21/05/2001 - Réponse de Lutte Ouvrière au Bureau Politique de la LCR

     Chers camarades,
     Nous accusons réception de votre courrier du 3 mai selon lequel vous n'auriez reçu aucune réponse de notre part à votre proposition en date du 2 avril d'une réunion entre des délégations des directions de nos deux organisations pour discuter des possibilités d'action commune pour les prochaines élections présidentielles et législatives.
     Pourtant nous avons bien l'impression de vous avoir répondu et même à plusieurs reprises, verbalement il est vrai (discussions entre Alain Krivine et le signataire et plusieurs conversations téléphoniques entre Vial et Ollivier).
     Puisque vous semblez tenir à une réponse écrite, nous vous confirmons donc que le 2 avril, au sortir des élections municipales et de l'analyse de ses résultats, l'élection présidentielle et, a fortiori, les législatives, n'étaient pas pour nous des préoccupations immédiates et que nous ne pourrions envisager ces questions qu'à la fin juin, lors d'un Comité Central. La seule chose que nous savions déjà, parce qu'antérieurement décidée, c'est que nous présenterions la candidature d'Arlette Laguiller. à la Présidentielle.
     Entre-temps, l'actualité sociale marquée par la série de licenciements collectifs que vous savez a d'ailleurs requis de notre part d'autres réponses plus urgentes, en particulier nous nous sommes, contrairement à vous, beaucoup investis dans la préparation et la participation aux manifestations de Calais et du 1er mai.
     Dans votre plus récent courrier, vous contestez le terme d'ultimatum que nous avons utilisé pour qualifier le fait que, deux jours après avoir envoyé votre première lettre, Alain Krivine convoquait une conférence de presse pour annoncer que si nous prenions la responsabilité de ne pas accepter votre demande de discuter de la façon dont Arlette Laguiller se présenterait -c'est un des aspects de votre proposition- vous présenteriez votre propre candidate ou candidat.
     Si ce n'est pas ultimatum, c'est uniquement parce que s'il y avait là une menace nous n'y serions pas sensibles, et que c'est vous qui prendriez la responsabilité que vous nous imputez.
     Vous justifiez votre déclaration hâtive par le fait que vous auriez besoin d'une réponse rapide, en fonction du droit de votre organisation à préparer les prochaines échéances pour y être présente, même s'il n y avait pas d'accord LO-LCR. Pourtant une conférence de presse ne signifie pas un début de préparation, mais une simple proclamation pour prendre date et tenter maladroitement de nous mettre devant un fait accompli.
     Mais indépendamment de ce qui précède, que pouvons-nous vous répondre ? Vos deux lettres précédaient de plusieurs semaines une réunion de votre Comité Central au sein duquel plusieurs tendances se faisaient jour sur cette question. De plus, vous précisez qu'après votre Comité Central, vous aurez une Conférence nationale fin juin, pour arrêter votre propre attitude. Vous nous demandez donc d'engager des pourparlers avant même de vous être mis d'accord entre vous.
     En effet, à en juger par les compte-rendus de votre Comité Central des 12 et 13 mai, publiés dans Rouge, vous êtes partagés entre cinq courants qui ont chacun leur vision d'un tel accord, si l'on peut dire, car deux le rejettent totalement. Parmi ceux qui l'approuvent, au moins un considère que vous nous avez déjà fait trop de concessions -ce qui est loin d'être notre avis. Le courant le plus hostile considère que la décision de votre CC est prise dans la précipitation et est nulle et non avenue. Le débat est donc loin d'être clos en votre sein.
     Comment pourrions-nous, dès maintenant, de notre côté, engager des pourparlers avec une organisation aussi divisée ?
     Votre diversité est peut-être une richesse, mais comment pouvons-nous espérer que la décision finale ne soit pas un compromis entre vos cinq tendances, c'est-à-dire bien loin de nos propres positions ? Et, de plus, comment pouvons-nous croire qu'elle puisse déboucher sur une véritable unité dans l'action à nos côtés ?
