2002

Présidentielle 2002 - ce que Lutte Ouvrière écrivait après la présidentielle de 1995


23/04/95 - 1ère déclaration - notre score

     Le score qu'on nous prête autour de 5% et qui serait sensiblement le double des voix que nous obtenons habituellement, et qui représente plus de la moité des voix du Parti Communiste, est, en soi, un succès pour les idées que je représente.
     D'autant que si ces idées sont, relayées par nos militants et nos sympathisants dans les quartiers, dans les bureaux ou dans les ateliers, nous sommes une toute petite organisation par rapport à d'autres partis, au Parti Communiste par exemple, pour citer un parti ayant la même implantation sociale que nous.
     C'est dire que nos idées ont eu un réel impact. Elles étaient éclairées par les scandales économiques et politiques, les bénéfices fabuleux des grandes entreprises sur fond de chômage généralisé, et surtout, le fait que les trois principaux candidats étaient tous responsables de cette situation dans les quinze dernières années et ne proposaient rien d'autre que de recommencer.


23/04/95 - 2ème déclaration - que nous apporte ce résultat

     Je remercie tous ceux qui ont voté, au travers de ma candidature, pour le programme que j'ai défendu mais j'aurais souhaité encore plus, pour représenter une force susceptible de mobiliser l'ensemble des travailleurs, des chômeurs et des jeunes, pour imposer à l'élu du deuxième tour ce programme urgent pour cinq millions de personnes en situation précaire, pour l'ensemble du monde du travail et pour toute la population.
     Alors, nous allons, d'abord entre les deux tours, puis dans les semaines qui viennent, tenter de contacter et de réunir, le maximum de ceux qui ont voté pour ma candidature et ceux qui ont été tentés de le faire mais ont cru au vote soi-disant utile. Nous dicuterons maintenant avec tous ceux d'entre eux qui l'accepteront, pour envisager les conditions de la création d'un grand parti se plaçant résolument, et uniquement, sur le terrain de la défense plitique des exploités.


28/04/95 (LO #1399) - On a la force de ses idées

     Avec 1 616 566 voix, Arlette Laguiller fait plus que doubler ses voix par rapport à 1988. aujourd'hui, bien des commentateurs essaient d'expliquer pourquoi et comment une petite candidate - et candidate pour la quatrième fois ! - a pu passer le cap des 5% et recueillir un nombre de voix significatif. Et de parler de "bonne campagne", de bonnes prestations télévisuelles, d'une personalité sympathique, etc.
     Non, cela n'explique rien.
     Bien sûr, pour la première fois, elle a été invitée à des émissions politiques importantes, mais toujours ou presque à titre de "petit candidat". Car en dehors des émissions officielles de la campagne elle-même, les télévisions avaient fait d'avance leur classement: les grands, les moyens, les petits candidats. Cela a donné, pour Arlette Laguiller, sept minutes à "7/7" (qui a consacré une émission entière à Le Pen), un partage méticuleux du temps à "La marche du siècle" entre les quatre "petits" (à l'époque, Hory, Waechter, Voynet et Laguiller), etc.
     Non, la télévision n'explique pas le phénomène. Ni la presse, parfois sympathique, forçant un peu le trait sur "la petite employée vivant dans un HLM des Lilas entre les tomes de Trotsky et ses plantes vertes", mais aussi parfois carément malveillante.
     Non, si Arlette a gagné plus d'un million de voix par rapport à son score de 1988 (606 017 voix recueillies alors), elle le doit aux idées qu'elle défend. Arlette n'a avec elle, ni députés, ni conseillers régionaux, ni élus, ni notables, ni surtout des militants partout. Car Lutte Ouvrière est une petite organisation qui n'est présente que dans quelques grandes régions et centres industriels, mais qui manque cruellement d'implantation dans tout le pays, qui manque d'un réseau de militants et de sympathisants, d'un milieu semblable à celui du PCF, par exemple.
     Si Arlette a gagné des voix, elle le doit à la force des idées qu'elle défend, des idées qui ont trouvé aujourd'hui un accueil plus important, parce que la situation sociale dégradée provoque elle-même des interrogations, des indignations, un sentiment d'injustice et de colère qui demande une réponse.
     Avec son plan d'urgence pour la défense des travailleurs, Arlette Laguiller, au nom de Lutte Ouvrière, a su exprimer la volonté de ceux qui ne veulent plus être les sacrifiés de la course au profit. Elle a dit des vérités que plus d'un million six cent mille personnes souhaitaient entendre. Elle les a dites sans concession, sans complaisance pour les riches et les puissants et les hommes politiques d'hier et de demain.
     Elle a dit que le monde du travail est menacé, qu'il faut prendre des mesures immédiates pour arrêter la course à l'exclusion. Elle l'a dit concrètement, rigoureusement.
     Et elle a été entendue. Pas assez, sans doute, pour créer un nouveau rapport de forces, mais assez cependant pour rallier des voix ouvrières, des voix de jeunes, des voix populaires, conscientes de l'urgence et de la nécessité de mettre un coup d'arrêt à la politique menée depuis vingt ans.
     Il ne faut pas chercher ailleurs l'explication du succès "inattendu" d'Arlette Laguiller. En bons matérialistes, nous croyons à la force des idées quand elles rencontrent l'attente des masses. On ne peut sans doute pas encore parler vraiment de masses quand on ne compte que 1 600 000 approbations sur 31 millions de suffrages exprimés, mais on peut légitimement parler d'espoir et de perspectives.

