1946

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE de CLASSES Organe de l'Union Communiste (IVème Internationale) n°61 – 4ème année


LA LUTTE DE CLASSES nº 61

Barta

14 mai 1946


Format MS Word/RTF Format Acrobat/PDF Téléchargement fichier zip (compressé)
Cliquer sur le format de contenu désiré

LA SOURCE DE NOTRE FORCE

Le résultat du référendum a grandement découragé les travailleurs qui avaient pris au sérieux le langage des Thorez et Daniel Mayer. Car ceux-ci leur avaient présenté la compétition des "oui" contre les "non" comme une bataille qui devait décider du triomphe ou de la défaite de la démocratie face au conservatisme social, au cléricalisme et au fascisme (Radicaux, M.R.P., P.R.L.), "agents des trusts".

En octobre aussi, le P.C.F. avait présenté la compétition des "oui-non" contre les "oui-oui" comme une lutte de la démocratie contre la réaction. Mais, alors, il s'agissait en apparence de régler provisoirement les rapports entre le gouvernement et l'Assemblée pour une durée de 7 mois, tandis qu'aujourd'hui c'est la Constitution, soi-disant de "progrès social", qui a été repoussée. "Il va encore falloir courber l'échine", s'est exclamé un ouvrier...

Assourdis par les polémiques et la propagande de dernière heure des Partis, les travailleurs ont oublié que toutes les dispositions, y compris celles de "progrès social", avaient été élaborées en commun avec le M.R.P. L'introduction dans la Constitution de quelques phrases "sociales" n'était, en effet, que le meilleur paravent pour cacher l'œuvre réactionnaire des trois Partis au Gouvernement, le meilleur moyen de tromper les paysans et les petites gens sur la véritable situation des travailleurs qui, en fait de niveau de vie réel et de conditions de travail, sont ramenés d'un siècle en arrière.

Car dans la pratique, ce sont les champions staliniens de ces droits sur le papier qui dans les usines font le métier de gardes-chiourme (salaire au rendement, heures supplémentaires, défense de revendiquer).

Voilà pourquoi tous les journaux de la bourgeoisie et du camp des "non" s'empressent aujourd'hui d'affirmer qu'on ne peut pas mettre en question les dispositions de "progrès social" de la Constitution.

Si les ouvriers ne font pas de lien entre cette attitude pratique des Partis soi-disant ouvriers et leurs prétentions politiques, c'est parce que, d'une part, ils craignent encore davantage l'action des partis ouvertement bourgeois, et que, d'autre part, ils se laissent berner par les promesses des chefs staliniens : "Donnez-nous encore davantage de voix, et nous ferons triompher les droits des travailleurs."

Mais qu'ont-ils fait de plus avec Thorez, vice-président du Conseil, qu'avant les élections du 21 octobre quand il n'y avait que deux ministres communistes dans le cabinet de De Gaulle ?

Est-ce qu'en 1936, par exemple, les Partis "ouvriers" ayant obtenu autant de sièges au Parlement, il y avait un gouvernement à majorité communiste-socialiste ? Cependant la classe ouvrière, par son activité, par sa grève générale de juin 36, a réellement amélioré la situation et imposé des mesures de "progrès social" (conventions collectives, etc...). Par l'action directe, elle a réussi à faire un bloc de lutte du prolétariat, des petits commerçants, et de toutes les petites gens contre l'Etat collecteur d'impôts et la spéculation capitaliste.

"Unité avec les Républicains" (les Herriot et les Francisque Gay, crient aujourd'hui P.C.F. et P.S. pour continuer leur politique pourrie de collaboration avec les Partis bourgeois.

"Unité dans les quartiers et les usines", répondront les travailleurs, unité pour défendre notre pain et notre droit à la vie, unité pour organiser la résistance au patronat. Qui sera assez fort pour nous faire courber l'échine, si nous serrons nos rangs fraternellement à la base, sans distinction de tendance politique, de croyance et de nationalité ? C'est dans CETTE unité que réside notre force. C'est CETTE vérité que ressentait un ouvrier qui disait : "Dans le temps, il y avait des grèves, mais aujourd'hui on est amorphe ; ce n'est que par l'action directe qu'on peut faire changer un gouvernement de politique."

Et c'est pourquoi 150 ouvriers, conscients et combatifs, dans quinze grandes usines, peuvent faire infiniment plus pour la classe ouvrière, que 150 députés, réformistes traîtres, dans une Assemblée croupion qui, pour justifier leur existence, n'"arrachent" quelques concessions aux capitalistes qu'au moment où la classe ouvrière elle-même est en branle et les a déjà gagnées par son action directe.


