1946 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE de CLASSES Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 68 – 4ème année |
LA LUTTE DE CLASSES nº 68
25 septembre 1946
"Les dés sont jetés : maintenant la lutte est entre le gouvernement démocratique et le pouvoir personnel", s'alarmait Blum dans Le Populaire du 19 septembre. Et, pour conjurer le danger, l'homme dont Trotsky définissait le sens politique comme ayant "deux dimensions au lieu de trois" interrogeait avec "angoisse" : que feront les Radicaux, que fera le M.R.P. ?
Dans L'Humanité, les Duclos et les Hervé découvrent brusquement que le "libérateur" n'était qu'UN AUTRE PETAIN. Mais, en face de ce concurrent politique qui veut prendre leur place, bien que menacés eux-mêmes, leur sens politique, émoussé par les longues années de collaboration avec la bourgeoisie, se trouve réduit aux mêmes dimensions que celui de Blum. Ils ne savent eux aussi que regarder l'écume parlementaire qui recouvre la vie des masses travailleuses, et comptent eux aussi sur le M.R.P. et autres groupements semblables, pour les sauver de De Gaulle à l'aide des bulletins de vote.
Mais, ce que vaut l'entente avec le M.R.P. – sur le dos des masses travailleuses – pour s'opposer à De Gaulle et à ses bandes, on peut le voir clairement par les incidents M.R.P.-P.R.L., après les déclarations de Capitant menaçant de GUERRE CIVILE si la Constitution tripartite était adoptée.
Qu'a répondu Schumann ?
Il dénonce la guerre civile dont menace Capitant. Mais pourquoi ?
En donnant leur démission du Conseil de l'Union Gaulliste, les membres du M.R.P. ont réaffirmé leur accord fondamental avec De Gaulle. Mais, ont-ils ajouté, "la Constitution de Bayeux ne doit pas être une Constitution de combat qui risquerait de diviser la France en deux blocs".
Donc, tout en voulant, comme De Gaulle, barrer la route aux mouvements de la classe ouvrière, maintenir, et RENFORCER, avec le système capitaliste, la domination de l'église, de la bureaucratie, de tout le parasitisme et la pourriture engendrés par ce système, Schumann se sépare de lui quant aux moyens actuels. Il se vante d'avoir eu la seule tactique juste pour étouffer la classe ouvrière : la COLLABORATION avec les chefs embourgeoisés du P.C. et de la C.G.T.
Schumann craint qu'une prise de position, que la rupture immédiate avec les dirigeants politiques de la classe ouvrière, et la réalisation d'un bloc du M.R.P. avec l'Union gaulliste et les autres groupements partisans de la Constitution de Bayeux, pourrait, non seulement subir, sur le plan électoral, l'échec subi par le P.S.-P.C. au référendum du 5 mai ; mais, comme la lutte pour cette Constitution est inséparable d'actions de force contre les organisations ouvrières dans le style de la rue Châteaudun, l'expérience a montré qu'actuellement, malgré le sabotage des chefs ouvriers, la classe ouvrière est encore capable de riposter vigoureusement aux attaques de la réaction, comme elle l'a fait après l'attaque du siège du P.C.F.
Cette riposte ouvrière a montré que la situation n'était pas mûre pour les fascistes, qu'une attaque directe contre les organisations ouvrières pourrait amener un résultat "rigoureusement contraire à celui recherché". Schumann n'oublie pas l'expérience espagnole au cours de laquelle le coup d'Etat de Franco, le 19 juillet 1936, amena la riposte ouvrière victorieuse dans sa première phase et renversa la domination capitaliste en Catalogne.
Le M.R.P., lui, est réaliste, car il voit et il craint la classe ouvrière, même recouverte de l'écume de ses chefs parlementaires.
Mais les chefs ouvriers, dont la politique à deux dimensions leur fait voir la surface mais pas les profondeurs, ne veulent pas voir les masses travailleuses, les petites gens, les jeunes et les vieux, l'écrasante majorité de la population, étouffer sous le poids de la misère, – bas salaires, impôts toujours plus lourds, manque de ravitaillement, – de l'incertitude du lendemain provoquée par la bourgeoisie et son Etat, dont ils endossent la responsabilité en échange d'avantages personnels temporaires. Toutes ces couches exploitées peuvent-elles se résigner à la situation actuelle ? Voilà ce que De Gaulle SAIT IMPOSSIBLE. C'est pourquoi il veut offrir un CENTRE DE RALLIEMENT aux victimes politiquement les plus arriérées, aux petits bourgeois ruinés, aux gens que les événements, la guerre, la barbarie bourgeoise ont transformés en aventuriers et rejetés hors de la vie normale –- et ils sont légion. Il veut, sous prétexte de lutter contre l'étouffement actuel, les mobiliser contre la classe ouvrière.
