2001

Meeting


Intervention d'Arlette Laguiller
au meeting du vendredi 9 mars 2001 à Toulouse
     Travailleuses, travailleurs, camarades et amis.
     A Toulouse, comme dans toutes les villes où Lutte Ouvrière présente une liste dans ces élections, l'électorat populaire aura donc le choix d'envoyer au Conseil municipal des femmes et des hommes qui représenteront, au sein de ces institutions, les intérêts des classes laborieuses. Parmi les électeurs concernés, la voix de ceux qui refusent la fausse alternative entre la droite et la gauche gouvernementale pourra se faire entendre de façon claire et sans équivoque.
     Car le choix entre la droite et la gauche gouvernementale n'est que le choix entre deux équipes de politiciens, mais pas entre deux politiques.
     Ces deux équipes se succèdent au pouvoir depuis vingt ans. Chacune promet le changement, avant de parvenir au pouvoir. Mais nous avons pu vérifier et revérifier ce que valent ces promesses. Même lorsque les équipes changent, la politique reste la même, et elle est toujours menée en faveur de la classe qui, de par sa richesse, de par son monopole sur les grandes entreprises, sur les moyens de production, domine la vie économique et sociale.
     Les groupes industriels et financiers disposent d'un pouvoir souverain. Ils n'ont à rendre de comptes à personne de leurs décisions, en dehors de leurs plus gros actionnaires. Ils peuvent fermer leurs entreprises, en diminuer les effectifs, les déplacer au gré des promesses d'aides ou de subventions. Leurs décisions ont beau être catastrophiques pour les travailleurs réduits au chômage, ruineuses pour toutes les catégories sociales dont les revenus sont directement ou indirectement liés aux salaires des travailleurs : le pouvoir politique, qu'il soit de droite ou de gauche, se déclare impuissant.
     De Michelin à Alstom, d'Aventis à Moulinex, de Danone à USINOR, combien de grandes entreprises sont en train de préparer ou d'exécuter des plans de licenciement, alors qu'une petite fraction de leurs profits suffirait pour maintenir les emplois qu'elles suppriment ? Sans parler de celles plus rares, comme Bull, qui sont aujourd'hui en déficit et qui le font payer à leurs travailleurs.
     La classe économiquement dominante a une multitude de moyens pour bénéficier des décisions politiques. La succession nauséabonde des affaires judiciaires, du trucage des marchés publics de l'Ile-de-France, au système de corruption de la société pétrolière Elf, en passant par les pots-de-vin distribués par le trafiquant d'armes Falcone, laisse entrevoir comment les grandes entreprises achètent des hommes politiques. Elles montrent les moyens dont elles disposent pour transformer des ministres, des députés, des présidents de région, des hauts personnage de l'Etat ou leurs proches, en intermédiaires grassement rétribués. Et ce sont ces gens-là qui osent prêcher l'austérité et les sacrifices à des travailleurs payés six ou sept mille francs par mois.
     Mais ces "affaires"-là, celles qui font scandale, passent au moins en justice.
     En revanche, qu'un grand patron puisse s'acheter une chaîne de télévision ou se bâtir un empire dans la presse écrite, cela est tout à fait légal ! Le trust Vivendi, par exemple, l'ex-Générale des eaux s'étant rebaptisée ainsi à cause des scandales attachés à son nom, a bâti sa richesse sur la gestion de la distribution de l'eau et du traitement des déchets urbains dans une grande partie des villes de France, richesse que les consommateurs ont payée au prix fort. Aujourd'hui, il s'est diversifié, notamment dans l'informatique et dans la téléphonie mobile. Et il a pu s'acheter l'agence Havas, qui contrôle une grande partie de la publicité des titres de presse français, avec ce que cela implique comme pouvoir sur cette presse. Vivendi contrôle directement la chaîne de télévision Canal+ et plusieurs publications, dont L'Express et L'Expansion.
     Bouygues, lui, contrôle TF1, la principale chaîne de télévision de ce pays, ainsi que la chaîne câblée d'information LCI.
     Quant au deuxième plus grand trust de la distribution de l'eau, Suez-Lyonnaise des eaux, il contrôle la chaîne de télévision M6.
     A ce propos-là, on ne parle pas de corruption. Pourtant, Vivendi comme Bouygues ou Suez-Lyonnaise des eaux ont bâti leur fortune grâce aux marchés publics, c'est-à-dire grâce à des contrats passés avec des maires, des présidents de Conseils généraux ou régionaux ou avec des ministres. Or, grâce à leur pouvoir sur la presse, ces grandes entreprises peuvent non seulement orienter l'opinion publique en général, mais aussi faire et défaire les carrières politiques.