DE L'INTERNATIONALE COMMUNISTE A L'INTERNATIONALE DES BANQUIERS

En rompant avec la politique communiste, les renégats se donnent des airs d'"hommes d'Etat", prétendent avoir "appris de l'expérience", et faire en conséquence une nouvelle politique "réaliste", opposée aux "utopies socialistes". Ce qu'est en réalité cette politique "nouvelle", trois exemples actuels nous le feront voir.


Un camarade nous écrit : "A la Thomson (du trust de l'Electricité), la Section Syndicale se désintéresse des revendications ouvrières. Dernièrement elle a saboté une grève partielle de peur qu'elle ne s'étende. Mais elle n'agit pas de même envers la direction patronale. Celle-ci s'étant plaint au Comité d'Entreprise que l'administration des P.T.T., son principal client, ne la payait qu'au terme d'un an, nos "défenseurs des intérêts de la classe ouvrière", trop heureux de défendre ceux du patron, se proposent d'intervenir auprès de la Fédération postale, afin que celle-ci agisse en conséquence auprès de l'Etat pour lui faire effectuer son payement le plus tôt possible. C'est un comble que, sabotant les revendications des travailleurs, la Section Syndicale s'occupe de faire rentrer les fonds du patron, qui peut assez bien se défendre lui-même. D'un côté les journaux syndicaux dénoncent le trust de l'Electricité et sa mainmise sur des richesses colossales et d'un autre côté la Section Syndicale agit ouvertement en commis de ce trust !"


Nous reproduisons par ailleurs l'article d'un journal prolétarien américain sur la grève des mineurs.

Les grèves américaines, qui menacent la domination des plus gros monopoleurs du monde, fauteurs de     guerre et détenteurs de la bombe atomique, ne rencontrent aucune sympathie de la part de nos dirigeants "ouvriers", ils les désapprouvent au contraire.

Pour quelle raison ?... Parce qu'elles gênent les transactions et négociations financières et commerciales avec les capitalistes américains.


Selon Frachon, la politique des chefs staliniens est de toujours prendre le contre-pied de la réaction. Or, ils se retrouvent dans le même camp que le M.R.P. et le P.R.L. pour réclamer "l'internationalisation" de la Ruhr. Cette "internationalisation" n'est rien d'autre que la formation d'un consortium capitaliste pour l'exploitation du charbon, du fer, de l'acier dans cette région, consortium dans lequel entreraient les capitalistes anglais, français, allemands, etc...

En contre-partie de cette "solidarité" capitaliste, Saillant déclare à l'adresse des ouvriers allemands : "Les syndicats allemands, s'ils devaient s'opposer aux conclusions du Congrès de la C.G.T. française (sur la Ruhr) porteraient la responsabilité de la rupture morale qui existerait entre eux et nous." Contre l'"Internationale syndicale;, au service de l'internationalisation de la Ruhr; par les banquiers !...


Renégats du socialisme et gardes-malades du capitalisme, leur "sagesse" consiste à faire de la vulgaire politique bourgeoise.

Qu'ont-ils trouvé de nouveau dans le domaine économique, en reniant la lutte ouvrière ? La défense du capital et de la surexploitation, la sauvegarde du vieux système anarchique et réactionnaire.

u'ont-ils trouvé de nouveau dans le domaine de la sécurité et de la paix, en rompant avec l'internationalisme ouvrier ? La dispute de lambeaux de territoires, le chaos, le panier à crabes des rivalités capitalistes, avec comme résultat de nouvelles épreuves de force, de nouvelles destructions et ruines. Non pas une meilleure politique que l'internationalisme, mais le retour à la politique d'une classe condamnée.

La politique "réaliste" des renégats, sous prétexte de ne pas courir les "utopies" socialistes, lie le sort de la classe ouvrière au sort terrible du capitalisme décadent, qui mène l'humanité au suicide de la guerre atomique.


PARTOUT, LE CAPITALISME AFFAME LES PRODUCTEURS

Dans un communiqué, la Chambre syndicale des médecins de la Seine fait savoir que la ration des populations urbaines ne procure que 1.320 calories au lieu des 2.200 nécessaires. En partant de ce fait, Marcel Cachin écrit dans sa chronique du ravitaillement : "...Est-il vrai qu'en ce temps de pénurie extrême de matières grasses, on décide d'exporter en Grande-Bretagne 100 tonnes de camemberts par mois ? Est-il exact qu'on va en expédier en Suisse, en Belgique, en Suède ? Ne serait-il pas tout de même expédient de songer à la santé de nos nationaux ?" (Humanité, 27-4).

