essentielle qui réside dans la situation même du Parti de la dictature prolétarienne et à laquelle on ne saurait échapper uniquement par des procédés de pure forme.

Les partisans de l’ "ancien cours" qui votent la résolution du C. C. dans l’assurance que tout restera comme par le passé raisonnent à peu près ainsi : Voyez, on vient à peine de soulever le couvercle de notre appareil que des tendances à des groupements de toutes sortes se manifestent dans le Parti ; il faut rabattre vivement le couvercle et fermer hermétiquement la marmite. C’est de cette sagesse à courte vue que sont imprégnés quantité de discours et d’articles "contre le fractionnisme". Dans leur for intérieur, les partisans de l’appareil estiment que la résolution du C. C. est, ou bien une faute politique qu’il faut tâcher de rendre anodine, ou bien une manœuvre qu’il faut utiliser. À mon avis, ils se trompent grossièrement. Et s’il est une tactique capable d’introduire la désorganisation dans le Parti, c’est bien celle des gens qui persistent dans l’ancienne orientation, tout en feignant d’accepter respectueusement la nouvelle.

C’est dans les contradictions et les divergences de vues que s’effectue inévitablement l’élaboration de l’opinion publique du Parti. La localiser dans l’appareil chargé de fournir ensuite au Parti le fruit de son travail sous forme de directives, d’ordres, c’est idéologiquement et politiquement stériliser le Parti. Faire participer le Parti tout entier à l’élaboration et à l’adoption des résolutions, c’est favoriser les groupements idéologiques temporaires qui risquent de se transformer en groupements durables et même en fraction. Comment faire ? Est-il possible qu’il n’y ait pas d’issue ? Est-il possible qu’il n’y ait pas pour le Parti de ligne intermédiaire entre le régime du "calme" et celui de l’émiettement en fractions ? Non, il en est une, et la tâche de la direction consiste, chaque fois qu’il est nécessaire et particulièrement aux tournants, à trouver cette ligne correspondant à la situation réelle du moment.

La résolution du C. C. dit nettement que le régime bureaucratique est l’une des sources des fractions. C’est là une vérité qui n’a plus guère besoin maintenant d’être démontrée. L’ "ancien cours" était bien loin de la démocratie, et pourtant il n’a pas plus préservé le Parti des fractions illégales que la discussion orageuse actuelle qui, on ne saurait se le dissimuler, peut amener la formation de groupements provisoires ou durables. Pour l’éviter, il faut que les organes dirigeants du Parti prêtent l’oreille à la voix de la masse, ne considèrent pas toute critique comme une manifestation de l’esprit de fraction et ne poussent pas par là des communistes consciencieux et disciplinés à garder systématiquement le silence ou à se constituer en fractions.

Mais ce n’est là ni plus ni moins qu’une justification de Miasnikov [1] et de ses partisans, - diront les bureaucrates. Pourquoi donc ? Tout d’abord, la phrase que nous venons de souligner n’est qu’un extrait textuel de la résolution du C. C. Ensuite, depuis quand explication équivaut-il à justification ? Dire qu’un ulcère est le résultat d’une circulation sanguine défectueuse par suite de l’afflux insuffisant d’oxygène, ce n’est pas "justifier" l’ulcère et le considérer comme une partie normale de l’organisme humain. La seule conclusion, c’est qu’il faut le scarifier, aseptiser la plaie et, surtout, ouvrir la fenêtre pour permettre à l’air frais de fournir l’oxygène nécessaire au sang. Mais le malheur est que l’aile la plus combative de l’ "ancien cours;" est convaincue que la résolution du C. C. est erronée, particulièrement dans son passage sur le bureaucratisme source de fractions. Et si elle ne le dit pas ouvertement, ce n’est que pour des raisons d’ordre formel, bien en rapport avec sa mentalité imprégnée de ce formalisme qui est l’attribut essentiel du bureaucratisme.

Il est incontestable que les fractions sont un fléau dans la situation actuelle et que les groupements, mêmes temporaires, peuvent se transformer en fractions. Mais, comme le montre l’expérience, il ne suffit nullement de déclarer que les groupements et les fractions sont un mal pour en empêcher l’apparition. On ne les préviendra que par une politique juste, adaptée à la situation réelle.

