1932

Allemagne, 1932 : la situation du prolétariat, trahi par ses dirigeants est quasi-désespérée. Trotsky analyse la situation et en déduit les tâches de l'avant garde dans une étude magistrale.


Œuvres - janvier 1932

Léon Trotsky

La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne

12. Les brandlériens (KPDO [1]) et la bureaucratie stalinienne

Il n'y a pas, et il ne peut y avoir, de contradictions entre les intérêts de l'Etat soviétique et ceux du prolétariat international. Mais il est radicalement faux d'étendre cette loi à la bureaucratie stalinienne. Son régime est de plus en plus en contradiction aussi bien avec les intérêts de l'Union soviétique qu'avec ceux de la révolution mondiale.

A cause de la bureaucratie soviétique, Hugo Urbahns ne voit pas les bases sociales de l'Etat prolétarien. Urbahns élabore avec Otto Bauer -le concept d'Etat au-dessus des classes, mais à la différence de Bauer, il trouve son modèle non en Autriche mais dans l'actuelle République des Soviets.

Par ailleurs, Talheimer affirme que "l'orientation trotskyste qui met en doute le caractère prolétarien (?) de l'Etat soviétique et le caractère socialiste de l'édification économique" (10 janvier) a un caractère centriste. En affirmant cela, Talheimer ne fait que montrer jusqu'où il va dans l'identification de l'Etat ouvrier à la bureaucratie soviétique, Il veut que l'on regarde l'Union soviétique avec les lunettes de la fraction stalinienne et non avec les yeux du prolétariat international. En d'autres termes il raisonne non comme un théoricien de la révolution prolétarienne mais comme le laquais de la fraction stalinienne. Un laquais vexé, en disgrâce, mais tout de même un laquais qui attend d'être pardonné. C'est pourquoi, même dans "l'opposition", il n'ose pas nommer tout haut la bureaucratie : comme Jehova elle ne le pardonne pas : "Ne prononce pas mon nom en vain."

Tels sont les deux pôles des groupements communistes : l'un ne voit pas la forêt à cause des arbres, quant à l'autre, la forêt .l'empêche de distinguer les arbres. Toutefois, il n'y a en fin de compte rien de surprenant à ce que Thalheimer et Urbahns se découvrent des affinités et fassent bloc contre l'appréciation marxiste de l'Etat soviétique.

Le "soutien" de l'extérieur apporté à l'expérience russe, "soutien" sommaire et qui n'engage à rien, est devenu ces dernières années une marchandise assez répandue et très bon marché. Dans toutes les parties du monde, il y a beaucoup de journalistes, de touristes, d'écrivains mais aussi des "socialistes" plus ou moins radicaux, humanitaires et pacifistes, qui manifestent à l'égard de l'URSS et de Staline la même approbation inconditionnelle que les brandlériens. Bernard Shaw, qui en son temps critiqua violemment Lénine et l'auteur de ces lignes, approuve pleinement la politique de Staline. Maxime Gorki, qui était en opposition avec le Parti communiste du temps de Lénine, est aujourd'hui entièrement du côté de Staline. Barbusse, qui marche la main dans la main avec les sociaux-démocrates français, soutient Staline. L'hebdomadaire américain The New Masses, publication de petits bourgeois radicaux de deuxième ordre, prend .la défense de Staline contre Rakovsky. En Allemagne, Ossietzky qui cita avec sympathie mon article sur le fascisme, jugea nécessaire de remarquer que j'étais injuste dans ma critique de Staline. Le vieux Ledebour dit : "En ce qui concerne le problème principal dans la polémique qui oppose Trotsky à Staline - la socialisation peut-elle être entreprise dans un pays isolé et menée à bien jusqu'à son terme -, je me range entièrement du côté de Staline." On pourrait multiplier les exemples de ce type. Tous ces "amis" de l'URSS abordent les problèmes de l'Etat soviétique de l'extérieur, comme des observateurs, des sympathisants et parfois comme des promeneurs. Evidemment, il vaut mieux être l'ami du plan quinquennal soviétique que l'ami de la bourse new-yorkaise. Néanmoins, la sympathie passive de la petite bourgeoisie de gauche est très éloignée du bolchevisme. Le premier échec important de Moscou suffira à disperser la majorité de ce public, comme poussière dans le vent.

