1944

LA LUTTE de CLASSES  – n° 29
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Organe du Groupe Communiste (IVème Internationale)


LA LUTTE de CLASSES  – n° 29

Barta

9 mai 1944


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LA GRANDE PEUR DE LA BOURGEOISIE

Le patronat n'a pas osé relever le défi des travailleurs, bien décidés à faire grève le 1er mai. Depuis le début de la guerre, au nom de la "défense nationale" ou "du socialisme national", la bourgeoisie avait imposé aux travailleurs l'abandon de leur journée. Mais, cette fois, la peur que le mécontentement accumulé depuis cinq ans parmi les masses travailleuses ne resserre leurs rangs en un vaste mouvement, à l'occasion de leur journée traditionnelle de lutte, a obligé les patrons à reculer.

Si maintenant, la bourgeoisie essaye, par une manœuvre, de prendre sa revanche en faisant récupérer la journée chômée, les ouvriers riposteront par la grève.

De toute façon, la bourgeoisie a reculé, mais on ne saurait semer l'illusion qu'elle a reculé devant une attaque ouvrière décidée à aller jusqu'au bout. Les ouvriers ont subi trop de défaites pour se relever d'un seul coup. La guerre et l'occupation, l'absence d'organisations légales et d'une direction prolétarienne ont plongé la classe ouvrière dans une situation sans précédent : dans ces conditions, les luttes ouvrières ont un caractère défensif qui se caractérise par l'irrésolution de la grande masse, malgré la combativité d'une importante minorité. Les travailleurs sont encore loin d'avoir une confiance inébranlable dans leurs propres forces ; c'est pourtant cette confiance, issue d'une série de combats victorieux à partir du 12 février 1934, qui a permis la grève générale victorieuse de juin 1936. Pour en arriver là, les ouvriers devront encore faire, dans l'action, une série d'expériences de leur force. C'est aux ouvriers conscients qu'il appartient de préparer la classe ouvrière à l'offensive victorieuse contre la bourgeoisie, en tirant la leçon de ce 1er mai.

Le 1er mai 1944, en prévision d'une résistance ouvrière généralisée, la bourgeoisie a préféré céder. La signification de ce fait est très importante : la bourgeoisie est ébranlée, désunie, incertaine de l'avenir ; elle réalise pleinement combien sa situation est précaire et reconnaît la classe ouvrière comme une force, avant que celle-ci en prenne conscience elle-même. Malgré la confiance de façade qu'elle proclame par la bouche de ses valets Déat et Cie, la bourgeoisie a une grande peur. Après bientôt cinq années de guerre, la domination de l'Etat français est complètement ébranlée. Il n'a plus d'autre appui direct que les mercenaires payés pour la sauvegarde du régime de Vichy. Sa faiblesse est extrême devant la situation créée par la résistance acharnée des masses travailleuses, par suite de la scission des organes de l'Etat en deux fractions qui se combattent (pro-alliée et pro-allemande).

L'armée d'occupation était jusqu'à maintenant le seul appui sérieux au régime de Vichy. Mais ce qui constituait hier une arme sûre entre les mains des oppresseurs de l'Europe, n'est plus aujourd'hui qu'un instrument dangereux. Car l'armée allemande, comme toutes les armées impérialistes, est formée d'ouvriers et de paysans encadrés par le corps des officiers et dressés par une stricte discipline militaire. Et le prolongement inouï de la guerre, les mensonges devenus évidents, les souffrances terribles qui les accablent, dressent inévitablement les travailleurs-soldats allemands contre leurs officiers et la bourgeoisie. Il y a donc grand danger à les employer contre d'autres travailleurs quand il s'agit de conflits entre ouvriers et patrons.

Si pourtant une menace de ce genre existe aujourd'hui contre les travailleurs français c'est parce que les social-chauvins, par leur action "anti-boche", ont fait croire aux travailleurs-soldats allemands et aux travailleurs français qu'ils sont des ennemis. Ils ont ainsi bafoué tous les enseignements prolétariens de la première guerre impérialiste de 14-18 ; en empêchant l'union des travailleurs français avec les travailleurs-soldats allemands contre la bourgeoisie, ils ont aidé les capitalistes – et en premier lieu ceux de Vichy et de Berlin – à perpétuer la guerre.