La bourgeoisie est de moins en moins capable d'offrir une issue économique à ces gens-là. Au contraire, plus le temps passera, plus les gens désespérés et ruinés seront nombreux. Donc, une consécration du régime actuel par une majorité de "oui" au prochain référendum, à l'aide des partis "ouvriers", ne peut que les pousser encore plus sûrement vers De Gaulle, CONTRE LA CLASSE OUVRIERE.
Si la stratégie du M.R.P. sauve les intérêts ACTUELS de la bourgeoisie, la stratégie de De Gaulle lui réserve encore L'AVENIR.
En face de cette double manoeuvre de la bourgeoisie, quelle stratégie sauvera la classe ouvrière ?
Il faut offrir aux millions d'exploités et au nombre croissant de victimes du régime capitaliste, UN CENTRE DE RALLIEMENT OUVRIER, qui les sauvera REELLEMENT des maux dont ils souffrent.
Le P.C., le P.S. et la C.G.T., au lieu de servir de centre de ralliement des exploités contre ces maux, prétendent renforcer et perpétuer ceux-ci, parce que la collaboration du M.R.P. leur est indispensable pour sauver leurs portefeuilles et leurs privilèges.
Aussi, les travailleurs, qui pour vivre n'ont d'autre issue que la lutte, s'efforceront-ils de créer des organisations contrôlées directement par eux, des Comités de lutte (Comités de grève, Comités d'usines, Comités de quartiers). Seules, des organisations représentant véritablement les intérêts des travailleurs peuvent les mener victorieusement au combat pour un meilleur ravitaillement, un salaire minimum vital et la défense de LEUR LIBERTE (alors que le régime actuel sauvegarde avant tout la liberté du spé-culateur et du capitaliste).
Seule, cette lutte pratique dirigée par des organisations véritablement ouvrières réduira à néant la stratégie de la bourgeoisie contre les travailleurs. Cette stratégie OUVRIERE a un nom : CLASSE CONTRE CLASSE.
A peine les travailleurs ont-ils obtenu l'augmentation des 25% que déjà la valeur de cette augmentation a été engloutie par la hausse des prix. Le patronat qui, en lâchant cette augmentation a évité ainsi de se heurter au mouvement ouvrier menaçant, a aussitôt entrepris de reprendre d'une main ce qu'il avait lâché de l'autre : retards et chicanes dans le calcul de l'augmentation (22% au lieu de 25), incorporation de cette augmentation dans le boni au lieu du salaire de base, proposition de porter la semaine légale à 48 heures, et surtout majoration générale des prix, pour laquelle l'accord du gouvernement ne lui a pas manqué.
Les exhortations de la C.G.T. pour la "stabilisation des prix" ont piteusement fait faillite ; car ce qui sape cette stabilisation, c'est l'inflation et sur cette base la spéculation capitaliste, qui, de l'aveu même des journaux bourgeois, dominent toute la situation économique.
Un mécontentement général règne parmi les masses travailleuses.
Après la grève générale des postiers, et d'autres mouvements de grève et protestation isolés, nous avons maintenant le mouvement de grève des fonctionnaires. Ces mouvements partiels ont à faire face à l'hostilité de tout le monde officiel. A droite, les réactionnaires P.R.L., M.R.P. et autres, accusent les travailleurs de faire des grèves sous l'instigation d'"agitateurs communistes", et non pas pour défendre leurs salaires. A gauche, les Duclos, Frachon et leurs pareils affirment que les grèves sont "fomentées" par des réactionnaires, dans des buts mystérieux, inavoués. Ensuite, députés de droite et députés de gauche se retrouvent à la Chambre pour voter contre les fonctionnaires ; Duclos serre chaleureusement la main à Bidault, sous les applaudissements du P.R.L.
La trahison des "dirigeants" officiels qui parlent au nom de la classe ouvrière, décourage les travailleurs.