En quoi la position des brandlériens sur l'Etat soviétique se distingue-t-elle de la position de tous ces "amis" ? Uniquement peut-être par une moins grande sincérité. Un tel soutien ne fait ni chaud ni froid à la République des Soviets. Et quand Thalheimer nous apprend, à nous opposition de gauche, bolcheviks-léninistes russes, quelle attitude il faut avoir envers l'Union soviétique, il ne peut pas ne pas inspirer un sentiment de dégoût.

Rakovsky dirigea en personne la défense des frontières de la République des Soviets ; il participa aux premiers pas de l'économie soviétique, à l'élaboration de la politique à l'égard de la paysannerie ; il fut à l'origine des comités de paysans pauvres en Ukraine et dirigea l'application de la politique de la NEP aux conditions originales de l'Ukraine ; il connaît tous les méandres de cette politique ; aujourd'hui encore il la suit jour après jour de Barnaoul avec une attention passionnée; il met en garde contre les erreurs possibles et suggère des solutions justes. Kote Tsintsatzé, ce vieux combattant mort en déportation, Mouralov, Karl Grünstein, Kasparova, Sosnovsky, Kossior, Aoussem, les Eltsine, père et fils, Blumkine, fusillé par Staline, Dingelstedt, Choumskaïa, Solntsev, Stopalov, Poznansky, Sermux, Boutov que Staline fit périr sous la torture en prison, les dizaines, les centaines, les milliers d'autres dispersés dans les prisons et en déportation, tous sont des combattants de la Révolution d'octobre et de la guerre civile, tous avaient participé à l'édification socialiste, aucune difficulté ne les effrayait et tous sont prêts à reprendre leur poste de combat au premier signal. Est-ce à eux de recevoir des leçons de Thalheimer sur la fidélité à l'Etat ouvrier?

Tout ce qu'il y a de progressiste dans la politique de Staline fut formulé par l'opposition de gauche et fut combattu par la bureaucratie. Des années de prison et de déportation, tel est le prix que l'opposition de gauche a payé et paie encore pour avoir pris l'initiative du plan, des rythmes élevés de croissance, de la lutte contre les koulaks et d'une collectivisation plus large. Quel a été l'apport à la politique économique de l'URSS de tous ces partisans inconditionnels, de ces sympathisants, y compris les brandlériens ? Nul ! Derrière leur soutien sommaire et non critique à tout ce qui se fait en URSS, se cache une sympathie tiède et non un enthousiasme internationaliste : c'est que l'affaire se passe au-delà des frontières de leur propre patrie. Brandler et Thalheimer pensent et disent à mots couverts : "Le régime de Staline, évidemment, ne nous conviendrait pas, à nous Allemands ; mais c'est assez bon pour les Russes !"

Le réformiste voit dans la situation internationale la somme des situations nationales ; le marxiste considère la politique nationale en fonction de la politique internationale. Dans cette question fondamentale, le groupe du KPDO (les brandlériens) occupe une position nationale-réformiste, c'est-à-dire qu'il nie en pratique, si ce n'est en paroles, les principes et les critères internationalistes de la politique nationale.

Roy, dont le programme politique pour l'Inde et la Chine découlait entièrement de l'idée stalinienne des partis "ouvriers et paysans" pour l'Orient, était le partisan et le collaborateur le plus proche de Thalheimer. Pendant de longues années. Roy fit de la propagande pour la création d'un parti national-démocratique en Inde. En d'autres termes, il intervenait non comme un révolutionnaire prolétarien mais comme un démocrate national petit bourgeois. Ce qui ne l'empêchait nullement de participer activement à l'état-major central des brandlériens [2].

