1930

La lutte de l'Opposition communiste en U.R.S.S. : lettres diverses.


Lettre à Trotsky

K. Tsintsadzé

2 mai 1930


Bulletin de l’Opposition n°12-13, juin-juillet 1930

Avec mes vœux de premier mai, cher ami.

J'ai reçu hier d’un de nos camarades des ex­traits de votre lettre du 21 mars 1930. Je considère comme tout à fait justes et acceptables vos considérations sur la situation. Néanmoins il existe pour moi comme pour d'autres camarades quelques malentendu, au sujet du rythme. On peut interpréter certains passages de votre lettre comme si vous étiez pour la diminution du rythme en général. Il est tout à fait évident qu'il faut battre en retraite en bon ordre des positions aventuristes pour se re replier sur une position léniniste. Cela signifie‑t‑il la liquidation du rythme de l’industrialisation et de la collectivisation en général, c'est‑à‑dire reculer par rapport au rythme que l'Opposition, proposait dans sa plate-forme ? Par accentuation du rythme, je n'entends pas le rythme qui abouti momentanément à des résultats par une politique aventuriste et sectaire, mais le rythme conséquent que nous proposions dans notre plate-forme et qui pouvait être logiquement développé à des mesures et des limites maximums. Car le rythme indiqué dans notre plate-forme ne pouvait être considéré comme établi pour toujours. Dans des conditions favorables, ce rythme pouvait être développé, renforcé, élevé. Cela aurait été exécuté par une authentique dictature prolétarienne, sans aucune aventure, cela va de soi. Les rythmes avaient que nous proposions avaient tendance à aller de l’avant. L’accélération du rythme par des bonds aventuristes de mesures ultra-gauchistes, sectaires et d'attaques subites n’est au fond nullement un accroissement du rythme, mais bien au contraire un abaissement sans espoir pour ainsi dire une politique droitière à rebours. L'aventurisme aboutit dans le meilleur des cas à un abais­sement, dans le pire, à la faillite de tous les espoirs. Cela signifie donc que le rythme impulsé par la direction n'a aucune commune mesure avec le rythme véritable. C'est pourquoi l'abandon des positions de l'aventurisme ne signi­fie pas, comme vous I'écrivez dans votre lettre, "retenir la collectivisation". Bien au contraire. L'abandon de l’a­venturisme doit signifier à l'avenir la poursuite de la collectivisation par une juste conception et de bonne méthodes. Cela doit signifier le retour à un accroissement véritable du rythme de la collectivisation sans aucun aven­turisme, mais par les voies normales. En d'autres termes, nous ne devons pas reculer sur les positions du rythme qui eut cours jusqu'en 1928, le "rythme au pas de la tortue". Nous devons faire en sorte que l'accroissement du rythme ait le moins possible de caractère aventuriste et plus une ordonnance juste. La retraite de la direction a. tendance à se fourvoyer dans une ordonnance droitière des choses. Si nous lançons le mot d'ordre de "retenir la collectivisation", nous fortifions par là même ces tendances et hâterons la.victoire de la droite. Il est clair que la continuation par la suite de la collectivisation par des méthodes marxistes donnera lieu en même temps à une "sélection" des kolkhozes viables et prometteurs et, par ailleurs, à une liquidation des kolkhozes qui ont été créés par le régime administratif forcé et de tous les faux kolkhozes. Tout le problème réside dans le fait que la direction (au nom de son prestige) a voulu dépasser l'accroissement du rythme que nous avions indiqué et qu'elle s'y est brisée. Nous devons actuellement briser le superrythme mais continuer l'organisation des kolkhozes sur la base d'une adhésion réelle et pas administrative (il faut noter que nous serons à bref délai de nou­veau en présence de nouvelles "déformations" de la ligne du C.C. à propos du retour aux kolkhozes de ceux qui en. sont sortis, car la bureaucratie du parti tentera alors de les pousser de force à revenir ou empêchera, de nouveau administrativement les départs.

L'on peut dire la même chose de la dékoulakisation. Vous parlez de l'arrêt de la dékoulakisation. La liquidation du koulak en tant que classe par voie administrative est évidemment absurde. Mais le problème de la dékoulakisation se présente sous la forme de deux variantes :

  1. Lorsque les groupes de koulaks mènent campagne ouvertement contre la collectivisation et utilisent pour leur part la violence, sous quelque forme que ce soit, dans ce cas, notre pouvoir ne peut se contenter de demi‑mesures. Il doit, en des circonstances particulières, réaliser la dékoulakisation selon les règles de l'art révolutionnaire, c’est‑à‑dire, arrêter, déporter et infliger aux plus nuisibles des châtiments de défense (je classe.
  2. Dans les cas où le koulak n'intervient pas activement, se contente de ne pas "nous aimer", nous devons l’atteindre économiquement; ce qui, dans les deux cas, n'interrompt pas la dékoulakisation. Dans ces cas, la dékoulakisation s’effectuera par des mesures appropriées contre les koulaks : une contre‑attaque vigoureuse, en les privant des meilleures terres, d'une partie de leurs biens, de leur bétail, ou bien la concurrence de la part du kolkhoze. etc. Ainsi, se réalisera le nivellement économique du koulak au niveau de paysan pauvre ou moyen. Une limitation aussi sévère du koulak signifie la dékoulakisation graduelle, son interruption. L'interruption totale de la dékoulakisation serait l'affaiblissement de la lutte contre le koulak, et la possibilité qui lui serait redonnée de déployer ses ailes à nouveau et de frapper la dictature avec une force renouvelée. Vous écrivez que la panique semée chez les koulaks est valable deux ans. Ce n'est pas tout à fait exact. Il est si irrité qu'il se panique moins facilement qu'avant et sa colère le rend courageux !

Enfin, à propos de la diminution des dépenses, vous proposez de ne pas s'arrêter même devant l'arrêt des en­treprises déjà entamées, pour sauver Techervonetz. On ne peut proposer de telles mesures que dans une situation financière catastrophique (je sais bien que je ne puis me vanter de mon savoir, ou plutôt de mes connaissances financières). On peut diminuer les dépenses dans d'autres branches. Nous avions et nous avons plus encore aujourd'hui toute une masse de dépenses improductives dont la diminution permettrait de continuer la construction des entreprises. L'arrêt de ces entre­prises, serait un recul non par rapport aux "sauts de prix" de l'industrie ou à l'aventurisme, mais aussi par rapport au rythme nécessaire die industrialisation.

Il se peut qu'avec une direction prolétarienne marxiste authentique les doutes issus des points ci‑dessus n'eussent pas vu le jour, mais je vise la direction actuelle et son origine : car si la direction actuelle tente et tentera sans aucun doute de suggestionner la classe ouvrière et le parti en leur disant que l'Opposition, qui est aujourd'hui pour eux l'unique planche de salut pour la dictature prolétarienne est pour une diminution du rythme, alors, une telle situation facilitera sans contredit le passage sans transition du centrisme à l'extrême‑droite (même plus à droite que Boukharine et compagnie) ce qui signifierait au fond la liquidation totale du cours à gauche et l'approche de Thermidor.

Je déduis des précédentes considérations la nécessité qu'il y a, pour moi, d'une explication plus détaillée des points concernant le rythme ou plus exactement sa diminution.

Je vous serre chaleureusement la main et vous embrasse :

Votre K.

P.S. Dans un article de Garine, dans la Pravda du I° mai, on peut lire entre les lignes qu’il y a chez vous des points "suspects", détaillés dans le même esprit que celui développé dans ma lettre. Le Biulleten nous manque. Nous n'avons que les extraits incomplets de votre lettre du 21 mars 1930.


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