     On nous parle de démocratie parce qu'il y a des élections. Mais il est manifeste que l'argent a plus de pouvoir que les électeurs. Alors, c'est bien ce pouvoir-là, c'est bien cette société-là qu'il faudrait changer !
     Et combien d'autres liens parfaitement légaux entre les hommes politiques et le grand capital ? Martine Aubry, avant d'être ministre du travail, a été directrice chez Péchiney. Balladur est passé de la direction de grosses sociétés, entre autres celle qui gère le tunnel du Mont-Blanc, au poste de Premier ministre. Pierret, de la tête du groupe hôtelier Accor au ministère de l'Industrie, pour ne citer que ceux-là.
     Alors oui, les liens sont multiples entre le grand patronat et les hommes politiques, jusques et y compris les sommets de l'Etat. Aussi, tous les gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite, ont-ils toujours favorisé le grand patronat. Leur fonction essentielle est même de faire croire que les intérêts du grand patronat et les intérêts de l'ensemble de la société sont identiques. "Ce qui est bon pour General Motors est bon pour les Etats-Unis", avait déclaré dans le temps le patron de cette entreprise, dans ce pays où le capitalisme a toujours été plus cynique et par là-même plus sincère !
     En France, la droite ne se gêne pas pour s'exprimer aussi clairement et aussi cyniquement. La gauche, qui recrute son électorat parmi les salariés, s'exprime de façon plus hypocrite. Encore que les travailleurs d'une certaine génération se souviennent comment, dans les années 1980, la gauche gouvernementale chantait les vertus et les bienfaits de la Bourse.
     Regardons donc le bilan de près de quatre ans de gouvernement de gauche ! En quoi les travailleurs et les classes populaires devraient-ils se réjouir ?
     La croissance économique ? Mais le gouvernement n'y est pas pour grand-chose ! Et d'ailleurs, les commentateurs annoncent déjà que, du fait du ralentissement économique aux Etats-Unis, la croissance économique commence à être sérieusement compromise, y compris en France.
     Mais, surtout, cette période dite de croissance, au lieu de diminuer l'écart entre les plus riches et la majorité laborieuse de la population, l'a, au contraire, aggravé.
Les grandes entreprises sont en train de publier en ce moment même leurs bilans de l'an 2000. Eh bien, l'accroissement moyen des profits des 24 premier groupes de ce pays est, en une seule année, de plus de 58% ! C'est même 127 % pour TotalFinaElf ! Mais seuls les propriétaires de ces entreprises, leurs patrons, leurs actionnaires qui en bénéficient.
     Jamais l'écart n'a été aussi énorme, aussi scandaleux, entre une minorité de possédants, dont les revenus s'accroissent d'année en année, de 20, 50, voire 100 %, et la majorité des salariés dont les salaires, au mieux, stagnent, quand ils ne baissent pas du fait de la précarité. Et l'Etat, au lieu de peser pour réduire l'écart, contribue à l'aggraver !
     La diminution du chômage ? Mais il y a encore plus de deux millions de chômeurs, même d'après les statistiques officielles ! Deux millions de femmes et d'hommes qui doivent vivre avec l'allocation chômage, 4.500 F au minimum, allocation dégressive avec le temps. Et lorsque les droits sont épuisés, il faut se contenter des 2.608 francs du RMI.
     Le gouvernement, content de lui, annonce que, depuis son arrivée au pouvoir en 1997, près d'un million de travailleurs sont sortis du chômage. Mais il ne dit pas que la plupart d'entre eux n'ont trouvé qu'un travail précaire, en intérim, à temps partiel non choisi, en CDD, en CES, avec un salaire misérable, à peine plus élevé que l'allocation chômage ou le RMI.
     Autrefois exceptionnel, le travail en intérim est devenu un mode de fonctionnement normal. Il donne aux patrons la possibilité de faire varier leurs effectifs en fonction de la production. Les patrons espèrent, de surcroît, disposer avec l'intérim d'une main-d'oeuvre docile, contrainte d'accepter les exigences patronales sous peine d'être immédiatement mise à la porte.
     Eh bien, je suis sûre que les patrons finiront par être mis au pas ! A force de revenir en arrière, ils nous imposent des conditions d'une autre époque, des conditions d'avant-guerre. Or, en 1936, l'écrasante majorité des travailleurs ne bénéficiaient pas de plus de protection que les intérimaires n'en bénéficient aujourd'hui. Eh bien, en juin 1936, non seulement cela n'a pas empêché l'explosion gréviste mais c'est même cela qui a contribué à la provoquer !
     Le nombre de ceux qu'on a rayés des statistiques mais qui continuent à alterner des périodes d'emplois précaires avec des périodes de chômage, a doublé en quelques années. Ce que le gouvernement appelle la diminution du chômage est, en fait, la diminution du salaire de ceux qui retrouvent un emploi !