Il suffit d’étudier l’histoire de notre Parti, ne fût-ce que pendant la révolution, c’est-à-dire pendant la période où la constitution de fractions est particulièrement dangereuse, pour voir que la lutte contre ce danger ne saurait se borner à une condamnation de forme et à l’interdiction.

C’est en automne 1917 qu’a surgi dans le Parti, à l’occasion de la question capitale de la prise du pouvoir, le désaccord le plus redoutable. Le rythme furieux des événements donna une acuité extrême à ce désaccord qui aboutit presque immédiatement à la constitution d’une fraction : sans le vouloir peut-être, les adversaires du coup de force firent bloc avec des éléments n’appartenant pas au Parti, publièrent leurs déclarations dans des organes du dehors, etc. [2] . À ce moment, l’unité du Parti tenait à un cheveu. Comment la scission put-elle être évitée ? Uniquement par le développement rapide de la situation et son dénouement favorable. La scission se fût inévitablement produite si les événements avaient traîné en longueur et, à plus forte raison, si l’insurrection s’était terminée par une défaite. Sous la direction ferme de la majorité du C. C., le Parti, dans une offensive impétueuse, passa par-dessus l’opposition, le pouvoir se trouva conquis et l’opposition, très peu nombreuse, mais qualitativement très forte, adopta la plate-forme d’Octobre. La fraction, le danger de scission furent alors vaincus non pas par des décisions formelles sur la base de statuts, mais par l’action révolutionnaire.

Le deuxième grand dissentiment surgit à l’occasion de la paix de Brest-Litovsk. Les partisans de la guerre révolutionnaire [3] constituèrent alors une fraction véritable ayant son organe central [4] . Qu’y a-t-il de vrai dans la récente anecdote, d’après laquelle Boukharine se préparait presque, à un moment, à arrêter le gouvernement de Lénine, je ne saurais le dire [5] . Toujours est-il que l’existence d’une fraction communiste de gauche représentait un danger extrême pour l’unité du Parti. Amener alors la scission n’eût pas été difficile et n’eût pas demandé de la part de la direction … un grand effort d’intelligence : il suffisait de lancer l’interdit contre la fraction communiste de gauche. Néanmoins, le Parti adopta des méthodes plus complexes : il préféra discuter, expliquer, prouver par l’expérience et se résigner temporairement à cette anomalie menaçante qu’était l’existence d’une fraction organisée dans son sein.

La question de l’organisation militaire provoqua également la constitution d’un groupement assez fort et assez opiniâtre, opposé à la création d’une armée régulière avec un appareil militaire centralisé, des spécialistes, etc. Par moments, la lutte revêtit une acuité extrême. Mais, comme en Octobre, la question fut tranchée par l’expérience : par la guerre elle-même. Certaines maladresses et exagérations de la politique militaire officielle furent redressées sous la pression de l’opposition, et cela non seulement sans dommage, mais avec profit pour l’organisation centralisée de l’armée régulière. Quant à l’opposition, elle s’effrita peu à peu. Un grand nombre de ses représentants les plus actifs participèrent à l’organisation de l’armée où, fréquemment, ils occupèrent des postes importants.

Des groupements nettement accusés se constituèrent à l’époque de la discussion mémorable sur les syndicats [6] . Maintenant que nous avons la possibilité d’embrasser d’un coup d’œil cette période tout entière et de l’éclairer à la lumière de l’expérience ultérieure, nous constatons que la discussion ne roulait nullement sur les syndicats, ni même sur la démocratie ouvrière : ce qui s’exprimait dans ces disputes, c’était un malaise profond du Parti, dont la cause était la prolongation excessive du régime économique du communisme de guerre. Tout l’organisme économique du pays était dans un étau. La discussion sur le rôle des syndicats et de la démocratie ouvrière recouvrait la recherche d’une nouvelle voie économique. L’issue fut trouvée dans la suppression de la réquisition des produits alimentaires et du monopole des céréales, et dans l’affranchissement graduel de l’industrie étatique de la tyrannie des directions économiques centrales [7] . Ces décisions historiques furent prises à l’unanimité et étouffèrent complètement la discussion syndicale, d’autant plus que, par suite de l’instauration de la nep, le rôle des syndicats eux-mêmes apparut sous un jour complètement différent et que, quelques mois plus tard, il fallut modifier radicalement la résolution sur les syndicats.

