1948

L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs – ORGANE DE LUTTE DE CLASSE
PRIX : 4 francs


Voix des Travailleurs nº 41

Barta

7 avril 1948


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LES COLOSSES AUX PIEDS D'ARGILE

La nouvelle guerre (celle que les dirigeants des Etats-Unis voulurent déclencher contre l'U.R.S.S. aussitôt après l'effondrement de l'Allemagne et du Japon en 1945, n.d.l.r.) fut évitée par ce que travailleurs de tous les pays ne s'y étaient pas résignés, écrivions-nous le 14 janvier. Cette affirmation pouvait paraître rien moins qu'une pitoyable illusion de révolutionnaires fâchés avec le réalisme. Surtout en présence de la propagande hystérique de la grande presse vendue, dont une partie vante les moyens illimités (comme la bombe atomique par exemple) que possèdent les capitalistes américains, et dont l'autre proclame "invincible" la force de l'armée russe, propagande qui attribue le maintien de la trêve soit aux "vertus" de Washington, soit à la "fermeté" de Moscou.

Mais voici un témoignage identique et qui en aucune façon ne peut être mis sur le compte de "l'exaltation" révolutionnaire. Son auteur, M. Walter Lippmann, est, en effet, le représentant, non pas de prolétaires sans science, mais de gens sachant parfaitement comment exploiter et opprimer la moitié de l'humanité et qui, par conséquent, ont du "réalisme" à en revendre. Lippmann est le porte-parole officieux de la diplomatie américaine, et la montée de la température internationale, le passage de la "guerre froide" à la "guerre tiède" provoquée par les incidents de Berlin et d'ailleurs - il ne manque plus que le sang pour qu'elle devienne chaude - l'oblige à tirer le signal d'alarme : "Il importe de ne pas laisser le conflit exploser en une croisade universelle contre le communisme, car ceci obligerait les dits Américains à envahir et à subjuguer la Russie et à entreprendre l'effroyable et sanglante besogne de MATER DES GUERRES CIVILES SUR TOUTE LA SURFACE DU GLOBE.

"Lippmann estime, par ailleurs, que "la quasi-invulnérabilité des Etats-Unis et leur puissance sont telles qu'elles leur donnent le droit de penser qu'ils tiennent bien dans leurs mains le droit de décider non seulement s'ils agiront, mais quand, où, comment, et à quelles fins ils le feront". Par conséquent, ce n'est pas l'armée russe elle-même qui l'effraie – avec des moyens relativement encore moins puissants Hitler n'est-il pas parvenu à quelques kilomètres de Moscou et de Léningrad, n'avait-il pas conquis la partie la plus riche de l'U.R.S.S. ? – mais les GUERRES CIVILES "sur toute la surface du globe" qu'une tuerie aussi gigantesque ne manquerait de susciter.

Le journaliste yankee ne laisse d'ailleurs aucun doute sur sa véritable pensée, car il précise : "Si les Etats-Unis s'empêtraient dans une telle obligation (celle d'une guerre totale et immédiate contre l'U.R.S.S., n.d.l.r.) l'Histoire dirait qu'ils auraient été les artisans de leur propre ruine, DE CETTE RUINE QU'AUCUN ENNEMI EXTERIEUR N'AURAIT ETE CAPABLE DE PROVOQUER." Or, quelle est cette ruine qu'aucun ennemi extérieur ne peut provoquer, sinon l'opposition et la révolte ouverte des ouvriers américains eux-mêmes contre une nouvelle tuerie pour des buts de brigandage ? Cette phrase, volontairement diplomatique, a en réalité tout son sens pour les capitalistes, qui savent que le pire qui puisse leur arriver dans une guerre extérieure c'est, en cas de défaite, d'être obligés de céder une grande part de leur butin et de leur profit au groupe capitaliste concurrent : ce à quoi fut, par exemple, contrainte la bourgeoisie française à la suite de la défaite de juin 1940 sous le nom de "collaboration", mais qui conserva et même renforça sa domination sur les ouvriers français, grâce au soutien policier de Hitler !

Autre chose, la révolte de "l'ennemi intérieur", le soulèvement de la classe ouvrière.

En 1917, les ouvriers russes, dans leur lutte pour en finir avec le carnage impérialiste, n'ont-ils pas renversé d'abord le tsar, ensuite les capitalistes russes eux-mêmes ?

Or, depuis la fin de la guerre, le mouvement ouvrier, prostré pendant la deuxième guerre mondiale par ses défaites successives entre 1923-1939, s'est à nouveau affirmé dans tous les pays, tandis que la lutte des peuples coloniaux d'Asie et d'Afrique pour leur émancipation a pris une extension et possède une force plus grande que jamais : tout ceci conseille la plus grande prudence aux soi-disant omnipotents de Washington. Voilà pourquoi aux dernières nouvelles, à Berlin, la situation est "à la détente" !

Un grand obstacle se dresse actuellement devant les fauteurs de guerre : c'est la crainte qu'ils ont de leurs propres ouvriers et d'une révolte généralisée des peuples opprimés.

