2001

Meeting


Intervention d'Arlette Laguiller
au meeting du Lundi 29 octobre 2001 à Lille
Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
     Robert Hue aurait répondu à des journalistes après le congrès du PCF de ce week-end que, dans sa campagne électorale, on l'entendra parler du chômage, des licenciements et de l'augmentation des salaires.
     Pendant sa campagne sûrement. Mais d'ici la campagne en avril 2002, ou en juin pour les législatives, entendra-t-on le gouvernement parler de tout cela ? Pourtant, le PCF fait partie de ce gouvernement dit de gauche. La nouvelle secrétaire nationale du PCF en est même une ministre en vue. Alors, pourquoi y a-t-il si loin des paroles aux actes ?
     Voyons avec quel mépris, depuis des années, gouvernement de droite avec Juppé ou de gauche avec Jospin, les patrons et leurs serviteurs politiques traitent le monde du travail !
     Regardons donc comment, depuis plusieurs années, ils ont mené en bateau ceux de Moulinex-Brandt, de repreneur en repreneur, pour annoncer à ceux de Moulinex que 3.744 d'entre eux sont jetés dehors, rien qu'en France, après avoir travaillé pour cette entreprise trente ans ou toute leur vie, 5.144 dans le monde. Quatre usines fermées, à Bayeux, Cormelles, Alençon et Falaise. Toute une région, la Basse-Normandie, sinistrée ! Et malgré les discours rassurants de Guigou, rien ne garantit à ceux de Brandt, notamment à ceux de SELNOR à Lesquin, qu'ils conserveront leur emploi.
     On nous dit qu'on n'y pouvait rien, c'est la concurrence, l'entreprise n'est plus rentable. Mais, pendant plusieurs dizaines d'années, rentable, elle l'a été, cette entreprise ! On l'avait même présentée alors comme le véritable fleuron des entreprises familiales en France. De petite entreprise, elle est devenue une multinationale, ses chiffres d'affaires ont été multipliés par dix, par cent, ses profits aussi.
     Les travailleurs de Moulinex-Brandt, eux, ne se sont pas enrichis pendant ce temps. Ils ont tout juste vécu en essayant de joindre les deux bouts avec leurs salaires, comme tous les travailleurs.
     Mais le propriétaire, mais les actionnaires, combien d'argent ont-ils donc encaissé ? Que sont devenus les milliards qu'ils se sont appropriés ? Dans quelle autre entreprise ont-ils été investis pour exploiter d'autres travailleurs ? Combien de propriétés ou de châteaux achetés avec cet argent ? Combien de bijoux, de tableaux de maître, de voitures de luxe ou d'avions privés ?
     Et les banques qui ont étranglé Moulinex en exigeant des remboursements de crédits, combien d'intérêts, combien d'agios ont-elles prélevé au cours des ans sur l'entreprise, c'est à dire, en dernier ressort, sur le travail de ses ouvriers ? Combien d'argent ont encaissé les actionnaires de ces banques ?
     Les banques et les actionnaires gardent ce qu'ils se sont appropriés. Et ceux qui le leur ont fait gagner, devenus chômeurs, ne gardent que leurs yeux pour pleurer.
     On enseigne dans les écoles que nous sommes tous égaux devant la loi ! Mais la loi protège la propriété et les actionnaires, pas les travailleurs ! Est-ce que c'est normal, est-ce que c'est acceptable que les bénéfices passent avant l'emploi ? L'argent avant la vie des hommes ?
     Est-ce que c'est normal, est-ce que c'est acceptable que le gouvernement, qui prétend représenter l'intérêt collectif, ne fasse rien pour empêcher une telle catastrophe sociale ?
     Et bien oui, ce qui serait juste, c'est que tout ce capital accumulé grâce au travail des Moulinex, ces fortunes amassées, soient réquisitionnés pour continuer à assurer un salaire à tous ceux qui les ont produites par leur travail !
