1920

Article paru dans le numéro 47/48 (première année) du Bulletin communiste, 9 décembre 1920. D'après les mots « Aujourd'hui, c'est le troisième anniversaire de notre révolution prolétarienne. », le texte date du 7 novembre 1920.


La Révolution Internationale en 1917-1920

Grigori Zinoviev


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Lorsqu'on interrogera les historiens futurs sur l'origine de la révolution internationale, tous, unanimement, répondront :

En 1917, la révolution russe a été le commencement de la révolution internationale.

Lorsque quelques-uns de nos ennemis nous interrogent, pleins de sarcasme : « Où est-elle donc, votre révolution internationale ? » nous leur pourrions répondre : « La voici devant vous. Cette révolution s'accomplit sous vos yeux. Elle n'est pas encore achevée. Vous n'en avez pas encore saisi la phase première. Mais elle est là, qui se déroule devant vous. La mouche qui s'est posée sur une roue meunière énorme et tournant vite, ne remarque pas la giration de la roue. C'est comme nos Thomas, incrédules modernes, empoisonnés par le scepticisme bourgeois. Ils ne s'aperçoivent pas que nous sommes entrés dans la phase de la révolution internationale et que la révolution internationale promise est là... »

Est-ce que vraiment la Russie soviétiste aurait pu durer trois ans si l'incendie de la révolution internationale n'éclatait tantôt ici, tantôt là, si l'insurrection ouvrière ne se dressait en fantôme menaçant devant la bourgeoisie des principaux pays de l'Europe.

Trois années se sont écoulées depuis notre révolution d'octobre, mais combien facilement on oublie le mal ! Combien vite nous oubliâmes la position internationale d'octobre-novembre 1917 ! Il y a trois ans, nous étions tout à fait seuls dans l'arène internationale. Nous savions, nous croyions que le prolétariat international comprendrait et apprécierait à sa juste valeur notre mouvement, mais en même temps nous ne pouvions pas ne pas voir que le prolétariat international n'était pas encore avec nous.

Rappelez-vous combien effroyable était notre solitude dans ces jours mémorables, lorsque les impérialistes germains s'efforçaient de nous mettre dans les fers du traité de Brest. Rappelez-vous la muraille infranchissable qui se dressait partout devant nous, aux premiers mois de notre lutte, lorsque chaque jour nous amenait des malheurs nouveaux.

Un épisode relativement de second ordre, mais fort édifiant l'illustre. Rappelez-vous la politique du premier gouvernement révolutionnaire de l'Allemagne, dont la moitié se composait de socialistes indépendants. Après la chute de Guillaume, après la formation à Berlin et dans d'autres villes des Conseils d'ouvriers, le gouvernement « révolutionnaire », composé de trois socialistes-démocrates et de trois indépendants, chassait notre ambassadeur des limites de l'Allemagne et refusait d'accepter de la Russie des Soviets le blé que nous offrions aux ouvriers allemands. Il va sans dire que cette politique poltronne et traître du premier gouvernement « révolutionnaire » de l'Allemagne s'expliquait par l'opportunisme et les tendances contre-révolutionnaires de messieurs les socialistes (soit dit entre parenthèses, Dittmann, le « fameux » Dittmann d'aujourd'hui jouait alors dans le milieu S. D. un rôle prépondérant ; il était « délégué populaire » dudit gouvernement « révolutionnaire ». Mais, néanmoins, ce gouvernement de l'Allemagne, dît « révolutionnaire » n'aurait osé suivre cette politique si une partie des ouvriers allemands n'avait conçu certains préjugés contre le gouvernement ouvrier-paysan de la Russie.

Et combien, actuellement, tout cela a changé de fond en comble ! La révolution prolétarienne internationale ne se déroule pas avec la vitesse qu'on le voudrait. Mais quand même elle avance. Pourquoi les impérialistes de l'Entente, pourquoi la Ligue rapace des Nations, pourquoi la bourgeoisie de la France, de l'Angleterre et de l'Amérique, la plus riche et la plus sanguinaire, pourquoi n'ont-ils pas encore étouffé l'unique république prolétarienne, la République des Soviets ? N'en doutez pas : ces fourbes mondiaux feraient l'impossible pour nous écraser. Ils ne l'ont pas fait uniquement parce que la classe ouvrière de l'Europe et de l'Amérique est pour nous. Le prolétariat de l'Europe et de l'Amérique n'est pas encore assez puissant pour décapiter les brigands impérialistes, mais déjà il est assez puissant pour empêcher la bourgeoisie de procéder sur nous-mêmes à semblable opération.

