Édito des bulletins d'entreprise Voix Ouvrière du 24 04 1961


La lutte à mener


Nous arrivons aujourd'hui à l'aboutissement normal de toutes les années consacrées par l’impérialisme français, avec l'aide directe ou indirecte de ce qu'on appelle la gauche, à faire la guerre à des peuples colonisés en lutte pour leur indépendance politique. Avec l'appui des partis traditionnels de la classe ouvrière, que ce soit le Parti Commu­niste ou le Parti Socialiste, des partis de la bourgeoisie dite libérale, l'impérialisme français a construit et a en­traîné à la dictature et au meurtre un appareil militaro-po­licier qui est une sorte de perfection dans son domaine et au "savoir-faire" duquel DE GAULLE, dans son discours du 23 a d'ailleurs rendu hommage.

Aujourd'hui cet appareil entend mener une politique différente de celle adoptée (sinon souhaitée) par la bour­geoisie française. Son insurrection n'est pas un phénomène "anormal", tout au contraire. Il est l'accomplissement de la politique qu'on lui fait mener depuis 15 ans. Un peuple qui en opprime un autre n'est pas un peuple libre, disait LENINE, et la caste d'officiers qui a opprimé en Indochine, puis en, Algérie, nous fait vérifier aujourd'hui cette affirmation.

Et les gens qui, à la radio ou ailleurs, nous font les prê­ches horrifiés sur l'audace des généraux rebelles, ont tous sans exception une part importante de responsabilité dans les événements. On n'aurait absolument pas pu en venir là s'il n'y avait pas eu, entre autres, les pouvoirs spéciaux de 1956, les rappelés et la guerre d'Algérie, menée prati­quement dans l'unité nationale à cette époque.

S’il n'y avait pas eu aussi DE GAULLE en 1958, DE GAULLE qui, pour une grande partie de la même "gauche", devait jus­tement nous "protéger des factieux". On voit aujourd'hui ce qu’il en est. On voit aujourd'hui que la seule véritable pro­tection dont nous disposions contre les extrémistes de droi­te reste les forces mêmes de tous les travailleurs. Forces auxquelles DE GAULLE lui-même a dû, un instant, devant le danger, faire appel. Alors, lequel défend l'autre ? Ce qu'on voit par exemple c'est que l'appel aux volontaires, dès qu'il a dépassé les quelques centaines de militants U.N.R. venus de nuit au Ministère de l'Intérieur, dès que les syndicats ont commencé à proposer des hommes, même dans ces milices sous le contrôle de la police, le gouvernement a reculé, et a eu re­cours à l'appel individuel des réservistes, moyen sûrement moins efficace de combattre un putsch d'extrême-droite, mais beaucoup plus contrôlable.

Qu'il y ait tentative de putsch en métropole ou non, la situation est et demeure grave.

Le gouvernement emploiera peut-être les "moyens dont il dispose" pour réduire cette tentative factieuse, encore que ce ne soit pas certain, car il essaiera plutôt de régler le problème "pacifiquement". Une chose est cependant certaine, c'est qu'il ne détruira pas l'extrême-droite, qu'il ne brisera pas l'Etat-Major. Cela, il ne le veut pas, parce qu'ils sont les plus fermes soutiens de la bourgeoisie. Et, cela étant, cette menace pèsera sur nous encore longtemps. Ces mi­litaires formés par 10 ou 15 années de guerre colonialiste continueront à encadrer les jeunes travailleurs appelés sous les drapeaux, à leur inculquer "leur" sens des valeurs, et le respect de "leur" discipline. Demain, si quelques centai­nes de milliers d'Européens d'Algérie reviennent en France, l'extrême-droite, dans cette population, trouvera la base de masse qui lui fait défaut en métropole. Car il faut bien comprendre que ce n'est pas le destin de l'Algérie qui est en jeu. Ce destin a été forgé par les sacrifices des combat­tants algériens. Ce qui est en jeu ici, c'est notre avenir à nous, la classe des travailleurs, c'est nous, nos libertés, que les factieux, qui sont autant de Paris que d’Algérie, visent et veulent détruire. C'est une dictature militaire qu'ils veulent nous imposer, ce n'est pas d'aujourd'hui, et cela ne sera pas terminé demain, tout comme leur échec du 24 janvier n'a pas été la fin de leurs tentatives.

C'est pourquoi nous devons tout faire pour les empêcher d'atteindre leurs objectifs. C'est pourquoi la lutte que nous avons entamée ne doit pas se faire sous la direction et le contrôle des forces de police officielles. Nous irions à des déceptions graves si cela était.

Il s'agit pour nous de défendre ce qui reste de nos li­bertés, et de reconquérir celles que nous avons perdues.

Mais sûrement pas, comme certaines de nos organisations vou­draient le faire, de nous mettre à la remorque pure et sim­ple du pouvoir gaulliste.

Dans quelques entreprises, des militants ont avancé l'idée et parfois même commencé à former des milices ouvriè­res, organisations autonomes des travailleurs. C'est là cer­tainement l'un des moyens de mener ce combat qui permettra aux travailleurs de ne pas confier leur sort à la police bourgeoise.