1940

Résolution sur la politique militaire prolétarienne, rédigée par le Comité Politique pour la Conférence-Plenum, publiée par le "Pre-Plenum Discussion Bulletin" du SWP, volume III n°1 (août 1940). La résolution a été adoptée lors d'une conférence plénière tenue à Chicago du 27 au 29 septembre 1940. Elle a également été publiée dans le Socialist Appeal du 5 octobre 1940. La première publication ne comportait pas de sous-titre. Traduction MIA.


Résolution du SWP sur la politique militaire prolétarienne

Socialist Workers Party


1. Le capitalisme a plongé le monde dans un horrible tourbillon de guerre et de militarisme. Cela témoigne non pas de la vitalité du capitalisme mais de sa fatale faiblesse, de son incapacité à retrouver la stabilité. L'époque de l'agonie du capitalisme et du début de la transformation sociale est une époque de militarisme universel. Elle ne peut être achevée que par la victoire définitive du prolétariat. C'est le trait essentiel de la situation mondiale actuelle.

2. L'intervention des États-Unis dans la guerre actuelle, ou son affrontement avec une Allemagne ou un Japon victorieux à une date ultérieure, est prédéterminée par toutes les circonstances. Tous les dirigeants réalistes du capitalisme américain l'ont bien compris. Seuls quelques imbéciles pacifistes ont le moindre doute à ce sujet. Les deux principaux groupes du camp de l'impérialisme américain - les interventionnistes et les soi-disant isolationnistes - ne diffèrent que par la stratégie militaire. Les deux sont d'accord sur la politique de préparation au conflit et aux conquêtes. Le prodigieux programme d'armement adopté par le Congrès n'a et ne peut avoir qu'un sens : une agression militaire à l'échelle mondiale dans un futur proche.

La question de savoir si l'impérialisme allemand, ayant conquis l'Europe, peut ou non « attaquer » les États-Unis n'a rien à voir avec le vrai problème. L'existence même d'une puissance impérialiste agressive et en expansion dans le monde moderne est une « attaque » contre les autres. Les États-Unis, en tant que puissance impérialiste ayant ses assises dans le monde entier, sont « attaqués » partout où une puissance rivale tente de s'emparer d'un marché, d'un morceau de territoire ou d'une sphère d'influence.

Que les États-Unis interviennent directement dans la guerre européenne actuelle ou reportent une action militaire ouverte sur un autre point d'attaque n'est qu'une considération secondaire dans l'évaluation de la perspective. Le véritable cap est clair : l'impérialisme américain se prépare à toute vitesse à mettre sa force et sa faiblesse à l'épreuve d'une guerre à une échelle colossale.

La leçon fondamentale

3. A l'époque du militarisme, les grandes questions ne peuvent être résolues que par des moyens militaires - c'est la leçon fondamentale des développements de la guerre actuelle.

Les agents et les apologistes de l'impérialisme démocratique - les sociaux-démocrates, les centristes, les réformistes syndicaux et les pacifistes - remplissent l'air de lamentations sur les victoires militaires écrasantes d'Hitler et répandent des sentiments de pessimisme et de prostration.

Nous, Quatrième Internationalistes, avons écarté ces traîtres et semeurs de panique avec haine et mépris. Notre tâche est de constater ce qui a été détruit et ce qui a été prouvé par les événements capitaux d'Europe et d'en tirer les conclusions nécessaires pour la lutte future.

Le réformisme ne peut pas vivre aujourd'hui

En premier lieu, les victoires de la machine de guerre fasciste d'Hitler ont détruit toute base plausible de l'illusion qu'une lutte sérieuse contre le fascisme peut être menée sous la direction d'un régime démocratique bourgeois. La guerre en Europe, comme précédemment dans la répétition espagnole, a montré le vide, la pourriture et la lâcheté et la cupidité méprisables de toute la couche dirigeante des démocrates bourgeois. Ils ne veulent rien sacrifier d'autre que la vie des masses dupées. Pour sauver leur vie personnelle et leurs biens, ils étaient prêts, dans un pays après l'autre, à capituler devant le fascisme et à rechercher sa protection contre la colère de leur propre peuple.