     La loi reconnaît au patron de Danone le droit de fermer les usines qu'il veut, comme à Calais ou Ris Orangis, d'aggraver le chômage alors, pourtant, que l'entreprise n'est même pas dans la difficulté. Et, pour ajouter le cynisme à l'inacceptable, le patron de cette entreprise a osé affirmer que c'est lorsque les affaires vont bien qu'il faut licencier pour pouvoir payer des indemnités !
     Oui, ces gens-là méprisent les travailleurs comme ils méprisent les intérêts de toute la société. Mais il n'y a pas qu'eux ! Leurs valets politiques, les ministres du gouvernement socialiste comme ceux des gouvernements qui l'ont précédé, affichent le même mépris et le même cynisme. Et le plus écoeurant, c'est que les responsables politiques se targuent de nos votes et se posent en représentants de tous !
     Ecoutons donc les ministres parler de la nouvelle aggravation du chômage. Jusqu'à cet été, le gouvernement se vantait d'avoir fait baisser d'un million le nombre des chômeurs en quatre ans. C'était déjà un mensonge grossier. Car ce chiffre de un million de chômeurs en moins devait bien plus aux manipulations statistiques qu'à une baisse réelle du nombre de chômeurs. Depuis 1995, on ne compte plus comme chômeurs ceux qui ont travaillé plus de 78 heures par mois. On a rayé des statistiques du chômage tous les précaires, tous les intérimaires qui n'ont que des emplois partiels, occasionnels, avec des salaires qui permettent à peine de survivre. Ce qu'ils ont osé appeler une "politique efficace contre le chômage" n'a été que la généralisation des emplois partiels, payés plus bas que le SMIC. C'est grâce à la prétendue lutte contre le chômage, menée de cette façon que plus de quatre millions de personnes ont aujourd'hui un salaire annuel inférieur au SMIC.
     Mais, malgré les manipulations statistiques, le nombre des chômeurs s'est remis à croître. Et voilà donc les ministres qui se succèdent pour parler de "plan de bataille pour l'emploi" ou, comme Jospin récemment, de "mobilisation exceptionnelle". Qu'y a-t-il derrière ces mots ? 30.000 emplois CES supplémentaires ! 20.000 stages d'insertion ! Oui ! Ils osent se moquer de nous !
     Les grandes entreprises licencient les unes après les autres, y compris celles qui affichent toujours des profits élevés : Michelin, Danone, Aventis, Philips, Valéo Alstom, Alcatel et bien d'autres. Et combien de leurs sous-traitants, combien d'entreprises de plus petite taille, comme Hellemmes, grossissent le nombre des licenciés ? Et puis, les plans de licenciements annoncés ne concernent que les licenciements officiels, avoués, de travailleurs en contrat à durée indéterminée. Mais combien d'intérimaires sont mis à la porte, discrètement, dans toutes les grandes entreprises comme en ce moment chez Alcatel ? Les licenciements d'intérimaires, on ne les compte même pas comme licenciements, et pourtant le résultat est le même : des travailleurs qui se retrouvent du jour au lendemain sans travail et sans salaire.
     Devant ces licenciements, le gouvernement ne fait rien, ne lève pas le petit doigt, se refuse à faire la moindre pression même sur les entreprises qui ne s'enrichissent que grâce aux commandes d'Etat. Non, le gouvernement laisse faire. Et il ose exhiber quelques milliers d'emplois CES, à raison de 3.500 F par mois, des emplois qui de surcroît ne sont que provisoires et qui, s'ils font sortir les chômeurs des statistiques du chômage, ne leur assurent pas pour autant des emplois réels.
     Fabius, le ministre de l'Economie, vient d'annoncer une rallonge de la prime pour l'emploi qui sera versé en janvier au plus bas salaires. Le versement de cette prime représentera une dépense de 8 milliards pour l'Etat, à répartir entre 8 millions cent mille foyers concernés. Cela fait 946 francs en moyenne par ménage modeste.
     Au même moment, Fabius a annoncé, entre autres mesures en faveur du patronat, une baisse de 24 milliards sur la facture des grandes sociétés pour le droit d'exploitation des téléphones mobiles de la troisième génération. Cette baisse ne concerne dans l'immédiat que France Télécom et Vivendi, ex-Générale des Eaux, et demain, Bouygues. Le cadeau de l'Etat représentera donc, en moyenne, pour chacun des trusts concernés, une somme de même ordre que pour plus de huit millions de foyers modestes. Et il ne s'agit même pas d'entreprises en difficulté, mais de trusts fleurissants.