Mais cette crainte seule ne suffira pas à empêcher indéfiniment un conflit guerrier pour la préparation duquel sont absorbés le plus clair de l'énergie, du travail, de la science et de la richesse des nations les plus "avancées". Tôt ou tard, il faudra bien que, des forces de guerre ou des forces de paix, les unes l'emportent définitivement sur les autres.

Si les travailleurs prennent entièrement conscience de ce fatal dilemme, s'ils réalisent exactement que, face aux soi-disant "géants", ils sont d'une force décisive, s'ils savent réaliser un front unique sans faille entre les ouvriers et les opprimés de tous les pays, alors, sans aucun doute, ce sont les forces de paix qui seront victorieuses ; sinon, ce seront la ruine et la barbarie qui règneront sans partage sur tout le globe.

Les travailleurs du monde entier ne seront des jouets sans défense soumis aux intérêts et aux caprices des militaristes de Washington et de Moscou que s'ils le veulent !

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


A BAS LE "SECRET COMMERCIAL" !

Aux travailleurs, contre lesquels le gouvernement, profitant de l'échec de la grève de novembre-décembre dernier, poursuit son offensive sous couleur de "stabilisation" et de "baisse des prix", la direction frachoniste de la C.G.T. veut prouver qu'elle existe, qu'elle agit et qu'elle possède les moyens d'en sortir.

Dans ce but, elle a convoqué, à Paris, une conférence des délégués aux comités d'entreprise, "élus sous l'égide de la C.G.T.". A ces troupes sélectionnées, prêtes à approuver d'avance n'importe quelle ligne, Benoît Frachon a indiqué les nouvelles tâches. Si, jusqu'à maintenant, les délégués des ouvriers aux comités d'entreprise devaient "collaborer loyalement" avec les patrons et surtout veiller à ce que les ouvriers produisent toujours davantage, dorénavant tout est changé : il faut que les délégués cégétistes aux comités d'entreprise dépistent les bénéfices des patrons et les dévoilent publiquement, surveillent leurs tractations et la "marche générale" de l'entreprise et défendent les travailleurs contre toutes les attaques patronales !

Comme on le voit, depuis les grèves de mai dernier, les dirigeants cégétistes ont entièrement tourné casaque. N'est-ce pas en complète opposition avec la direction frachoniste que les ouvriers révolutionnaires ont réclamé, pour défendre le niveau de vie des travailleurs, non seulement l'augmentation des salaires, mais aussi l'échelle mobile et le contrôle ouvrier sur les prix de chaque entreprise ? Car il n'y avait pas d'autres moyens d'empêcher les capitalistes de reprendre d'une main ce qu'ils avaient accordé de l'autre, de récupérer, et au delà, par la hausse des prix, une dérisoire augmentation de salaires.

La lutte ouvrière a obligé, à nouveau, les dirigeants cégétistes à se réclamer de la lutte de classe. Mais la majorité des travailleurs sait que ce n'est là que pure tactique. Les dirigeants frachonistes ne se posent nullement pour but d'en finir avec l'exploitation capitaliste, seul moyen de sauver définitivement le pouvoir d'achat des ouvriers, mais, plus prosaïquement, de ramener quelques chefs du P.C.F. dans les fauteuils ministériels. Et elle n'ignore pas que le retour au gouvernement du P.C.F. serait, pour la direction de la C.G.T., le retour à l'ancienne tactique : celle de la collaboration de classe pour le patronat et du "produire" (avec des salaires de misère) pour les ouvriers.

Cependant, les ouvriers ne manqueront pas, s'ils en ont la possibilité, d'utiliser l'obligation dans laquelle se trouvent les responsables cégétistes d'entrer en conflit ici et là avec le patronat. Nous disons bien : ici et là, car il ne faut pas oublier la distinction que font les frachonistes entre bons et mauvais patrons – autrement dit pro ou antiaméricains.

C'est pourquoi les ouvriers révolutionnaires devront veiller à ce que les délégués des ouvriers aux comités d'entreprise, et quelle que soit leur étiquette, dévoilent réellement le trafic des capitalistes en les obligeant à soulever entièrement le voile épais dont ils recouvrent leurs scandaleuses opérations sur le dos de tout le peuple, sous couleur de "secret commercial".


LE TRUST LE PLUS PUISSANT

Les 400.000 mineurs des houillères américaines n'ont tenu aucun compte de l'injonction de la Cour fédérale et ne se sont pas présentés au travail aujourd'hui, comme ils en avaient reçu l'ordre", communiquent les journaux du 6 avril. Depuis trois semaines déjà, la grève des mineurs américains paralyse les trusts charbonniers.

Les lois antigrèves qui avaient été soigneusement mises au point après la première vague gréviste de 1945-1946, les lois "d'arbitrage", les injonctions devant les cours de justice de responsables syndicaux, la fameuse loi Taft-Hartley elle-même, se sont avérées sans effet entre les mains du gouvernement pour intimider et faire capituler les ouvriers. Et ce n'est pas que l'emploi de la force répugne au gouvernement américain pour lequel le matraquage de grévistes, les gaz lacrymogènes, l'intervention de la police et même de l'armée sont choses habituelles. Mais quelle police au monde pourrait contraindre 400.000 mineurs à descendre dans les puits ?

