1929

Octobre 1929. Les suites de la déclaration de Rakovsky du 8.8.1929, l'évolution du Leninbund, le conflit sino-soviétique...
Au jour le jour, le combat de Trotsky.
Lettre à F. Pfemfert, traduite du russe.


Œuvres - octobre 1929

Léon Trotsky

5 octobre 1929

Lettre à Pfemfert


Cher camarade Pfemfert,

J'ai reçu votre lettre du 30 septembre et je suis très heureux que vous soyez rétabli et que vous vous sentiez prêt à reprendre le travail.

En ce qui concerne la correction des épreuves, je vous prie de voir vous même ce qu'il convient de faire. Mais je constate que mon encombrante autobiographie vous prend beaucoup de temps. La tradition voudrait que je vous exprime ma reconnaissance dans un avant-propos. Différentes considérations m'ont retenu de le faire, mais j'espère trouver un moyen moins banal de vous exprimer ma sincère gratitude pour la part que vous avez prise à l'édition de mon livre.

Malheureusement, je ne possède aucune photographie qui puisse être insérée dans le livre. Je n'ai que de petites photos d'amateur qu'on aurait bien du mal à reproduire pour l'impression. Je continue de fouiller toutes mes boites ; peut-être trouverai-je quelque chose, mais il y a peu de chances.

Dans le chapitre "La mort de Lénine" - je suis tout à fait d'accord avec vous - il faut souligner la dernière phrase ("Rira bien qui rira le dernier"). Je dois dire que moi-même, à la lecture, j'ai été frappé par cette phrase, mais j'ai négligé de la souligner pour la faire connaître à l'ancien et au nouveau monde. Aujourd'hui je le fais.

Je ne comprends pas pourquoi vous êtes contre le titre La planète sans visa (sous-entendu : pour moi). De la même façon, je peux dire : "Moscou sans adresse". Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de logements à Moscou, mais qu'il n'y en a pas pour moi. Logiquement, il faudrait, selon vous, donner une suite au titre : La planète sans visa pour moi. Mais comme le récit est fait uniquement à la première personne, il suffit de dire : la planète sans visa.

Quelques mots à propos de vos remarques sur l'"ultra-gauche". "Ultra" exprime ici le caractère fictif du gauchisme. Ce gauchisme fictif est toujours plus proche de l'opportunisme que du véritable gauchisme. Lorsque je qualifie Urbahns d'ultra-gauche, je ne considère pas un seul instant qu'il est plus à gauche que moi. Je vais m'expliquer par un graphique. Pour bien comprendre, situons les tendances politiques sur la circonférence d'un cercle. Le point "R" et le point "0" sont deux pôles opposés, l'un représentant la position des révolutionnaires, l'autre celle des opportunistes. Le point "A" s'écarte du point "R" du côté gauche ; le point "B" s'écarte du point "R" du côté droit : ce sont Urbahns et Brandler. L'un se situe à gauche de la position marxiste, l'autre à droite. Même sans compas, on voit clairement que "A" et "B" sont plus près de "0" (opportunisme) que "R", que l'on mesure la ligne droite ou l'arc de cercle. Cela ne veut pas dire, comme le font souvent aujourd'hui des bureaucrates bornés, que l'ultra-gauche et la droite soient une seule et même chose. Non, ils s'éloignent du marxisme par des voies différentes, mais s'éloignant du marxisme, ils se rapprochent de l'opportunisme, en venant de directions opposées. Cependant, si le mouvement se poursuit, il arrive un moment où "les extrêmes se rejoignent". Ce qui signifie qu'au-delà de certaines limites, l'ultra-gauchisme se change en pur opportunisme.

Je vous prie d'excuser le pédantisme de la démonstration. Vous avez peut-être raison en ceci que qualifier Louzon et Urbahns d'ultra-gauches, en général et sans plus de précision, serait leur faire trop de crédit. Mais dans les premières lignes de ma brochure, je parle de ces ultra-gauches qui ont perdu tout esprit révolutionnaire, ne conservant que que1ques réflexes ultra-gauchistes.

A tout hasard, je vous envoie mon article sur le désarmement et les Etats-Unis d'Europe. Je dois toutefois vous prévenir que j'envoie en même temps une copie de cet article à Urbahns. Si Urbahns ne le publie pas et si vous le trouvez bon, vous pouvez en faire ce que vous voulez.

En ce qui concerne le titre : Ma vie ne convient pas, ne serait-ce que parce que récemment l'autobiographie d'Isadora Duncan [1] a été publiée sous ce titre. Comment pourrais-je entrer en concurrence avec la malheureuse défunte ? Non... Dites-le à Fischer [2], s'il vous plaît.

Je reviens à l'ultra-gauchisme. Une des principales questions qui séparent les marxistes des ultra-gauches est certainement la question de la nature de classe de l'Etat soviétique. Je crois qu'il serait d'ailleurs utile, au sein de ce que vous appelez l'ultra-gauche, où nous sommes inclus, de s'efforcer d'aboutir à une claire compréhension de ce problème, et par conséquent d'opérer les clivages nécessaires entre, d'une part, les marxistes, et d'autre part les anarchistes, demi-anarchistes et consorts. Pourquoi n'ouvririez-vous pas la discussion sur ce point, en l'éclairant par quelques articles dans Mkon ? Je crois que c'est à partir de ces questions, qui touchent aux prinoipes fondamentaux et sont en même temps des problèmes d'actualité qu'on peut le mieux parvenir à une juste et saine redistribution des forces dans le camp gauche, en séparant le gauchisme véritablement révolutionnaire de la fiction ultra-gauche.

Je vous envoie pour information trois documents :
1) Lettre aux camarades italiens ;
2) Lettre à un membre du Leninbund de Hambourg ;
3) Un article consacré aux positions des communistes belges.

La lettre à un ouvrier de Hambourg n'est pas pour le moment, destinée à être publiée. Les deux autres articles seront publiés en France et en Belgique ; vous pourrez les utiliser comme vous l'entendez. Ils sont également envoyés à Urbahns.


Notes

[1] Isadora Duncan (1878-1927) célèbre danseuse, qui avait fondé une école en U.R.S.S. après la révolution, était morte accidentellement l'année même de la parution du second tome de son autobiographie intitulée Ma Vie.

[2] Le vieux Fischer ne devait pas tenir compte de la protestation de Trotsky et le titre Ma Vie fut finalement repris dans toutes les langues.


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