     La réalité derrière les vantardises apparaît même dans un rapport que vient de présenter Jacques Delors, pourtant ex-membre d'un gouvernement socialiste et partisan de Jospin. Le seuil de pauvreté est en France un revenu de 3.500 F. Eh bien, il y a dans ce pays 3,3 millions de personnes qui gagnent moins que cela, soit 7,5 % de sa population ! Et ceux qui doivent vivre en gagnant moins que le seuil de pauvreté selon la définition européenne, moins de 4.200 F, représentent 14 % de la population. Et Delors lui-même souligne qu'en dépit de la croissance, la pauvreté progresse, alors qu'une grande partie de ceux qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté travaillent et touchent un salaire !
     Comment s'en sortir avec des salaires pareils ? Comment payer les études des enfants ? Comment disposer d'un logement convenable ?
     Mais, bien au-delà de ceux qui ne touchent que des salaires permettant tout juste de survivre, c'est l'écrasante majorité des travailleurs qui a un problème de pouvoir d'achat. Car les salaires, même de ceux qui ont un emploi fixe, sont bloqués ou freinés depuis très longtemps, alors que les prélèvements ne cessent d'augmenter.
     Voilà pourquoi l'augmentation générale et conséquente des salaires doit être une des revendications essentielles qui peuvent et qui doivent unifier tous les travailleurs, par-delà les corporations et par-delà la division que le patronat et le gouvernement voudraient creuser entre ceux du privé et ceux du service public !
     La diminution du temps de travail ? Mais la loi Aubry, dite "loi des 35 heures", ne représente même pas toujours une diminution de l'horaire. En revanche, elle permet aux patrons d'imposer des horaires plus flexibles, un blocage des salaires, voire le travail du samedi ou du dimanche obligatoire qui, en raison de l'annualisation du temps de travail, n'est même pas payé en heures supplémentaires.
     Les patrons en profitent pour décompter les temps de pause, de casse-croûte ou de douche. Tout cela contribue à aggraver les conditions de travail, déjà dures au point que même un organisme officiel comme le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels souligne - et je cite - "une intensification du travail, une suppression de temps de récupération et une multiplication de pathologies invalidantes...". Et les représentants de la CGT membres de ce conseil citent les cas d'ouvriers morts d'épuisement. La sécurité sociale a enregistré l'an passé plus de 700.000 accidents de travail avec arrêt dont 45.000 graves et 700 mortels. Tous ces chiffres sont en augmentation, y compris le nombre de morts. Mais la réalité est pire encore que ce qui apparaît dans les chiffres, car tous ceux qui travaillent à la production ou dans le bâtiment par exemple savent quelle pression est exercé par l'encadrement pour que les accidents ne soient pas déclarés. Quant aux maladies professionnelles reconnues, elles ont quadruplé en dix ans ! Et il y en a qui osent parler de l'atténuation de l'exploitation quand ils ne parlent pas de la disparition de la classe ouvrière !
     Eh bien, heureusement, la classe ouvrière se rappelle à eux lorsqu'elle fait grève et bloque l'activité.
     Pour amener les patrons à ce qu'ils daignent signer des accords Aubry, si avantageux pourtant pour eux, on leur a accordé des allégements de cotisations, d'un montant de plusieurs dizaines de milliards. Et voilà qu'on apprend que ce cadeau aux patrons coûtera même plus cher que cela ! Et que fait le gouvernement ? Il demande à la Sécurité sociale de payer la dépense supplémentaire ! Et on nous reparlera du trou de la Sécurité sociale, et on fera encore pression sur les classes populaires pour qu'elles aillent moins souvent chez le médecin et qu'elles dépensent moins en médicaments.
     Et le gouvernement reste inactif devant la dernière offensive du grand patronat, qui voudrait supprimer la retraite à 60 ans. Ce qui signifie que ceux qui partiraient à 60 ans ne pourraient pas partir avec une retraite à taux plein. Aujourd'hui déjà, nombre d'anciens en sont réduits à vivre avec une retraite misérable. Il n'est pas question d'accepter qu'on ampute encore les retraites !
     Mais, au moment même où le Medef veut repousser l'âge de la retraite, les patrons de la métallurgie veulent se débarrasser de leurs travailleurs trop âgés et trop usés pour être aussi exploitables que les plus jeunes. Et ils viennent de signer un accord qui leur permet d'obtenir l'aide financière de l'Etat pour faire partir plusieurs dizaines de milliers de travailleurs en préretraite. Tant mieux si une partie au moins des travailleurs usés par l'exploitation peuvent quitter la production un peu plus tôt ! Mais les grands groupes de la métallurgie ont fait suffisamment de profits sur le dos de chacun de leurs ouvriers pour financer eux-mêmes ces départs en préretraite plutôt que de les faire payer par l'Etat, c'est-à-dire, en grande partie, par les impôts des travailleurs eux-mêmes.
