Edito des bulletins d'entreprise Voix Ouvrière, 10 septembre 1962

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Le général de Gaulle a placé son voyage en Allemagne sous le signe de la "réconciliation" franco-allemande. D’après la RTF, la presse allemande serait unanime à déclarer que le peuple allemand a été ému que le Président de la République fran­çaise, soit venu lui dire, en allemand, qu'il était un grand peuple.

Pour tous les prolétaires du monde le peuple allemand est un grand peuple. Ce n'est pas de Gaulle qui nous l'a appris. Il est seulement dommage que ce soit lui qui, en notre nom, ait été le dire. L'Allemagne est le pays de Karl Marx, de Friedrich Engels, de Rosa Luxembourg, de Karl Liebknecht et de bien d’au­tres révolutionnaires dont le souvenir est cher à tous les prolétaires conscients et aux révolutionnaires du monde entier.

Ce que de Gaulle est allé consacrer en Allemagne durant son voyage, c'est la réconciliation de l'impérialisme allemand et de l'impérialisme français et non celle du peuple allemand et du peuple français. Car ni les prolétaires français, ni les prolé­taires allemands n'ont voulu les guerres dans lesquelles on les a entraînés et qui les ont fait se battre les uns contre les autres. Ils n'avaient aucun intérêt à ces guerres.

Il y a vingt ans nos dirigeants, dont de Gaulle, cherchaient par tous les moyens à nous faire haïr le peuple allemand, aidés d'ailleurs par des organisations se disant ouvrières et socialistes et qui ont consciemment renoncé, en cette occasion comme en bien d'autres, à défendre avant tout les intérêts des tra­vailleurs et l'internationalisme prolétarien. Aujourd'hui que le Président de la République des capitalistes et des banquiers français se pose en champion de la fraternité des peuples allemand et français on pourrait être tenté de se réjouir. Mais, malheureusement, les gestes des hommes de la bourgeoisie sont trop systématiquement intéressés pour que nous ne puissions pas craindre de payer mille fois le moindre geste positif qu'ils semblent faire.

Or, dans la situation actuelle c'est bien le cas. La fra­ternité que de Gaulle est allé prêcher a l’odeur des tranchées. Il y a vingt ans l’impérialisme français et l'impérialisme alle­mand s'opposaient. Les dirigeants respectifs nous prêchaient donc la haine. Aujourd'hui ces deux impérialismes voient leurs intérêts se rencontrer. On nous prêche donc la fraternité, mais contre d'autres peuples. Hier, il s'agissait de faire la guerre contre les Allemands. Aujourd'hui il s'agit de faire la guerre avec eux, contre les Russes.

C'est un voyage belliciste qu'en réalité le Chef de l'État français est allé faire en Allemagne. Il est allé promettre à l’impérialisme allemand le soutien de l'impérialisme français.

Il est allé duper le peuple allemand et lui faire acclamer le symbole de la guerre en lui parlant de paix.

Les prolétaires français n'ont aucune hostilité contre ceux d'Allemagne. Ils ont souffert les mêmes maux. Leur sort est lié et commun depuis un demi-siècle. Les prolétaires allemands ont connu la tragédie de voir, en 1933, les Jouhaud et les Salan de là-bas, arriver au pouvoir à la tête de leur OAS en passant sur les cadavres de milliers de travailleurs allemands. Le peuple allemand en a souffert, et nous en avons souffert aussi en 1940. Tout comme nous avons connu la triste situation de voir nos jeu­nes commandés en Algérie par les Salan, les Jouhaud et les Massu et, sous leurs ordres, torturer et s'avilir, les prolétaires allemands ont vu leurs jeunes et leurs moins jeunes se trans­former sous la direction des officiers nazis.
Mais si nous n’avons aucune hostilité contre les prolé­taires allemands, nous n'en avons aucune non plus contre ceux de Pologne ou de Russie.

Notre haine nous la gardons contre leurs maîtres et les nôtres. Et la fraternité entre les travailleurs allemands et les travailleurs français, elle se réalisera, oui, mais pour balayer nos oppresseurs communs. Marx écrivait : "Que les classes diri­geantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n’y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous."