1944 |
LA LUTTE de CLASSES – n° 26
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LA LUTTE de CLASSES – n° 26
Pucheu sera-t-il fusillé ou gracié ?
Peu importe. La manœuvre de la "punition des coupables", par laquelle la bourgeoisie essaie de rejeter sa responsabilité collective sur quelques individus sacrifiés à la colère populaire, est un vieil artifice qui ne trompe pas les travailleurs conscients.
La classe capitaliste justifie sa domination, ses privilèges et son droit à la paresse, par sa prétendue direction régulatrice soi-disant indispensable au bon ordre de la société.
Dans les circonstances "normales" d'exploitation, la bourgeoisie réussit à imposer ce point de vue aux couches les plus arriérées et aux intellectuels éduqués par elle.
Or, loin d'exercer sur la société une action bienfaisante, la domination parasitaire de la bourgeoisie amène inévitablement de grandes catastrophes pour les masses laborieuses : la crise économique avec le chômage de millions d'ouvriers, la faillite et la misère pour la petite-bourgeoisie, la destruction des produits agricoles, les grandes escroqueries financières, la voyoucratie qui ronge la société, et finalement, la guerre, avec ses moyens toujours plus parfaits de destruction, l'incurie et la stupidité des chefs militaires, les trahisons et les complots des classes bourgeoises de tous les pays contre les masses laborieuses.
C'EST POUR CAMOUFLER SES RESPONSABILITES DANS CES EVENEMENTS QUE LA BOURGEOISIE A EU RECOURS A DE PUISSANTS MOYENS DE DIVERSION : "le fascisme c'est la guerre", "la démocratie c'est les Juifs et la franc-maçonnerie", "la punition des coupables", etc...
Quand en juin 1940 la débâcle de l'impérialisme français dévoila les mensonges, l'incapacité, l'incurie, la frousse, la pourriture de la bourgeoisie et de son Etat, alors, pour détourner la colère populaire, le "nouveau" régime de Vichy (œuvre des plus bas politiciens de la IIIème République) annonça lui-même la "punition des coupables". Mais le procès de Riom devait seulement servir de prétexte à une campagne acharnée contre la classe ouvrière. En effet comment Pétain et Laval, serviteurs des 200 familles pouvaient-ils punir les crimes accomplis sous le régime "démocratique" au profit des mêmes 200 familles ?
Maintenant qu'Alger se prépare à prendre la succession du régime de Vichy (de la même manière que celui-ci avait pris la succession de Paul Reynaud), il s'agit avant tout de prévenir les mouvements des masses que les années de guerre ont chauffées à blanc contre la bourgeoisie. Ne bougez pas, justice sera faite, tous les crimes seront punis, Alger s'en charge : voyez l'exemple de Pucheu.
Quel que soit le sort de Pucheu, nous avons déjà un exemple de la façon dont Alger entend punir les coupables. Un peu avant le procès de Pucheu a eu lieu un procès de bourreaux qui, en Afrique du Nord, ont sauvagement torturé les emprisonnés politiques. Plusieurs accusés, gardes-chiourme et subordonnés, ont été condamnés à mort, convaincus d'avoir été les auteurs directs des atrocités commises. Mais l'inspecteur général des camps de concentration, le colonel Lupi, nommé par Vichy, a été acquitté faute de preuves matérielles !
De plus la "punition des coupables" a des précédents historiques célèbres : Bazaine qui pendant la guerre franco-allemande de 1870 capitula à Metz avec toute son armée (pour la tenir "à la disposition de l'ordre social menacé" en France, déclara-t-il à ses juges en 1873) fut condamné à mort ; sa peine fut commuée en 20 années de détention, et il "s'évada" quelques mois après pour aller finir tranquillement ses jours à Madrid. Le Kaiser, déclaré responsable du premier massacre mondial, mourut de goutte dans un château en Hollande ; il est vrai qu'à sa place les alliés châtièrent savamment les classes laborieuses allemandes qui l'avaient renversé.
A Riom la clique politicienne de Vichy a fait le procès du régime parlementaire, à Alger la clique des généraux fait le procès du régime de Vichy.
LES OUVRIERS LES RECONNAISSENT TOUS DEUX COMME RESPONSABLES DES MALHEURS QUI SE SONT ABATTUS SUR LE PAYS.