     Quant aux travailleurs immigrés, transformés en sans-papiers par les lois Pasqua-Debré, on sait ce qu'il est advenu de la régularisation promise par le Parti socialiste. Si une partie a été régularisée, il en reste 63.000 dont la situation s'est aggravée. Ayant donné leur adresse, ils paient par la clandestinité et la précarité d'avoir cru aux promesses d'un Parti socialiste qui s'est renié, sur cette question comme sur bien d'autres. Alors oui, je suis solidaire de leur combat contre cette injustice et je revendique avec eux la régularisation de tous les sans-papiers !
     Je tiens aussi à réaffirmer que tous ceux qui vivent et travaillent dans ce pays, quelles que soient leurs origines et leur nationalité, doivent avoir le droit de vote. Priver les travailleurs immigrés de ce droit élémentaire est une façon pour la bourgeoisie et ses hommes politiques de réduire l'influence électorale de la classe ouvrière. Alors, cette revendication doit être celle de tous les travailleurs !
     Et puis, ce gouvernement socialiste a fait comme tous ses prédécesseurs de droite : pour consacrer toujours plus d'argent au grand patronat, sous forme de subventions, de diminutions d'impôt, de dégrèvements de cotisations sociales, il a livré au secteur privé un nombre croissant d'entreprises d'Etat, y compris des services publics. C'est déjà le sa de France-Télécom, d'un nombre croissant de services de la SNCF ou de la poste. L'électricité et le gaz vont suivre.
Eh bien, oui, les services publics doivent le rester et ceux qui ont été privatisés doivent être expropriés et soumis au contrôle de la collectivité.
     Sous l'appellation de "réforme hospitalière", on plafonne, voire on diminue les crédits pour les hôpitaux. On bloque l'embauche d'infirmières, d'aides-soignantes, de personnel médical et technique. Et on parle de "restructuration" pour supprimer des lits, des services hospitaliers, voire des maternités ou des hôpitaux de proximité. On mène la chasse à la consommation médicale et pharmaceutique des couches populaires, et on diminue les remboursements.
     C'est une politique aussi préjudiciable pour les travailleurs et les retraités des classes laborieuses que pour le personnel hospitalier. Ce n'est pas pour rien qu'au moment même où Elisabeth Guigou présente un protocole d'accord destiné à définir la situation des 725.000 personnes qui travaillent pour le système hospitalier, les infirmières spécialisées continuent à manifester. Les ministres socialistes parlent de "complot" lorsque les infirmières en colère gênent leurs tournées électorales. Bernard Kouchner a le culot d'affirmer, dans une intervention télévisée, que le personnel hospitalier n'a pas à se plaindre alors qu'il y a des situations bien pires là d'où il vient, faisant allusion au Kosovo. Choisir cette référence, c'est tout un programme ! Jusqu'où voudrait-il abaisser le niveau de l'hôpital en France ? Eh bien, ils ont de la chance, ces ministres socialistes, que pour le moment seules certaines catégories du personnel hospitalier manifestent. Mais il y a aussi tous les autres, les aides soignants, le personnel technique ou administratifs, les ouvriers, les travailleurs sans qualification mais dont l'activité est indispensable à ce que les hôpitaux soient tenus propres et en état de fonctionner ; et tous ceux, personnel paramédical ou pas, embauchés à titre précaire dont les salaires sont dérisoires et les conditions de travail lamentables. La plupart d'entre eux sont oubliés dans les propositions de Guigou. Ils ont tous des raisons de se mettre en colère. Ils ont tous des raisons de protester contre l'insuffisance des crédits pour les salaires et pour l'embauche de personnel supplémentaire. Et le jour où ils réagiront tous ensemble, par delà des différences catégorielles, eh bien, on ne les fera pas taire par quelques phrases méprisantes ! D'autant moins que leur lutte aura la sympathie de tout le monde du travail et de tous ceux qui ont à souffrir des économies du gouvernement sur la santé !
     Hier, lors de la journée des femmes, Jospin s'est glorifié d'avoir "introduit la parité dans la politique". En ce qui nous concerne, Lutte ouvrière, nous n'avons jamais eu besoin d'une loi sur la parité pour que les femmes jouent dans nos rangs le même rôle que les hommes, et pas seulement dans les élections municipales.