Le groupement le plus durable et, par certains côtés, le plus dangereux, fut celui de "l’opposition ouvrière" [8] . Il refléta, en les dénaturant, les contradictions du communisme de guerre, certaines fautes du Parti, ainsi que les difficultés objectives essentielles de l’organisation socialiste. Mais cette fois encore on ne se borna pas à une indication formelle. Sur les questions de la démocratie, on prit des décisions formelles et sur l’épuration du Parti, on prit des mesures effectives, extrêmement importantes, donnant satisfaction à ce qu’il y avait de juste et de sain dans la critique et les revendications de "l’opposition ouvrière". Et ce qui est le principal, c’est que grâce aux décisions et aux mesures économiques adoptées par le Parti et dont le résultat fut d’amener la disparition des divergences de vues et des groupements, le 10° Congrès put, avec des raisons de croire que sa décision ne resterait pas lettre morte, interdire formellement la constitution de fractions. Mais, comme le montrent l’expérience et le bon sens politique, il va de soi qu’à elle seule, cette interdiction ne renfermait aucune garantie absolue ni même sérieuse contre l’apparition de nouveaux groupements idéologiques et organiques. La garantie essentielle, en l’occurrence, c’est une direction juste, l’attention aux besoins du moment qui se reflètent dans le Parti, la souplesse de l’appareil qui ne doit pas paralyser, mais organiser l’initiative du Parti, qui ne doit pas craindre la critique, ni chercher à l’enrayer par l’épouvantail des fractions. La décision du 10° Congrès interdisant les fractions peut avoir seulement un caractère auxiliaire ; par elle-même elle ne donne pas la clé pour la solution de toutes les difficultés intérieures. Ce serait du "fétichisme d’organisation" que de croire que, quels que soient le développement du Parti, les fautes de la direction, le conservatisme de l’appareil, les influences extérieures, etc., il suffit d’une décision pour nous préserver des groupements et des bouleversements inhérents à la formation des fractions. Comprendre ainsi les choses serait faire preuve de bureaucratisme.

Un exemple éclatant nous en est fourni par l’histoire de l’organisation de Pétrograd. Peu après le 10° Congrès, qui avait interdit la constitution de groupements et de fractions, surgit à Pétrograd une lutte d’organisation très vive, qui amena la formation de deux groupements nettement opposés l’un à l’autre. Le plus simple, au premier abord, eût été de lancer l’anathème sur l’un au moins de ces groupements. Mais le C. C. se refusa catégoriquement à employer cette méthode qu’on lui suggérait de Pétrograd. Il assuma le rôle d’arbitre entre les deux groupements et, en fin de compte, réussit à assurer non seulement leur collaboration, mais leur fusion complète dans l’organisation. Voilà un exemple important qui mérite d’être retenu et qui pourrait servir à éclairer quelques cerveaux bureaucratiques.

Nous avons dit plus haut que tout groupement important et durable dans le Parti, à plus forte raison toute fraction organisée, avait tendance à devenir le porte-parole d’intérêts sociaux quelconques. Toute déviation peut, dans son développement, devenir l’expression des intérêts d’une classe hostile ou semi-hostile au prolétariat. Or, le bureaucratisme est une déviation, et une déviation malsaine ; cela, il faut l’espérer, ne saurait prêter à contestation. Du moment qu’il en est ainsi, il menace de dévoyer le Parti de la voie droite, de la voie de classe. C’est là précisément qu’est son danger. Mais, fait instructif au plus haut point et en même temps des plus alarmants : ceux qui affirment le plus nettement, avec le plus d’insistance, et parfois le plus brutalement que toute divergence de vues, tout groupement d’opinion, même temporaire, sont une expression des intérêts des classes opposées au prolétariat, ne veulent pas appliquer ce critérium au bureaucratisme.

Et pourtant, le critérium social est, en l’occurrence, parfaitement à sa place, car le bureaucratisme est un mal bien déterminé, une déviation notoire et incontestablement nuisible, officiellement condamnée, mais nullement en voie de disparition. D’ailleurs, il est bien difficile de le faire disparaître du coup. Mais si, comme le dit la résolution du C. C., le bureaucratisme menace de détacher le Parti de la masse et, partant, d’affaiblir le caractère de classe du Parti, il en résulte que la lutte contre le bureaucratisme ne saurait en aucun cas être le résultat d’influences non prolétariennes. Au contraire, l’aspiration du Parti à conserver son caractère prolétarien doit inévitablement engendrer la résistance au bureaucratisme. Évidemment, sous le couvert de cette résistance peuvent se manifester diverses tendances erronées, malsaines, nuisibles. Et l’on ne peut les découvrir que par l’analyse marxiste de leur contenu idéologique. Mais identifier la résistance au bureaucratisme à un groupement qui, soi-disant, servirait de canal aux influences étrangères, c’est être soi-même le "canal" des influences bureaucratiques.