Mais c'est à l'égard de l'Union soviétique que l'opportunisme national des brandlériens se manifeste de la façon la plus grossière. La bureaucratie stalinienne, à les en croire, agit chez elle sans commettre la moindre erreur. Mais on ne sait pourquoi, la direction de cette même fraction stalinienne est désastreuse en Allemagne. Comment cela se fait-il ? C'est qu'il ne s'agit pas d'erreurs partielles de Staline, dues à sa méconnaissance des autres pays, mais d'un enchaînement d'erreurs, de toute une orientation. Thaelmann et Remmele connaissent l'Allemagne comme Staline connaît la Russie, comme Cachin, Semard et Thorez connaissent la France. Ils forment une fraction internationale et élaborent sa politique pour les différents pays. Or, il s'avère que cette politique, irréprochable en Russie, entraîne la ruine de la révolution dans tous les autres pays.

La position de Brandler devient particulièrement malencontreuse quand on la reporte à l'intérieur de l'URSS, où un brandlérien est obligé de soutenir Staline inconditionnellement. Radek qui, au fond, fut toujours plus proche de Brandler que de l'opposition de gauche, capitula devant Staline. Brandler ne pouvait qu'approuver cet acte. Mais Radek après sa capitulation fut aussitôt contraint par Staline de proclamer que Brandler et Thalheimer étaient des "sociaux-fascistes". Les soupirants platoniques du régime stalinien à Berlin n'essaient pas d'échapper à ces contradictions humiliantes. Cependant leur but pratique est clair, même sans explication ( "Si tu me places à la tête du parti en Allemagne, déclare Brandler à Staline, je m'engage à reconnaître ton infaillibilité dans les affaires russes, à condition que tu me permettes de mener ma politique dans les affaires allemandes.") Peut-on éprouver du respect pour de tels "révolutionnaires" ?

La critique que font les brandlériens de la politique de la bureaucratie stalinienne dans l'Internationale communiste, est tout à fait unilatérale et malhonnête du point de vue théorique. L'unique défaut de cette politique est d'être "ultra-gauche". Mais peut-on accuser d'ultra-gauchisme le bloc de quatre ans entre Staline et Tchang Kai-chek ? Etait-ce de l'ultra-gauchisme que la création de l'Internationale paysanne ? Peut-on qualifier de putschiste le bloc avec le conseil général des briseurs de grève ? Et que dire de la création des partis ouvriers et paysans en Asie et du parti ouvrier et fermier aux Etats-Unis ?

De plus, quelle est la nature sociale de l'ultra-gauchisme stalinien? Un état d'âme passager ? Un état maladif? On cherche en vain une réponse à cette question chez le théoricien Thalheimer.

L'opposition de gauche a depuis longtemps déchiffré cette énigme : il s'agit d'un zigzag ultra-gauche du centrisme. Les brandlériens ne peuvent accepter cette définition confirmée par le développement des neuf dernières années, car elle signifie leur mort politique. Ils ont suivi la fraction stalinienne dans tous ses zigzags à droite, mais se sont dressés contre ses zigzags à gauche; par là, ils ont prouvé qu'ils étaient l'aile droite du centrisme. Le fait qu'ils aient été arrachés du tronc, comme une branche morte, est tout à fait dans l'ordre des choses : lors des tournants brusques du centrisme, il est inévitable que certains groupes et couches se détachent sur sa droite et sur sa gauche. Ce qui a été dit n'implique pas que les brandlériens se soient trompés en tout. Ils ont eu raison et ont encore raison sur de nombreux points contre Thaelmann et Remmele. Il n'y a rien d'extraordinaire à cela. Les opportunistes peuvent avoir une position juste dans la lutte contre l'aventurisme. Inversement, le courant ultra-gauche peut saisir exactement le moment du passage de la lutte pour gagner les masses à la lutte pour le pouvoir. Dans leur critique de Brandler, les ultra-gauches ont exprimé vers la fin de 1923 bon nombre d'idées justes, ce qui ne les empêcha pas de commettre de très grossières erreurs en 1924-1925. Le fait que dans leur critique des bonds de la "troisième période", les brandlériens aient repris une série de considérations anciennes mais justes, ne témoigne nullement de la justesse de leurs positions en général. Il faut analyser la politique de chaque groupe à travers plusieurs périodes : dans les combats défensifs, dans les combats offensifs, dans les périodes de montée et les moments de reflux, dans les conditions de lutte pour gagner les masses et dans une situation de lutte directe pour le pouvoir.