     Mais les discours sur la volonté de faire participer davantage les femmes à la vie publique sentent l'hypocrisie lorsqu'on connaît l'insuffisance notoire, choquante des crèches ou des garderies d'enfants. Il est bien plus difficile pour une femme de s'impliquer dans la vie politique, voire même dans la vie associative lorsqu'elle ne trouve pas de place à la crèche. L'installation de crèches est pourtant du ressort de l'Etat ou des collectivités locales. Mais, il est plus facile de promettre qu'assurer les conditions matérielles des promesses.
     Et puis, bien au-delà, dix-huit ans après, la loi Roudy qui, en 1983 avait institué l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, les femmes touchent toujours en moyenne un salaire de 25% inférieur à celui des hommes. 85% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, et proportionnellement, les chômeuses sont plus nombreuses encore que les chômeurs. Rien d'étonnant : la loi n'est pas contraignante, il n'y a aucune sanction contre l'entreprise qui ne l'applique pas. On sait sanctionner le travailleur en retard sur le payement de ses impôts et au besoin, envoyer l'huissier. Mais loi Roudy ou pas, le patron fait ce qu'il veut.
     Quant à l'enseignement, il y a, dès la naissance, une inégalité grave, sociale, entre les enfants des classes privilégiées et ceux des classes populaires aux revenus les plus modestes, et, a fortiori, ceux des immigrés.
     Au lieu de corriger au moins dans une certaine mesure cette inégalité, l'école au mieux la maintient, et bien souvent l'aggrave.
     La thèse officielle, celle de l'égalité devant l'enseignement, est un mensonge. Et pas seulement parce que bien rares sont les enfants d'ouvriers, les enfants de chômeurs, les enfants des couches les plus pauvres, à accéder à l'enseignement supérieur.
     Ce qui est plus catastrophique encore, c'est que la différence des conditions commence déjà dans l'enseignement primaire, et même à l'école maternelle. C'est là que se creuse l'écart entre les enfants des classes populaires et les enfants des milieux privilégiés. Un enfant qui n'a même pas l'occasion d'apprendre à lire couramment, à écrire correctement, à faire des calculs élémentaires, voire à s'exprimer, est handicapé pour la vie. Non seulement, il n'est pas question pour lui d'atteindre le niveau secondaire, et à plus forte raison supérieur, mais il a bien moins de chances que d'autres de trouver même un travail peu qualifié. Car, même avec un Bac ou un Bac+, les jeunes doivent se battre pour avoir de l'embauche.
     L'école publique devrait oeuvrer pour diminuer cette discrimination sociale. Elle devrait consacrer d'autant plus de moyens, d'autant plus d'enseignants aux élèves, qu'ils viennent de milieux défavorisés. C'est dans les quartiers populaires qu'il devrait y avoir le plus d'enseignants, des classes aux effectifs moins nombreux, voire du travail en petits groupes pour apprendre la langue, la lecture, l'écriture et le calcul. C'est là qu'il faudrait les équipements les plus adaptés, un personnel technique, des infirmières, des assistantes sociales, des surveillants, des aide-éducateurs. Or, ce sont les écoles des quartiers populaires qui sont les plus délaissées. C'est dans ces écoles que les enseignants sont réduits à faire de la garderie, et encore tant bien que mal. Comment voulez-vous qu'un instituteur puisse apprendre à lire, dans des salles de classe bondées, à 25 élèves, voire 28 ou 30, en même temps, lorsqu'ils viennent de familles défavorisées économiquement et culturellement, comme c'est souvent le cas, ?
     Et, de surcroît, l'évolution se fait dans le mauvais sens. Au moment où on annonce la carte scolaire de l'année prochaine, c'est dans les écoles des quartiers populaires qu'on supprime des postes.
     L'Etat préfère gaspiller scandaleusement des dizaines de milliards pour le porte-avions Charles-de-Gaulle, sans parler des 50 milliards pour financer le développement du programme de l'avion Rafale, ce qui ne profite qu'à trois ou quatre trusts de l'armement, plutôt que de donner assez d'argent à l'Education nationale !
     Et puis, il est révoltant qu'on chiffre par dizaines de milliers ceux qui se retrouvent sans domicile et par millions ceux qui n'ont pas un logement convenable. La construction de logements sociaux est en diminution, et le milliard que vient de débloquer le gouvernement juste avant les élections, ne suffira pas à satisfaire les besoins.
     De plus, lorsqu'on vit du RMI ou d'allocation chômage, voire même lorsqu'on un travail précaire, on ne peut même pas payer un logement HLM.
     Alors oui, il ne faut pas bâtir à nouveau des ghettos pour pauvres. Ce qu'il faut, c'est des logements corrects pour tous, mais à un prix abordable pour les familles ouvrières. En fait, là encore, pour que chacun puisse se loger convenablement, il faut des salaires convenables.
