1928

La lutte de l'Opposition communiste en U.R.S.S. : lettres diverses.


Lettre à Trotsky

N.I. Mouralov

29 juillet 1928


Tara, 29 juillet 1928

Cher Léon Davidovitch !

Trente‑six heures avant d'avoir reçu votre télégramme ("des dizaines de camarades ont envoyé" etc...), j'en avais déjà envoyé un au congrès, étant donné, premièrement que Kh. m'avait télégraphié que votre texte était expédié, deuxièmement que j'avais eu le temps de lire ce que m'avait envoyé Liova. Votre texte m'a beaucoup plu. J'attends avec impatience de pouvoir le lire en entier. Je sais quels sont les obstacles techniques et c'est pourquoi je ne demande pas d'envoi exprès, mais je m'arme de patience. Je pense qu'il est mille fois plus important de l'envoyer à Moscou et à Léningrad qu'à moi.

Que fera le congrès ? La partie "plaintive" restera évidemment sans suite, ou bien la suite sera une nouvelle attaque calomniatrice contre "le traître et ses partisans", s'appuyant sur l'autorité du représentant du prolétariat mondial tout entier. Sa composition assure ce succès (Bah, ce sont des visages connus !). "Il est possible que tous l'ignorent ‑ comme s'il n'y avait rien eu ‑ (comme dans le rapport de Boukharine); il est possible qu'on transmette au P.C.U.S.. On reprendra beaucoup de choses de votre critique, mais on aboiera quand même contre vous. C'est qu'en effet seuls les idiots, les aveugles et les ignorants ne comprennent pas, à la lecture de leur programme, qu'il s'agit d'un programme minable, non marxiste. C'est stupéfiant de voir à quel point la rapport de Boukharine est plat, confus, superficiel, non marxiste. Ses explications sur les causes de la vitalité de la social‑démocratie et de l'échec de la révolution en Chine sont particulièrement pitoyables et dignes d'un philistin. En revanche il vous a volé tout ce qu'il a dit sur l'Angleterre, sans dire un seul mot de vos travaux quatre ans avant cela, alors que Staline se donnait des allures de connaisseur et d'aspirant prophète prolétarien, et écrivait en 1924 un pitoyable feuilleton dans la Pravda, où il montrait l'erreur de "ceux qui supposaient que l'Amérique réduirait l'Angleterre à la portion congrue !"

Soit dit en passant, je me souviens de vos péchés : la planification de l'économie (le "surplanificateur"), l'industrialisation du pays (le "surindustrialisateur"), le "Dnieprostroi semblable au Grammophone" et autres perles, et ensuite tout a marché comme sur des roulettes : la lutte contre les koulaks, la serrage de vis, le triangle, la dékoulakisation, etc.... Attendez un petit peu et on en arrivera à la révolution permanente.

Je répète qu'ils ont emprunté énormément de choses à votre critique et qu'ils continuent quand même d'aboyer contre vous. Et si on leur en fait le reproche, ils diront : mais pas du tout, ou bien à la rigueur : eh bien nous apprenons aussi chez nos ennemis. Zinoviev aime particulièrement cela, ce n'est pas pour rien qu'il est devenu membre de la direction de Tsentrosoyouz ! A propos, quand j'ai lu aujourd'hui cette nomination de Zinoviev à un poste élevé, j'en ai ri tout seul aux éclats, au point que mon logeur s'est inquiété et, apparemment,  m'a soupçonné de penchant pour la boisson (ou la canaille).

Sur la question chinoise, on dirait que Boukharine, d'une part a reconnu l'erreur, d'autre part qu'il ne l'avoue pas et enfin (c'est le lampiste qui est coupable) que c'est la faute de notre représentant (Rafès ! Pourquoi pas Liber ?) et du P.C. chinois, mais dans l'ensemble, la victoire, mais une défaite, et tout à coup : la victoire est assurée, mais en attendant qu'elle soit assurée... Tchang‑Kaï‑Chek ! Le Congrès a couronné Staline chef de dimension mondiale, réduit Rykov à néant ‑ et apparemment marchera sous le drapeau du "cours de gauche" (n'allez pas penser, pour l'amour de Dieu, a prévenu Boukharine, que ce gauchissement se soit produit sous la pression de l'opposition.) Le chef de "dimension mondiale" dira‑t‑il quelque chose ? Avec quel propos intelligent, quelle prévision perspicace, va‑t‑il réjouir le Congrès ? Toute attente est vaine. Nous traversons une période de "baisse de la qualité des produits" : il n'y en a plus d'autres et ceux‑ci sont loin.

Salut. Votre N. Mouralov.


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