Quand Daladier, Pétain, de la Rocque, Blum et Herriot nous plongèrent dans la guerre, c'était sous les ordres des 200 familles ; quand Pétain, Laval, Pucheu, Darlan, Doriot ont commencé la farce sanglante de la "collaboration" ce fut aussi aux ordres et pour le bénéfice des 200 familles.
C'est pourquoi la punition des coupables n'est pas possible sans le renversement des 200 familles qui sont les véritables maîtres de la justice et de l'Etat. Si les travailleurs ne veulent pas d'acquittement Lupi, de condamnation à mort transformée en détention "à la Bazaine", de fusillades de quelques uns pour couvrir les crimes de la classe dominante, ils doivent lutter pour la création de LEURS PROPRES TRIBUNAUX DU PEUPLE, en renversant l'Etat de la bourgeoisie et sa "justice".
Le peuple laborieux n'est pas assoiffé de sang et ne se repaît pas de la vue des têtes tombées. S'il veut punir les responsables C'EST POUR LEUR ENLEVER TOUTE POSSIBILITE DE NUIRE PLUS LONGTEMPS. Et c'est seulement en renversant la bourgeoisie que la classe ouvrière mettra un terme au complot permanent que représente pour le peuple l'existence de la classe capitaliste.
A l'heure actuelle, l'Armée Rouge a rempli avec succès la tâche de défendre l'Union Soviétique et, depuis Stalingrad, par une série ininterrompue de victoires, a repoussé l'armée impérialiste allemande jusqu'aux frontières de l'URSS.
Comme c'était à prévoir, l'apparition de l'Armée Rouge sur les frontières des Etats que le traité de Versailles avait créés pour former un rempart de sécurité contre la révolution prolétarienne, a exaspéré la tension et les luttes entre exploiteurs et exploités dans l'Est de l'Europe et les Balkans. Les paysans pauvres et les ouvriers voient dans l'Armée Rouge l'armée de la Révolution : ils se sentent renforcés par ses victoires et attendent l'heure où ils pourront renverser la bourgeoisie.
Devant l'assurance nouvelle des exploités, la bourgeoisie des Balkans et de l'Est tremble pour sa domination. Mais elle trouve des alliés pour maintenir sa propriété capitaliste non seulement du côté de l'impérialisme anglo-américain (l'impérialisme allemand ne pourra plus la secourir longtemps), mais aussi du côté des dirigeants soviétiques, CE QUI EST BEAUCOUP PLUS GRAVE.
En effet, partout où grâce aux succès de l'Armée Rouge la bureaucratie soviétique peut exercer une influence sur le rapport des forces, comme en Pologne, en Roumanie, en Yougoslavie, en Italie, etc... elle est prête à s'entendre avec n'importe quel gouvernement bourgeois moyennant des concessions politiques et matérielles.
Ces concessions matérielles ne peuvent pas compenser aux yeux des ouvriers conscients l'effet désastreux de la politique stalinienne sur la lutte des travailleurs de tous les pays contre l'impérialisme mondial. C'est cette politique qui a empêché la IIIème Internationale d'être un obstacle à la deuxième guerre mondiale ; qui a failli causer la perte de l'URSS ; qui, malgré les victoires de l'Armée Rouge, LAISSE TOUJOURS L'URSS SOUS LA MENACE DE L'IMPERIALISME MONDIAL, TANT QUE CELUI-CI N'EST PAS RENVERSE.
Tandis que l'avance de l'Armée Rouge au-delà des anciennes frontières de l'URSS ouvre à l'Est de l'Europe une période de grands bouleversements militaires et sociaux, la situation est aussi tendue au Sud et à l'Ouest.
En Italie, malgré la situation terrible où se trouvent les masses travailleuses par suite de l'occupation impérialiste allemande et anglo-américaine, le mouvement des travailleurs de la péninsule continue. A Naples des grèves ont éclaté en guise de protestation contre les discours impérialistes de Churchill vis-à-vis de l'Italie ; en Italie du Nord (Milan) les travailleurs ont déclenché des grèves générales malgré les troupes de répression allemandes. L'état d'esprit des ouvriers est tel que Mussolini s'est vu obligé de sortir un projet de "socialisation de l'industrie" (sic).