     Travailleuses, travailleurs,
     Nous, Lutte ouvrière, nous nous revendiquons du communisme, c'est-à-dire du courant qui milite pour des transformations sociales radicales. L'avenir de la société ne peut pas être la perpétuation des rapports d'exploitation entre êtres humains. Ca ne peut pas être la polarisation des richesses entre les mains d'une poignée de très riches alors que la majeure partie de la planète vit dans le sous-développement, la pauvreté et sous le joug de régimes oppressifs pour protéger tout cela.
     Regardez les méfaits d'une économie basée sur la recherche du profit maximum, même dans cette Europe occidentale qui est une des régions les plus privilégiées de la planète : la pollution des côtes bretonnes et vendéennes il y a peu, l'affaire de la vache folle et l'épidémie de la fièvre aphteuse actuellement !
     Il existe un vaccin contre la fièvre aphteuse. Mais il a été décidé d'arrêter les vaccinations en 1991, malgré la protestation, à l'époque, de l'association des vétérinaires qui avait mis en garde contre un retour fulgurant de l'épizootie. La précédente épidémie en France était, pourtant, toute récente puisqu'elle avait eu lieu dix ans avant. Cela n'a rien fait, on décréta qu'il n'y avait pas de danger, que la vaccination coûtait trop cher et qu'elle pouvait être préjudiciable aux exportations.
     On sait aujourd'hui que l'épidémie dite de la "vache folle", avec ses conséquences incalculables pour la santé des hommes, a pour origine de sordides raisons de profit. Voilà qu'on a pris, consciemment, le risque de propager, à l'échelle du continent, la fièvre aphteuse, une épizootie venue du fond des âges.
     Et puis, qu'est-ce que ce monde où les plus puissantes multinationales pharmaceutiques peuvent attaquer en justice l'Etat d'un pays pauvre, en l'occurrence l'Afrique du sud ? Elles l'attaquent pour avoir autorisé l'importation de médicaments génériques contre le sida, à un prix dix fois moins élevé que celui auquel ces trusts vendent leurs propres produits. Ils savent pourtant que, dans ce pays, 5.600 personnes meurent chaque semaine du SIDA, et la plupart d'entre elles parce qu'elles ne peuvent pas se payer les médicaments au prix où on les leur impose.
     Il est indispensable, pour l'avenir de l'humanité, de changer cette société de fond en comble.
     Et je voudrais m'adresser là tout spécialement aux jeunes : à la jeunesse ouvrière, bien sûr, mais aussi, aux jeunes intellectuels. Vous avez toutes les raisons de considérer que le spectacle que la politique vous offre est décidément peu ragoûtant et qu'elle ne mérite pas que l'on y perde son temps. Ce n'est pas nous, qui combattons l'ordre social, qui chercherons à vous concilier avec les institution existantes. Ce n'est pas nous qui justifierons le jeu politique destiné seulement à donner à ces institutions un semblant de vie, alors que le véritable pouvoir appartient à l'argent et à la classe sociale qui le monopolise.
     Mais nous vous disons que la société ne peut pas fonctionner éternellement comme elle fonctionne aujourd'hui, inégalitaire, injuste, irrationnelle.
     L'aristocratie financière qui domine aujourd'hui le monde est devenue moralement et humainement aussi insupportable que l'est devenue l'aristocratie tout court avant la révolution de 1789. Elle finira pareille. Mais il n'est pas possible de renverser la dictature des groupes financiers et industriels sur la planète sans mettre fin à l'organisation économique et sociale capitaliste dans laquelle s'enracine leur pouvoir.
     L'humanité a conquis, par le progrès des connaissances, de la production, des sciences, des techniques, d'immenses possibilités de développement. Elle pourrait aujourd'hui satisfaire les besoins fondamentaux de tous à l'échelle de la planète, sur le plan matériel comme sur celui de l'éducation et de la culture.
     Elle le pourrait - mais elle ne le fait pas- ligotée qu'elle est par un système économique où seul compte le profit et où ce sont les cours de la Bourse qui déterminent l'activité d'une entreprise, comme finalement, de toute l'économie mondiale et le sort de milliards d'êtres humains.
     Eh bien, oui, faire disparaître tout cela par l'expropriation de la classe bourgeoise, par la suppression de la propriété privée des grands moyens de production et par la réorganisation de l'économie afin qu'elle fonctionne sous le contrôle démocratique de toute la collectivité et pour satisfaire les besoins de tous - voilà la tâche de notre époque. D'autres générations du mouvement ouvrier ont combattu pour ces transformations sans y parvenir. Cela devra être l'oeuvre des générations qui viennent et qui, j'en suis certaine, l'accompliront. Et c'est une perspective autrement plus exaltante pour le meilleur de la jeunesse que de se contenter de refuser le monde qui l'entoure en s'enfermant dans sa coquille. Alors, oui, il appartient aux jeunes de faire renaître le mouvement ouvrier organisé, pour qu'il puisse de nouveau s'opposer à la toute puissance du grand capital et être en situation de lui disputer le pouvoir sur la société !