Engager la lutte dans ces conditions est difficile ; mais se résigner est encore plus difficile, puisque tous les jours l'inflation sape les salaires, prive les travailleurs du minimum vital pour vivre, risque de les condamner à la famine et à la déchéance, eux et leurs familles. C'est pourquoi, quelles que soient les difficultés, c'est la résistance contre les plans anti-ouvriers de la bourgeoisie qui est LE MOINDRE MAL.
Maint ouvrier fatigué ou découragé est amené à dire, devant cette situation : j'aime mieux me laisser crever que lutter. Mais c'est là précisément où la bourgeoisie voudrait en venir. Elle veut, en les appauvrissant, réduire la force morale des masses travailleuses au point où elles seraient livrées sans défense à toutes ses entreprises. Mais aujourd'hui l'ensemble de la classe ouvrière est loin d'en être là. Elle peut mesurer encore la profondeur de l'abîme où veut la pousser la bourgeoisie et elle utilisera toutes ses forces pour faire échouer les plans des affameurs capitalistes.
Le patronat a réussi jusqu'à présent à reprendre les résultats partiels que les travailleurs avaient arrachés à la suite des grèves ouvrières. Maintenant on voit se dessiner une résistance ouverte du gouvernement aux augmentations de salaire.
En face d'un tel bilan, il s'impose à tous les travailleurs que le seul moyen de prendre le dessus, c'est de déclencher un seul mouvement d'ensemble, une grève générale dont l'objectif doit être : UN SALAIRE MINIMUM VITAL GARANTI PAR L'ECHELLE MOBILE, ET LE CONTROLE OUVRIER SUR LES LIVRES DE COMPTE DES CAPITALISTES.
La situation créée actuellement aux masses travailleuses fait que les différences de catégories, ou d'une corporation à l'autre, ne peuvent plus compenser la baisse générale du niveau de vie. Avant d'être jeune ou vieux, travailleur spécialisé ou employé, technicien ou manoeuvre, nous sommes tous les victimes de l'offensive des privilégiés capitalistes contre les masses travailleuses.
Devant la nécessité de se défendre, la classe ouvrière transformera celle-ci en puissance, en faisant plier la bourgeoisie par un nouveau JUIN 1936.
Comment expliquer que la "paix démocratique", pour laquelle des millions d'hommes ont cru combattre sous le commandement "Allié", se solde aujourd'hui, un an après la défaite de l'Allemagne, en de gigantesques préparatifs pour un nouveau conflit ?
L'Humanité a trouvé cette "explication" : c'est parce que le grand "démocrate" Roosevelt n'est plus, c'est parce qu'à sa place les "cercles réactionnaires" se sont emparé de la direction des affaires, et que leur politique est anti-soviétique. Les écrits du fils de Roosevelt, le discours et la démission de Wallace ne le prouvent-ils pas ? "Souhaitons qu'aux élections prochaines de novembre le peuple américain rappelle au pouvoir les amis de Roosevelt, aujourd'hui écartés de la direction des affaires", conclut Cachin dans L'Humanité du 21-9.
Mais L'Humanité s'était déjà félicitée quand les dernières élections en Angleterre ont donné la victoire aux Travaillistes, hautement partisans de "l'entente avec l'U.R.S.S.". Elle ne nous explique pas pourquoi aujourd'hui ceux-ci mènent la même politique que Churchill, bien qu'il reste, certes, des Travaillistes, hors du gouvernement, pour "s'opposer" à une "politique de force".
Où est la preuve que Roosevelt ferait aujourd'hui une autre politique que Truman, ou que Wallace ne ferait pas demain, dans les mêmes circonstances, la politique de Truman ?
De même qu'à la veille des élections américaines de 1941, Willkie, "l'isolationniste", combattait avec acharnement en paroles la politique d'intervention de Roosevelt pour, aussitôt après l'éclatement de la guerre, devenir officiellement l'agent le plus convaincu de Roosevelt et de la politique de guerre de l'impérialisme américain, de même l'opposition d'aujourd'hui de Wallace ou du fils de Roosevelt se transformerait immédiatement en soutien complet de Truman et de la politique de "défense" de l'Amérique en guerre, si le conflit venait à éclater.
Car, quelles que soient les positions réciproques des politiciens bourgeois, destinées soit à duper le peuple, soit même basées sur des divergences réelles sur la tactique à suivre, la politique des classes dirigeantes américaines est une, parce qu'elle est commandée par la situation générale du capitalisme et la place qu'occupe le capitalisme américain dans cette situation.