     Vous comprendrez sans doute que nous ne pouvons, pour notre part, prendre de décision sans avoir soumis le problème à la seule instance qui puisse décider, notre Comité Central. Voire, de notre côté aussi, une conférence nationale après avoir consulté l'ensemble de nos camarades !
     En effet, il est un bon nombre d'entre ces derniers qui, au cours des discussions informelles depuis votre première lettre, émettent des réserves sur les avantages politiques de vos propositions.
     Par exemple, si la presse a annoncé que vous êtes en train de changer d'orientation par rapport au deuxième tour, dans votre première lettre, celle du 2 avril, vous en êtes restés à une formulation prudente : la situation issue des municipales favorise les conditions d'une discussion pour adopter une position commune au cours de ces élections .
     Et, plus récemment, dans un récent numéro de Rouge, François Ollivier écrit : "quant aux consignes de vote au deuxième tour, les évolutions de la situation politique et des rapports d'une partie de l'électorat populaire avec la gauche plurielle créent les conditions pour définir une position commune".
     Que de précautions oratoires pour dire... Quoi au juste ? Que cette fois-ci votre organisation n'apportera pas, au second tour, sa caution à Jospin ? Pourquoi ne pas le dire clairement. Ou que cela peut s'envisager comme concession envers nous si la discussion entre nos deux organisations se déroule comme vous le souhaitez ? Ou bien que vous préparez une formule complexe à double, triple ou quintuple lecture, pour ne déplaire à aucun de vos camarades ou pour satisfaire des courants que vous voudriez comme alliés ?
     Aucun de nos camarades n'entend peser sur vos choix au deuxième tour. Mais la plupart voudraient savoir, avant de discuter quoi que ce soit, ce que non seulement la majorité de votre Conférence nationale décidera, mais comment et à quelle majorité elle le décidera, avec quels compromis entre vos différentes tendances et, ce qu'en conséquence, l'ensemble de vos militants sera réellement prêt à faire dans une telle campagne.
     Parmi nos camarades, d'autres questions sont posées et en particulier : pourquoi ne parlez-vous pas de l'autre divergence importante rencontrée aux Municipales et qui était ce que vous avez appelé de façon polémique et erronée, mais qui avait l'avantage d'être simpliste, notre refus d'ouvrir nos listes aux militants associatifs.
     Nous refusons effectivement de défendre les points de vue d'organisations associatives qui refusent de se dire communistes ou de militer pour un parti défendant les intérêts politiques du monde du travail, ce qui est notre objectif essentiel. Par contre nous avons ouvert nos listes à beaucoup de militants associatifs qui ne répugnaient pas à se présenter sous l'étiquette LO.
     Cela signifie que bon nombre de nos militants se posent la question de savoir si l'accord que vous nous proposez signifierait que nous mènerions campagne sous l'étendard "100% à gauche" à la Présidentielle et que nous devrions, aux Législatives, si nous répartissions les circonscriptions entre nous, appeler à voter pour des candidates et des candidats "100 % à gauche" et dont certains -comme aux municipales- refuseraient même de se dire d extrême-gauche ?
     Nous n'appartenons pas à la gauche gouvernementale et nous refusons toute étiquette qui pourrait laisser croire que nous en sommes une des extrémités. Comme l'a dit François Hollande, nous sommes en dehors de cette gauche-là, en dehors de la gauche qui a mené la guerre d Algérie et qui, sous la signature de François Mitterrand alors Ministre de la Justice, a donné les pleins pouvoirs de justice aux militaires de l'armée française, cautionnant ainsi les tortures et les assassinats. Qu'aurait pu faire de pire un gouvernement de droite ? Nous sommes fiers que François Hollande dise que nous sommes en dehors de cette gauche-là et nous n'avons pas, de plus, de leçons de démocratie à recevoir de gens qui ne renient pas le passé de François Mitterrand, y compris celui-là.
     Ceci pour dire que nous avons réellement des désaccords politiques et que beaucoup de nos camarades sont convaincus que nous n'avons pas le même électorat.