Colette Bernard

28/04/1995 (LO #1399) - Le parti qu'il faudrait aux exploités

     Au soir du premier tour, Arlette Laguiller a annoncé, après la proclamation de nos résultats, que les militants et sympathisants de Lutte Ouvrière allaient s'efforcer de rencontrer le maximum de ceux, ouvriers, employés, chômeurs, jeunes, qui ont voté pour le programme qu'elle présentait, pour discuter avec tous ceux qui l'accepteront et envisager avec eux les possibilités et les conditions de la construction d'un parti se plaçant résolument et uniquement sur le terrain de la défense politique des exploités.
     II ne s'agit pas, dans notre esprit, d'essayer une nouvelle fois de provoquer la fusion des groupes existants dans ce qu'il reste de l'extrême-gauche, ou autour des écologistes, ou encore autour de ceux qui ont choisi de se nommer les "forces alternatives".
     Tous ces militants, dont nous respectons les convictions, ont choisi leur terrain de lutte et, le plus souvent, ce n'est pas, ou ce n'est plus, celui de la défense des travailleurs. Ce n'est pas qu'ils y soient opposés, mais ils pensent qu'il y a des tâches plus urgentes. Ils n'ont peut-être pas tort. Mais ce n'est pas notre avis et ce n'est pas de cela que nous voulons discuter. Car ces discussions durent depuis des années et nous ne voulons pas être paralysés par ce genre de polémique.
     Nous, nous croyons que la défense de toutes les catégories sociales opprimées, que ce soient les jeunes, les femmes, les immigrés, les chômeurs ou les sans-abris, ou toutes les minorités vis-à-vis desquelles il y a un ostracisme, passe par le terrain fondamental de la lutte entre les deux principales classes de la société, ceux qui ne vivent ou ne peuvent vivre que de leur travail, et ceux qui exploitent le travail des autres.
     Nous pensons qu'ignorer cela c'est, d'une façon ou d'une autre, en rester complices, même involontairement. Bien sûr, il faut aider ceux qui sont dans des situations catastrophiques et les aider sans attendre des lendemains qui chantent.
     Mais il faut aussi lutter pour arrêter la machine folle qui fabrique en permanence des chômeurs, des exclus, des pauvres et dont le sous-produit est de créer d'autres types d'exclusions, psychologiques ou morales, vis-à-vis de certaines minorités.
     Nous respectons donc le combat des autres. D'ailleurs bien souvent nous l'aidons. Nous participons souvent à des manifestations initiées par d'autres pour leur apporter notre soutien, et il n'est pas rare que nos militants et sympathisants fournissent le plus gros contingent de telles manifestations.
     Mais nous, nous souhaitons et voulons rester sur le terrain qui nous paraît le terrain principal, celui des classes sociales.
     C'est ce que nous avons défendu durant cette campagne et c'est ce que un million six cent mille électeurs ont approuvé, les deux-tiers de ceux qui ont approuvé le candidat du PCF.