Ce ne sont pas les intentions de Willkie ou de Roosevelt qui ont déterminé l'entrée en guerre de l'Amérique, mais la course des vieux pays capitalistes aux débouchés et monopoles économiques, la crise du capitalisme américain, la nécessité de résoudre par la guerre les contradictions qui rongent l'impérialisme. Ce sont les mêmes raisons qui portent aujourd'hui les classes dominantes d'Amérique et de tous les pays capitalistes, indépendamment des intentions de Truman ou de Wallace, à poursuivre une politique de guerre, et les discours "pacifiques" ne servent tout au plus qu'à camoufler aux yeux du peuple les buts des immenses préparatifs militaires, le maintien des troupes mobilisées, des occupations militaires, des budgets de guerre plus élevés que jamais.
Le fait que des marxistes comme Trotsky, bien avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, en aient exactement prévu et expliqué la nature, le fait que nous ayons pu expliquer les conséquences auxquelles aboutiraient les intérêts des classes dominantes, est une preuve que ce sont ces intérêts fondamentaux qui déterminent leurs actes, quels que soient les politiciens qui les représentent à un moment donné. C'est sur la nature des intérêts des "Alliés" et sur leurs actes que nous nous sommes basés aussi, en pleine période d'"entente entre Alliés", pour expliquer, dans l'article écrit en février 1945 et que nous reproduisons ici, le développement d'une situation dont les conséquences nous sont visibles aujourd'hui.
Les travailleurs qui se laisseraient endormir par la propagande sur les bons et les mauvais capitalistes, ne feraient donc que laisser creuser leur propre tombe. Contre le danger d'une nouvelle guerre, ils lutteront avec nous pour les solutions ouvrières d'une paix véritablement démocratique, et pour la révolution socialiste.
[Reproduction de l'article de La Lutte de Classes n° 44, 21 février 1945]
Les U.S.A. se trouvent placés "devant la crise la plus grave de leur histoire" (les journaux). Juste avant que l'actuelle série de conflits n'éclate, la revue trotskyste américaine Fourth International (IVème Internationale) écrivait (septembre 46) :
"La lutte gigantesque entre le capital et le travail, qui commença en Amérique avec la fin de la guerre, est entrée maintenant dans une nouvelle phase.
La première phase, comme il est rappelé dans les pages de Fourth International, s'ouvrit avec la tentative du gros capital pour ruiner les salaires, rabaisser de façon radicale le standard de vie des ouvriers et briser les syndicats. En dépit de la politique faible, dilatoire et hésitante menée par les leaders des organismes syndicaux dirigeants, les syndicats C.I.O. se montrèrent capables de répondre par une contre-attaque foudroyante. Par leur solidarité et leur fermeté extraordinaires, non seulement ils réussirent à repousser complètement l'offensive des ploutocrates, mais de plus ils firent une expérience décisive, s'ils ne remportèrent qu'une victoire partielle. Ainsi prit fin la première phase de la vague de grèves d'après-guerre aux U.S.A.
Les maîtres américains de l'argent furent alertés et épouvantés de la tournure imprévue des événements. Ils ne s'étaient pas rendus compte pleinement de la situation et n'avaient pas évalué avec suffisamment de soin le rapport de force entre capital et travail. Ayant raté leur objectif, ils se mirent sans plus réfléchir à persuader Truman et son entourage de banquiers, de politiciens et de bureaucrates, de la nécessité de mener, au nom même du gouvernement, une seconde offensive contre les travailleurs.
Pour cette seconde épreuve de force, ils choisirent les deux grands syndicats des cheminots, dirigés par des responsables de la "vieille ligne", archi-conservateurs. Syndicats qui, de plus, étaient isolés des onze autres organisations des ouvriers des chemins de fer, et en mauvais termes avec elles. Le plan d'action fut soigneusement arrêté, et exécuté avec la publicité d'une opération militaire... Mais les stratèges du capitalisme n'avaient pas seulement mal calculé ; il s'étaient trompés du tout au tout. Ils furent contraints à une retraite ignominieuse. Non pas parce que leur action provoqua une nouvelle riposte des travailleurs, mais parce qu'il se révélait alors de façon évidente qu'ils ne pouvaient pas mener leur plan à bien sans mettre gravement en danger l'équilibre politique existant. Ils reculèrent précipitamment quand ils virent qu'ils allaient déchaîner une lutte sanguinaire à l'échelle nationale entre les classes, lutte pour laquelle ils n'étaient absolument pas préparés.
