26/04/2001 - Rouge : 2002 en débats

     Le comité central de la LCR, réuni les 30 et 31 mars, a débattu du bilan des élections municipales et de l'orientation à suivre pour les échéances électorales de 2002, législatives et présidentielle. Un débat est donc ouvert dans la LCR, et quatre des cinq positions qui se sont dégagées s'expriment cette semaine dans "Rouge". Le prochain CC, les 12 et 13 mai, poursuivra ce débat, et une conférence nationale, fin juin, décidera de l'orientation de la Ligue.


Etre présents en 2002

     La conférence nationale de juin prochain déterminera l'orientation de la LCR pour les élections présidentielle et législatives de l'an prochain. Le plus sûr moyen de se tromper consiste à se poser de fausses questions à la réponse aussi évidente qu'inutile, du genre: vaut-il mieux s'enfermer dans un tête-à-tête stérile et exclusif avec Lutte ouvrière ou rassembler largement autour d'une politique audacieuse, ouverte et dynamique? Les élections municipales, comme les mobilisations sociales qui se sont déroulées depuis, ont montré que des secteurs significatifs de la population souhaitaient combattre réellement l'offensive du Medef et sanctionner la politique sociale-libérale du gouvernement Jospin. Si, localement, cette aspiration a assuré la percée de listes critiques et radicales, au plan national cela s'est traduit par le succès des listes présentées par la LCR- "100% à gauche" ou par Lutte ouvrière. Comment confirmer et amplifier cette tendance en 2002, lors d'échéances à caractère national, sinon par la constitution d'une alliance électorale entre ces deux organisations, aujourd'hui les seules organisations nationales en rupture avec la politique gouvernementale? C'est le sens des propositions adressées, sans esprit de chapelle, par la LCR à LO: accord politique national, campagne présidentielle unitaire autour de la candidature d'Arlette Laguiller, présentation dans toutes les circonscriptions législatives de candidats communs. Cela ne s'oppose en rien à la nécessité de continuer à travailler avec celles et ceux qui se sont associés aux listes "100% à gauche", de faire vivre les collectifs développés à cette occasion, de s'adresser aux militants communistes en recherche d'une autre orientation que celle de R. Hue ou de relancer notre combat pour qu'émerge enfin une nouvelle force politique, représentation loyale des aspirations du mouvement social. Comme, d'ailleurs, le comité central l'a voté...
     Un succès notable, à la présidentielle et aux législatives, de candidatures unitaires de la gauche radicale, en rupture avec la gauche plurielle, ne réglerait évidemment pas l'ensemble des questions politiques posées au mouvement social. Mais, sans aucun doute, il permettrait de les poser dans de meilleures conditions, en modifiant les rapports de forces entre gauche gouvernementale et gauche révolutionnaire, en encourageant les mobilisations, en offrant une alternative plus crédible aux militants écologistes ou communistes en rupture avec leurs partis, en constituant une référence pour les animateurs des mouvements sociaux.
     Il y a entre la LCR et LO d'importantes divergences d'orientation et de démarche politique: ce n'est pas à proprement parler nouveau. Mais il y a aussi entre la LCR et LO d'importantes convergences politiques, face au patronat et à la gauche plurielle. La question posée est de savoir si, au vu de l'enjeu des prochaines consultations électorales, il faut s'appuyer sur ces convergences pour avancer. Ou bien faire prévaloir divergences et particularismes, au risque de rater une occasion importante. Cette question est posée à la LCR et, pour nous, la réponse est claire. Mais elle est aussi posée à LO. Nous souhaitons un accord avec LO. Mais, quelle que soit la réponse à cette question, la LCR sera présente en 2002. A la présidentielle et aux législatives.