     Alors, c'est avec ceux qui ont voté pour la candidature d'Arlette Laguiller et ceux qui, sans aller jusqu'à voter, l'ont approuvée ou ont été touchés par ce qu'elle dit et veulent aller au-delà, que nous voulons essayer de discuter, dans les quelques mois qui viennent. Bien sûr, nous savons bien qu'entre un vote et l'acceptation de participer et d'adhérer à un parti, il y a un pas. Nous ne chercherons donc pas à le faire franchir à ceux qui ne le veulent pas. Mais nous voulons essayer de discuter même avec ceux-là, avec le maximum de nos électeurs, ouvriers, employés, jeunes, enseignants, chômeurs, travailleurs en général, ou intellectuels, pour voir avec eux non seulement ceux qui voudraient participer à la construction d'un tel parti, mais aussi les autres, comment ils l'envisageraient, ce qu'ils en attendraient, ce qu'ils souhaiteraient le voir faire.
     Avec ceux qui voudraient en être les artisans, nous envisagerions comment, concrètement, le construire avec eux.
     Nos militants et nos sympathisants vont donc, dans les semaines qui viennent, tenter de faire des réunions dans le maximum d'entreprises, de quartiers, de lycées, de facultés, autour de cette question. Ils tenteront aussi d'aller dans des villes ou des régions, trop nombreuses malheureusement, où nous n'avons jusqu'ici pas de présence.
     Enfin, nous voudrions aussi faire de la fête annuelle de Lutte Ouvrière à Paris, lors du week-end de la Pentecôte, les 3, 4 et 5 juin, un grand rassemblement politique, orienté vers ces discussions et ces échanges pour la construction d'un tel Parti.
     Ce sera, pour tous ceux qui viendront, l'occasion de mieux connaître Lutte Ouvrière et de rencontrer ses militants. Ils y verront le rôle que nos militants voudraient jouer sur le terrain politique. Et ils y verront aussi les objectifs que nos camarades se fixent sur le terrain de la culture populaire.
     Des voyages collectifs seront organisés à partir de certaines villes de province. L'hébergement (en camping) sera assuré sur place.
     Cela, c'est une première étape. Que tous ceux de nos lecteurs qui seraient intéressés s'adressent à nos vendeurs, à nos camarades, ou nous écrivent purement et simplement. Et le week-end de la Pentecôte, c'est dans cinq semaines et demi.
     Et puis, il y aura les élections municipales et nous essaierons d'intervenir dans cette campagne, surtout si nous avons pu commencer à ébaucher notre projet.
     Mais nous reviendrons sur ces élections. Car si nous pensons que les dirigeants du Parti Communiste et du Parti Socialiste sont responsables de la situation démoralisante où se trouvent les travailleurs, nous n'avons rien contre les militants de ces deux partis. Et nous ne sommes pas hostiles a priori à des listes communes, dans la mesure où il ne s'agit pas de soutenir une tête de liste qui aurait une part de responsabilité personnelle dans cette situation politique. En tout cas, nous sommes ouverts à cette discussion-là aussi.
     Enfin, tout l'été, profitant des vacances, nos sympathisants et nos militants essaieront de prendre contact, d'organiser des réunions, des meetings, dans les quartiers populaires de l'ensemble du pays.
     Nous sommes, nous le rappelons, une petite organisation qui n'a aucune existence dans les trois-quarts du territoire.
     Mais cela peut changer, cela doit changer, avec votre aide, nous l'espérons.