Mais l'administration du ravitaillement ne peut rien contre le fait que le gouvernement a besoin de devises pour combler les déficits résultant des crédits votés pour l'armement et pour l'Intérieur, le premier pour la fabrication d'engins de guerre, le second pour la police, la D.G.E.R., et qui grèvent l'Etat de plus de 200 milliards (2/3 du budget). Il ne reste plus alors à Cachin et aux ministres "ouvriers" qu'à entonner l'hymne à la production... pour améliorer le sort de la classe ouvrière et notre ravitaillement.

Mais comment, en régime de spéculation capitaliste, le problème de la consommation est-il lié à celui de la production ?

En Amérique, pays exportateur, dont la capacité de production a augmenté pendant la guerre de 105%, Le Monde du 27-4 nous apprend que "les ménagères de New-York, comme dans la plupart des grandes villes cherchent en vain une côtelette chez le boucher. Les syndicats ouvriers accusent les patrons abatteurs de conspirer avec le marché noir afin de démolir le contrôle des prix... 85% de la viande en circulation dans le pays a cessé de passer par les voies régulières".

C'est en partant du fait que les ouvriers n'ont jamais cessé de produire et que parallèlement à leurs efforts s'élève un marché inaccessible à leurs salaires, que nous réclamons le contrôle ouvrier sur les affaires des capitalistes affameurs.

C'est pour cette raison que les travailleurs se détournent des défenseurs des capitalistes plongés dans le marais du parlementarisme, pour se tourner vers les ouvriers révolutionnaires qui n'ont pour mettre en échec les affameurs et leurs défenseurs, qu'un seul mot d'ordre : sans nourriture pas de travail.


LES MINEURS AMERICAINS EN GREVE tiennent bon pour leurs revendications sociales

13 AVRIL. – Les 400.000 mineurs en grève depuis le 1° avril travaillent à obtenir les revendications sociales, avant celles des salaires. Les représentants des propriétaires des mines en ont été convaincus lorsque, très étonnés, ils virent l'A.F.L., les "travailleurs unis des mines", J. Lewis et l'U.M.W. "Comité des Négociations", rompre les pourparlers et quitter la salle de conférence.
"Nous croyons, cette fois, que vous modifierez vos sentiments ladres et antisociaux, étant donné que vos bourses sont touchées", déclara Lewis en conclusion de son compte-rendu qu'il lut juste avant sa sortie.

Dès le début des négociations, les représentants de l'U.M.W. ont insisté sur une série de revendications sociales vitales, dépassant de loin la question des salaires.
Que sont ces revendications :

Les mineurs réclament que cesse l'impôt terrible de vie humaine que sont les accidents dans les mines américaines. Ils réclament des mesures d'hygiène : installations sanitaires et médicales dans les villes immondes et décrépites de la compagnie, des assurances pour les veuves des mineurs et les orphelins, des compensations pour les blessés et leur famille, la baisse des prix exorbitants des coopératives de la compagnie et des loyers des habitations de la compagnie.

A ces revendications vitales des mineurs, les capitalistes sordides répondirent que le Comité de l'Union des mines mettait en avant ces "bagatelles" avec l'intention évidente d'arrêter les négociations et de créer une crise nationale.

Ces "bagatelles", comme Lewis le démontrait à l'ouverture des négociations, ont pour cause le massacre de 28.000 mineurs et plus d'un million de blessés depuis 14 années. Cette liste de morts et de blessés vient du refus de la direction d'assurer l'équipement de sécurité, son opposition à l'inspection des mines et aux lois de sécurité du travail.

Ces "bagatelles" concernent des milliers de veuves et d'orphelins destinés à mourir de faim, car la direction a supprimé les lois de compensation.

Elles signifient maladie et habitations insalubres, car beaucoup d'actionnaires ne veulent pas employer leurs bénéfices énormes pour donner même un semblant d'hygiène moderne aux villes de la compagnie.

Les mineurs ont décidé de s'assurer de meilleures conditions, grâce à un fonds de bien-être, prélevé sur les profits des actionnaires que l'Union elle-même contrôlera.

Ils demandent l'équipement de sécurité aux frais de la direction. Ils insistent pour que les actionnaires pourvoient à ces "bagatelles", telle que l'eau courante, des facilités pour se baigner, l'enlèvement des ordures.

Ils cherchent à mettre fin aux prix exorbitants des coopératives de la Compagnie, un rabais de 10% sur tous les prix et 20% sur les habits et équipements de la mine.

Extrait de The Militant du 20-4-46.


Ont voté blanc contre le referendum :
58 978 dans la Seine (Paris compris).
534 274 dans toute la France


La Voix des Travailleurs

1er MAI 1946 JOURNEE PRE-ELECTORALE

Comme il ne faut parler ni des salaires, ni des conditions de travail, il ne reste que le ravitaillement pour exprimer – de façon discrète – le mécontentement des travailleurs.