Cependant, dans la situation sans issue où se trouve l'armée allemande depuis les défaites de Hitler en URSS, la politique d'union entre les exploités aurait inévitablement rallié les travailleurs-soldats allemands.

Les social-patriotes qui "ajournent" la lutte contre notre propre bourgeoisie pour après la "libération" mentent.

Il est évident que, quelles que soient les péripéties de la guerre, ce n'est que par la fraternisation entre soldats et ouvriers que les travailleurs pourront mettre fin à la guerre et aux malheurs qu'elle leur apporte, par leur victoire sur la bourgeoisie. "Nationale" ou "étrangère", l'armée est toujours un instrument aux mains des capitalistes (qu'on se rappelle le rôle joué chez nous par l'armée comme briseuse de grèves en novembre 1938). Le débarquement allié poserait donc toujours à la classe ouvrière ce même problème : gagner, sous la menace d'une terrible répression, les soldats anglais, américains et les troupes gaullistes et coloniales, qui encadrés par leurs officiers, garderaient les usines de la même façon que les soldats allemands. Pourtant, la situation serait alors bien plus difficile, car la bourgeoisie ne manquerait pas de faire prendre aux soldats la victoire alliée pour leur propre victoire, et en ferait ainsi des instruments dociles de sa politique contre les ouvriers !

Par conséquent, suivre jusqu'au bout la politique non-prolétarienne "anti-boche", c'est ajourner pour de longues années tout rapprochement des travailleurs des différents pays. Ce n'est donc pas préparer pour l'avenir de meilleures conditions de lutte, c'est mener la classe ouvrière à une impasse.


La bourgeoisie n'est pas bien en selle. Elle a peur d'une action de classe unifiée, concertée, du prolétariat ; telle est la grande leçon du 1er mai dernier. Toute la faiblesse de la classe ouvrière est de ne pas réaliser clairement sa propre force en face de la faillite de la bourgeoisie. C'est donc le moment d'en finir avec "il n'y a rien à faire, attendons le moment favorable". Il faut combattre le poison chauvin et lutter pour une politique internationaliste. C'est aux ouvriers avancés de défendre cette politique au sein de la classe ouvrière. Ils ne le peuvent qu'en s'organisant et en se concertant sur la politique à mener. Sans une politique concertée, la classe ouvrière ne peut pas vaincre.

A BAS L'ATTENTISME ! CONTRE LA BOURGEOISIE AUX ABOIS, SERRONS LES RANGS DES TRAVAILLEURS. PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !


PROPOS DE L'OUVRIER...

Nos pères sont revenus en 1918 et s'étaient juré qu'on ne reverrait plus cette affreuse chose qu'est la guerre. Après quatre ans dans les tranchées, ils savaient ce que valaient tous les slogans de la bourgeoisie que les social-chauvins se plaisaient à répéter jusqu'à satiété : droit des peuples, défense de la civilisation, etc... Aux Allemands on avait promis la victoire qui devait leur apporter une ère de prospérité : ils eurent la défaite et le standard de vie du peuple allemand baissa considérablement. Aux anciens combattants français victorieux, Clémenceau avait dit "ils ont des droits sur nous". Leurs droits : ils touchèrent, oh dérision, un complet à la démobilisation et rentrés chez eux vieillis et malades, ils durent se mettre au travail pour réparer les désastres de la guerre. "C'est l'Allemagne qui paiera" : en fait c'est le peuple français qui paya pour la reconstruction, et le peuple allemand dut payer lui aussi, mais ce fut pour emplir les poches de la bourgeoisie. Vingt ans après on a remis ça et la bourgeoisie a employé les mêmes tromperies et le peuple une fois de plus a été roulé.

Les partis dits ouvriers une fois de plus se vautrent dans l'union sacrée, profitent de la confiance que leur accordent les masses en bafouant leurs anciens mots-d'ordre qui leur ont fait gagner cette confiance, en se mettant servilement aux ordres de leur propre bourgeoisie. Cette trahison des social-patriotes a fait considérablement baisser la foi des ouvriers en la Révolution.