En Angleterre, 100.000 mineurs ont poursuivi leur grève pendant plus d'une semaine pour lutter contre la baisse du niveau de vie. Le travail n'a pu reprendre que lentement, sous la pression de la direction syndicale réformiste.
D'autre part, les armées impérialistes stationnées en Angleterre attendent le moment favorable pour se jeter sur le continent et prendre la succession de l'impérialisme allemand qui s'écroule.
Cette guerre, causée par l'impossibilité pour le capitalisme de maintenir sa domination sur le globe sans réduire le prolétariat et tous les peuples à une exploitation renforcée, suscite de la part des travailleurs de tous les pays une opposition renforcée contre la bourgeoisie. Les prétextes et les mensonges qui ont permis le déclenchement du massacre ne sont plus que fumée. La classe ouvrière comprend de plus en plus l'attitude de la IVème Internationale qui vise à mobiliser les masses travailleuses pour la défense de leurs propres intérêts, pour le renversement de la bourgeoisie et la construction des Etats-Unis Socialistes du Monde !
Les patrons ont repris aux travailleurs tout ce que ceux-ci leur avaient arraché par la lutte dans les années qui précédèrent la guerre. Les avantages matériels aussi bien que les libertés et les droits légaux ont été anéantis. Mais non contents de cette situation de fait, ils s'efforcent aussi de tromper les ouvriers, en leur faisant croire que ce n'est pas eux-mêmes qui peuvent le mieux défendre leur propres intérêts, mais le "bon patron" et le "bon gouvernement", avec sa Charte du Travail.
Mais les ouvriers ne sont pas nés d'hier. Pendant de longues années ils ont eu à se défendre contre la rapacité des patrons, pour qui la force du travail des ouvriers est une marchandise à acheter au plus bas prix. La coalition ouvrière opposant la majorité des ouvriers à l'arbitraire du patron et ayant pour principal but de hausser le prix de la marchandise-travail, constitua un moyen efficace de défense et de lutte contre les patrons et l'Etat. Cette coalition c'est le SYNDICAT, c'est-à-dire la libre association des ouvriers contre le patron, sans aucune immixtion étrangère de la part de ceux qui ne travaillent pas de leurs mains.
Or qu'est-ce que la Charte du Travail, destinée à remplacer les syndicats de classe ? Un moyen qui doit justement empêcher la libre coalition des ouvriers et les mettre sous la tutelle du patron, puisque celui-ci fait partie du soi-disant syndicat à droit égal avec les ouvriers tout en ayant à sa disposition des moyens matériels que ceux-ci n'ont pas. Pour comble, le délégué ouvrier lui-même peut être désigné par le patron, si celui-ci trouve un inconvénient à ce qu'il soit élu par les ouvriers. Tous les ouvriers doivent, que cela leur plaise ou non, faire obligatoirement partie du "syndicat", les cotisations sont perçues par le patron (qu'en fera-t-il ?). Par ailleurs, par suite de la division des ouvriers en "familles professionnelles", ce n'est plus l'ensemble des ouvriers de l'usine qui s'oppose au patron, MAIS LES FAMILLES DE METIER QUI DEFENDENT LEURS INTERETS LES UNES CONTRE LES AUTRES.
Comme nous le montre l'exemple de l'Italie et de l'Allemagne, le syndicat unique corporatif n'est qu'une étape transitoire vers le despotisme absolu du patron.
Il est donc impossible aux ouvriers d'utiliser la Charte. Il faut lutter contre elle. La question de savoir dans quelle mesure les intentions de la Charte deviendront réalité, est une question de rapport de forces entre patrons et ouvriers. Il faut donc tout mettre en œuvre pour que ce rapport de forces devienne favorable aux ouvriers.
Dans les sommets, parmi les patrons et les grands bureaucrates, tout de monde n'est pas d'accord sur l'application de la Charte, c'est-à-dire que ces Messieurs ne s'entendent pas sur le choix du meilleur moyen pour tromper les ouvriers. Or les ouvriers peuvent profiter de cette division s'ils savent l'utiliser pour mener leur propre lutte. Un moyen d'action efficace c'est d'adhérer en grand nombre à l'ancien syndicat cégétiste encore existant. Non pas parce que la simple adhésion peut résoudre les problèmes ; mais parce que, par leur présence et leur action, les ouvriers peuvent donner au syndicat une orientation vers la lutte et se servir de ce moyen encore légal pour s'unir.