"Nous voulons manger, Longchambon à la porte !" proclament les Bétons de Gennevilliers, et Phillip et Pain de Montrouge : "Produire, d'accord, mais payer et nourrir d'abord." En cours de route, un énergumène, bien connu des ouvriers de chez Renault pour ses actes de violence contre les vendeurs de journaux révolutionnaires, s'oppose à ce que ceux de Montrouge défilent derrière une pancarte aussi "tendancieuse".

Quelques boîtes réclament aussi la signature de la convention collective. La S.O.G.A. (17ème) déclare "produire avec notre convention collective et un meilleur ravitaillement", tandis que Ducrétet-Thomson supplie humblement : "Nous avons donné notre sueur. Patrons, donnez votre signature à la convention collective." C'est ça, la dignité ouvrière ? Mais pareille prière est aussi inutile que celles que les curés adressent à leur Bon Dieu ! S'il fallait tenir compte de la sueur et du sang versé par les ouvriers, tout l'or des patrons ne suffirait pas à payer leur dette. Seule la lutte peut les obliger à signer un contrat. Pour remplacer les revendications, les organisateurs exhibent des chars et des jeux. Mais devant le Char du Textile portant "nous produirons 8 millions de complets par an", une ménagère hoche la tête : "Oui, si ça n'allait pas au marché noir..."

"Votez oui !", tel est, avec "produire", le maître-mot de la manifestation. Les ouvriers sont soumis à une surexploitation féroce ? "Nous exigeons le charbon de la Ruhr !" Le travail au rendement ruine les santés et abrutit l'esprit ? "Votez oui, contre le désordre et l'anarchie !" Ces exhortations sont accueillies sans grand enthousiasme par une foule en majorité petite-bourgeoise. La masse des ouvriers d'usine n'est pas là et ceux qui sont là ne sont pas venus pour lutter.

Pourquoi lutter, en effet ? Frachon nous clame que "tout ce que des années et des années de lutte ne nous avaient pas apporté, la Constitution nous le donne". Ce que le jeu du parlementarisme bourgeois peut apporter aux travailleurs, ils le savent par expérience. S'ils soutiennent encore Thorez et Frachon de préférence à Mayer ou Jouhaux, c'est qu'ils craignent pire. C'est ce chantage au pire qui permet justement à Thorez de mener la pire politique : celle qui laisse les ouvriers sans défense devant la bourgeoisie.

Les métaux, sous l'hégémonie du P.C.F., sont particulièrement mal représentés et mornes, tandis que les branches où l'influence du P.C.F. est moins étouffante sont plus combatives : le Livre défile aux cris de "débloquez nos salaires !" et "C.G.T. à l'action" ! Les Indochinois réclament la fin des hostilités et le rapatriement de leurs prisonniers et déportés.


A L'USINE

Chez Renault : très peu d'ouvriers étaient présents au défilé. De nombreux ouvriers ne sont pas venus travailler le jour de récupération, car ils n'admettent pas que le lundi de Pâques, journée religieuse n'ayant pas été récupérée, on leur fasse récupérer la journée du 1er Mai.

Chez Carnaud : A la suite de notre tract pour un 1er Mai de lutte, des ouvrières ont déclaré : "C'est bien, mais il n'y a rien d'organisé pour qu'on puisse revendiquer." Rien ne peut s'organiser sans l'activité des travailleurs eux-mêmes.

A la C.G.C.T. (Thomson-Favorites) : Le nombre de camarades groupés derrière notre banderole atteignait à peine la douzaine. Un de nos camarades de l'opposition qui a participé au défilé – dans lequel on ne vit aucun des responsables syndicaux de l'usine – avec le mot d'ordre "Echelle mobile", fut traité le lendemain de "provocateur" par certains responsables de la section syndicale !

Chez Hispano : Pour montrer le résultat positif de l'effort des ouvriers, on promena une machine... directement importée de Barcelone.

Chez Citroën : une cinquantaine d'ouvriers sur 12.000 participent au défilé. Voilà l'enthousiasme unanime que déchaîne la politique des dirigeants actuels de la C.G.T. !


GANGSTERISME PATRONAL

Chez Carnaud (à Boulogne), un chef d'équipe ayant commandé une corvée à un manœuvre, celui-ci répondit : "Il est midi moins cinq". Pour toute réplique, il reçut du chef d'équipe deux coups de poing. La déléguée qui intervint auprès de la direction s'est vue répondre par le chef d'atelier : "Cela ne vous regarde pas".

Pour toute réponse, la section syndicale dénonce le fait en pleurnichant, sous le titre : "Drôles de méthodes".