Roger Girardot

12/05/1995 (LO # 1401) - Construire un parti qui se place sur le terrain de la défense des intérêts politiques de tous les exploités

     L'appel adressé au soir du premier tour, par Arlette Laguiller, à tous ceux qui ont approuvé le programme qu'elle a défendu au cours de la campagne des présidentielles, pour qu'ils participent autour de Lutte Ouvrière à la construction d'un grand parti ouvrier, a été interprété par un certain nombre de militants d'extrême-gauche comme un simple appel à un regroupement ou à un rassemblement detous les groupes considérés par eux comme objectivement "anticapitalistes", même s'ils ne se qualifient pas ainsi eux-mêmes, comme des écologistes ou des militants catholiques se battant sur les problèmes des exclus.
     Dans notre idée, il ne s'agit pas du tout de rassembler des forces déjà existantes, mais d'aller au-delà. Cependant, les militants de Lutte Ouvrière n'ont pas d'autre conception du parti nécessaire à la classe ouvrière que celle que s'est forgé le mouvement révolutionnaire, à travers les combats de la deuxième puis de la troisième Internationale. C'est-à-dire qu'ils pensent que le rôle du parti ouvrier ne saurait en aucune façon se limiter à la participation (nécessaire, et primordiale, bien entendu) aux combats de la classe ouvrière pour la défense de ses intérêts dans les entreprises où elle subit l'exploitation capitaliste.
     Le but fondamental d'un tel parti, ne serait pas de faire en sorte que la part des salaires dans la répartition du revenu national s'élève, ce sera d'oeuvrer à la disparition du salariat, en tant que système d'exploitation. II ne pourra se donner d'autre programme que celui de la transformation socialiste de la société et, partant, il devra agir dans tous les domaines de la vie sociale, s'adresser à toutes les couches de la population.
     Cela signifiera participer à tous les combats qui intéressent les exploités, et pas seulement ceux dont l'entreprise est le lieu : ceux qui concernent le cadre de vie (coût des loyers, opposition aux expulsions, relogement des sans-abri, entretien des immeubles d'habitation, équipement sportif et culturel des quartiers populaires, transports en commun, etc.), la santé, la sécurité, la lutte contre les idées réactionnaires sous toutes les formes (racisme, xénophobie, religion)...
     Cela signifiera aussi être présent dans toutes les couches sociales pour y défendre le programme socialiste, pour convaincre le maximum de gens que la société toute entière aurait tout à gagner à une autre organisation sociale.
     Mais un tel parti est justement à construire. Et l'une des idées qui distinguent Lutte Ouvrière des autres groupes qui se réclament des idées révolutionnaires, c'est de considérer qu'un petit groupe politique ne peut pas jouer impunément au grand parti, parce qu'à prétendre tout faire, quand on n'a pas de forces suffisantes, on finit inéluctablement par ne faire que le plus facile, qui n'est jamais l'essentiel. Et que cela amène en outre le plus souvent à s'éloigner du programme communiste.
     Dans les années 1950-1960, quand le mouvement révolutionnaire se trouvait réduit à des groupuscules de quelques dizaines de militants, les raisons de ce choix étaient particulièrement évidentes. Alors que le stalinisme, principal obstacle entre la classe ouvrière et les véritables idées communistes, tirait sa puissance de sa présence dans les entreprises, les quelques rares forces dont disposait le mouvement trotskiste (en dehors de notre tendance) n'étaient présentes que dans le mouvement étudiant, ou parmi les intellectuels.
     Le mouvement de mai-juin 1968 a certes permis aux différents groupes trotskistes de grandir notablement, par rapport à ce qu'ils étaient auparavant. Mais il n'a pas changé fondamentalement les termes du problème.