Non moins complète et dévastatrice a été la destruction du mouvement ouvrier réformiste traditionnel. Au mieux, ce mouvement traditionnel – les partis et les syndicats – avait un caractère pacifiste. C'est-à-dire qu'il avait été conçu pour la paix, pas pour la guerre. Les partis qui se sont bornés à protester contre les horreurs de la guerre et n'ont pas mené sérieusement une lutte pour le pouvoir afin de mettre fin au système qui cause la guerre - ces partis ont été complètement impuissants lorsqu'ils ont été soumis à l'épreuve de la guerre. Il en va de même pour les syndicats qui en imposaient en apparence. Tous les concepts de progrès pacifique, graduel et réformiste dans le cadre du capitalisme, et tous les partis et organisations qui représentaient ces concepts à quelque degré que ce soit, se sont écroulés comme des châteaux de cartes.

Seul le bolchevisme tient bon

La guerre en Europe a, une fois de plus, et plus catégoriquement que jamais, posé l'alternative fondamentale de l'époque des guerres et des révolutions : soit la dictature du capitalisme fasciste, soit la dictature du prolétariat. La tentative des travailleurs européens, sous l'influence des bureaucraties ouvrières réformistes, de trouver dans le capitalisme démocratique une troisième alternative, a conduit à la catastrophe. La troisième alternative a été détruite dans le sang et le feu. Mais le programme de lutte des travailleurs pour le pouvoir n'a pas été détruit. Lorsque les travailleurs d'Europe se lèveront à nouveau - et ils se lèveront - ce programme sera leur bannière. Ce sont les leçons fondamentales de la guerre.

4. Seul le bolchevisme, qui vise à orienter le mouvement ouvrier vers la prise du pouvoir politique par des moyens révolutionnaires, se dresse et se renforce à l'épreuve des grands événements nouveaux. La guerre et le militarisme, qui écrasent toutes les autres organisations et discréditent tous les autres programmes, ne font que fournir une nouvelle vérification des prémisses du bolchevisme. L'époque du militarisme ne laisse de place que pour les partis qui incitent les ouvriers à mépriser toutes les demi-mesures, à ne reculer devant rien et à mener leur lutte jusqu'au bout. Ce sont des partis d'un type nouveau qui n'ont rien de commun avec les partis réformistes-pacifistes du mouvement ouvrier traditionnel. Le Socialist Workers Party est un tel parti. Son programme peut être décrit en trois mots : dictature du prolétariat.

Se débarrasser du pacifisme

5. La certitude que les États-Unis seront également dominés par le militarisme confronte le parti à la nécessité catégorique de se purger de tous les vestiges de tendances et de conceptions pacifistes libérales et petites-bourgeoises héritées du passé, en particulier du mouvement de la gauche sociale-démocrate. Le pacifisme est un poison débilitant dans le mouvement ouvrier. Le pacifisme, sous toutes ses formes, n'est qu'une protestation de temps de paix contre la guerre ; face à la guerre réelle, il pousse les travailleurs comme des moutons, désarmés, sans défense et sans programme, à l'abattoir. A notre époque complètement dominée par le militarisme, les protestations négatives contre la guerre ne servent à rien. Le prolétariat a besoin d'un programme positif qui prend en compte les faits de la guerre et du militarisme, les traits caractéristiques du capitalisme en décomposition,

Le premier impact de la guerre en Europe a révélé au sein du Socialist Workers Party une tendance centriste petite-bourgeoise qui a pris forme en tant que faction. Sous la direction de Burnham et Shachtman, cette faction minoritaire a mené une lutte perturbatrice au sein du parti et a tenté de renverser les doctrines marxistes au profit d'improvisations journalistiques. La lutte perturbatrice de la faction Burnham-Shachtman a culminé dans leur désertion du parti dans un recul petit-bourgeois typique contre la discipline de la majorité prolétarienne du parti. La répudiation ouverte du socialisme par Burnham moins de deux mois après avoir déserté le parti n'a été que la suite logique du cours qu'il avait suivi dans la lutte du parti.