Mais le peuple en a marre de la guerre, il en a assez qu'on lui réclame toujours des sacrifices sur de vagues promesses jamais tenues. Après la guerre, tous ceux qui auront eu la chance de sauver leur peau devront s'estimer bien heureux et ils devront bien, pour s'excuser de n'être pas tombés héroïquement sur les champs de bataille ou sous les bombardements, se mettre à travailler d'arrache-pied pour reconstruire ce que la barbarie aura détruit.

C'en est assez des paroles et des slogans patriotiques : "Les ouvriers n'ont pas de patrie" ! (Marx). Ils doivent s'unir par dessus les frontières. Les ouvriers ne doivent pas être hostiles aux soldats, ou les aider dans la guerre impérialiste. Ils doivent fraterniser avec eux, quel que soit l'uniforme, contre la guerre, contre l'impérialisme. Pour cela il faut gagner leur confiance par une politique de classe et non pas s'opposer à eux pour des oriflammes nationales. OUVRIERS, PAYSANS ET SOLDATS, DEBOUT FACE A LA BOURGEOISIE !


ALERTE A L'OFFENSIVE PATRONALE !

L'une après l'autre les plus grandes usines de la région parisienne, Gnome et Rhône, Farman, Citroën et beaucoup d'autres, viennent d'instituer la pratique de la mise à pied "temporaire" d'une partie ou de tout le personnel (3900 chez Renault). Partout on ne parle que de mises à pied, de chômage partiel (33 h. par semaine), de travail de nuit généralisé, ce qui n'empêche pas d'envisager déjà la récupération de la journée du 1er mai. Pendant ce temps ont repris les rafles pour l'Allemagne et le recensement des jeunes (classe 45).

Les prétextes sont multiples : manque d'électricité, manque de matières premières, désorganisation des transports, etc... Pour le moment les ouvriers mis à pied doivent recevoir 75% de leur salaire.

Pourtant toutes ces mesures diverses qui coïncident et qui toutes sont dirigées contre le niveau de vie et les conditions des ouvriers ne sauraient être justifiées à nos yeux par les contre-coups des événements militaires sur l'approvisionnement de l'industrie (les capitalistes "ordonnés" ont-ils oublié de faire des stocks ?), ni même par la cessation éventuelle de la production de matériel de guerre en perspective d'une défaite allemande.

Car il est clair que ces messieurs du Comité des Forges, qui prétendaient faire travailler les ouvriers 54 et 60 heures "pour l'Europe" et pour "l'ordre nouveau", ne se gêneront pas pour les jeter dehors quand leur guerre ne pourra plus leur rapporter de super-bénéfices. Ils n'ont certainement pas l'intention de nous payer longtemps à 75% (le salaire intégral ne permettait déjà pas de joindre les deux bouts) pour bêcher notre jardin : et si vraiment il n'y a plus de travail, pourquoi parle-t-on de récupérer le 1er mai, pourquoi les usines ouvertes travaillent-elles de nuit ?

Il est clair que ce ne sont que des escarmouches d'avant-garde. Le patronat sent approcher le moment critique ou l'armée allemande décomposée ne pourra plus maintenir l'ordre et, puisqu'il peut le faire sans nuire à la production de guerre, il veut nous jeter au chômage, nous obliger à partir en Allemagne, nous démoraliser par la misère et nous disperser, comme en juin 1940.

Mais la classe ouvrière ne doit pas subir un nouveau juin 1940. Contre cette offensive du patronat les ouvriers ne peuvent pas lutter par des mouvements locaux : ils doivent préparer la grève générale. La classe ouvrière manque en ce moment d'une direction à elle, capable d'unifier l'action des travailleurs.

C'est aux ouvriers conscients (conscients qu'il s'agit de la vie et de la mort de la classe ouvrière) de créer un réseau clandestin de liaisons inter-usines ; la tâche de ces organismes est de guider les travailleurs dans leurs luttes partielles (salaires, cantines, etc...) et d'assurer une action concertée en cas de danger généralisé (mise à pied, déportations, etc...). Partout où la masse entre en lutte ouverte, les ouvriers avancés doivent préconiser l'élection par la masse en lutte de comités (comités de grève, comités d'usine, comités locaux et régionaux, etc...) ; en vue d'assurer à ces luttes unifiées une direction élue par les ouvriers.

