1932

Au jour le jour, le combat de Trotsky pour souder une force authentiquement communiste. Une série de lettres à son principal collaborateur: son fils, Léon Sedov.


Œuvres - février 1932

Léon Trotsky

Lettre à L. Sedov

4 février 1932

Mon cher Ljova

1 . Ta lettre n°8 et les cartes dans le tube sont arrivées. Il m'est difficile de te dire quel atlas acheter, mais le meilleur marché sera le mieux ; naturellement ce peut être un d'occasion puisque avec nos voyages ici ou là etc. les livres sont destinés à être perdus ( quand nous sommes venus dans nos nouveaux quartiers, nos administrateurs ont réussi à perdre un sac de livres). En ce qui concerne les dictionnaires aussi, nous pouvons nous restreindre un minimum ; on peut partir avec un russe-anglais. Mais pour en finir avec ça, ce serait bien d'avoir les oeuvres de Marx et Engels, en allemand ou en russe. Je ne doute pas qu'il soit possible de les acheter à un bouquiniste à des conditions favorables. Mieux, de le faire quand l'occasion se présente.

2 . Sur Kirch(hoff). Tu dois naturellement agir avec toute la prudence nécessaire et enquêter sur la question sous tous les angles.

3 . En ce qui concerne le film, je suis moi-même dans une ignorance totale, aussi ma proposition peut-elle être interprétée dans le sens le plus général comme une proposition de faire une enquête préliminaire.

4 . Je n'ai aucune idée du point où en sont les choses avec les Espagnols concernant leur solidarité avec Lacroix. J'ai pensé qu'il fallait les laisser à eux-mêmes pendant un certain temps et, pour maintenir des relations convenables, respecter les formes. Je ne pense pas que nous puissions envoyer quelqu'un pour une conférence avec succès. Pour cela, il nous faut un camarade qui connaisse l'espagnol et il n'y en a pas. Avec le français un émissaire serait condamné à tourner dans le cercle d'un petit sommet. Je pense que nous devons repousser cela et leur envoyer un simple salut du secrétariat international.

5 . Que faire avec le mandat espagnol de Mill ? Ce n'est pas une mince affaire. Les sections qui protestent en général contre Mill peuvent manifester quelque méfiance sur Mill en tant que représentant de la section espagnole. On ne sait même pas encore, après tout, comment va se comporter la section allemande. Il est toujours impossible de prévoir quoi que ce soit pour la commission exécutive française : il y a toujours une surprise d'un certain ordre. Dans ces conditions, il ne reste que la section russe. Quelle devrait être notre attitude ? Après avoir prêté l'oreille à propos de la candidature de Mill, on pourrait mettre dans une résolution quelque chose comme ça : "Le camarade Mill a été pendant quelques mois, sinon formellement, du moins moralement le représentant de l'Opposition russe dans le secrétariat international. Pendant ce temps, il a manifesté une absence totale d'intégrité de principes, une incompréhension des objectifs et obligations du secrétariat et une tendance à être guidé par des motifs et influences personnels et finalement une absence totale de tout ordre dans le travail pratique. L'Opposition russe se sent obligée de priver de sa confiance le camarade Mill. Considérant comme impossible de protester formellement contre la délégation par la section espagnole du camarade Mill au secrétariat international, la section russe décline cependant toute responsabilité pour le camarade Mill dans le groupe du secrétariat". Ce pourrait être suffisant.

Une initiative plus décisive peut devenir nécessaire en fonction de deux circonstances :
a) si Mill est exclu de la Ligue française ( ce fut envisagé) ;
b) si l'histoire de son refus de rendre les archives du secrétariat se développe davantage.
Sur cette seconde question, il faut demander à Frank et Souzo un vote formel. Si le secrétariat français cesse d'exister en tant qu'institution, il continuera à exister jusqu'à ce que soient remises ses affaires et archives, en tant que commission en liquidation (c'est la règle générale dans le monde entier). Il est donc essentiel pour la commission en liquidation de s'exprimer sur cette question avec une pleine netteté et en même temps de manière formelle stricte. Cela simplifiera beaucoup la question.

6 . Tu mentionnes seulement les résolutions des sections russe, allemande, française sur la question du secrétariat. Mais qu'en est-il de la section belge. Où en est-ce avec l'italienne - la nouvelle Opposition ? Si la section italienne n'a pas encore parlé, il faut lui demander de prendre position de façon formelle.