Pour les ouvriers, ce geste n'est pas du tout "drôle" et c'est le renvoi immédiat du chef d'équipe qui s'impose. Si la direction s'y oppose, si elle refuse même de recevoir les délégués, il faut l'y obliger par la grève. Car que signifie un tel geste ? C'est une atteinte directe à la dignité des ouvriers, c'est l'instauration du travail à la trique. Les ouvriers ne doivent pas laisser se créer de pareils précédents.

Ils doivent riposter énergiquement pour obtenir le renvoi du chef d'équipe. Sinon il n'y a aucune raison pour que le patron ne continue pas à faire travailler ses ouvriers à la trique.

Pourquoi un patron peut-il se permettre de pareilles méthodes, alors qu'il existe des syndicats groupant près de 6 millions de travailleurs ? Pourquoi peut-il se permettre aujourd'hui des agissements que le patronat avait dû abandonner depuis des dizaines et des dizaines d'années, c'est-à-dire depuis que la classe ouvrière a commencé à s'organiser ? C'est qu'il connaît bien la passivité des dirigeants actuels du syndicat. Souffleter les ouvriers, c'est pour le patron traiter l'organisation syndicale avec le plus grand mépris. Celle-ci ne peut pas accepter de telles injures sans relever le défi. La section syndicale doit dire clairement aux ouvriers comment elle entend "empêcher des brutalités envers quiconque de nos camarades". Puisque la direction refuse de recevoir les délégués nous ne voyons qu'un moyen : la grève.


LE SALAIRE AU RENDEMENT CONTRE LES OUVRIERS


CHEZ RENAULT

Le boni est collectif. Les ouvriers doivent suivre la chaîne et ils savent le nombre de pièces qu'ils doivent faire par ce que leur en dit le chef d'équipe ; le règlement prévoit bien que chaque ouvrier doit connaître le temps qui lui est alloué pour faire ses pièces, mais pour le vérifier il faudrait de vraies aptitudes comptables.

Par le système du travail au rendement, la direction crée la division entre les ouvriers d'une même chaîne : certains ont des temps relativement bons qui leur permettent d'augmenter la cadence, tandis que d'autres déjà crevés ne peuvent tenir le coup. Par le salaire au rendement, que les organisations syndicales ont combattu de tout temps et qui est maintenant posé comme une "revendication" par la section syndicale, la direction permet à quelques ouvriers dont les temps sont "bons" d'augmenter un peu leur paye en travaillant beaucoup plus, et oblige les ouvriers dont les temps sont mauvais à se crever au travail pour quelques francs de plus par jour, au grand détriment de leur santé.


CHEZ CARNAUD

Dans un atelier, les ouvriers, en travaillant péniblement, arrivent à une production telle qu'il est pratiquement impossible de l'augmenter ; donc impossible d'augmenter le salaire au rendement.

Dans la mesure où certaines ouvrières plus agiles arrivent à augmenter leur production, la direction diminue au fur et à mesure le prix des pièces. Ainsi il s'avère que non seulement le salaire au rendement ne permet pas aux ouvrières d'augmenter leur paye, mais encore il est une source de diminution. En effet, dans la mesure où une ouvrière a crevé le plafond avec l'espoir d'augmenter sa paye, la quinzaine suivante c'est toutes les ouvrières qui sont diminuées puisque les prix ont été diminués.

Fidèles à leurs traditions, les ouvriers doivent combattre le salaire au rendement qui use et divise la classe ouvrière. Surtout aujourd'hui, où par l'emploi du boni, du système bedeau, du système schuller ou autre, le mode d'exploitation des ouvriers est devenu une véritable science que les économistes bourgeois désignent sous le nom de O.S.T. (organisation scientifique du travail) et que l'on pourrait traduire par : art d'exploiter au maximum les ouvriers avec le minimum de frais. A bas le salaire au rendement !


NE TOUCHONS PAS A LA PART DES BOURGEOIS

Dans un article de La Vie ouvrière, intitulé "Les salaires ne sont pas bloqués", André Lunet, secrétaire de l'Union des Syndicats ouvriers de la R.P., écrit :

"En effet, actuellement une augmentation nominale des salaires, sans une augmentation proportionnelle du volume des marchandises mises sur le marché, aboutirait inexorablement à l'augmentation des prix, au développement du marché noir, à l'inflation ruineuse pour le pays et pour les salaires." En termes clairs, la part des ressources qui passe au marché noir et qui est l'apanage des bourgeois et trafiquants doit rester intacte : si les ouvriers veulent la possibilité, par l'échelle mobile des salaires, d'y toucher, nos bonzes syndicaux ne l'admettent pas. Il ne faut pas que les ouvriers puissent concurrencer, devant les marchandises existantes, les bourgeois qui, eux, peuvent les acheter.