     Et même les 35 heures, que le gouvernement considère comme sa grande réalisation sociale, a surtout donné au patronat des armes légales pour accroître la flexibilité, supprimer des pauses et aggraver les conditions de travail.
     Et puis, regardez leur attitude à Toulouse ! Cinq semaines après l'explosion de l'usine AZF, qui a fait 30 morts et 2.000 blessés et qui a détruit ou endommagé 25.000 appartements, la situation des sinistrés reste catastrophique. 10.000 appartements sont dans un état qui ne permet pas d'aborder l'hiver, sans même que les travaux soient commencés. Un millier de foyers sont dans l'attente d'une solution même provisoire. Des milliers de travailleurs sont au chômage technique et dans l'incertitude de l'avenir : ceux D'AZF mais aussi ceux des entreprises, grandes et petites, des alentours. Pour combien de temps ?
     C'est la solidarité privée qui permet à beaucoup de s'en sortir. Mais TotalFinaElf, propriétaire de l'usine, dont la responsabilité est entière, s'est contentée de jeter 20 millions de francs pour compenser des dommages qui sont évalués au bas mot à 8 milliards. N'est-ce pas ignoble, venant de la part d'un trust qui se vante d'avoir réalisé l'an dernier 57 milliards de bénéfices ? Les plus importants jamais réalisés en France !
     La justice sait faire saisir, sur le salaire d'un père de famille, de quoi rembourser les dégâts causés par ses enfants. Mais cette justice-là n'est pas appliquée à ce trust, récidiviste pourtant, responsable déjà des dégâts causés par le naufrage du pétrolier Erika. Le gouvernement a pourtant les moyens de contraindre cette multinationale bien française, dont les sièges sociaux et une grande partie des biens sont ici. Ces biens devraient être mis sous séquestre pour obliger TotalFinaElf à rembourser l'intégralité des dégâts qu'il a causés et à assurer l'intégralité des salaires de tous ceux qui se trouvent au chômage technique !
     Il y a 1.249 sites à risque officiellement recensés dans le pays. Il ne suffit pas de les éloigner des villes, comme le préconisent un certain nombre de maires. Car, si les usines dangereuses peuvent être éloignées des zones habitées, elles ne peuvent pas être éloignées de leurs propres travailleurs. Il n'y aucune raison que ceux d'entre nous qui travaillent dans des usines chimiques, dans des raffineries, dans des poudreries, soient contraints de travailler la peur au ventre. Il faut imposer à toutes ces entreprises des contrôles draconiens ! Il faut obliger leurs propriétaires à dépenser l'argent qu'il faut pour que la sécurité soit assurée !
     Et puis, à côté de ces sites considérés comme dangereux, combien d'autres où il n'y a ni matières explosives ni produits dangereux et ou des travailleurs meurent quand même d'accidents du travail parce qu'on fait des économies sur la sécurité, parce qu'on leur impose un rythme de travail trop élevé. 748 accidents du travail mortels l'année dernière, deux par jour !
     Oui, cette organisation économique et sociale est aussi injuste que dangereuse. Une économie où la productivité croissante, au lieu d'améliorer la vie des travailleurs, la rend plus dangereuse ; où on fait crever de travail les uns pendant qu'on condamne les autres à l'inactivité ; où des minorités qui ne travaillent pas s'assurent des fortunes qu'on a peine à imaginer pendant que d'autres, même dans les pays dits riches comme la France, sont dans l'incertitude du lendemain.
     Et puis, comment ne pas parler aujourd'hui de ce qui se passe en Afghanistan ?
     Cela fait un mois que les avions américains soumettent ce pays à des bombardements intenses. Le terroriste Ben Laden n'a pas été arrêté, le pouvoir taliban n'a même pas été ébranlé, mais des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants qui ne sont pour rien dans les crimes de Ben Laden ont été tués ou blessés et des villages entiers détruits.