Léonce Aguirre, François Duval, François Ollivier, Maroussia


Fédérer une alternative 100% à gauche

     Notre organisation va-t-elle transformer ses succès électoraux en une dynamique permettant d'avancer vers une nouvelle force politique? Ou va-t-elle considérer les municipales comme une parenthèse avant un nouveau tête-à-tête avec Lutte ouvrière? Voilà l'enjeu de notre discussion.
     Les municipales ont validé une orientation d'ouverture, articulant des propositions locales à une opposition claire au patronat, à la droite et au social-libéralisme. Cette activité nous offre des atouts déterminants dans la situation nouvelle. La sanction infligée aux partis gouvernementaux, conjuguée à la montée de l'exaspération sociale, ouvre largement l'espace à gauche de la gauche. Les scores de nos listes, comme des autres composantes de la gauche radicale, de LO à "Motivé-e-s", nécessitent que cette réalité électorale se traduise politiquement. Alors que s'accélère le déclin du PCF et qu'apparaissent de nombreux tiraillements dans la coalition gouvernementale, la question d'une nouvelle force politique se fait plus pressante.
     La responsabilité de la LCR est d'abord de s'adresser à celles et ceux qui ont mené avec nous la bataille des municipales pour leur dire: continuons ensemble. Adressons-nous à toutes les composantes de l'espace à gauche de la gauche, notamment LO, et aux secteurs critiques au sein du PCF, des Verts voire du PS. Défendons la nécessité d'un mouvement politique réalisant la convergence des forces à gauche de la gauche! Menons campagne pour une candidature de rassemblement à la présidentielle afin de porter les exigences d'une autre politique, présentes dans le mouvement social!
     A l'inverse, la direction de la LCR a majoritairement décidé la recherche d'un accord exclusif LO-LCR. En dépit des divergences évidentes avec cette organisation, et bien que nos résultats permettent une offensive pour bousculer sa logique d'enfermement sectaire, on décrète que les municipales ont confirmé les "convergences politiques". On accepte de poursuivre les collectifs "100% à gauche", mais sans chercher à favoriser les dynamiques dont ils sont potentiellement porteurs, localement et nationalement. Rien n'est envisagé pour intervenir dans la crise du PCF et ouvrir un horizon aux milliers de militants qui s'interrogent.
     De plus, acceptant par avance un préalable de LO, on décide que la LCR ne se prononcera pas au 2e tour des échéances de l'an prochain, indépendamment des développements politiques qui pourraient surgir, et foulant au pied notre autonomie politique. Une chose est, en effet, de réfléchir aux conditions nouvelles dans lesquelles se pose le problème compte tenu du poids de l'expérience gouvernementale. Autre chose est de décréter obsolète le clivage droite-gauche et de ne pas prendre en compte le prix qu'il faudra payer si notre organisation apparaît partiellement responsable d'une victoire de Chirac...
     C'est sur ces bases que le bureau politique a obtenu mandat de s'adresser à LO sans attendre la conférence nationale de juin. Malgré cette précipitation, c'est à cette dernière qu'il va appartenir, en fonction du développement des débats dans et hors la Ligue, de faire apparaître un autre choix que celui de la stérilisation de potentialités importantes.

Sophie Camard, Catherine Lebrun, Dominique Mezzi, Christian Picquet, Francis Sitel


Vers un parti des travailleurs

     Au lendemain des élections municipales, alors que les vagues de licenciements révèlent la faillite de l'économie de marché, s'ouvre dans l'organisation un débat sur nos perspectives. Ce débat s'ouvre de fait dans toute l'extrême gauche. Son contenu est défini par les tâches de l'heure: comment faire de la force politique qui s'affirme tant sur le terrain des luttes que des élections, depuis 1995, une force politique organisée capable de peser sur le cours des événements et d'aider les travailleurs à reprendre l'offensive.
     Il ne s'agit pas d'un débat sur la tactique électorale par rapport aux échéances des élections présidentielle et législatives. Il s'agit de définir une politique dans la perspective de jeter les bases d'un nouveau parti des travailleurs.
     Le vote pour l'extrême gauche aux élections municipales est l'expression d'une profonde évolution des consciences qui s'exprime aussi dans le succès du boycott de Danone et la sympathie que rencontrent les travailleurs en lutte, contre les licenciements et pour les salaires.
     Cette évolution des consciences, c'est le désaveu, la sanction de la politique des partis de la gauche plurielle, c'est la rupture d'une large fraction de l'opinion populaire avec ces partis, rupture dont les révolutionnaires ne peuvent que se réjouir. Il est clair aujourd'hui qu'un appel à "battre la droite" serait un ralliement aux partis qui gèrent les affaires de la bourgeoisie. Nous n'avons pas à arbitrer les rivalités de pouvoir entre l'actuel président et son Premier ministre.
     Notre organisation, au contraire, comme l'ensemble de l'extrême gauche, doit amplifier cette rupture pour qu'elle aboutisse à l'émergence d'une force politique nouvelle.
     Aucune organisation d'extrême gauche ne peut se revendiquer d'une quelconque prédominance électorale. Au-delà ou indépendamment des divergences, se porte sur les candidats d'extrême gauche le vote de ceux qui veulent désavouer et sanctionner les partis de la gauche plurielle. Sans en minimiser l'importance, ces divergences s'inscrivent dans un mouvement profond au sein du monde du travail. S'y exprime le besoin de regrouper les forces clairement opposées au gouvernement de la gauche plurielle pour se donner les moyens de faire face aux tâches inédites qui résultent des transformations économiques, sociales, politiques en cours. La LCR a une responsabilité particulière dans cette tâche de regroupement.
     L'offensive de la bourgeoisie française vise à trouver une place qui lui soit la plus favorable possible dans l'Europe qui se construit dans le cadre de la mondialisation impérialiste. Cette offensive à laquelle s'associent les partis de la gauche plurielle crée les conditions de l'émergence d'un nouveau parti.
     Aucune des tendances de l'extrême gauche ne peut prétendre représenter par elle-même cette perspective, ce qui signifie que la seule politique visant à répondre aux besoins nouveaux est celle de l'unité des forces révolutionnaires. Cette unité suppose une large démocratie permettant aux divergences de s'exprimer, de se confronter, et de se trancher démocratiquement.
     C'est dans cette perspective globale que nous militons pour qu'aux prochaines échéances électorales nous trouvions les bases d'un accord avec Lutte ouvrière tant à la présidentielle qu'aux législatives, et nous ne voyons pas d'autre candidature, aujourd'hui, pour la présidentielle que celle d'Arlette Laguiller.