Pendant trois années, mois par mois, jour par jour et, pourrait-on dire, heure par heure, la bourgeoisie et les socialistes officiels du monde entier ont calomnié la Russie des Soviets. Incessamment, systématiquement, sans trêve. Des dizaines, des centaines de milliers de presses d'imprimerie ont lancé chaque jour des millions d'exemplaires de journaux bourgeois et socialistes-démocrates qui nous bafouaient sans trêve. Depuis ces trois années, la bourgeoisie et ses parasites, les socialistes-démocrates, ont imprimé une telle masse d'exemplaires de journaux et autres œuvres littéraires qui nous calomniaient, qu'en déployant ces papiers on pourrait, à coup sûr, en couvrir tout le désert du Sahara, toutes les forêts vierges de l'Amérique du Sud.

Aujourd'hui, c'est le troisième anniversaire de notre révolution prolétarienne. Où est-il le pays du monde, où l'ouvrier, où les travailleurs en masse ne sont pas aujourd'hui pour notre cause ? La vraie solidarité des travailleurs du monde entier avec la première république prolétarienne victorieuse, n'est-ce pas là le commencement de la révolution prolétarienne mondiale ! Cette solidarité est le fondement,la base de la révolution prolétarienne mondiale ! Oui, nous ne voyons pas encore l'ouvrier de la plupart des pays s'élancer, armes en mains, contre la bourgeoisie ! Oui, le prolétariat ne lutte pas encore corps à corps avec la bourgeoisie mondiale ! Mais la certitude indestructible de la justesse de la cause de la République Russe Ouvrière Paysanne, cette pleine conviction dans ce que la Russie des Soviets est le défenseur naturel de tous les opprimés, ce dévouement des ouvriers de l'Europe et de l'Amérique au prolétariat russe, — tout cela a plus de valeur pour la révolution prolétarienne mondiale que n'importe quelle insurrection. Depuis trois ans qu'existe le pouvoir soviétique nous avons vu des révolutions éclater en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Finlande, en Lettonie et dans les Balkans. Une partie de ces révolutions (en Hongrie, en Lettonie et en Finlande) étaient des révolutions d'un caractère prolétarien nettement accusé, mais pas assez puissant pour l'emporter dans l'état actuel des choses. La révolution en Autriche, de même que la révolution en Allemagne, n'étaient pas des révolutions socialistes à proprement parler, encore que dès le début de cette dernière les partisans de Scheidemann aient appelé l'Allemagne une « république socialiste ». Il n'y a pas eu de révolution en Allemagne, il n'y a même pas eu de révolution bourgeoise dans le sens complet du mot. Une vraie révolution bourgeoise démocratique est impossible dans un pays tel que l'Allemagne moderne. Ce que nous y avons vu se passer n'est qu'une préface au coup d'Etat prolétarien décisif. Les choses ne sauraient aboutir à l'avorton que fut la révolution allemande de 1918. Le mouvement prolétarien dans des pays tels que l'Allemagne s'est retiré à l'intérieur du pays. Il n'y mûrit que fort lentement, la lutte y est extraordinairement difficile et tourmentée, car la bourgeoisie y est infiniment plus puissante que ne l'était la bourgeoisie russe. Nombre de circonstances extérieures secondèrent la victoire de la révolution prolétarienne : ce furent la question agraire non résolue, l'aide des paysans qui n'étaient pas encore désarmés, l'aide du parti qui seul pouvait leur donner la terre, la concurrence de deux trusts impérialistes qui se neutralisèrent l'un l'autre presque entièrement et par là même donnèrent du répit à la jeune Russie Soviétique, etc.

Le type de la Révolution allemande sera peut-être le type classique de la révolution prolétarienne. En effet, n'est-ce pas là qu'on trouve un prolétariat nombreux et puissant en face d'une bourgeoisie puissamment organisée, rusée, tenace chez qui l'influence contre-révolutionnaire de la démocratie a acquis, grâce à la psychologie bourgeoise, une si grande importance.