     De plus, vos divisions sur cette question inquiètent bon nombre d'entre nous. Vous avez des tendances, des majorités, des minorités, mais avec qui allons-nous donc signer cet éventuel accord que vous nous proposez ? Avec la majorité ? mais que feront alors les militants minoritaires de la LCR ? Participeront-ils avec détermination à une campagne commune ?
     Un exemple, tiré de votre lettre et de votre pratique, en a fait douter une grande partie de nos camarades.
     Votre dernière lettre rappelle que vous nous aviez "proposé des actions communes pour intervenir ensemble lors des manifestations de Calais et du 1er mai" et que vous avez déploré nos réponses négatives.
     Des actions communes ?
     Mais, sur place, qu'avons-nous pu juger ? A Calais vous aviez 50 camarades dans la manifestation alors que nous en avions 600 ! L action commune que vous nous proposiez consistait donc, de notre côté, à fournir le gros des troupes et, du vôtre, à apposer simplement votre signature sur une banderole en plus de la présence médiatique d Alain Krivine. C'est une action commune du genre pâté cheval-alouette ! Après, vous nous expliquez que vous n'aviez pas mobilisé car vous étiez partisans d'initiatives à la base. Soit ! Mais encore faut-il qu'il y en ait de sérieuses. Et vous auriez pu, au moins, dire votre opinion lors de votre proposition et aujourd hui ne pas nous reprocher, comme si de rien n'était, de l'avoir refusée. C'est pour bluffer qui ?
     Vous nous aviez aussi proposé un cortège commun le 1er mai et nous avons pu juger que votre cortège était très inférieur en nombre au nôtre -deux fois moins- et sûrement très en-deçà de vos capacités théoriques. Il faut croire que vos militants sont moins enthousiastes pour participer aux manifestations de travailleurs qu'à d'autres démonstrations. Toujours est-il que là aussi, sous une banderole commune, nous aurions fourni le gros des troupes et vous le reste.
     Vous nous reprochez certaines critiques parues dans la Lutte de Classe ou des prises de positions d'Arlette Laguiller qui seraient, selon vous, "inamicales". Ce n'était pourtant qu'une discussion politique entre organisations différentes, discussion qui ne peut se conduire sous la forme de simples conseils "amicaux".
     Curieusement, vous semblez n'admettre la discussion politique qu'à sens unique.
     Avant le premier tour des élections municipales, il n'y avait pas un numéro de Rouge sans un article critiquant LO. Bien souvent des tracts ou des déclarations à la presse de certaines de vos têtes de listes étaient bien plus que critiques ou inamicales. Aujourd'hui, trois sur cinq des textes, publiés dans Rouge pour votre Comité central sont pour le moins "inamicaux", comme vous dites, à l'égard de LO et il n'est que de consulter le courrier des lecteurs que vous publiez, pour se rendre compte à quel point nombre de ceux qui se réclament de la LCR colportent des injures, voire des calomnies envers LO (nous ne comptons pas bien sûr ceux qui ne se réclament pas de la LCR).
     Il ne nous est pourtant, pour notre part, jamais venu à l'esprit de vous reprocher quoi que ce soit sur ce terrain car nous sommes pour la liberté de pensée, la liberté d expression et la liberté de critique.
     Mais laissez-nous au moins les mêmes droits que ceux que vous vous accordez et n'en faites pas un sujet de querelle.
     Rappelons que nous nous sommes présentés bien des fois à l'élection présidentielle sans que vous nous souteniez, ou sans que vous nous proposiez la moindre unité. Vous avez brutalement changé d'avis et il faudrait que nous sautions immédiatement de joie en acceptant des propositions dont nous ignorons le contenu. Vous prenez envers nous bien des libertés, témoin votre attitude pour les Européennes où c'est par la presse que nous avons appris, qu'après avoir essuyé maintes rebuffades de tous ceux dont vous recherchiez l'accord et même vous être fait littéralement traîner dans la boue à la Fête de l'Humanité, vous comptiez vous présenter avec nous.