     Les Etats-Unis continuent à présenter la guerre, qu'ils mènent contre l'Afghanistan avec l'aide et la complicité d'autres grandes puissances, dont la France, comme un acte de légitime défense. Mais en quoi l'horreur des attentats contre les tours du World Trade Center peut légitimer que l'on noie sous les bombes un des pays les plus pauvres du monde, qui subit depuis vingt ans des guerres successives, où trois millions de personnes sont menacées de famine et plus de deux millions contraintes de végéter dans les camps de réfugiés dans les pays voisins ?
     Ce que les Etats-Unis font en Afghanistan est barbare et révoltant. L'attitude de ceux qui nous gouvernent et qui applaudissent les crimes américains ne vaut pas mieux. Ils osent présenter cette guerre comme une guerre de libération pour les Afghans eux-mêmes. Mais, pour quelques taliban tués, combien de femmes afghanes opprimées par les taliban meurent sous les bombes ? Combien de paysans pauvres sont contraints de subir, en plus la dictature des taliban, les bombes américaines ?
     En s'en prenant à des édifices qui étaient des symboles de la puissance américaine, Ben Laden prétendait venger les Palestiniens opprimés et pourchassés dans leur propre pays par un appareil militaire israélien supérieurement armé et soutenu par les Etats-Unis. Il prétend venger plus généralement le monde musulman dont la majorité vit dans la pauvreté et est opprimée par des régimes à la dévotion des Etats-Unis.
     Toute cette démagogie est un mensonge car l'écroulement des tours du World Trade Center n'avance en rien le combat du peuple palestinien et parce que la mort des 6.000 victimes des attentats-suicide, pour la plupart des employés, n'affaiblit en rien l'impérialisme américain. Au contraire. Cela permet aux dirigeants impérialistes de jouer sur l'émotion légitime de leurs peuples pour faire approuver aujourd'hui la guerre contre l'Afghanistan et demain on ne sait quelles autres guerres de brigandage.
     Et puis, Ben Laden et ses semblables ne cherchent pas à libérer les peuples, pas même ceux qui se reconnaissent dans l'islam, mais, au contraire, à leur imposer des dictatures obscurantistes comme en témoigne le régime des taliban.
     Oui, Ben Laden est un terroriste doublé d'une crapule réactionnaire. Mais Bush ne vaut pas mieux.
     Les dirigeants américains recommencent la même politique criminelle qu'ils mènent depuis une décennie contre l'Irak. La guerre du Golfe, ils prétendaient la mener contre Saddam Hussein. Mais le dictateur est toujours là, son armée aussi, alors que les bombardements et le blocus économique ont fait plus d'un million de morts dans la population et c'est tous les jours encore que des enfants meurent faute de soins à cause du blocus.
     Malgré la propagande des gouvernements occidentaux, il est de plus en plus visible que plus il y a de bombes sur l'Afghanistan, plus il y a de victimes innocentes, plus y augmente la haine dans les coeurs, et bien au-delà des pays bombardés.
     Cette guerre ne fera que creuser encore plus le fossé de sang entre les grandes puissances impérialistes et la partie pauvre de la planète. Elle est en train de susciter de nouvelle vocations de terroristes qu'un Ben Laden ou un autre n'aura qu'à embaucher au profit de ses objectifs aussi réactionnaires que stériles.
     Ben Laden, ce milliardaire saoudien, a beau se déguiser avec les vêtements traditionnels des pauvres, il a beau citer le Coran et appelé "sainte" la guerre qu'il mène, il est un sous-produit américain. Ce sont les Etats-Unis et leurs services secrets qui ont fabriqué ce personnage, à une époque où, pour contrer l'influence soviétique en Afghanistan, ils appuyaient les courants islamistes. Ce sont encore les Etats-Unis qui ont incité les rois réactionnaires d'Arabie saoudite et les dictateurs militaires du Pakistan à financer et armer les taliban et à les aider à s'emparer du pouvoir.