Depuis la convention du parti, la faction sécessionniste a constamment évolué dans le sens de l'antimilitarisme socialiste de gauche traditionnel qui, au fond, n'est qu'une forme de pacifisme. La lutte résolue de la majorité du parti contre la faction Burnham-Shachtman, et sa victoire décisive dans cette lutte, étaient les conditions nécessaires à la survie du parti. Un antagonisme sans relâche, sur tous les points, contre les déserteurs n'est pas moins nécessaire. Le parti ne peut avoir la moindre raison de se concilier en aucun point avec la faction des déserteurs inspirés par une frayeur petite-bourgeoise devant les dures réalités et les complexités de la guerre qui se développe.

Adapter nos tactiques à la guerre

6. La guerre impérialiste n'est pas notre guerre et le militarisme de l'État capitaliste n'est pas notre militarisme. Nous ne soutenons pas plus la guerre et le militarisme des impérialistes que nous ne soutenons l'exploitation capitaliste des ouvriers dans les usines. Nous sommes contre la guerre dans son ensemble tout comme nous sommes contre les règles de la classe qui la mène, et nous ne votons jamais, en aucune circonstance, pour lui donner la moindre confiance dans sa conduite de la guerre ou sa préparation, pas un homme, pas un cent, pas une arme à feu avec notre soutien. Notre guerre est la guerre de la classe ouvrière contre l'ordre capitaliste. Mais ce n'est qu'avec les masses qu'il est possible de conquérir le pouvoir et d'établir le socialisme ; et à cette époque les masses mobilisées dans les organisations militaires sont destinées à jouer le rôle le plus décisif de tous. Par conséquent, il est impossible d'influencer le cours des événements par une politique d'abstention. Il faut prendre le militarisme capitaliste comme une réalité établie que nous ne sommes pas encore assez forts pour abolir, et y adapter nos tactiques pratiques. Notre tâche est de protéger les intérêts de classe des ouvriers dans l'armée autant que dans l'usine. Cela signifie participer à la machine militaire à des fins socialistes. Les révolutionnaires prolétariens sont obligés de prendre leur place aux côtés des ouvriers dans les camps d'entraînement militaire et sur les champs de bataille au même titre qu'à l'usine. Ils se tiennent côte à côte avec les masses d'ouvriers-soldats, avancent en tout temps et en toutes circonstances un point de vue de classe indépendant.

Nous allons là où vont les travailleurs

Dans des conditions de militarisation des masses, l'ouvrier révolutionnaire ne peut pas plus échapper à l'exploitation militaire qu'il ne peut échapper à l'exploitation en usine. Il ne cherche pas une solution personnelle au problème de la guerre en évitant le service militaire. Ce ne serait rien d'autre qu'un abandon du devoir de classe. Le révolutionnaire prolétarien va avec les masses. Il devient soldat quand elles deviennent soldats, et part en guerre quand elles partent en guerre. Le révolutionnaire prolétarien s'efforce de devenir le plus habile parmi les ouvriers-soldats et démontre dans l'action qu'il est le plus soucieux du bien-être général et de la protection de ses camarades. Ce n'est qu'ainsi, comme à l'usine, que le révolutionnaire prolétarien peut gagner la confiance de ses compagnons d'armes et devenir parmi eux un leader influent.