Désormais, tout ouvrier avancé doit se considérer comme mobilisé pour maintenir la classe ouvrière en état d'alerte permanente.


QUI EXPROPRIERA LES TRUSTS ?

Dans son discours du 1er mai, Déat dit que "les voies de la gestion économique sont ouvertes à la classe ouvrière" (par la Charte du travail). Il ajoute cependant : "Certes, tout n'est pas pour le mieux et l'économie dirigée peut l'être très mal. Elle peut même l'être dans le sens d'intérêts particuliers". Nous n'avions pas besoin que Déat nous le dise. Nous savions, en effet que "la participation des ouvriers à la gestion économique" n'est qu'une promesse gratuite des valets de la bourgeoisie, et que l'économie dirigée "dirige" des profits dans les poches des capitalistes et des trusts ("les intérêts particuliers").

Mais voilà qu'à l'occasion du même 1er mai, un autre serviteur du régime capitaliste, le général De Gaulle, déclare : "Il n'y aura pas demain pour nous de prospérité si l'économie n'est pas fortement dirigée... Dans l'économie nationale française le rôle du travail organisé sera devenu capital ; ...il faudra associer les ouvriers à la gestion des entreprises".

Et pour ne pas oublier un troisième compère, rappelons que récemment, à la suite des grèves italiennes, Mussolini a sorti un projet de "socialisation" des industries et de "participation" des ouvriers aux bénéfices (sic).

Mais pourquoi cette démagogie ?

C'est encore eux qui l'avouent : les ouvriers se rendent compte "que les redoutables problèmes... qui se poseront dès la fin des hostilités ne pourront être maîtrisés que par les seules méthodes socialistes".

Oui, les ouvriers se sont rendu compte de la malfaisance du régime capitaliste ; ils ont vu à la lumière des misères que leur inflige la guerre que celle-ci, œuvre des trusts, augmente leurs bénéfices et sert leurs intérêts. Ils veulent en finir avec ce régime. Et alors, de tous les côtés, les monopoleurs paient des porte-parole pour tranquilliser la classe ouvrière en lui disant : "rassurez-vous, tout va changer... les patrons vous admettront à la gestion de leurs entreprises. Quant à nous, nous dirigerons l'économie au profit de toute la nation".

Ce qui n'empêchera pas De Gaulle, quand il aura fait la relève de Déat-Pétain, de dire : "Oui, l'économie est dirigée, mais elle l'est malheureusement dans le sens d'intérêts particuliers". Alors nous n'aurons qu'à nous serrer la ceinture.

Car le nœud de la question est là : les promesses passent, la propriété reste. Les entreprises continueront à appartenir aux patrons, c'est eux qui les dirigeront, qui auront le droit de mettre les ouvriers sur le pavé, de fermer leur entreprise quand cela leur conviendra. Et c'est ainsi que des institutions dont la richesse est constituée par le travail de tous, qui servent des intérêts vitaux d'une ou de plusieurs nations, les mines, les chemins-de-fer, les usines géantes, verront leur fonctionnement réglé d'après la baisse ou la hausse des actions, d'après les profits et pertes de la Banque de Paris et des Pays-Bas, de la Société Générale, de la Banque Rockfeller et Morgan. Les Déat et les De Gaulle ne peuvent évidemment pas parler de l'expropriation de ces gens qui sont leurs maîtres.

Mais pour la classe ouvrière, pour toutes les couches laborieuses, seule l'expropriation des industries vitales accaparées par les trusts, peut permettre la direction de l'économie d'après un plan d'ensemble dans l'intérêt de tous, par la gestion directe des usines par les ouvriers.

Le contrôle étatique ne remédiera pas à la malfaisance des trusts, car l'Etat est l'Etat des trusts. Les trusts ne donneront pas d'eux-mêmes droit de regard aux ouvriers dans leurs affaires, car ce serait signer leur arrêt de mort.

Ce sont les ouvriers eux-mêmes qui imposeront, par la lutte, le contrôle ouvrier sur les entreprises, par l'emprise de leurs délégués et comités. Le contrôle ouvrier permettra aux travailleurs de démasquer devant le pays le brigandage de la bourgeoisie et de prendre en mains les leviers de direction accaparés par une infime minorité de capitalistes, pour aboutir à leur expropriation.


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