     Aujourd hui, vous nous proposez, pour la première fois en vingt ans, votre soutien à la Présidentielle, sous condition d'un rapprochement de nos politiques.
     Mais votre politique, nous la connaissons et nous ne voyons pas au nom de quoi nous changerions la nôtre.
     Dans l'élection présidentielle, il n'y a aucun enjeu. Ni une éventuelle candidate de la LCR ni la candidate de LO ni celui des Verts ni celui du PC n'a de chances d'être élu. Pour les deux derniers il s'agit de se compter pour la répartition ultérieure des circonscriptions avec le Parti Socialiste.
     Pour nous le seul intérêt de cette élection c'est de pouvoir exprimer, de pouvoir défendre et populariser des idées qui puissent servir les travailleurs et les armer contre les attaques dont ils seront l'objet ou pour leurs luttes à venir. Par exemple, en 1995 Arlette Laguiller était la seule à réclamer la réquisition des entreprises qui licencient alors qu'elles font des profits. Aujourd'hui quelques autres en font autant. Populariser des objectifs, c'est cela le rôle d'une telle campagne. Ce n'est pas faire des voix simplement pour passer devant l'un ou l'autre et en particulier le PC comme beaucoup nous en prêtent l'intention.
     Le score aux Présidentielles peut montrer combien parmi les classes populaires entendent et acquiescent à ce que nous disons. Mais justement, il ne faut pas modifier notre langage pour composer avec certains de vos alliés qui, pour respectables qu'ils soient, préfèrent attaquer la mondialisation, sans dire qu'elle fait partie intégrante du capitalisme et que c'est ce dernier qu'il faut combattre ou encore disent qu'il faut l'emplâtre de la taxe Tobin et pas réquisitionner les grandes entreprises et leurs profits.
     Une campagne commune pourrait obtenir plus de voix, pensez-vous. Mais quel programme, quelles idées seraient confortés ? A quoi bon avoir présenté, comme vous l'avez fait aux Municipales, des listes comptabilisées par la presse sous votre nom ou comme d'extrême gauche mais qui ne veulent surtout pas être confondues ni avec vous ni avec l'extrême gauche ?
     Alors si seul le score compte pour vous, soyez rassurés, si la presse voulait absolument additionner les voix de deux candidatures pouvant à tort ou à raison être considérées comme d'extrême gauche, elle saurait le faire, comme elle l'a fait aux municipales.
     Etant donné cela, beaucoup d'entre nos camarades ne sont d'ailleurs pas convaincus qu'une candidature d'Arlette Laguiller soutenue par nos deux organisations obtiendrait plus de voix que la candidature d'Arlette Laguiller soutenue par notre seule organisation. Par exemple, aux Européennes, nous avons fait, à deux, exactement le même score qu'Arlette Laguiller avait fait seule à la Présidentielle qui précédait. Notre liste commune a eu d'ailleurs 500 000 électeurs de moins qu'Arlette Laguiller.
     Alors, beaucoup de nos camarades craignent que ce que vous nous proposez nous demande des concessions politiques importantes et, pourquoi pas, serait un marché de dupes si vos militants nous laissent faire le gros des efforts.
     Notre lettre est longue, mais nous espérons avoir ainsi montré certains problèmes que nous nous posons et dont nous n avons pas encore décidé mais qui peuvent éclairer les travaux de votre conférence nationale pour qu'elle puisse prendre ses décisions, en tenant compte du fait que votre proposition telle que vous l'avez formulée est loin d'avoir fait l'unanimité chez nous et que nos camarades ne répondront pas, comme vous le demandez, à un claquement de doigts de votre part.
     Pour le moment, nous ne voyons donc pas l'utilité de nous rencontrer pour discuter plus avant car nous ne pourrions vous apporter aucune précision supplémentaire et, de votre côté, vous ne pourriez nous apporter aucune certitude sur vos intentions.
     Veuillez agréer, chers camarades, nos salutations communistes.

Georges KALDY
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