Il ne saurait y avoir de direction marxiste spécialisée dans les problèmes de défense ou d'offensive, de front unique ou de grève générale. L'application correcte de toutes ces méthodes n'est possible que lorsqu'on est capable d'apprécier synthétiquement la situation dans son entier, lorsqu'on sait analyser les forces mises en jeu, fixer les étapes et les tournants et, à partir de cette analyse, mettre au point un ensemble d'actions qui répondent à la situation présente et préparent l'étape suivante.

Brandler et Thalheimer se considèrent presque comme les spécialistes exclusifs de la "lutte pour les masses". Ces gens soutiennent avec le plus grand sérieux que les arguments de l'opposition de gauche en faveur de la politique de front unique sont un plagiat de leur propre position. On ne peut refuser à personne le droit d'être ambitieux ! Imaginez-vous qu'au moment même où vous expliquez à Heinz Neumann une erreur de multiplication, un vaillant professeur d'arithmétique vous déclare que vous le plagiez, car depuis des années il explique les mystères du calcul, exactement comme vous.

La prétention des brandlériens m'a procuré, en tout cas, une minute de gaieté dans la situation actuelle si triste. La sagesse stratégique de ces messieurs date du IIIe Congrès de l'Internationale communiste. J'y défendais l'ABC de la lutte en direction des masses contre l'aile " gauche " d'alors. Dans mon livre, Nouvelle étape, consacré à la popularisation de la politique de front unique et édité par l'Internationale communiste en différentes langues, je souligne de maintes façons le caractère élémentaire des idées qui y sont défendues. "Tout ce qui est dit, lisons-nous, par exemple, à la page 70 de l'édition allemande, constitue une vérité élémentaire du point de vue de toute expérience révolutionnaire sérieuse. Mais quelques éléments "gauches" du congrès virent dans cette tactique une poussée vers la droite..." Parmi ceux-ci figuraient Thalheimer aux côtés de Zinoviev, Boukharine, Radek, Maslow, Thaelmann.

L'accusation de plagiat n'est pas la seule accusation. Non seulement l'opposition de gauche s'est emparée de la propriété intellectuelle de Thalheimer, elle en donne de plus, semblet-il, une interprétation opportuniste. Cette curieuse affirmation mérite qu'on s'y arrête dans la mesure où elle nous donne la possibilité de mieux éclairer la question de la politique du fascisme.

Dans l'un de mes précédents ouvrages, j'ai exprimé l'idée qu'Hitler ne pouvait arriver au pouvoir par la voie parlementaire : même en admettant qu'il puisse obtenir 51% des voix, l'accentuation des contradictions économiques et l'aggravation des contradictions politiques devraient conduire à une explosion bien avant la venue de ce moment. C'est pour cette raison que les brandlériens m'attribuent l'idée que les nationaux-socialistes disparaîtront de la scène sans qu'une action extra-parlementaire de masse des ouvriers soit nécessaire. En quoi cela vaut-il mieux que les inventions du Rote Fahne.

Partant de l'impossibilité où se trouvent les nationaux-socialistes d'accéder "pacifiquement" au pouvoir, j'en concluais qu'ils emprunteraient inévitablement d'autres voies, que ce soit un coup d'Etat direct ou une étape de coalition débouchant immanquablement sur un coup d'Etat. L'auto-liquidation sans douleur du fascisme serait possible dans un seul cas : si Hitler appliquait en 1932 la même politique que Brandler en 1923. Sans surestimer le moins du monde les stratèges nationaux-socialistes, je crois néanmoins qu'ils sont plus -solides et perspicaces que Brandler et Cie.