Néanmoins, il ne faudrait pas comprendre d’une façon trop simpliste la pensée que les divergences du Parti et, à plus forte raison, les groupements ne sont autre chose qu’une lutte d’influences de classe opposées. Ainsi, en 1920, la question de l’invasion de la Pologne a suscité deux courants d’opinions, l’un préconisant une politique plus audacieuse, l’autre prêchant la prudence [9] . Y avait-il là différentes tendances de classe ? Je ne crois pas qu’on puisse l’affirmer. Il n’y avait que des divergences dans l’appréciation de la situation, des forces, des moyens. Mais le critérium essentiel de l’appréciation était le même chez les deux parties.

Fréquemment, il arrive que le Parti puisse résoudre un seul et même problème par des moyens différents. Et si l’on discute alors, c’est pour savoir lequel de ces moyens est le meilleur, le plus expéditif, le plus économique. Ces divergences peuvent, selon la question, embrasser des couches considérables dans le Parti, mais cela ne veut pas dire nécessairement qu’il y ait là une lutte de deux tendances de classe.

Il n’est pas douteux que nous aurons encore de nombreux désaccords, car notre voie est pénible et les tâches politiques aussi bien que les questions économiques de l’organisation socialiste engendreront infailliblement des divergences de vues et des groupements temporaires d’opinions. La vérification politique de toutes les nuances d’opinion par l’analyse marxiste sera toujours pour notre Parti une mesure préventive des plus efficaces. Mais c’est à cette vérification marxiste concrète qu’il faut recourir et non aux clichés qui sont les instruments de défense du bureaucratisme. On pourra contrôler d’autant mieux l’idéologie politique hétérogène qui s’élève maintenant contre le bureaucratisme et l’épurer de tout élément étranger et nuisible que l’on s’engagera plus sérieusement dans la voie du "cours nouveau". Or, cela est impossible sans un revirement sérieux dans la mentalité et les intentions de l’appareil du Parti. Mais nous assistons au contraire en ce moment à une nouvelle offensive de ce dernier, qui écarte toute critique de l’ "ancien cours", formellement condamné mais non encore liquidé, en la traitant de manifestation de l’esprit de fraction. Si les fractions sont dangereuses - et il en est ainsi - il est criminel de fermer les yeux sur le danger que représente la fraction bureaucratique conservatrice. C’est contre ce danger précisément qu’est dirigée en premier lieu la résolution du C. C.

Le maintien de l’unité du Parti est le souci le plus grave de la grande majorité des communistes. Mais il faut le dire ouvertement : s’il est maintenant un danger sérieux pour l’unité ou tout au moins pour l’unanimité du Parti, c’est le bureaucratisme effréné. C’est de ce camp que se sont élevées des voix provocatrices. C’est là qu’on a osé dire : nous n’avons pas peur de la scission. Ce sont les représentants de cette tendance qui fouillent dans le passé, y recherchent tout ce qui est susceptible d’introduire plus d’acharnement dans la discussion, raniment artificiellement les souvenirs de l’ancienne lutte et de l’ancienne scission pour accoutumer insensiblement l’esprit du Parti à la possibilité d’un crime aussi monstrueux, aussi funeste qu’une nouvelle scission. On veut opposer le besoin d’unité du Parti à son besoin d’un régime moins bureaucratique.

Si le Parti se laissait influencer, sacrifiait les éléments vitaux de sa propre démocratie, il n’arriverait qu’à exacerber sa lutte intérieure et à ébranler sa cohésion. On ne saurait exiger du Parti la confiance en l’appareil, lorsqu’on n’a pas soi-même confiance au Parti. Là est toute la question. La méfiance bureaucratique préconçue envers le Parti, envers sa conscience et son esprit de discipline est la cause principale de tous les maux engendrés par la domination de l’appareil. Le Parti ne veut pas des fractions et ne les tolèrera pas. Il est monstrueux de croire qu’il brisera ou permettra à qui que ce soit de briser son appareil. Il sait que cet appareil est composé des éléments les plus précieux incarnant la plus grande partie de l’expérience passée. Mais il veut le renouveler et lui rappelle qu’il est son appareil, qu’il est élu par lui et qu’il ne doit pas se détacher de lui.