Boulay, Val, Yvan


Le bout du tunnel?

     Ce débat offre à la LCR une des ultimes occasions de retrouver une fonctionnalité politique conforme à ses ambitions. Les échéances de 2002 interviendront à un moment charnière dans la période ouverte par le retour à la croissance. L'onde longue expansive qui accompagne la globalisation capitaliste se conjugue avec une modification des coordonnées politiques. Bush pratique par coups de force brutaux, du Proche-Orient à l'Asie en passant par la tentative de constituer une zone de libre échange élargie des Amériques. Sans compter le protocole de Kyoto.
     L'Europe n'est pas en reste, avec la menace de l'arrivée au pouvoir de Berlusconi, l'incertitude qui pèse sur l'issue pour l'euro de la bataille d'Angleterre et les retards pris au regard des enjeux sociaux et de l'élargissement de la construction européenne. Des résistances multiples se sont manifestées, mais elles n'ont pas été capables de galvaniser en l'unifiant un mouvement de masse en faveur d'une autre Europe, d'un autre monde, non pas socialiste mais socialement plus juste et plus démocratique.
     En France, les élections intermédiaires soulignent l'entrée dans une zone de turbulences. Elles confirment les reculs du PCF, les scores des Verts et le maintien d'un vote significatif à gauche de la gauche. Ce dernier, différencié, laisse entrevoir une redistribution qui entame sans l'annuler l'hégémonie électorale de LO sur cette fraction de l'électorat. Mais l'absence de projets réellement alternatifs à la politique gouvernementale ne présage pas forcément sa montée en puissance. Les limites de mobilisations sociales défensives en sont un autre indice.
     La LCR ne peut être utile dans cette situation qu'en apportant sa contribution aux recompositions qui s'annoncent mais qui ne déboucheront pas sur une concrétisation organisationnelle dans un avenir prévisible. Car le projet politique et programmatique qui les conditionne n'existe pas, en partie en raison de notre propre incapacité à le définir et à le porter à une échelle significative. Cela exclut un partenariat privilégié avec LO au moment où ce courant commence à payer le prix de son orientation.
     La LCR doit être présente à l'élection présidentielle avec un projet de changement, social et sociétal, adapté au présent des sociétés européennes. Faute de quoi, si elle devait adopter le profil de LO, elle courrait à l'échec. Un enjeu décisif pour éviter que les recompositions n'opèrent principalement au sein de la gauche gouvernementale et en faveur des Verts, marqués par leur ancrage institutionnel. Au second tour, nous savons que la victoire de la droite ne se traduirait pas de la même façon que celle de la gauche et ce indépendamment de notre propre jugement sur cette politique. Le nier contre toute évidence ne peut que contribuer à la dépolitisation ambiante.
     Pour les élections législatives du printemps 2002, la LCR doit présenter un maximum de candidats "100% à gauche" avec la volonté de porter le même projet articulé aux enjeux locaux, d'autant plus réels que la construction européenne et l'aspiration multiforme au contrôle les renforcent chaque jour davantage. Elle mènera campagne pour un mode de scrutin proportionnel.

Jean-Louis Michel
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