1929

La lutte de l'Opposition communiste en U.R.S.S. : lettres diverses.


R. à Trotsky

19 octobre 1929


Vous avez bien fait de signer la déclaration des camarades de Saratov (Rakovsky et les autres), mais elle doit devenir le point de départ de la lutte, et non perte de temps ou fuite. La formule du "kerenskysme" à rebours" est plus valable que jamais. La situation m'apparaît comme suit : la politique actuelle ne peut durer longtemps. Ses objectifs immédiats sont a) d'anéantir Boukharine et ses amis haut placés, b) de pomper le maximum de grains par des mesures extraordi­naires. Il faut le faire pour pouvoir enfourcher le cheval boukharinien, c'est‑à‑dire laisser respirer les proprié­taires de grains et essayer de régulariser le marché à l'aide des fonds levés par les mesures extraordinaires. Mais rien de ce plan ne peut être exécuté; la pression des propriétaires de grains, les koulaks, empêchera le développement des manœuvres staliniennes. D'où l'hystérie, les crampes et l'impuissance qui caractérisent les mesures prises contre la fraction de Boukharine. Ce n'est pas pour rien que le plénum de juillet n'a pas eu lieu. Les stali­niens eux‑mêmes ont peur de l'instabilité de la situation qu'ils ont créée. Le plénum de novembre peut être important. On ne peut pas ne pas relever en passant que, bien qu'il se soit écoulé presque deux ans depuis le XV° congrès, personne n'a encore soufflé mot du XVI°. Cet espace de deux ans apparaît trop court. En tout cas, on ne convo­quera pas le XVI° congrès avant de pouvoir le mettre devant le fait accompli.

Si la droite n'est pas anéantie avant qu'ait mûri pour l'appareil la nécessité de battre en retraite devant le koulak, il me semble qu'une réconciliation entre les staliniens et la droite n'est pas à exclure. Staline peut facilement faire un geste en direction de Boukharine en désavouant l'un de ses subordonnés. C'est bien possible. On peut imaginer l'enthousiasme que cela soulèverait chez les thermidoriens dans et hors du parti et combien grandirait la confusion dans les rangs des fonctionnaires. Ces derniers, qui sont déjà pas mal épuisés, aimeraient bien prendre quelque repos. Certains rêvent même de voir Zinoviev et Kamenev se réconcilier avec la droite. Le silence significatif de ces deux‑là nourrit cette espérance.

Le point de départ du XIII° congrès sur les questions économiques était tout à fait juste. Si les développements avaient suivi cette ligne, nous n'aurions pas les monstrueuses contradictions économiques qui frappent durement aujourd'hui la classe ouvrière et provoquent son mécontentement. Mais cette position de 1923 a été suivie du zigzag de 1925 et du brutal tournant de la bureaucratie en 1928‑1929 . La résultat est que nous n'avons pas la moindre position politique solide pour résoudre nos tâches économiques. Les simples formules du Plan quinquennal n'offrent aucune solution. Il faut de bons rapports entre le parti et la classe, le prolétariat et les paysans pauvres et moyens. Une nouvelle orientation politique est indispensable, mais il faut pour cela libérer le parti des liens qui lui ficellent les pieds et les mains. Dans les conditions actuelles, la droite est automatiquement renforcée par le processus objectif. Nous ne pouvons nous renforcer nous-­mêmes que sur la base d'une évaluation juste et publique de l'ensemble du processus avec toutes ses contradictions.

Il faut donner une appréciation critique de la situation politique actuelle avec tous ses traits nouveaux : c'est une tâche qui ne souffre aucun délai, surtout pour la mobilisation des ouvriers communistes. Une petite fraction des Oppositionnels qui ont signé la déclaration du camarade Rakovsky sont peut‑être disposés à attendre passivement, après cette déclaration, le développement ultérieur de la lutte afin de pouvoir se faire réintégrer en silence dans le parti, ou après avoir renoncé "proprement" à leurs idées. Nous ne pouvons pas marcher et nous ne marcherons pas avec ces gens‑là. Il y a un mouvement à gauche dans le parti et dans la classe. Mais il n'est possible de nous y intégrer que par‑dessus la tête des dirigeants actuels du parti. Pour que les masses prolétariennes ne transforment pas leur perte de confiance dans les dirigeants actuels en perte de confiance dans la révolution elle­-même, il faut une appréciation publique, portée devant l'ensemble du parti, du travail passé de l'actuelle direction.

R.


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