     Le grand parti qui, dans ce pays, porte encore le nom de communiste s'est bien éloigné du communisme, et depuis très longtemps. Aujourd'hui, c'est un parti gouvernemental. Sa politique au gouvernement est celle du Parti socialiste.
     Mais, si les chefs du Parti communiste sont identiques aux hommes politiques de la bourgeoisie, la différence, c'est que, même aujourd'hui, et malgré la trahison des idées communistes de la part de leurs dirigeants, il y a encore des milliers de femmes et d'hommes qui sont dans ce parti parce ce qu'ils aspirent à combattre la bourgeoisie et les riches, et non à les servir comme le font leurs dirigeants.
     Ces femmes et ces hommes, ces militants, nous les considérons comme nos frères de combat. Et c'est justement pour cela que nous critiquons leurs dirigeants qui mènent une politique nuisible aux travailleurs et à leurs intérêts.
     La direction du Parti communiste invoque le réalisme et prétend oeuvrer, au sein du gouvernement, pour améliorer le sort des ouvriers. Mais les ministres du PC ne servent qu'à cautionner le gouvernement Jospin.
     On ne peut pas tout à la fois servir la bourgeoisie au gouvernement, et défendre les intérêts des travailleurs. Et, à pratiquer ce grand écart, le parti finit par écoeurer les travailleurs, à commencer par ses propres militants ouvriers. Or ces militants, malgré la politique de leur parti, continuaient à défendre des valeurs du mouvement ouvrier. Et ils sont de moins en moins nombreux pour accomplir cette tâche.
     Pourtant, la classe ouvrière a besoin de militants, a besoin d'organisations qui continuent à perpétuer le mouvement ouvrier organisé, dans les entreprises comme dans les quartiers populaires.
     C'est ce que Lutte ouvrière essaie de faire, même avec bien moins de moyens que le Parti communiste. C'est dans cette optique que Lutte Ouvrière est présente aux élections municipales.
     Nous ne nous présentons pas parce que nous aurions trouvé un moyen miraculeux pour mettre fin à la pauvreté et à l'exploitation, dans le cadre d'une municipalité. Ce moyen n'existe pas. Les principaux problèmes des travailleurs, ici comme ailleurs, viennent du chômage, des bas salaires, de l'exploitation et de la morgue patronale.
     Dans ces élections, il n'est pas question évidemment de voter pour les ennemis ouverts des travailleurs que sont les partis de droite et, à infiniment plus forte raison, pour les ennemis mortels que sont les partis d'extrême-droite. Mais il n'est pas de l'intérêt des électeurs des classes laborieuses de voter pour les candidats qui soutiennent même indirectement la politique du gouvernement, car ce serait cautionner sa politique anti-ouvrière.
     Lutte ouvrière présente des listes dans ces élections, pour que les électeurs puissent exprimer leur rejet de la politique du gouvernement, en montrant clairement que ce rejet vient du côté du monde du travail.
     Nous nous présentons pour dénoncer la situation qui est faite aux travailleurs, et pour en dénoncer les responsables
     Nous nous présentons pour faire entendre les exigences du monde du travail, fermement, sans que cela puisse être récupéré ni par la droite, ni par la gauche gouvernementale, ni au premier, ni au deuxième tour.
     Alors, en votant pour Lutte ouvrière, le seul parti qui soit aujourd'hui le parti des ouvriers, le parti des travailleuses et des travailleurs, l'électorat populaire peut dire clairement qu'il refuse la politique sacrifiant les travailleurs au profit des plus riches.
     En votant pour les listes Lutte ouvrière, les électeurs populaires pourront exprimer leur volonté d'imposer une autre politique :
     - la réquisition des entreprises qui font des bénéfices et suppriment des emplois ;
     - l'arrêt des cadeaux aux grandes entreprises ;
     - la diminution des impôts payés par les salariés, la suppression des impôts indirects sur la consommation comme la TVA, et une taxation accrue sur les bénéfices des sociétés et sur les revenus du capital ;
     - la création des emplois nécessaires dans les services publics et les collectivités ;
     - l'augmentation générale et conséquente des salaires, des pensions et des retraites et des minima sociaux
     Les électeurs populaires pourront ainsi montrer qu'ils sont pour imposer le contrôle des travailleurs, le contrôle des usagers, le contrôle des consommateurs sur les comptabilités des entreprises privées comme des entreprises publiques, afin que les grandes entreprises ne puissent plus gaspiller leurs profits immenses dans la spéculation, dans la corruption, tout en prétendant qu'elles n'ont pas d'argent pour préserver les emplois et augmenter les salaires.