La solution proposée par André Lunet aux ouvriers est toute simple : "Vous voulez manger ? Augmentez votre rendement !" De cette façon, les ouvriers doivent produire beaucoup plus (et par suite, dans la même proportion, augmenter les produits offerts aux repus), pour avoir un rien de plus, de l'ombre de cette valeur surproduite.

La bourgeoisie, pour maintenir ses privilèges sacrés, a un appareil étatique monstrueux à sa disposition. Comme si cela ne suffisait pas, les renégats de la classe ouvrière viennent lui donner leur appui. Mais de toutes les "explications" de Lunet, nous, producteurs, ne voulons pas tenir compte. Nous leur répondrons par notre action de classe indépendante et en appliquant nos mots d'ordre : "Echelle mobile des salaires, comme garantie de notre pouvoir d'achat."

Robert DENIS


"L'ARMÉE DU PEUPLE"

Le mardi 30 avril, alors que nous collions des journaux sur le parcours du défilé du 1er Mai, des militaires de l'hôpital situé à l'angle du faubourg Saint-Antoine et de la rue Picpus, nous prirent à partie

"Vous allez voir, les communistes, on va vous casser la gueule... Thorez au poteau ! Bande de dégueulasses..."

C'est cette armée domestiquée et anti-communiste des engagés de Leclerc et de Delattre de Tassigny que Maurice Thorez appelle "l'armée du peuple". C'est pour renforcer cette armée, qu'il y a environ un an, en même temps qu'il désarmait les "milices patriotiques", Thorez lançait le mot d'ordre : "Nous voulons la mobilisation des jeunes classes". Les jeunes que Thorez engageait à rentrer dans l'armée, "éduqués" par les culottes de peau de la bourgeoisie, sont devenus les soldats de l'anti-communisme...


COMMENT L'ON EDUQUE LES OUVRIERS

Chez Renault, les collecteurs syndicaux ont présenté aux ouvriers des cartes des "amis du P.O.F." (parti ouvrier français). Voici à ce sujet une conversation entendue entre un collecteur et un ouvrier

– Tu veux ta carte du P.O.F. (parti ouvrier français) ?

– Qu'est-ce que c'est ? Le parti communiste ?

– Non, c'est un nouveau parti pour grouper tous les ouvriers de toutes les tendances.

– Mais pour cela, il y a la C.G.T.

– Ce sera au-dessus de la C.G.T.

– Pour quoi faire ?

– Pour grouper tous les ouvriers.

– Sur quelle base, il y a un programme, des statuts ?

– Pas pour l'instant, nous devons d'abord regrouper les ouvriers, ensuite il y aura un programme et des statuts.

– Je ne comprends pas ; qui fera ces statuts, sur quelles bases ?

Un autre ouvrier intervient :

– "Mais si mon vieux, c'est une mutuelle quoi ! Tu donnes 5 francs ; quand tu es malade, on te donne de l'argent".

– C'est un peu ça, mais c'est pas tout-à-fait ça. C'est pour grouper les ouvriers, tu es d'accord pour grouper les ouvriers ?

– Oui, mais il y a la C.G.T. Enfin, donne ta carte, on verra bien.

Ces gens du P.C.F. et autres P.O.F. prétendent réaliser l'unité de la classe ouvrière. Pour eux cette unité consiste à acquérir des clients, à placer des cartes. Pour cela, pas besoin de s'embarrasser d'explications ni d'éclairer les ouvriers. Mais les véritables représentants de la classe ouvrière ne sont pas ceux qui lui demandent de suivre les "guides éclairés", mais ceux qui arment le prolétariat d'une théorie révolutionnaire, ceux qui lui donnent la possibilité d'étudier et de comprendre pour qu'il puisse agir par lui-même. Ce n'est pas pour se laisser guider par des slogans et des méthodes démagogiques, dignes des fascistes, que les meilleurs éléments prolétariens et socialistes ont lutté pendant des dizaines d'années pour armer le prolétariat de la doctrine scientifique du marxisme et lui donner conscience de son rôle d'avant-garde éclairée de la société.


ECHOS...


Assemblée générale chez Carnaud

Les réunions ont eu lieu par atelier au lieu de se tenir pour toute l'usine. Il a été question surtout de l'augmentation du boni, qui est très faible. Les anciennes réclament une augmentation du taux du boni, ne comprenant pas que c'est un moyen pour le patron d'empocher des superbénéfices. Les jeunes sont partisans de la suppression du boni et d'une augmentation sur le salaire de base, car très peu arrivent à faire du boni. Mais leur conscience de classe n'est pas suffisante pour envisager une action, car aucune n'était présente à la réunion. Une ouvrière a posé la question : "Et les conventions collectives ?" Ce à quoi une déléguée a répondu "Maintenant que c'est le "non" qui est passé, nous ne les présenterons qu'après le 2 juin."