     Mais la responsabilité de l'impérialisme américain et de ses alliés dans le développement du terrorisme islamiste est bien plus profonde encore. Parce que ce terrorisme et surtout la sympathie qu'il rencontre dans la partie sous-développée de la planète s'enracinent dans la pauvreté ; et parce que les masses pauvres sentent confusément ou savent d'expérience que le sort qui leur est imposé l'est en dernier ressort par ce système impérialiste dont les Etats-Unis constituent le principal pilier.
     Le combat que mènent les puissances impérialistes coalisées n'est certainement pas le combat du camp de la liberté, de la démocratie contre le terrorisme et l'obscurantisme. Car, depuis toujours, pour assurer aux grands trusts le droit de piller la planète entière, les puissances impérialistes soutiennent des régimes oppressifs, des dictatures abjectes, s'appuient sur des forces réactionnaires, quand elles n'interviennent pas directement contre les peuples.
     Ce n'est pas non plus le combat de l'avenir contre le passé, de la civilisation contre la barbarie, même si les taliban semblent sortir directement du Moyen-Âge et si les missiles et les avions envoyés contre eux contiennent le dernier cri de la technologie. Car le terreau de la barbarie, c'est l'impérialisme lui-même.
     Et s'il y a une différence entre les Etats-Unis et les puissances impérialistes de seconde zone, dont la France, cette différence ne tient qu'à la disproportion des moyens, pas à la nature de leurs politiques respectives.
     L'hypocrisie qui consiste à ne dénoncer, dans l'engagement de la France dans cette guerre, que le suivisme à l'égard des Etats-Unis est d'autant plus répugnante que, des bombardements de Sétif à la guerre d'Algérie, en passant par les bombardements de Madagascar et la guerre d'Indochine, une longue liste de méfaits montre que l'impérialisme français ne vaut pas mieux que l'impérialisme américain et que ses dirigeants, même ceux qui se prétendent socialistes, ne valent pas mieux que George Bush !
     On ne peut que déplorer et s'attrister que certains jeunes des banlieues brandissent le portrait de ce milliardaire saoudien réactionnaire. Mais il ne s'agit pas seulement de déplorer. Pour convaincre les opprimés qui voient un espoir là où il n'y en a pas pour les classes populaires, il faudra que le mouvement ouvrier renaisse. Il faudra qu'il incarne de nouveau, aux yeux des opprimés du monde, l'espoir d'un changement social radical.
     Oui, tout se tient. Cette économie, où une classe minoritaire capitaliste monopolise toutes les richesses, tous les moyens de les produire, pour lui permettre d'accumuler des fortunes extravagantes, sécrète la pauvreté partout sur la planète. Elle la sécrète même à l'intérieur des pays riches, même aux Etats-Unis.
     Mais elle sécrète aussi l'inégalité entre pays. A côté de la douzaine de pays impérialistes et de quelques autres capables d'assurer à la majorité de leurs populations un niveau de vie acceptable, combien d'autres, une grande partie de la planète, où la simple survie quotidienne est un problème, où on ne dispose pas d'eau potable et où même un minimum de soins est un rêve inaccessible ?
     Ceux qui nous gouvernent sont tous, pourtant, à plat ventre devant cette économie. Tous sont unanimes à proclamer que, hors l'économie de marché, il n'y a pas de salut pour l'Humanité. Mais le fait que cette économie soit organiquement incapable d'assurer la nourriture quotidienne à une partie importante de l'Humanité, la condamne irrémédiablement.
     Mais qu'est-ce donc que cette organisation économique où il n'y a pas d'argent pour nourrir ceux qui meurent de faim, mais où il y en a cent fois plus pour les écraser sous les bombes ?
     Qu'est-ce que cette économie où les conditions d'existence et la vie même de milliards d'êtres humains dépendent des sautes d'humeur de quelques milliers d'actionnaires et de leurs spéculations boursières ?