     Si les dirigeants des différentes organisations que l'on qualifiait alors de "gauchistes" avaient fait preuve d'un peu plus de sens des responsabilités, il existait peut-être alors la possibilité de rassembler des dizaines de milliers de jeunes, travailleurs et étudiants, au sein d'un parti se réclamant du mouvement de mai, d'un parti qui aurait pu changer la physionomie politique du pays, et dans lequel chaque courant aurait pu essayer de faire prévaloir ses idées. C'est en tout cas la perspective que les militants qui sont à l'origine de Lutte Ouvrière ont défendu à l'époque. Mais quoi qu'il en soit, aucun des groupes révolutionnaires de 1968, n'a accepté cette politique et finalement, quelles qu'aient pu être alors ses illusions sur sa capacité à être un pôle d'attraction pour toute la jeunesse en mouvement, n'est sorti du cadre groupusculaire.
     Certes, les années passant, et les militants vieillissant, l'image du mouvement révolutionnaire cantonné dans les facultés est quelque peu dépassée. Mais toutes les tentatives pour trouver des raccourcis ou des substituts à la construction du parti, à travers "l'alternative" ou la "recomposition" du mouvement ouvrier, comme le choix de privilégier de fait l'activité au sein d'associations se proposant de lutter les unes contre le chômage, d'autres contre le racisme, ou pour le droit au logement, mais ayant toutes en commun de ne pas situer ces luttes dans le cadre du combat pour la transformation socialiste de la société (ce qu'on ne saurait évidemment attendre de l'abbé Pierre ou de l'ex-évêque d'Evreux !), voire de refuser de le faire, ont amené les militants qui ont fait le choix de continuer dans cette voie non seulement à s'adapter aux compagnons de route qu'ils rencontrent dans ces associations, mais aussi à accepter, sinon de perdre leur propre identité, du moins de ne plus combattre en son nom.
     Evidemment, pour tous ces groupes, il a dû être difficile de comprendre comment c'est le groupe trotskiste qu'ils considèrent comme le plus sectaire, parce qu'il a fait de l'activité dans les grandes entreprises, en direction des travailleurs du rang, sa priorité absolue, qui a su trouver le langage dans lequel un million six-cent mille travailleuses et travailleurs de ce pays se sont reconnus le 23 avril. Mais ce sont justement les choix politiques faits par Lutte Ouvrière qui lui ont permis de trouver l'oreille de ces travailleurs.
     II n'est donc pas question, pour les militants de Lutte Ouvrière, de renoncer aux choix qui sont les leurs, à la défense des idées communistes révolutionnaires. Mais parmi ces centaines de milliers d'hommes et de femmes qui ont voté pour notre candidate, ou même simplement qui ont été tentés de le faire, il y en a peut-être un nombre significatif qui seraient prêts à militer autour d'eux, dans leur entreprise peut-être, ou dans leur quartier, parmi leur milieu social, sur le terrain du logement, du racisme, ou de la culture, pour y défendre des idées conformes à la défense des intérêts de la classe ouvrière. C'est en tout cas à ceux-là qu'Arlette Laguiller s'est adressée.
     Bien évidemment, tous ceux qui ont voté Arlette Laguiller le 23 avril ne sont pas prêts à cela. Mais s'il y en avait, ne serait-ce que quelques dizaines de milliers, prêts à donner un peu de leur temps et de leurs moyens pour défendre leurs idées autour d'eux, cela pourrait changer considérablement les choses.
     Comme on le voit, notre perspective n'est pas de nous fondre, en mettant nos idées révolutionnaires dans notre poche, dans un vague regroupement associatif. C'est au contraire de prendre toute notre place, en tant que marxistes révolutionnaires, que trotskistes, dans un parti qui réunirait, si la chose s'avère possible, des milliers de travailleuses et de travailleurs décidés à oeuvrer pour défendre les intérêts de leur classe.
     Voilà pourquoi, dans la période qui vient, les militants de Lutte Ouvrière s'emploieront à multiplier les contacts avec tous ceux qui se sont reconnus dans les propositions d'Arlette Laguiller pour discuter avec eux d'un parti assurant essentiellement la défense des intérêts politiques du monde du travail, que nous pourrions construire avec tous ceux qui voudraient le construire sur cette base.

