1938

Le manifeste du marxisme révolutionnaire à l'époque de l'impérialisme - celle des guerres et des révolutions.


Programme de Transition

Léon Trotsky

 

Les piquets de grève, les détachements de combats, la milice ouvrière, l'armement du prolétariat

Les grèves avec occupation des usines sont un très sérieux avertissement de la part des masses à l'adresse, non seulement de la bourgeoisie, mais aussi des organisations ouvrières, y compris la IV° Internationale. En 1919-1920, les ouvriers italiens s'emparèrent, de leur propre initiative, des entreprises, signalant ainsi à leurs propres "chefs" l'arrivée de la révolution sociale. Les "chefs" ne tinrent pas compte du signal. Le résultat fut la victoire du fascisme.

Les grèves avec occupation ne sont pas encore la prise des usines, à la manière italienne; mais elles constituent un pas décisif dans cette voie. La crise actuelle peut exaspérer au plus haut point le rythme de la lutte des classes et précipiter le dénouement. Il ne faut cependant pas croire qu'une situation révolutionnaire surgit d'un seul coup. En réalité, son approche est marquée par toute une série de convulsions. La vague de grèves avec occupation des usines en est précisément une. La tâche des sections de la IV° Internationale est d'aider l'avant-garde prolétarienne à comprendre le caractère général et les rythmes de notre époque, et de féconder à temps la lutte des masses par des mots d'ordre de plus en plus résolus et par des mesures organisationnelles de combat.

L'exacerbation de la lutte du prolétariat signifie l'exacerbation des méthodes de contre-offensive de la part du capital. Les nouvelles vagues de grèves avec occupation des usines peuvent provoquer et provoqueront infailliblement, en réaction, d'énergiques mesures de la part de la bourgeoisie. Le travail préparatoire se mène dès maintenant dans les états-majors des trusts. Malheur aux organisations révolutionnaires, malheur au prolétariat s'ils se trouvent de nouveau pris à l'improviste !

La bourgeoisie ne se contente nulle part de la police et de l'armée officielle. Aux États-Unis, même dans les périodes "calmes", elle entretient des détachements militarisés de jaunes et de bandes armées privées dans les usines. Il faut y ajouter maintenant les bandes de nazis américains. La bourgeoisie française, à la première approche du danger, a mobilisé les détachements fascistes semi-légaux et illégaux jusqu'à l'intérieur de l'armée officielle. Il suffira que les ouvriers anglais augmentent de nouveau leur poussée pour qu'immédiatement les bandes de Mosley doublent, triplent, décuplent en nombre et entrent en croisade sanglante contre les ouvriers. La bourgeoisie se rend clairement compte qu'à l'époque actuelle, la lutte des classes tend infailliblement à se transformer en guerre civile. Les exemples de l'Italie, de l'Allemagne, de l'Autriche, de l'Espagne et d'autres pays ont appris beaucoup plus aux magnats et aux laquais du capital qu'aux chefs officiels du prolétariat.

Les politiciens de la II° et de la III° Internationales, de même que les bureaucrates des syndicats, ferment consciemment les yeux sur l'armée privée de la bourgeoisie; sinon, ils ne pourraient maintenir vingt-quatre heures leur alliance avec elle. Les réformistes inculquent systématiquement aux ouvriers l'idée que la sacro-sainte démocratie est assurée au mieux lorsque la bourgeoisie est armée jusqu'aux dents et les ouvriers désarmés.

Le devoir de la IV° Internationale est d'en finir, une fois pour toutes, avec cette politique servile. Les démocrates petits bourgeois - y compris les sociaux-démocrates, les staliniens et les anarchistes - poussent des cris d'autant plus forts sur la lutte contre le fascisme qu'ils capitulent plus lâchement devant lui en fait. Aux bandes du fascisme, seuls peuvent s'opposer avec succès des détachements ouvriers armés qui sentent derrière leur dos le soutien de dizaines de millions de travailleurs. La lutte contre le fascisme commence, non pas dans la rédaction d'une feuille libérale, mais dans l'usine, et finit dans la rue. Les jaunes et les gendarmes privés dans les usines sont les cellules fondamentales de l'armée du fascisme. Les PIQUETS DE GRÈVES sont les cellules fondamentales de l'armée du prolétariat. C'est de là qu'il faut partir. A l'occasion de chaque grève et de chaque manifestation de rue, il faut propager l'idée de la nécessité de la création de DÉTACHEMENTS OUVRIERS D'AUTODÉFENSE. Il faut inscrire ce mot d'ordre dans le programme de l'aile révolutionnaire des syndicats. Il faut former pratiquement des détachements d'autodéfense partout où c'est possible, à commencer par les organisations de jeunes, et les entraîner au maniement des armes.

La nouvelle vague du mouvement des masses doit servir, non seulement à accroître le nombre de ces détachements, mais encore à les unifier, par quartiers, par villes, par régions. Il faut donner une expression organisée à la haine légitime des ouvriers pour les jaunes et les bandes de gangsters et de fascistes. Il faut lancer le mot d'ordre de la MILICE OUVRIÈRE, comme seule garantie sérieuse de l'inviolabilité des organisations, des réunions et de la presse ouvrières.

C'est seulement grâce à un travail systématique, constant, inlassable, courageux, dans l'agitation et la propagande, toujours en relation avec l'expérience des masses elles-mêmes, qu'on peut extirper de leur conscience les traditions de docilité et de passivité; éduquer des détachements de combattants héroïques, capables de donner l'exemple à tous les travailleurs; infliger une série de défaites tactiques aux bandes de la contre-révolution; accroître la confiance en eux-mêmes des exploités et des opprimés; discréditer le fascisme aux yeux de la petite-bourgeoisie et frayer la voie à la conquête du pouvoir par le prolétariat.

Engels définissait l'État comme des "détachements de gens armés". L'ARMEMENT DU PROLÉTARIAT est un élément constituant indispensable de sa lutte émancipatrice. Quand le prolétariat le voudra, il trouvera les voies et les moyens de s'armer. La direction, dans ce domaine aussi, incombe naturellement aux sections de la IV° Internationale.


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