     Qu'est-ce que c'est que cette organisation économique et sociale qui pousse en permanence des centaines de milliers d'hommes et de femmes sur le chemin de l'exil pour fuir l'oppression ou simplement la misère ? Des centaines de milliers d'êtres humains, contraints de courir le risque d'embarcations de fortune, des trafiquants d'hommes, pour essayer d'atteindre des pays où ils espèrent une vie à peu près humaine. Une vie que, bien souvent, ils ne trouvent pas parce que les grandes puissances impérialistes, responsables de cette misère et des ces oppressions, s'entourent de barbelés matériels ou juridiques. Combien de travailleurs immigrés sont-ils livrés ici, en France, à l'avidité de patrons, marchands d'esclaves, ou marchands de sommeil ? Tous ces margoulins profitent de la situation illégale de ceux que le refus du gouvernement de les régulariser maintient dans la situation de sans-papiers.
     Eh bien, je tiens à marquer ici ma solidarité avec les sans-papiers et leur combat, comme plus généralement avec tous ceux qui luttent pour qu'on respecte la dignité de ceux qu'un système inhumain pousse à l'exil.
     Et je suis, bien sûr, pour le droit à la libre circulation de tous les réfugiés, de tous les exilés et pour leur droit de choisir le pays où ils voudraient reconstruire une existence. C'est une simple question d'humanité. Mais même cette humanité leur est aujourd'hui refusée.
     Bien sûr, l'avenir n'est pas là. L'avenir ne peut pas être que des millions de personnes soient obligées de quitter leurs pays pour grossir les quartiers pauvres des grandes villes du monde impérialiste.
     Il ne s'agit pas seulement de reconnaître les droits humains de ceux qui sont contraints d'émigrer. Il s'agit de mettre fin aux causes des émigrations forcées. Et le seul moyen, c'est de mettre fin à un système économique et social qui les provoque. L'avenir, c'est d'arracher le pouvoir économique et social à ces quelques centaines de groupes financiers et industriels qui dominent la planète et dont les intérêts s'opposent à ce que chaque être humain puisse avoir le droit à une existence digne de ce nom. Ce que les possibilité techniques et scientifiques d'aujourd'hui permettent largement.
     En les contraignant à émigrer, le système impérialiste transforme sans cesse de nouveaux contingents de pauvres venus des pays du tiers monde en prolétaires. Ces prolétaires, quelles que soient leur origine, leur nationalité ou la couleur de leur peau, sont nos frères. C'est ensemble que nous aurons la force non seulement de nous défendre, mais aussi, demain, de transformer le monde.
     Camarades et amis,
     Pour montrer sans doute que notre programme est purement contestataire et utopique, des journalistes m'ont posé la question : "Si vous étiez élue, quels seraient vos premiers gestes, qu'est-ce que vous pourriez faire ?".
     Au fond, la réponse est simple, à condition de faire un effort d'imagination et de se représenter le contexte politique où au moins 50 % des électeurs, c'est-à-dire l'écrasante majorité de l'électorat ouvrier et une grande partie de l'électorat populaire, voteraient pour ma candidature. Cela signifierait une toute autre situation sociale et politique. Ce serait un bouleversement politique complet. Ce serait la démonstration du nombre important de ceux qui veulent changer la société et cette simple évidence, cette simple conviction donnerait les moyens pour la changer réellement !
     Même élue présidente de la République, j'aurais affaire à la résistance du patronat, des tribunaux. Et rien ne changerait sans la participation active de millions de travailleurs. Ce sont eux, leurs actions collectives qui permettront de créer un rapport de force capable de contrebalancer le poids du patronat et de son argent, le poids d'un appareil d'Etat bâti pour défendre les intérêts des riches. Ce n'est pas moi, ni quelques inspecteurs du Travail ou des Impôts, ce sont ces centaines de milliers de travailleurs qui pourront imposer un contrôle réel sur la production. Ce sont les travailleurs des banques, des assurances, des groupes financiers, des grandes entreprises industrielles qui pourront contrôler les comptes des entreprises, vérifier le montant des profits, contrôler à qui va l'argent et faire en sorte qu'il soit utilisé en premier lieu, non pas à accroître la fortune des actionnaires, mais à assurer l'emploi à tous avec un salaire convenable, quitte à partager le travail en diminuant fortement les horaires.
     Ce ne sera pas un petit corps d'inspecteurs, mais les travailleurs des entreprises concernées eux-mêmes qui pourront vérifier si leur patron a pris toutes les mesures de sécurité qui s'imposent.