     Bien sûr qu'il ne suffit pas de voter pour ce programme pour que tout cela se réalise. Ces revendications ne pourront être imposées que par des luttes collectives puissantes de tous ceux qui sont les victimes de la situation actuelle, travailleurs, chômeurs, retraités.
     Et si l'électorat populaire fait le choix d'envoyer au Conseil municipal des conseillers municipaux Lutte Ouvrière, ils seront les seuls à informer vraiment les travailleurs, les classes populaires, de tout ce qui se passe dans les conseils municipaux ; ils rendront publiques toutes les décisions qui, derrière les formulations anodines, favorisent les classes aisées au détriment des travailleurs. Ils dénonceront toutes les magouilles, tous les cadeaux faits aux entreprises capitalistes par la municipalité, soit lorsqu'elle leur livre des services essentiels, comme la distribution de l'eau, le traitement des déchets ou les transports publics, soit lorsqu'elle facilite l'installation de ces entreprises par des détaxes, par des terrains viabilisés aux frais de la commune, vendus pour le franc symbolique. Ils dévoileront les économies faites au détriment des services publics indispensables, des transports, des crèches, des écoles, des équipements des quartiers populaires.
     Si nous avons des élus, c'est qu'une fraction importante de la population aura voté pour nous. Et alors, avec l'aide de ces électeurs, nous pourrons non seulement dénoncer mais agir. Les conseillers municipaux Lutte ouvrière n'auront pas le pouvoir de changer les décisions du Maire nuisibles pour la population laborieuse. Mais la population, elle, peut peser sur les décisions, en faisant pression sur tous les conseillers municipaux et même sur les maires.
     Les candidats de Lutte ouvrière s'engagent à utiliser leur mandat pour aider la population laborieuse à agir par elle-même pour faire entendre ses exigences et, si nécessaire, les imposer à la Mairie, quelle que soit sa couleur politique.
     L'idée exprimée par Marx, par la phrase lapidaire : "L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes", est la base de nos convictions politiques. Oh bien sûr, les travailleurs ne peuvent pas s'émanciper dans le cadre d'une seule municipalité ! Mais ils peuvent faire, dans les quartiers populaires comme ils le font dans les usines, l'apprentissage de l'action collective. C'est dans ce sens que les conseillers municipaux Lutte ouvrière s'engagent à agir. Et ils encourageront aussi les associations qui essaient d'améliorer les choses en faveur de la population pauvre, concrètement, sur le terrain, jour après jour.
     Les militants de Lutte ouvrière ont fait le choix de militer sur le terrain politique, dans la perspective d'une transformation radicale de l'économie et de la société. Mais cette perspective générale ne s'oppose en rien à l'activité de tous ceux qui, bénévolement, essaient d'améliorer les choses dans le cadre de la société actuelle. Bien au contraire. C'est précisément parce que nous combattons les institutions officielles de cette société, parce que nous combattons le pouvoir de l'argent et tout ce qui en découle, l'égoïsme, l'arrivisme individuel, la concurrence pour les places, que nous pouvons le mieux comprendre et aider ceux qui se dévouent bénévolement pour la collectivité, quel que soit le terrain limite de leur action.
          Alors, camarades et amis,
     Les votes ne peuvent jamais remplacer l'action, la lutte collective des travailleurs pour arrêter l'offensive patronale et pour reprendre l'avantage. Mais ils peuvent les préparer.
     Alors, votez pour Lutte Ouvrière, convainquez vos amis, vos camarades de travail, vos voisins, les membres de votre famille à en faire autant. Nombreux sont les électeurs des classes populaires qui ne croient plus aux promesses des uns et des autres et qui, pour ne pas avoir à choisir entre blanc bonnet et bonnet blanc, se préparent à s'abstenir. Dans les villes cependant où il y a une liste Lutte Ouvrière, en votant pour cette liste, le message est plus claire que la simple abstention et plus difficile pour les grands partis d'en détourner le sens.
     Plus il y aura de votes en faveur de nos listes, plus cela montrera que nous sommes nombreux à penser qu'il faut sortir de l'éternel piège de l'alternance entre la droite et la gauche gouvernementale, aussi dévouées l'une que l'autre aux intérêts du grand patronat et des riches. Plus cela montrera que nous sommes nombreux à vouloir imposer une autre politique, une politique favorable aux classes laborieuses.
Et ce sera un encouragement pour les luttes futures !
mis à jour le 09/12/2001  

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