1929

publié dans le n° 1-2, juillet 1929, du "Biulleten Oppozitsii"


Œuvres – avril 1929

Léon Trotsky

Réponses aux questions du journal " Osaka Mainichi "

21 Avril 1929


1. Vous m'interrogez sur ma santé. Elle est plus ou moins satisfaisante. A certaines périodes, elle empire. J'ai besoin d'une cure.

2. Oui, je considère que l'antagonisme fondamental est celui qui existe entre l'Amérique et l'Angleterre. Dans cet ordre d'idées, les rapports entre les Etats-Unis et le Japon n'acquièrent plus qu'une signification secondaire. Autrement dit : les Etats-Unis détermineront leur attitude envers le Japon, dans chaque période envisagée, d'après les rapports qu'ils entretiendront avec la Grande-Bretagne. Si l'on veut, cela signifie que, dans l'ensemble, les contradictions existant entre Washington et Tokio s'atténueront. Mais cela n'exclut pas qu'il puisse se produire certaines périodes de tension. Cela dépend à nouveau des relations entre Tokio et Londres. Vous me demandez si je crois que la guerre est inévitable ? Sans me livrer à des conjectures stériles sur les dates, je dois dire que jamais encore dans l'histoire humaine, autant qu'aujourd'hui, dix ans après la grande boucherie, à l'époque de la Société des Nations, du pacte Kellog, etc., le monde alla avec tant d'obstination aveugle vers une catastrophe militaire. Ce n'est pas là une hypothèse ni une supposition, mais bien une conviction, plus même, une certitude inébranlable.

3. Les potins sur la IVe Internationale que je projetterais, soi-disant, de fonder sont absolument absurdes. L'Internationale social-démocrate, ainsi que l'Internationale Communiste ont, au point de vue de l'histoire, des racines profondes. Il n'y aura besoin d'aucune Internationale intermédiaire (2 1/2) ou complémentaire (IV). II n'y a pas de place pour elles. Le cours de Staline dans l'Internationale Communiste consiste précisément à s'orienter vers l'Internationale 2 1/2. Le centrisme est situé entre la Social-démocratie et le communisme. Mais il est instable, même quand il s'appuie sur l'appareil de l'Etat. Il sera broyé entre les meules social-démocrate et communiste. Après des luttes, des frictions, des scissions il restera deux Internationales celle des socialistes et la nôtre, l'Internationale communiste. J'ai pris part à la création de cette dernière, je lutte pour ses traditions, et je n'ai pas l'intention de la céder à personne.

4. Vous me demandez pourquoi toute une série d'Etats ont fermé leurs portes devant moi. Probablement dans le but d'aider les marxistes à mieux expliquer aux masse ouvrières ce qu'est la démocratie capitaliste. Le gouvernement norvégien a donné comme raison de sa décision des considérations sur ma sécurité. Je ne puis considérer cet argument comme convaincant. Je ne suis qu'une individualité, et la question de ma sécurité est mon affaire privée. J'ai des ennemis, mais j'ai aussi des amis. Le fait que j'habiterais la Norvège ou quelque autre pays ne rendrait nullement responsable de ma sauvegarde le gouvernement de ce pays. L'unique gouvernement qui s'est chargé de cette responsabilité, en pleine connaissance de cause, et avec préméditation, est celui de la fraction stalinienne qui m'a expulsé de l'U.R.S.S.

5. En vous référant à mes paroles que c'est en vain que l'ennemi attend le renversement proche du régime soviétique, vous me demandez si j'admets la " possibilité d'un renversement, sinon prochain, tout au moins assez peu éloigné, du régime soviétique existant. " J'estime qu'avec une politique juste, on peut assurer la stabilité de ce régime jusqu'à la révolution socialiste inévitable en Europe et dans le monde entier; après quoi le régime des Soviets devra faire graduellement place à la société communiste sans Etat. Mais l'histoire se réalise à travers la lutte des classes. Cela signifie qu'il n'existe pas de positions qui soient absolument sûres, ou complètement désespérées. La direction joue un rôle énorme dans le mécanisme de la lutte. Si la ligne de conduite suivie pendant les cinq dernières années continue à être appliquée, tôt ou tard la dictature serait sapée. Mais, sous le fouet de l'Opposition, l'Appareil stalinien saute d'un côté à l'autre, et oblige ainsi le Parti à réfléchir et à comparer. Jamais encore la politique en U.R.S.S. n'a gravité dans la même mesure autour des idées de l'Opposition qu'aujourd'hui, tandis que ses chefs sont emprisonnés ou exilés.

6. Au sujet de ma collaboration à la presse bourgeoise, j'ai donné les explications nécessaires dans ma lettre aux ouvriers de la République des Soviets. Je joins cette lettre.

7. Aurais-je mené la lutte contre la droite ? Certainement. Staline combat actuellement les droitiers parce qu'il subit le fouet de l'Opposition. Il le fait en centriste, obligé de protéger sa position intermédiaire par des scissions à droite et à gauche, aussi bien contre la ligne de conduite prolétarienne que contre celle des opportunistes s'affichant ouvertement. Cette lutte en zigzags de Staline ne fait, en dernière analyse, que renforcer la droite. Seule une attitude révolutionnaire peut protéger le Parti contre les secousses et les scissions.

8. En vous référant à la stabilisation du capitalisme, vous demandez où sont donc les perspectives de la révolution mondiale. Celles-ci croissent, plongeant leurs racines dans la stabilisation elle-même. Le capitalisme des Etats-Unis est le facteur le plus révolutionnaire du développement du monde. Nous constaterons de grandes perturbations dans le marché mondial, des conflits économiques profonds, des crises de vente, du chômage et des troubles qui en découleront... Je préférerais infiniment une transformation pacifique de la société faisant l'économie des frais généraux d'une révolution, mais voyant tout ce qui se passe je ne puis me condamner moi-même à être aveugle. Or seul un aveugle incurable peut croire à une transformation pacifique.

L. TROTSKY

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