Tout cela montre clairement que la classe capitaliste, bien loin d'être infaillible, commet des erreurs sérieuses. Sa supériorité décisive sur la classe ouvrière consiste en cela qu'elle possède une direction de classe consciente, dévouée corps et âme à sa domination. Aussi, est-elle capable de corriger ses erreurs tactiques et d'avoir recours aux expédients et accords nécessaires tout au long de la lutte. La direction syndicale, au contraire, est entre les mains de fonctionnaires à mentalité capitaliste qui n'ont pas le moindre programme ou but de classe, et qui, par suite, n'ont pas la possibilité ni la volonté de tirer des leçons de leurs erreurs. Voilà la raison principale pour laquelle la ploutocratie américaine peut se permettre de grossières bévues tactiques, comme elle en a commis lors des derniers combats, et de s'en sortir plus ou moins indemne avec sa domination de classe intacte. C'est un fait patent que la mentalité capitaliste de la direction du mouvement ouvrier américain constitue le rempart le plus important de la domination de classe des capitalistes.
La ploutocratie est maintenant en train de monter une nouvelle offensive, mais elle le fait de façon bien plus habile et plus hypocrite. Cette offensive est bien plus difficile à repousser. Au contraire des attaques précédentes, ce n'est pas un assaut de front, mais plutôt une attaque sur les flancs, soigneusement camouflée.
En premier lieu, la classe capitaliste a balayé les divers obstacles législatifs à l'inflation. Elle a installé dans les Conseils de la nouvelle O.P.A., chargée de "décontrôler" les prix, ses agents dévoués. Etant donné les conditions actuelles du marché, le pays est en face d'une gigantesque inflation. Au moyen de la montée en flèche des prix, le standard de vie des masses est sur le point d'être rabaissé aussi sûrement et aussi radicalement que si les salaires avaient été largement amputés.
En second lieu, la classe capitaliste a commencé avec prudence à entretenir et organiser des bandes fascistes extra-légales. Les capitalistes s'aperçurent, à leur chagrin, lors de la dernière vague gréviste, que les anciens combattants étaient désormais du côté des travailleurs, et qu'ils n'avaient aucun noyau à eux, capable de défaire les troupes ouvrières en bataille rangée. Ils essaient aujourd'hui de suppléer à cette déficience, mais agissent avec grande prudence. Jusqu'à maintenant les bandits fascistes n'ont fait aucune attaque directe contre les organisations syndicales existantes. Le Ku-Klux-Klan et les "Vigilantes" ont choisi les nègres pour première cible. Ils sont encouragés dans leurs menées meurtrières par l'attitude à la Jim Crow de beaucoup d'ouvriers blancs. Attitude qui, comme nous l'avons signalé, constitue le talon d'Achille de la classe ouvrière. Un autre incident bien significatif fut la tentative d'incendier le siège du Parti Socialiste Ouvrier à Detroit. Il est clair que les capitalistes, pour commencer, dirigent leurs attaques fascistes contre les sections les plus isolées du mouvement ouvrier : les nègres et les révolutionnaires. Ils espèrent passer plus tard à un assaut généralisé contre les organisations de masse des ouvriers...
La réaction invariable des leaders de l'A.F.L. et du C.I.O., quand ils se voient devant des problèmes difficiles ou des risques, est de se cacher la face, ou d'essayer de détourner le mécontentement des travailleurs vers des canaux paisibles... Se réunissant au milieu de la pire inflation depuis le début de la guerre, le Conseil exécutif du C.I.O. n'eut rien à dire concernant la lutte pour une nouvelle augmentation de salaires, afin de faire face à la montée vertigineuse du coût de la vie. Pleins de répugnance pour la lutte réelle, ils s'efforcent d'entraîner les ouvriers dans des "grèves d'acheteurs" futiles et utopiques. Les fonctionnaires dirigeants du C.I.O. ont ressuscité le slogan démagogique de Roosevelt,, "baisse des prix". Le dernier numéro du Economic Outlook du C.I.O. va jusqu'à faire sienne l'assertion infâme des capitalistes selon laquelle toute augmentation de salaires est responsable de la hausse des prix. En conséquence, les ouvriers doivent éviter, pour l'immédiat, la lutte par la grève et tendre leurs forces à contrôles les prix... au moyen de grèves d'acheteurs ! William Grenn, lançant un appel national à la radio, eut même l'impudence d'appeler les ouvriers à "combattre" l'inflation en "augmentant la production".