Les trois années écoulées depuis le moment de notre victoire, on peut les considérer aujourd'hui comme une époque de l'histoire. Ces trois années ont été employées à conquérir spirituellement le prolétariat international. Pour le moment, c'est fait. Aujourd'hui le prolétariat international est du côté de la première république prolétarienne. Durant ces trois années, les forces du prolétariat international — étant donné le niveau général de sa conscience et de son organisation — n'ont pu que neutraliser les tentatives rapaces de la bourgeoisie européenne et américaine. Jusqu'en 1920 nous avons observé un certain équilibre de forces. Aujourd'hui sous nos yeux, le plateau de la balance commence lentement, mais sans interruption, à s'incliner du côté du prolétariat. Jusqu'au moment actuel, le prolétariat ne pensait qu'à se défendre, aujourd'hui il veut passer à l'offensive.

Jusqu'à aujourd'hui, le mot d'ordre des ouvriers européens et américains, par rapport à la Russie soviétique, a été d'exiger de leur gouvernement la promesse de ne pas se mêler des affaires russes. La neutralité, — voici l'exigence des masses ouvrières d'Europe et d'Amérique. Jusqu'à aujourd'hui le « Hands off Russia ! » a été le mot d'ordre par excellence de l'ouvrier anglais conscient. Il va de soi que ce mot d'ordre n'est pas terrible ! Il va de soi que l'ouvrier d'Angleterre et des autres pays doit désormais exiger la neutralité absolue de sa bourgeoisie. Mais ce mot d'ordre est encore insuffisant. La neutralité c'est encore la tactique défensive. Aujourd'hui l'Internationale Communiste exige qu'on passe de la défensive à l'offensive. Au lieu de dire : « Neutralité absolue dans les affaires de la Russie », l'Internationale Communiste proclame « Prenez à la gorge la bourgeoisie internationale et posez votre pied sur sa poitrine. »

Lorsque les troupes des Soviets étaient aux portes de Varsovie, il était de toute évidence que le prolétariat international entrait dans une phase de développement que l'on peut caractériser par cette formule : « De la défensive à l'offensive ! » L'armée soviétique a subi des défaites sur le front polonais. Mais, dans le tableau général de la révolution prolétarienne mondiale progressant toujours, ces défaites polonaises ne sont qu'un épisode qui ralentit, il est vrai, la marche de l'évolution socialiste, mais qui ne saurait en modifier le caractère.

Notre révolution de 1905 n'a pas été une révolution internationale. Elle a été promptement écrasée, mais quand même elle a réussi à étendre son influence révolutionnaire sur l'Occident et sur l'Orient. La révolution de 1905 a été pour ainsi dire un jeu d enfant, comparée à notre grande révolution prolétarienne de 1917-1920. L'influence internationale de notre révolution actuelle surpasse de beaucoup l'influence de la révolution de 1905. En même temps l'écho de notre révolution résonne puissamment de l'Occident à l'Orient, du Nord au Sud.

Notre révolution de 1905 s'était répercutée en Orient dans le mouvement néo-turc, la révolution persane, etc. L'Orient a répondu d'une manière beaucoup plus puissante à notre révolution prolétarienne de 1917-1920. Le Congrès de Bakou des peuples de l'Orient a été le précurseur des événements révolutionnaires les plus grandioses. A Bakou, nous nous rendîmes bien compte que notre révolution d'européenne deviendrait mondiale.

Notre révolution de 1905 avait bien eu une répercussion en Occident. Mais combien faible. En Allemagne et dans d'autres pays les sphères ouvrières commencèrent à parler de la grève générale. Et aujourd'hui ? Tel pays de capitalisme classique, comme l'Angleterre, est secoué depuis plus d'un an d'une fièvre des plus fortes. Le Comité d'action, à Londres, que nous avons vu éclore pour quelques jours, a été, n'en doutons pas, le précurseur des Conseils anglais des députés ouvriers.

Par voies différentes, souvent très pénibles, en zigzaguant, en reculant, d'ornière en ornière, à travers les neiges et les fils piquants, — le prolétariat international avance quand même, toujours. L'Internationale Communiste a pris sur elle d'être le cerveau, la main de fer menaçante, l'âme de l'organisation de cette révolution internationale. Et l'Internationale Communiste accomplira sans défaut sa mission historique.


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