Les guerres totales menées par les impérialistes modernes, ainsi que les préparatifs de telles guerres, exigent une formation militaire obligatoire, tout comme l'affectation de fonds énormes et la subordination de l'industrie à la fabrication d'armements. Tant que les masses acceptent les préparatifs de guerre, comme c'est indubitablement le cas aux États-Unis, la simple agitation négative contre le budget militaire et la conscription ne peut, à elle seule, donner des résultats sérieux. De plus, après que le Congrès ait déjà affecté des milliards de dollars à l'armement et qu'il ait été en position d'adopter une loi sur la conscription sans opposition sérieuse, une telle agitation négative contre la conscription était quelque peu tardive et dégénéra facilement en pacifisme mièvre. Ce fut le cas des organisations (Socialistes-Thomasites [du nom de Norman Thomas], Lovestoniens, etc.) affiliées au conglomérat absurde qui se fait appeler le «Keep America Out of War Committee» [Comité pour garder l'Amérique hors de la guerre] - un outil ignoble et perfide des impérialistes «démocratiques». L'hypocrisie de leur pacifisme est indiquée par le fait que, simultanément, ils se prononcent en faveur de la victoire de la Grande-Bretagne. Tout aussi perfide est l'agitation purement pacifiste des staliniens, employée aujourd'hui au nom de la politique étrangère de Staline dans le cadre du pacte Hitler-Staline ; et certainement abandonnée demain quand Staline l'ordonnera, s'il juge nécessaire de changer de partenaire. Le pacifisme de Browder et le pacifisme de Thomas ont des racines différentes mais sont identiques dans leur trahison des intérêts de la classe ouvrière. Sous la domination d'un impérialisme moderne qui s'arme déjà jusqu'aux dents, une lutte abstraite contre le militarisme est au mieux une chimère.

Notre programme pour cette période

La stratégie révolutionnaire ne peut être que de prendre ce militarisme comme une réalité et d'opposer sur tous les points le programme de classe du prolétariat au programme des impérialistes. Nous luttons contre l'envoi d'ouvriers-soldats au combat sans formation ni équipement appropriés. Nous nous opposons à l'embrigadement militaire des ouvriers-soldats par des officiers bourgeois qui n'ont aucun égard pour leur condition, leur protection et leur vie. Nous exigeons des fonds fédéraux pour la formation militaire des ouvriers et des officiers ouvriers sous le contrôle des syndicats. Crédits militaires ? Oui, mais uniquement pour l'établissement et l'équipement des camps d'entraînement des ouvriers ! Formation militaire obligatoire des travailleurs ? Oui, mais seulement sous le contrôle des syndicats !

Tels sont les mots d'ordre concrets nécessaires pour l'étape actuelle de la préparation de l'impérialisme américain à la guerre dans un avenir proche. Ils constituent un programme militaire de transition complétant le programme politique de transition général du parti.

7. L'impérialisme américain se prépare à la guerre, matériellement et idéologiquement, sans attendre de décider à l'avance la date à laquelle les hostilités effectives commenceront ou le point précis de l'attaque. L'avant-garde ouvrière doit également se préparer à la guerre sans rien faire dépendre de réponses spéculatives à ces questions secondaires. La militarisation du pays en vue de la guerre se déroule sous nos yeux. Tout notre travail et nos plans pour l'avenir doivent être basés sur cette réalité.

L'avenir nous appartient

Les premières étapes de la militarisation et de la guerre présentent d'énormes difficultés à notre parti car nous devons nager à contre-courant. Le parti sera testé de manière préliminaire par sa capacité à reconnaître ces difficultés et à tenir bon quand la lutte est dure et les progrès lents. Seul un parti fortifié par les grands principes et les organisations mondiales de la Quatrième Internationale pourra le faire.

Nous ne sommes pas un parti comme les autres partis. Nous seuls sommes dotés du programme scientifique du marxisme. Nous seuls conservons une confiance inébranlable dans l'avenir socialiste de l'humanité. Nous seuls sommes prêts à affronter le militarisme universel du capitalisme en décomposition sur son propre terrain et à mener la lutte prolétarienne pour le pouvoir en conséquence.

La guerre dans son cours détruira complètement tous les autres partis ouvriers, tous les mouvements du moyen-terme. Mais cela ne fera que tremper le parti authentique de la Quatrième Internationale et ouvrir la voie à sa croissance et à sa victoire éventuelle.

L'avenir appartient au parti de la dictature du prolétariat, le parti de la Quatrième Internationale. Il lui suffit d'être fidèle à lui-même, de tenir bon, de creuser et de préparer l'avenir.


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