En rapport avec cet esprit conservateur et cette timidité dans le domaine économique, les leaders syndicaux n'ont adopté aucune mesure réelle et ne mènent aucune action pour combattre le danger fasciste, alors même que la vague actuelle de lynchages de noirs et de terreur du Ku-Klux-Klan menace de chasser les organisations du C.I.O. et de l'A.F.L. hors du Sud. Ils s'opposent à l'action politique réellement indépendante des ouvriers et sont hostiles à la constitution d'un parti ouvrier. Les fonctionnaires C.I.O. en tiennent pour leur politique banqueroutière de recherche et d'élection d'"hommes honnêtes" venus des deux partis capitalistes. Les dirigeants de l'A.F.L., quant à eux, sont trop gentils et complaisants pour risquer de se casser la tête sur ce problème. La terrible et tragique leçon de l'Allemagne n'existe pas pour eux.
Que la politique conservatrice et lâche de la bureaucratie syndicale n'ait pas soulevé une tempête de protestations indignées parmi les ouvriers est dû à ceci : le syndiqué de la base hésite aujourd'hui à s'embarquer dans des luttes grévistes plus grandes. Les travailleurs ont subi d'importantes pertes de gain lors des dernières grèves. Leurs économies de la guerre sont épuisées. C'est devenu courant que les grèves durent 4, 5 et 6 mois (I.J. Case et Allis Chalmers dans le Wisconsin, Phelp-Dodge à Elisabeth, N.J. Fischer body à Cleveland, dans l'Ohio, etc...). Les travailleurs se rendent compte que les grèves deviennent de plus en plus sauvages, d'implacables batailles de classe. Ils hésitent à redescendre dans la rue avant d'avoir un peu regagné de quoi tenir le coup et tant qu'ils peuvent penser que le résultat sera pire que les sacrifices.
La période qui s'ouvre immédiatement devant nous est celle de la préparation de la prochaine phase du combat. Une phase qui peut et doit atteindre un niveau plus élevé et plus général que la précédente, phase dans laquelle les buts atteints justifieront les grands sacrifices consentis et ainsi rempliront la classe ouvrière de la résolution inébranlable de combattre jusqu'à la victoire.
A l'avant-garde du front du travail, éduquant les militants syndicaux et élevant leur niveau politique, se trouvent les trotskystes. Ils concentrent leur travail éducatif sur des questions-clés :
1° Ouvrir à nouveau tous les accords conclus par les syndicats et demander d'y inclure l'échelle mobile des salaires. Inviter une Conférence nationale du Travail comprenant l'A.F.L., le C.I.O. et les "Railroad Brotherhoods" à adopter un programme d'action militante pour combattre l'élévation du coût de la vie, etc...
2° Pour une action militante contre la terreur des bandes fascistes. Procéder à la formation de milices de défense ouvrière et d'équipes volantes pour repousser et écraser les canailles aux gages du gros capital ;
3° Pour une action politique indépendante de la part de la classe ouvrière, grâce à la formation d'un parti ouvrier s'appuyant sur les syndicats...
L'accalmie présente dans la lutte de classes va être de courte durée. Les ouvriers se préparent pour le prochain round du combat. Comme l'étreinte des prix devient encore plus insupportable, la base donnera encore le signal de l'action. Secouant tous les empêchements bureaucratiques, les ouvriers dresseront leurs piquets de grève dans la bataille pour l'augmentation des salaires. Une fois les grèves commencées, elles peuvent facilement se développer jusqu'à un conflit national, plus ambitieux par ses buts et plus acharné que la dernière vague de grève..."
CHEZ RENAULT
Dans le secteur 9, s'est tenue l'Assemblée générale du Syndicat. Sur 1.000 à 1.200 ouvriers que comprend le secteur, il n'y avait qu'une quarantaine de présents. C'est dire que la plupart des ouvriers, dont une grande partie a refusé de prendre son timbre, ne font plus confiance à la C.G.T. et ceux qui continuent à payer, le font beaucoup plus par tradition et par crainte de rester complètement désorganisés que parce qu'ils approuvent les décisions des grands "chefs".