Daniel MARTI

02/06/1995 (LO #1404) - Le parti à construire pour défendre les intérêts de la classe ouvrière

     L'appel lancé au soir du premier tour de l'élection présidentielle par Arlette Laguiller "pour envisager les conditions de création d'un grand parti se plaçant résolument et uniquement, sur le terrain de la défense politique des exploités" part d'un constat simple. Un parti de ce type n'existe pas aujourd'hui. Il n'existe plus depuis plusieurs décennies. Or, un tel parti est indispensable pour la classe ouvrière si elle veut peser sur la vie politique dans le sens de ses intérêts.
     Les grands partis qui occupent la scène politique - y compris les partis dits de gauche -, qui fournissent les députés et à l'occasion les ministres et le gros du personnel des différents échelons électifs de l'Etat, défendent tous l'ordre social existant dominé par la bourgeoisie. Ils peuvent avoir des désaccords entre eux. Ils peuvent même représenter, à certaines périodes et face à certaines situations, des options politiques différentes. A l'occasion, ces différences peuvent avoir des conséquences plus ou moins graves pour les travailleurs. Mais c'est toujours à la classe privilégiée et en considérant ses intérêts que ces options sont offertes.
     Dans leurs alternances récentes au pouvoir cependant, les deux coalitions de partis, celle de la droite et celle de la gauche, n'ont même pas représenté des options politiques différentes. L'Union de la Gauche a mené une politique si ouvertement au service du patronat, favorisant tellement les couches les plus riches de la société tout en imposant l'austérité et la rigueur pour la classe ouvrière, que la droite n'avait qu'à continuer, sans jamais avoir à réorienter la politique menée.
     Face à cette pléthore de partis qui défendent tous ouvertement ou hypocritement les intérêts de la bourgeoisie, qui présentent mensongèrement ces intérêts comme coïncidant avec les intérêts généraux de la société, il n'y a que de petites organisations comme la nôtre. Elle est forte de ses idées de transformation radicale de la société, mais trop faible pour être présente partout où la classe ouvrière travaille et vit sa vie sociale, sans relais en nombre suffisant ne serait-ce que pour véhiculer largement ses idées dans la société.
     Il faut remonter aux années Vingt en fait pour trouver, dans le Parti Communiste de cette époque-là, un parti défendant les intérêts des exploités, et ayant le nombre de militants, les réseaux de sympathisants et surtout le crédit large aux yeux de la classe ouvrière pour occuper tout le terrain politique et pour prendre en charge la défense des intérêts de la classe ouvrière dans les domaines les plus variés de la vie sociale. Le PC a gardé longtemps - et garde encore dans une certaine mesure aujourd'hui - cette implantation. large et a continué à mener certaines actions de défense des travailleurs.
     Mais les perspectives politiques du Parti Communiste ont changé. C'est son but fondamental que sa direction a abandonné. Au lieu d'avoir pour but la fin de l'exploitation et la transformation socialiste de la société, les directions successives du Parti Communiste sont devenues dans un premier temps les serviteurs obéissants des intérêts de la bureaucratie soviétique puis, par l'intermédiaire de cette dernière, les défenseurs de l'ordre social de la bourgeoisie.
     Placées dans une autre perspective politique que celle de ses origines, les actions du Parti Communiste, même utiles du point de vue de la défense quotidienne des travailleurs, ont changé de signification. Pire, ces actions ellesmêmes ont fini par constituer un alibi, une tromperie, un moyen de maintenir un crédit bradé ensuite, dans les moments cruciaux, au service de la bourgeoisie.
     Voilà pourquoi le parti " se plaçant résolument et uniquement sur le terrain de la défense des intérêts politiques de la classe ouvrière " à construire devra se revendiquer de la lutte de classe, du marxisme et se fixer comme but non seulement l'amélioration du sort de la classe ouvrière dans le cadre de la société existante, mais aussi la transformation révolutionnaire de la société et la suppression de l'exploitation.