À bien réfléchir à la situation créée dans le Parti et qui s’est montrée sous un jour particulièrement clair au cours de la discussion, on voit que l’avenir se présente sous une double perspective. Ou bien le regroupement idéologique organique qui se produit maintenant dans le Parti sur la ligne des résolutions du C. C. sera un pas en avant dans la voie de la croissance organique du Parti, le début d’un nouveau grand chapitre - et ce sera là l’issue la plus désirable pour nous tous et la plus bienfaisante pour le Parti, qui aura alors facilement raison des excès dans la discussion et dans l’opposition et, à plus forte raison, des tendances démocratiques vulgaires. Ou bien, passant à la contre-offensive, l’appareil tombera plus ou moins sous la coupe de ses éléments les plus conservateurs et, sous prétexte de combattre les fractions, rejettera le Parti en arrière et rétablira le "calme". Cette deuxième éventualité sera incomparablement plus douloureuse ; elle n’empêchera pas, il va de soi, le développement du Parti, mais ce développement ne s’effectuera qu’au prix d’efforts et de bouleversements considérables. Car cette méthode ne fera qu’alimenter encore davantage les tendances nuisibles, dissolvantes, opposées au Parti. Telles sont les deux éventualités à envisager.

Ma lettre sur le "cours nouveau" avait pour but d’aider le Parti à s’engager dans la première voie, qui est la plus économique et la plus juste. Et j’en maintiens intégralement les termes, repoussant toute interprétation tendancieuse ou mensongère.


NOTES

[1] Ancien membre du Parti ; en 1922, fut exclu en raison de ses tendances menchéviques.

[2] Les principaux opposants étaient : Zinoviev, Kamenev, Rykov, Noguine, Milioutine, Chliapnikov, Riazanov, Larine, Losovsky, etc.

[3] Les principaux furent : Boukharine, Radek, Krestinsky, Ossinsky, Sapronov, Iakovlev, M. Pokrovsky, V. Maximovsky, V. Smirnov, Piatakov, Préobrajensky, Cheverdine, Safarov, Stoukov.

[4] On sait que Trotsky n’approuva pas la position de cette fraction. Avant de se rallier au point de vue de Lénine, il défendit la fameuse formule : Ni paix, ni guerre.

[5] La Pravda du 21 décembre 1923 a publié une lettre signée de neuf des anciens communistes de gauche nommés plus haut, mettant au point l’anecdote. À une séance du Comité exécutif des Soviets, le s.-r. de gauche Kamkov dit "sur un ton de plaisanterie" à Boukharine et Piatakov : "Eh bien, qu’allez-vous faire si vous obtenez la majorité dans le Parti ? Lénine démissionnera et il nous faudra constituer avec vous un nouveau Conseil des Commissaires du Peuple. Dans ce cas, je pense que nous élirions Piatakov comme Président…." Plus tard, le s.-r. de gauche Prochiane dit à Radek en riant : "Vous ne faites qu’écrire des résolutions. Ne serait-il pas plus simple d’arrêter pour un jour Lénine, de déclarer la guerre aux Allemands et ensuite de le réélire à l’unanimité Président du Conseil ? ". Ce sont ces boutades qui furent présentées comme un "projet" d’arrêter Lénine.

[6] De novembre 1920 (5° Congrès des Syndicats) jusqu’en mars 1921 (10°Congrès du Parti). Le Comité central se partagea en deux groupes, l’un de huit membres dont Lénine ; l’autre de sept membres : Trotsky, Boukharine, Dzerjinsky, Andréiev, Krestinsky, Préobrajensky et Sérébriakov. Le Congrès vota la résolution inspirée par Lénine.

[7] Les centres directeurs (glavs) de la production divisée pour ainsi dire en compartiments verticaux furent un essai d’organisation économique malheureux, abandonné en 1921.

[8] Tendance qui préconisa, lors de la discussion sur les syndicats, de transmettre à ceux-ci la direction de l’économie. Ses principaux représentants furent Chliapnikov, Kisseliev, Medvédiev, Loutovinov, Koutouzov, Alexandra Kollontaï.

[9] Lénine et ses proches avaient préconisé l’offensive sur Varsovie ; Trotsky était contre.


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