     Ce sera les travailleurs démocratiquement organisés qui discuteront si la production de telle ou telle entreprise est utile du point de vue social ou si, avec les mêmes capacités productives, il ne vaudrait pas mieux produire autre chose, moins profitable pour une poignée d'actionnaires, mais plus utile à l'ensemble de la société.
          Ce sera les mal-logés qui, avec toute la population, feront le recensement de tous ceux qui sont logés dans des conditions inacceptables ou qui ne sont pas logés du tout, et qui recenseront aussi les logements inoccupés ou sous-occupés dans les quartiers riches, afin de les attribuer à ceux qui en ont besoin pour que chacun puisse avoir un toit au-dessus de sa tête.
     Et puis, sur toutes les questions qui concernent directement la population, ce sera à elle de se prononcer.
     Aujourd'hui, on se prétend en démocratie parce qu'il y a des élections et parce qu'on organise, de temps en temps, un référendum sur une question sans intérêt comme la durée du mandat présidentiel. Mais, regardez comment, lorsque la population d'une région, comme celle de Chamonix, organise un référendum sur la réouverture ou non du tunnel du Mont-Blanc, et lorsque ce référendum entraîne une participation plus élevée que d'habitude et que le "non" l'emporte de très loin, un ministre soi-disant communiste donne raison au préfet qui déclare que ce n'est pas légal et que le tunnel ouvrira quand même !
     Pourtant, la nouvelle catastrophe, celle du tunnel du Saint-Gothard, en Suisse, vient de montrer à quel point la méfiance des habitants de la région est légitime.
     Le véritable problème, c'est que, pendant des années, on a encouragé le "tout camion". Et les camions se sont multipliés d'autant plus que, pour faire plus de profit, les grandes entreprises ont inventé le système dit de "zéro stock". Au total, les stocks de pièces et de fournitures, qui ne sont plus dans les hangars des entreprises, se retrouvent sur les routes. Le résultat, c'est que les routes sont saturées, les tunnels deviennent inadaptés. Mais, au lieu d'imposer aux entreprises une politique de transport qui respecte un peu plus les intérêts de la société, notamment le ferroutage, on impose des risques supplémentaires à la population.
     Ce qui peut tout changer dans la société, c'est la collaboration active, volontaire, consciente, de centaines de milliers de travailleurs qui décident démocratiquement dans leurs entreprises, dans leurs quartiers. Tout cela signifie aussi que, quel que soit le président de la République, si cette mobilisation, cette conscience existent, tout est possible.
     La gauche réformiste, Parti socialiste en tête, promet des changements dans le cadre des institutions existantes et en respectant la domination du grand capital sur l'économie. Nous avons pu vérifier et revérifier ce qu'il en est. Une fois au gouvernement, le Parti socialiste non seulement ne change rien mais il sert platement, obséquieusement, le grand patronat et mène, à l'intérieur du pays comme dans sa politique internationale, la politique de la grande bourgeoisie.
     Alors, les travailleurs n'ont rien mais vraiment rien à attendre du Parti socialiste qui, même s'il fait un peu de démagogie de gauche au moment des élections, une fois au pouvoir est rigoureusement semblable aux partis de droite, aussi hostile aux intérêts des classes populaires, valet servile qu'il est des intérêts patronaux.
     Et le malheur pour le Parti communiste ou, du moins, pour ses militants qui se situent sincèrement dans le camp des travailleurs, c'est qu'en participant au gouvernement socialiste, en cautionnant sa politique pro-patronale, leur direction les oblige à s'identifier à cette politique. Et, si le congrès du Parti communiste, hier, s'est traduit par des modifications à sa direction, il n'a pas changé de politique. La désignation de Marie-George Buffet, au côté de Robert Hue à la direction suprême du Parti, est présentée comme le symbole d'un renouveau. Que la direction du PCF se donne pour secrétaire nationale du parti une ministre de Jospin qui, comme telle, est tenue à la solidarité gouvernementale est, en effet, tout un symbole. Mais ce n'est pas ce symbole-là qui peut satisfaire ceux des militants qui en ont assez de cautionner la politique anti-ouvrière du gouvernement socialiste !