Tous les appels à la production, tous les grands discours sur la "victoire" des 25% (22,5% pour nous), toutes les campagnes de calomnie contre les ouvriers qui se mettent en grève n'ont plus aucune prise sur nous.
C'est pourquoi, au meeting du 20 septembre, malgré l'appel du secrétaire Plaisance dans la voiture à haut-parleur, le midi ; malgré le racolage des ouvriers au passage dans l'avenue E.Zola, sur les 25.000 ouvriers environ que comprend l'usine, on pouvait compter à peine 400 présents.
La mauvaise politique des dirigeants du Syndicat pousse la grande majorité d'entre nous à se désintéresser de leur organisation. Mais, néanmoins, ces messieurs sont satisfaits d'eux-mêmes. Ils organisent un "vin d'honneur" pour les 430 gestionnaires du Comité d'entreprise (concluant, on se demande pourquoi, en réclamant le charbon de la Ruhr) ; ils organisent un "vin d'honneur" pour les trésoriers et collecteurs, à qui revient le très grand mérite de faire rentrer les cotisations, malgré le mécontentement général des syndiqués.
Les ouvriers rejettent maintenant en masse leur direction traître. Mais il reste à accomplir la tâche la plus difficile : la construction DANS L'ACTION d'une nouvelle avant-garde.
CHEZ GNOME-&-RHONE
Essais professionnels
En cette période où la C.G.T. est aux prises avec des difficultés intérieures, les responsables syndicaux parlent beaucoup de démocratie. Mais, parallèlement à leurs déclarations, la pression s'exerce pour que l'atmosphère reste dans la crainte. Sur le numéro de juin-juillet du journal du Comité mixte (6° page), nous en avons un exemple. Il est déclaré en toutes lettres que, pour les essais professionnels, le recrutement ne se fera en aucun cas sous forme de concours. Les ouvriers ou employés désirant postuler à un emploi supérieur devront se faire inscrire au service du personnel où l'inscription est limitée à trois fois le nombre d'emplois vacants (alors, celui qui n'a pas de relation bien placée pour être prévenu est déjà éliminé) ; le tri a lieu ensuite par la Commission des essais, à la tête de pipe et suivant des réponses faites à un questionnaire préalable.
Encore quelques mois de ce régime et l'esprit de camaraderie règnera dans les services, car il n'y aura plus que des "camarades", bien dans la ligne, entre eux.
Un ouvrier prétend que la C.G.T. et les organisations ouvrières ne font pas tout ce qu'elles devraient, mais néanmoins nous font obtenir certains avantages.
– Nous n'en sommes plus à une période où nous pouvons nous contenter de quelques avantages. Le problème qui se pose est : communisme ou fascisme, il n'y a pas de milieu.
– Ça d'accord.
– Alors quels sont les avantages que la C.G.T. nous fait obtenir ?
– Tu as bien vu dans la V.O., les légumes, les textiles ont diminué, grâce à l'action de la C.G.T.
– Dans quelques cas isolés seulement, mais qu'est-ce que ça change à notre situation économique ? Depuis que la C.G.T. a engagé sa bataille pour la baisse des prix, est-ce que tu vis mieux ?
D'après les statistiques officielles (Le Monde, 12-9), de juillet en août, l'indice des prix alimentaires est passé de 479 à 709.
C'est ça la diminution des prix ?
Un ouvrier qui est d'accord que les organisations ouvrières nous ont trahi, me dit : "Mais à quoi ça servira de mettre d'autres dirigeants, quand ils seront au pouvoir, ils trahiront aussi."
– C'est possible. Pour les empêcher de trahir, il faudra les changer à nouveau tant que nous n'aurons pas écrasé la bourgeoisie. Car lorsque les dirigeants trahissent, c'est quand les ouvriers s'arrêtent de lutter. Quand ils reprennent la lutte, il leur faut une nouvelle direction. La lutte est la seule garantie contre la trahison des chefs.
Alors, s'il faut toujours lutter, ce n'est pas une vie.
– La vie est une lutte permanente. Si tu ne luttes pas pour tes intérêts, la bourgeoisie t'obligera à lutter pour les siens, et si tu n'as pas le courage de lutter pour ta classe ou de te suicider, il te faudra vivre en esclave dans des conditions toujours plus difficiles, "vivre" une vie de chien crevé.