7 . Sur le voyage de Jan. Sans mandat national il ne pourra naturellement pas entrer dans le secrétariat mais il pourrait travailler au secrétariat comme un collaborateur égal à Erwin ( c'est sa propre proposition). Il est douteux qu'en ce moment il puisse obtenir un mandat de Tchécoslovaquie. Leurs rapports sont plutôt compliqués et confus.

A propos, Neurath est passé à nous complètement et écrit à ce sujet comme s'il avait toujours été avec nous. Il cogne à bras raccourcis non seulement sur Brandler et Thalheimer, mais sur la majorité pour n'avoir pas encore rejoint nos positions. Il écrit que, dans ses propres conférences tchéco-allemandes, il a parlé catégoriquement en faveur d'une union avec nous, etc. C'est également symptomatique. Il va sans dire que ces vieux et demi-vieux ne peuvent par eux-mêmes réaliser de grandes actions. Mais ils joueront un rôle important dans la destruction du fétichisme et de l'hypnotisme anti-trotskystes : les jeunes s'engageront dans cette brèche et nous rejoindront ainsi.

Pour en revenir à Jan. Il ne pourra pas s'en aller avant que soit réglée la question de son remplacement. Mes exigences restent les mêmes : une connaissance impeccable de l'allemand, une capacité à taper à la machine et si possible une bonne maîtrise de l'anglais.

8 . J'ai déjà écrit à Erwin que le voyage de Francfort devait être reporté. J'avais à l'esprit un représentant d'une organisation plus ou moins importante. Il s'agit d'individus. Il faudra attendre.

9 . Le fait qu'Erwin, aille à Berlin est magnifique. Il a incontestablement l'esprit de parti et donc l'esprit de fraction aussi. Même dans sa thèse de médecine il a réussi à inclure Joffé, Rakovsky, une référence à mon propre livre, etc. C'est là le comportement d'un véritable combattant politique qui n'a pas à la fois une " Parteisache " un intérêt de parti et une " Privatsache ", un intérêt privé. Son article intérêt privé sur le fascisme ( Bauer ) dans le dernier numéro est excellent.

Ton plan pour un travail commun afin de neutraliser et si nécessaire aussi de paralyser Roman me semble correct. Je ne prendrai aucune initiative saut en cas d'extrême besoin. Si J'écrivais que j'allais bouger, c'est parce que le manque de résistance à Well m'effrayait avec ses inévitables conséquences. Puisque maintenant cette résistance systématique a été commencée, je n'ai pas de raison de bouger.

Selon moi Ludwig ne devrait aucunement se mêler aux affaires locales, afin de ne pas perdre sa perspective ni son objectivité et de ne pas recommencer (à aucun degré) l'histoire de Mill et de ses rapports avec la Ligue. La position d'un membre du secrétariat exige qu'on garde une certaine distance.

Pour réduite au minimum les frictions sur Well, il faut préparer avec soin toute résolution délicate, c'est-à-dire gagner à la résolution en temps les gens dont on a besoin et seulement ensuite poser formellement la question à Well.

Je viens d'envoyer à Sénine une lettre, il y a deux jours, dans laquelle je lui expliquais dans le détail mes appréhensions concernant Well. A propos, quelle est l'attitude de Well au sujet du refus de Mill de rendre les archives ?

Hier j'ai écrit à Well une longue lettre d'affaires, essentiellement sur la question de sa nouvelle brochure.

10 . Il est possible que Sénine ait raison sur son entrée dans le S.A.P. Il m'a interrogé là-dessus. Dans ma réponse, je n'ai rien dit de lui personnellement mais j'ai donné mon opinion sur la façon de traiter cette question en général. Mais tu peux lui dire que je considère que son argument est juste : s'il est suffisamment bien connu, alors son entrée dans le S.A.P. peut être interprétée comme notre ralliement au S.A.P. En principe, cette question est éclairée dans un des chapitres de ma brochure que j'espère terminer cette semaine. Jan la traduit parallèlement.

11 . J'ai reçu de Thomas le discours de Walcher : là aussi il y a un combat interne qui se déroule, tournant autour de " Trotsky et le trotskysme ". Je maintiendrai ce lien avec eux.

12 . Je ne sais rien de solide sur la provocation bulgare et ne peux en ce moment aborder le moins du monde cette question.

13 . Dans un numéro du Bulletin international, tu [illisible ndlr] aux procès-verbaux belges. C'est une excellente idée. J'ai seulement peur que tu n'aies pas de seconde copie. Je t'enverrai la mienne ; je n'ai pu me décider à lire les procès-verbaux.