     Travailleuses, travailleurs, camarades et amis
     Le monde du travail subit une offensive incessante de la part du patronat, aidé en cela par le gouvernement. Mais nous avons la force d'arrêter l'offensive patronale et de les faire reculer.
     L'ensemble des travailleurs de ce pays, quelle que soit leur branche d'activité ; qu'ils travaillent dans le privé ou dans le public, ont les mêmes intérêts économiques, sociaux et politiques fondamentaux.
     Ceux qui sont dans le camp du patronat véhiculent dans nos rangs bien des préjugés destinés à mettre l'accent sur ce qui divise les travailleurs pour faire oublier ce qui les unit. Et, malheureusement, bien souvent, les confédérations syndicales elles-mêmes propagent des préjugés corporatistes dont le résultat est que les travailleurs d'une branche, d'une profession ou d'une entreprise considèrent que leurs problèmes sont particuliers alors qu'ils ne sont que l'expression de problèmes qui concernent l'ensemble du monde du travail.
     Divisés entre corporations ou entre ceux du public et ceux du privés, se jalousant les uns les autres, nous continuerons à subir les coups que nous assènent le grand patronat et le gouvernement. Mais tous ensemble, unis autour d'une politique qui correspond à nos intérêts de classe, nous pourrons non seulement nous défendre, mais penser à la contre-offensive.
     Il faut que le gouvernement en place, quelle que soit son étiquette politique, soit en permanence sous la surveillance et sous la pression des travailleurs.
     La pression de la bourgeoisie est, elle, permanente. Le moindre projet du gouvernement, comme d'ailleurs des institutions étatiques, au niveau de la région, du département, de la municipalité, est passé au crible par la bourgeoisie. Elle sait se faire entendre à tous ces niveaux-là pour obtenir des subventions, des avantages, des passe-droits, pour éliminer les rares mesures projetées qui lui déplaisent, pour en imposer d'autres qui sont à son avantage.
     Eh bien, les travailleurs doivent exercer une pression dans l'autre sens, non seulement par leurs armes de classe, par des grèves et par des manifestations politiques, mais aussi, directement, en vérifiant eux-mêmes les comptes des entreprises, de leurs patrons et de leurs principaux actionnaires ! La détermination du grand nombre à faire fonctionner autrement la société donnera les moyens d'abord d'outrepasser les lois, pour ensuite les changer ! Au pouvoir de l'argent, les travailleurs doivent opposer leur nombre et leur rôle irremplaçable dans la vie économique, c'est-à-dire le pouvoir du monde du travail.
     Ce que je souhaite, c'est que les travailleurs n'attendent rien d'autre des élections à venir que l'occasion d'affirmer qu'ils refusent la politique de la bourgeoisie, qu'elle soit présentée avec une sauce de droite ou avec une sauce de gauche.
     Mais les élections constituent une occasion de se prononcer sur des objectifs qui pourront devenir ceux des luttes de demain.
     Lors de l'élection présidentielle précédente, en 1995, nous étions les seuls à dire que, pour combattre le chômage, il faut interdire les licenciements sous peine de réquisition des entreprises qui s'en rendent coupables. Nous étions les seuls à défendre l'idée qu'il est nécessaire, indispensable, de l'intérêt des travailleurs comme de l'intérêt de toute la société, de contrôler les entreprises, de contrôler les capitaux et leur fonctionnement.
     Certaines de ces idées commencent à faire leur chemin. Je suis confiante dans la capacité de réagir de la classe ouvrière. Ce sont les patrons par leur avidité et par leur cynisme, et c'est peut-être les dirigeants politiques à leur service, qui feront la provocation de trop, celle qui fera exploser la colère du monde du travail.
     Eh bien, quand cela arrivera, les idées propagées aujourd'hui deviendront une force. Et, alors, travailleuses, travailleurs, tous ensemble, nous imposerons des objectifs qui changeront le rapport des forces entre le monde du travail et le monde patronal !
mis à jour le 09/12/2001  

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