Tous les prétextes sont bons : d'abord il ne fallait rien faire pour ne pas gêner "l'action" de "notre" gouvernement, maintenant il faut attendre voir ce que sera le prochain. Mais une défaite électorale peut-elle être un motif valable pour abandonner la lutte revendicative ? C'est au contraire l'action directe de la classe ouvrière qui est plus importante et plus décisive que tous les bulletins de vote.


Citroën (Grenelle)

Devant le mécontentement des travailleurs qui réclamaient une juste augmentation, la section syndicale, qui réclamait le salaire au rendement, avait soumis à la direction une liste de 21 revendications, la principale étant le paiement des taux minutes dépassant la 60º aux taux minutes de base. La direction a donné une réponse négative, invitant en même temps les ouvriers à produire. Un nouveau règlement vient d'être apposé : ne pas siffler, ne pas causer... Comment notre section syndicale compte-t-elle augmenter notre niveau de vie qui ne fait que baisser, puisqu'elle nous prive de notre seule arme devant une direction si rapace, l'action directe ?

La direction patronale réactionnaire des Usines Citroën renforce son offensive anti-ouvrière, en instituant à nouveau le règlement de l'usine.
Ce règlement de bagne interdit aux ouvriers de bouger de leur place, de parler ou de siffler et les met à la discrétion totale de la maîtrise ; en un mot, il ne fait que renforcer l'oppression des ouvriers en les abrutissant davantage et en faisant peser sur eux, à chaque instant, la menace d'un renvoi immédiat.

Ce règlement, la direction l'avait supprimé durant l'occupation, pensant ainsi distraire l'attention des ouvriers de l'exploitation féroce à laquelle elle les soumettait depuis la déportation de nombreux travailleurs en Allemagne. Sa réapparition consacre ce fait que, devant une C.G.T. désarmée parce que ne s'appuyant pas sur la force des ouvriers prêts à la lutte, la direction patronale ne craint plus rien. Elle l'a d'ailleurs bien montré il y a quelque temps, lorsqu'elle renvoya de l'usine de Grenelle, un jeune O.S. militant du P.C.F., alors qu'il vendait l'Avant-Garde , et la section syndicale ne put alors intervenir.

Cette section syndicale, partisan de la parlotte lorsqu'il s'agit de défendre les revendications ouvrières, sait pourtant agir lorsqu'il faut empêcher la presse révolutionnaire de se répandre dans les masses prolétariennes. Témoin l'attaque dont furent l'objet les vendeurs de la Lutte de Classes devant cette même usine de Grenelle. Et ils n'ont pas hésité ensuite à s'attaquer à un sympathisant, dans l'usine, mettant en contradiction flagrante les paroles de Thorez prononcées le 1er Mai sur le droit des minorités à s'exprimer librement.

Est-ce de cette manière, c'est-à-dire en excluant toute démocratie prolétarienne réelle du mouvement ouvrier et en émoussant la combativité des masses qui s'habituent à ne plus compter sur leurs propres forces, mais sur des délégations de bureaucrates, que l'on compte conjurer le péril fasciste ?

Lisé


A Clichy, au Bronze Alu

La Commission syndicale avait promis de défendre les intérêts des ébarbeurs devant la direction. C'est dans ces conditions que ceux-ci avaient repris le travail après plusieurs heures d'arrêt. Mais après plusieurs jours d'attente, ils ont dû de nouveau débrayer. "Encore de vaines promesses - disent les ouvriers - avant l'augmentation générale de 1 fr.50 de l'heure ; nous travaillons 160 pièces pour 13 frs ; aujourd'hui il faut en faire 200 pour 13 francs." Voilà où mène le mot d'ordre "produire" dans une société capitaliste. Ce qui n'empêche pas un responsable du bronze-alu de déclarer : "Ce n'est pas parce que cela va mal et que tout le monde dit que le Syndicat ne fait rien, qu'il faut que l'opposition crée la scission entre les travailleurs."

Si les responsables syndicaux demandaient aux travailleurs de faire cesser les agissements dégoûtants de la direction par une action véritable, tous les ouvriers seraient derrière eux, et à ce moment-là il n'y aurait plus d'opposition.

Pierre.