La deuxième objection de Thalheimer est encore plus profonde : la question de savoir si Hitler arrivera au pouvoir par la voie parlementaire ou par une autre voie n'a, dit-il, aucune importance, car elle ne modifie pas "l'essence" du fascisme, qui, de toute façon, ne peut instaurer sa domination que sur les débris des organisations ouvrières. "Les ouvriers peuvent en toute tranquillité laisser aux rédacteurs de Vorwärts le soin d'analyser les différences qui peuvent exister entre l'arrivée d'Hitler au pouvoir par la voie parlementaire et une arrivée par une autre voie" (Arbeiterpolitik, 10 janvier). Si les ouvriers d'avant-garde suivent Thalheimer, Hitler leur tranchera la gorge à coup sûr. Pour notre sage instituteur, seul importe "l'essence" du fascisme, il laisse les rédacteurs de Vorwärts apprécier la manière dont elle se réalise. Malheureusement, "l'essence" pogromiste du fascisme ne peut se manifester pleinement qu'après son arrivée au pouvoir. Il s'agit donc de ne pas le laisser arriver au pouvoir. Pour cela, il faut soi-même comprendre la stratégie de l'ennemi et l'expliquer aux ouvriers. Hitler fait d'énormes efforts pour faire entrer en apparence son mouvement dans le cadre de la constitution. Seul un pédant qui s'imagine être un "matérialiste" peut croire que de tels procédés resteront sans influence sur la conscience politique des masses. Le constitutionnalisme d'Hitler vise non seulement à maintenir une porte ouverte pour un bloc avec le centre, mais aussi à tromper la social-démocratie, plus exactement, à ce que les chefs de la social-démocratie trompent plus facilement les masses. Quand Hitler jure qu'il accédera au pouvoir par la voie constitutionnelle, ils proclament aussitôt que le danger du fascisme n'est pas redoutable pour l'instant. En tout cas, on aura encore l'occasion de mesurer le rapport de forces dans des élections de toutes sortes. En se couvrant d'une perspective constitutionnelle, qui endort ses adversaires, Hitler veut garder la possibilité de porter un coup au moment décisif. Cette ruse de guerre, malgré sa simplicité apparente, renferme en fait une puissance énorme, car elle s'appuie non seulement sur la psychologie des partis intermédiaires qui souhaiteraient résoudre la question politiquement et légalement, mais aussi, ce qui est beaucoup plus dangereux, sur la crédulité des masses populaires.

Il faut ajouter que la manœuvre d'Hitler est à double tranchant : il abuse ses adversaires mais aussi ses partisans. Or, pour la lutte, surtout pour une lutte offensive, il est nécessaire d'avoir un esprit combatif. On ne peut entretenir cet esprit qu'en persuadant ses troupes du caractère inéluctable d'une lutte ouverte. Ce raisonnement implique également qu'Hitler ne peut pas prolonger trop longtemps sa tendre idylle avec la Constitution de Weimar, sans démoraliser ses propres rangs. Il doit tirer à temps le poignard de son sein.

Il ne suffit pas de comprendre la seule "essence" du fascisme, il faut savoir l'apprécier comme phénomène politique réel, comme un ennemi conscient et perfide. Notre maître d'école est trop "sociologue" pour être révolutionnaire. N'est-il pas clair en effet, que les pensées profondes de Thalheimer entrent comme des facteurs positifs dans les calculs d'Hitler, car c'est rendre service à l'ennemi que de mettre dans le même sac la diffusion par Vorwärts des illusions constitutionnelles et le dévoilement de la ruse que l'ennemi bâtit sur ces illusions.