14 . Peut-être l'article sur Staline doit-il être écrit de nouveau. Cependant je vais inclure les parties les plus importantes dans ma brochure allemande. Je ne sais pas comment nous ferons en russe : si nous le sortirons sous la forme d'un numéro double du Biulleten ou si nous nous bornerons à des extraits.

15 . Maintenant, le plus important ; sur le dernier numéro de Permanente Revolution. Que [sur] la question de la candidature présidentielle, l'Opposition allemande a pris une position manifestement fausse et profondément nuisible ; elle est passée d'un front antifasciste uni de grève et de combat à un front uni parlementaire-électoral. Calamité, calamité, calamité ! Dans une de mes brochures je stipulais qu'un bloc avec les réformistes pour l'action de masse, même la plus modeste, est toujours préférable pour le parti révolutionnaire ; un bloc avec les réformistes pour des combinaisons parlementaires est toujours ou presque toujours profitable aux réformistes.

Qu'est-ce que cela veut dire - une candidature ouvrière unie ? Qu'est-ce cette personnalité au-dessus des partis ? Mais c'est la candidature du S.A.P. Le candidat, c'est le programme et le drapeau. Il serait absurde et grotesque de demander au P.C. de retirer son propre candidat ou de quelque X avec un programme non défini. C'est de l'opportunisme pur. Comment cela pourrait-il aider à lutter contre le fascisme ? Même en temps que manoeuvre (un appel à la s.d. pour obtenir un refus) cela ne servirait à rien, puisque cela équivaudrait à se préparer à rejeter son propre drapeau sous les yeux des ouvriers, sous les yeux du peuple. Aïe, aïe, aïe, quelle terrible et triste chose ! De qui était cet article ? Sûrement cette position doit avoir provoqué des protestations ?

Dans ma brochure, je polémique vivement sur cette question contre les brandlériens et le S.A.P. Je l'ai écrite il y a environ deux semaines. Une petite idée m'a traversé l'esprit : certaine des nôtres pourraient-ils avoir gommé quelque chose comme ça ? Mais je me suis rassuré : ce ne pouvait être. Maintenant, je ne sais pas que faire. Dans la brochure je vais me prononcer nettement contre cet article, comme faux. Je vais écrire aujourd'hui à la direction et insister pour qu'ils corrigent leur erreur. Il nous faut résolument, courageusement, fermement, nous prononcer pour la candidature de Thälmann et nous battre pour elle comme des tigres. Même quelques-uns de la gauche du S.A.P. ont compris cela ( J'ai lu hier un article de discussion en ce sens).

Cette cuillerée de goudron va tout gâter, car sans elle, le numéro ne serait pas mal. Qui a écrit les notes sur les boucs émissaires dans le P.C. ? Très intelligemment écrit et de façon pénétrante.

16 . La question financière, finalement, a été réglée. L'argent d'Amérique est arrivé. J'espère que tu as reçu le mandat télégraphique d'Amérique.

L'éditeur américain de mon Histoire est en train de remuer ciel et terre, il est sur le point de jeter les Etats-Unis dans un état de très grande exaltation : c'est évidemment un Yankee de la plus belle eau. A part le profit, il n'en sortira rien. Je suis content de m'être débarrassé de Boni.

17 . Je reviens encore à la question du président. Aujourd'hui, j'ai décidé d'envoyer un télégramme sur cette erreur, la plus grossière qui ait été commise. La question est terriblement importante. Une telle erreur, si on persistait, si on ne rectifiait pas tout de suite, pourrait anéantir les petits succès que l'Opposition a remporté récemment. Il faut rectifier non pas à demi-mot, mais nettement, durement, résolument. Par exemple, sortir un tract aux ouvriers avec un appel à voter pour Thälmann. Il n'est pas besoin de rien dire sur l'erreur dans Permanente Revolution, mais rien non plus en tout cas sur l'erreur du P.C. qui sur cette question n'a pas fait le front uni avec la social-démocratie (quelle absurdité !). On peut faire comme si aucun article n'avait jamais été imprimé. Puisque l'article est sorti avec les initiales V.N., en cas de pression de l'adversaire, on peut simplement dire que c'est un nom personnel. Le mieux serait évidemment de dire simplement que l'article était faux. Mais l'essentiel est la nécessité d'appeler ouvertement les masses par une proclamation en faveur de Thälmann. Ce serait le plus grand non-sens si les brandlériens et le S.A.P. se prononçaient pour la candidature de Thälmann avant l'Opposition de gauche. En tout cas, je condamnerai publiquement et catégoriquement cette position.


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