A la Radiotechnique (Suresnes)

La direction patronale vient d'accorder généreusement 1 franc de l'heure à son personnel, ce qui ne suffit pas aux travailleurs devant la cherté de la vie. Après plusieurs protestations du Syndicat, les ouvriers ont décidé de faire un débrayage de 15 minutes ; aussi le Syndicat devient plus combatif, car voici la réponse qu'il fait à la direction : "On ne trouve pas de lampes dans le commerce, elles se vendent au noir à 500 ou 600 francs, sont-elles bloquées ? Si oui, que le patron les vende et l'argent viendra rétribuer honnêtement ceux et celles qui les font."

Gil


A la C.G.C.T. "Thomson-Favorites"

Par manque de peinture et de vernis cellulosique, l'atelier 22 (peinture) ne fera plus que 32 heures par semaine (4x8). L'atelier 10, par contre (outillage), travaille 48 heures par semaine ; les autres ateliers 45 heures ; les employés 40 heures. Incapable d'alimenter régulièrement les usines en matières premières, le patronat fait supporter à la classe ouvrière, par le chômage partiel ou les heures supplémentaires, les variations d'approvisionnement qu'entraîne son incurie.


Dans les services publics

Les balayeurs du 13º qui, périodiquement, sont au travail du ramassage des poubelles, n'ayant pas de douches installées dans leurs vestiaires, doivent, s'ils veulent se laver, s'habiller et aller souvent assez loin, par le métro, pour user des bons de douche qu'ils reçoivent. Et comme un homme, qui pendant des heures a travaillé dur, n'a souvent pas le courage de se déshabiller et de s'habiller deux fois, cela permettra à un inspecteur quelconque, un jour prochain, de dire : "Inutile l'installation de douches, vous ne vous servez même pas des bons."


GNOME & RHONE


Election de la C.E. Centrale chez Gnome-Kellermann

La réunion pour l'élection de la C.E. Centrale, du 27 avril, a été on ne peut mieux orchestrée par les cégétistes staliniens. Systématiquement, certains camarades qui ont fait montre d'opposition à la ligne actuelle de la C.G.T. ont été écartés.

Donc, le reflet de cette C.E. Centrale est faux, ne représente pas du tout l'esprit des travailleurs. Le mal vient de ce que les ouvriers se désintéressent des élections de base. Les quelques camarades qui combattent pour une véritable politique ouvrière, se trouvent ainsi sans point d'appui, les ouvriers étant lassés et s'abandonnant à leur sort.

Un camarade a présenté une critique intéressante. Celle des catégories actuelles, les différences de salaires existantes, la division qui en résulte parmi les ouvriers et a demandé le retour aux classifications d'après 1936. Il a montré que beaucoup d'ouvriers au lieu de lutter collectivement pour une amélioration des salaires tentent après examen, à monter de catégorie (faisant souvent dans une catégorie inférieure le même travail) et ainsi améliorer leur situation individuellement.

Mais ce genre de "solution" ne peut pas nous mener loin.

André


Gnome-Kellermann

A la suite de l'éclatement d'un compresseur aux essais, un ouvrier a eu un bras arraché et, ayant été blessé également à la tête, est mort pendant l'opération. Les camarades de l'atelier des compresseurs (essais), à la suite déjà de plusieurs accidents mortels au printemps dernier en d'autres endroits, avaient demandé une prime d'insécurité qui, depuis six mois, leur est refusée par la direction, avec comme réponse qu'il n'y a aucun danger.

Camarades, en régime capitaliste, notre force de travail est notre seul bien pour gagner notre pain, nous devons lutter avec ensemble devant les malheurs qui nous touchent individuellement.


CORRESPONDANCE

Camarades de l'opposition Lutte de classes, ayant lu votre journal, je vous envoie ces quelques lignes qui pourront éclairer vos lecteurs sur les procédés dégoûtants employés par les patronat vis-à-vis du personnel.

J'ai quitté l'usine Citroën-Clichy où j'étais employé à la RMO ; après avoir perdu presque une journée pour me faire régler, la direction m'a présenté une facture qui s'élevait à plusieurs centaines de francs pour rembourser cinq limes aiguilles, un tournevis et plusieurs petits outils qui non seulement ont été fabriqués par la maison, mais encore avant la guerre, ce qui n'empêche pas que je les ai payés au prix commercial.

En quittant cette usine, j'ai été pour me faire embaucher chez Renault ; c'est alors qu'après présentation de mon certificat, la direction m'a dit : ici on n'embauche pas les gens qui font la navette, d'ailleurs nous payons le même prix ; et de ce fait je n'ai pas été embauché. Je ne pensais pas qu'une société "nationalisée" aurait tant d'égards pour le trust Citroën-Michelin.


Archives Trotsky Archives IV° Internationale
Précédent Haut de la page Suite Sommaire