L'importance d'une organisation vient soit des masses qu'elle entraîne, soit du contenu des idées qu'elle est capable de faire pénétrer dans le mouvement ouvrier. On ne trouve rien de tout cela chez les brandlériens. Pourtant, avec quel mépris magnifique Brandler et Thalheimer parlent du marais centriste du SAP! En fait, si l'on compare ces deux organisations, le SAP et le KPDO, tous les avantages sont du côté du premier. Le SAP n'est pas un marais, mais un courant vivant. Il évolue de la droite vers la gauche, vers le communisme. Ce courant n'est pas encore épuré, on y trouve beaucoup de détritus et de vase, mais ce n'est pas un marais. L'épithète de marais s'applique beaucoup mieux à l'organisation de Brandler-Thalheimer, qui se caractérise par une complète stagnation idéologique.

A l'intérieur du groupe du KPDO, il existait depuis longtemps déjà une opposition, mécontente essentiellement de ce que les dirigeants s'efforçaient d'adapter leur politique non pas tant aux conditions objectives qu'aux humeurs de l'état-major stalinien de Moscou.

L'opposition de Walcher-Frölich a toléré pendant plusieurs années la politique de Brandler-Thalheimer qui, surtout en ce qui concerne l'URSS, avait non seulement un caractère erroné, mais aussi consciemment hypocrite et politiquement malhonnête ; il est clair que personne n'inscrira cela à l'actif du groupe dissident. Mais le fait est que le groupe Walcher-Frölich a finalement reconnu l'inutilité d'une organisation dont les chefs cherchent avant tout à gagner les bonnes grâces de leurs supérieurs. La minorité juge indispensable l'adoption d'une politique indépendante et active, dirigée non contre le sinistre Remmele, mais contre l'orientation et le régime de la bureaucratie stalinienne en URSS et dans l'Internationale communiste. Si nous interprétons correctement la position de Walcher-Frölich à partir de matériaux encore extrêmement insuffisants, cette dernière constitue, toutefois, un progrès sur ce point. Après avoir rompu avec un groupe visiblement moribond, la minorité est maintenant confrontée à la tâche de définir une nouvelle orientation, nationale et surtout internationale.

La minorité dissidente, autant que l'on puisse en juger, considère comme sa tâche principale dans la période à venir, de s'appuyer sur l'aile gauche du SAP, de gagner ce nouveau parti au communisme et de s'en servir pour mettre fin au conservatisme bureaucratique du Parti communiste allemand. Il est impossible de se prononcer sur ce plan, formulé de façon aussi vague et générale : les bases de principe sur lesquelles se tient la minorité et les méthodes qu'elle pense appliquer dans la lutte pour ces principes restent obscures. Il faut une plate-forme ! Nous pensons non à un document qui se contenterait de reproduire les lieux communs du catéchisme communiste, mais à un texte apportant des réponses claires et concrètes aux questions militantes de la révolution prolétarienne, questions qui, pendant ces neuf dernières années, ont déchiré les rangs communistes et qui conservent aujourd'hui encore toute leur actualité. Autrement, cela reviendrait à se dissoudre dans le SAP et à retarder sa marche vers le communisme.

L'opposition de gauche suivra avec attention et sans aucun parti pris l'évolution de la minorité. La scission d'une organisation moribonde a plus d'une fois au cours de l'histoire donné une impulsion au développement progressiste de sa partie viable. Nous serons très contents de voir que cette loi se confirme une nouvelle fois en ce qui concerne le sort de la minorité. Mais seul l'avenir nous le dira.


Notes

[1] KPDO : Kommunistische Partei Deutschlands-Opposition (Parti communiste Allemand d'opposition).
Organisation formée par l'opposition de droite du PCA, après son exclusion ; dirigée par Brandler et Talheimer; à partir de 1930, forme avec d'autres groupes communistes droitiers l'Union Internationale de l'opposition Communiste;
1931 : scission, la minorité rejoint le SAP.

[2] Aujourd'hui, Roy est condamné à de nombreuses années de prison par le gouvernement Macdonald. Les journaux de l'Internationale communiste ne se sentent même pas obligés de protester : on peut conclure une alliance étroite avec Tchang Kai-chek, mais on ne doit, en aucun cas, défendre le brandlérien indien Roy contre les bourreaux impérialistes.


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