Si les ouvriers sont contre la Charte, pour la libre association dans les syndicats de classe, c'est pour faire aboutir leurs revendications légitimes et indispensables :
AUGMENTATION DES SALAIRES !
A BAS LA DIFFERENCIATION DES SALAIRES ! Il faut faire cesser le scandale des catégories de Vichy, qui aboutit à la division des ouvriers et à la diminution des salaires.
A TRAVAIL EGAL, SALAIRE EGAL (femmes et jeunes) !
REDUCTION DES HEURES DE TRAVAIL !
GERANCE OUVRIERE DES CANTINES ET COOPERATIVES ; CONTROLE OUVRIER DU RAVITAILLEMENT
ELECTION PAR LES OUVRIERS DES DELEGUES dans les comités sociaux existants. Pour la défense de leurs intérêts, les ouvriers veulent avoir leurs hommes à eux, et non les hommes de confiance du patron
LUTTE CONTRE LA DEPORTATION PAR LA GREVE !
Dans la lutte pour la hausse des salaires, pour l'amélioration du ravitaillement et contre les déportations, l'action la plus efficace est toujours l'action collective.
Eviter de fractionner la lutte par atelier, établir au contraire des liaisons étroites entre ateliers et entre usines et riposter par la grève solidaire à chaque coup du patron, c'est non seulement le plus sûr moyen de faire aboutir les revendications, mais aussi une arme efficace aux mains des ouvriers dans leur lutte contre la guerre.
Le régime policier et terroriste de Vichy ne permet pas aux ouvriers de poser au grand jour les questions vitales pour la défense de leurs intérêts. Ce n'est pas une raison pour qu'ils se limitent volontairement à ce qu'on veut bien leur accorder. Les ouvriers conscients doivent doubler les possibilités très minimes d'action légale par l'organisation de noyaux clandestins formés d'ouvriers sûrs qui envisageront tous les moyens de propagande et d'action permettant à la classe ouvrière de gagner du terrain. La propre expérience des ouvriers leur montrera les meilleures voies à suivre.
Pour débarquer en Italie, les alliés avaient dû s'assurer d'abord de l'Afrique du Nord. Mais ils n'avaient pu débarquer en Afrique du Nord avant d'avoir mis la main sur l'Amérique du Sud et sur Madagascar. Aujourd'hui ils en sont à la conquête (par le blocus) de l'Etat libre d'Irlande : il paraît que l'existence d'un consul allemand et de quelques fonctionnaires d'ambassade à Dublin compromet les plans de débarquement alliés. Vraiment cette guerre de "libération" ressemble fort à une vraie guerre impérialiste de rapines.
Les ouvriers de Naples viennent de protester par une grève générale parce que Churchill soutient – sans cependant oser le reconnaître – Badoglio, maréchal royaliste qui fut pendant 20 ans l'un des piliers du fascisme.
Et c'est ce moment que Staline a choisi pour reconnaître, le premier, le gouvernement Badoglio. Ainsi la position de la clique Badoglio, qui était en butte à l'hostilité populaire et à l'opposition des partis de gauche et qui n'était reconnue par aucun gouvernement, se trouve sérieusement raffermie contre le peuple italien.
Qu'on aille encore dire que la politique internationale de la bureaucratie stalinienne ne contrecarre pas la lutte de la classe ouvrière de tous les pays !
Radio-Londres a diffusé dernièrement les conseils d'un haut fonctionnaire pour la "grève générale de libération nationale" : "...La grève générale évoque la lutte sociale d'une classe contre l'autre dans un même pays ; celle-là c'est une grève nationale créant entre les patrons et la classe ouvrière une communauté ; les grévistes ne seront pas des anarchistes fauteurs de troubles, mais des soldats de la France".
Ainsi, ceux qui l'ignoraient le sauront à l'avenir : quand nous sommes des "anarchistes fauteurs de troubles", c'est que nous luttons pour notre morceau de pain ; mais lorsque nous sommes des "soldats de la France", c'est que nous nous battons... pour les coffres-forts des capitalistes.