     Il ne méritera pas vraiment le nom de parti s'il n'a pas la capacité et la volonté de participer à tous les combats de la classe ouvrière. Ceux qu'elle mène dans les entreprises, là où elle subit l'exploitation, comme ceux qu'elle pourrait mener dans tous les domaines de la vie sociale où la classe ouvrière est concernée : dans le domaine du logement, de l'urbanisme, de l'environnement, contre la vie chère comme contre les expulsions, partout où les choix favorables aux capitalistes sont à l'opposé des choix favorables aux travailleurs (et, en général, à toute la société).
     Mais la réciproque n'est pas vraie. Toutes les actions pour s'opposer à telle ou telle conséquence de l'organisation capitaliste de la société dans le domaine de l'écologie, de la santé, du logement ou même du chômage et de l'exclusion, pour utiles et sympathiques qu'elles puissent être, ne constituent pas pour autant des jalons dans la constitution d'un véritable parti ouvrier (qui n'est d'ailleurs pas l'objectif de la plupart de ceux qui militent sur ce terrain).
     Un tel parti devrait bien entendu représenter les intérêts et les perspectives de la classe ouvrière, y compris dans les consultations électorales. Non pas pour faire du combat pour des postes et des positions - de députés, de maires, de conseillers municipaux - une fin en soi, un moyen de participer à la gestion actuelle de la société, mais au contraire pour en faire un point d'appui des combats menés par la classe ouvrière contre cette gestion. Il devra, dans tous les domaines, opposer à la politique des partis bourgeois, une politique correspondant aux intérêts de la classe ouvrière.
     Un tel parti devrait non seulement lutter contre les idées réactionnaires contre le racisme, la xénophobie par exemple ou la misogynie, mais aussi la religion - mais mener cette lutte au nom du programme communiste. Car il devra oeuvrer pour émanciper les travailleurs de l'influence politique et morale de la bourgeoisie.
     Ce parti ne peut pas se décréter. Il ne peut surgir que de la prise de conscience d'une fraction de la classe ouvrière - et de ceux des intellectuels qui ont assez de lucidité pour comprendre que l'organisation sociale devrait être transformée et assez de coeur pour s'y consacrer.
     Nous ne savons pas si l'accroissement des votes en faveur d'Arlette Laguiller et du programme qu'elle a défendu pendant sa campagne constitue le signe d'une telle prise de conscience. Nous disons seulement que si ceux qui se sont retrouvés dans le programme défendu par Arlette Laguiller veulent peser sur la vie politique dans le sens des idées qu'ils ont exprimées par leurs votes, ils ont intérêt à contribuer à la naissance d'une telle force, organisée. C'est-à-dire d'un parti représentant les intérêts politiques de la classe ouvrière.
     Nous sommes nous-mêmes une petite organisation et nos seules forces sont insuffisantes ne serait-ce que pour seulement vérifier si une fraction, fût-elle faible, de l'électorat d'Arlette Laguiller est prête à aller plus loin qu'un simple vote. Voilà pourquoi nous comptons sur tous ceux qui, s'étant reconnus dans les idées défendues par Arlette Laguiller, souhaitent eux-mêmes apporter leur contribution à ce qu'un parti représentant les intérêts politiques du monde du travail puisse naître. Discutons-en ensemble. Nos militants et sympathisants saisiront toutes les occasions pour le faire. Et, là où l'occasion n'existe pas encore, ils tenteront de la créer.
     Mais la Fête de Lutte Ouvrière de ces jours-ci constitue elle-même une excellente occasion de prendre contact avec nous. Ceux qui tiennent nos stands ne vous imposeront pas la politique mais, si vous souhaitez discuter, ils seront bien sûr à votre disposition!

Georges KALDY


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