Finalement, le gouvernement a déposé un nouveau projet de loi "tendant à rendre les grévistes passibles des peines prévues par la législation antitrust" qui interdit les coalitions d'intérêts.

Cette loi antitrust, qui n'est qu'un artifice de propagande contre les gigantesques monopoles capitalistes qui, à dessein, raréfient les produits, organisent la hausse des prix, font la loi sur les marchés, etc..., le gouvernement cherche à la brandir devant l'opinion publique contre la coalition des ouvriers, dont l'union ne vise à autre chose qu'à arracher aux propriétaires des mines des garanties de sécurité sociale, d'assurance vieillesse et maladie, etc...

Cependant, on croit, "en raison des intérêts considérables menacés par la prolongation de la grève, que les patrons chercheraient à s'entendre directement avec la toute-puissante United Mines Workers" (syndicat des mineurs). (Le Monde, 2 avril).

Patronat et gouvernement sont obligés de reculer devant le plus puissant des trusts, celui de la classe ouvrière.

Il y a un an, quand les ouvriers de chez Renault commençaient, fin avril, la grève qui devait tenir en échec patronat, gouvernement et bureaucrates syndicaux réunis, le comité de grève disait, dans un appel :

"On nous présente souvent la puissance des trusts comme un épouvantail qui doit toujours nous écraser. Mais la classe ouvrière, unie dans la défense de ses revendications, n'est-elle pas plus puissante qu'un trust ? Nous avons le monopole de la force de travail sans laquelle ces messieurs ne peuvent plus récolter des bénéfices."

C'est ce que reconnaissent dans la grève des mineurs américains les bourgeois eux-mêmes, devant l'affirmation de la solidarité et l'union ouvrières.


FAUSSES VICTOIRES

L'agitation qui s'est manifestée aux usines Renault ces derniers temps a fait couler beaucoup d'encre dans la presse de la C.G.T. et du P.C.F., et il ne se passe pas de jour que L'Humanité n'annonce une nouvelle "victoire". Après tant de victoires, les travailleurs de chez Renault devraient déjà être bien avancés. Or, il n'en est rien et la presse cégétiste est obligée de reprendre l'expression du "bagne Renault". Ce qu'on avait montré aux travailleurs comme un moyen merveilleux d'élever leur standard de vie, le travail au rendement, se retourne aujourd'hui avec toute sa force contre les ouvriers. La loi Croizat qui, en supprimant le plafond, devait permettre aux ouvriers de gagner largement leur vie, devait aussi les garantir contre la diminution des temps. En fait, la direction patronale a toujours fait intervenir les chronos et diminué les temps ; mais aujourd'hui, après l'échec de la grève de novembre, elle veut reprendre encore plus de liberté. Et elle peut le faire d'autant plus facilement que l'anarchie des chronométrages, entretenue à dessein, lui permet LEGALEMENT de diminuer les temps.

Une grande partie des temps n'a jamais été chronométrée et les ouvriers sont payés suivant la gamme établie par les bureaux d'études. Ceci permet à la direction de réduire ceux-ci, sous prétexte de chronométrer ceux qui ne l'ont pas été (bien que le travail se fasse ainsi depuis des années).

D'autres prétextes lui servent pour faire descendre les chronos, même quand les temps ont déjà été chronométrés, tel que la moindre modification apportée à la machine.

Pour finir, la majorité des temps chronométrés est mauvaise et les contremaîtres sont obligés d'accorder des "suppléments" (bons chamois) en attendant la révision des chronométrages.

Mais, s'il vient un nouveau, on essaie de lui faire faire le travail sans supplément...

Certains temps sont bons et permettent aux ouvriers de régler à 140%, 150% et même davantage, dans le seul but de créer une émulation parmi les ouvriers : "Vous voulez gagner plus, faites comme vos camarades qui règlent à 150% !" Et les ouvriers de se crever pour gagner comme les autres.

S'il y a de bons et de mauvais temps, cela dépend de la méthode de chronométrage appliquée, de facteurs tels que l'honnêteté ou la malhonnêteté du chronométreur, la conscience ou l'inconscience de l'ouvrier qui a pris le temps, les conditions de travail, la qualité de la machine, du métal, etc. Si le temps est bon (!), le contremaître en profitera toujours pour faire exécuter quelques travaux supplémentaires sans les payer (nettoyage de la machine, réparation des courroies, etc..., pour lesquels il refusera les bons "jaunes" conçus à cet effet). Si le temps est mauvais, il prouvera toujours à l'ouvrier qu'il est "dans la limite de ce qu'on peut demander à un homme".

Tracasseries, vols, humiliations, voilà ce que signifie le travail au rendement pour les ouvriers, sans parler de la division qu'il entretient entre eux, puisqu'il crée, pour une même catégorie, des écarts pouvant atteindre 20 francs de l'heure et même davantage.

La lutte qu'ont menée les ouvriers de plusieurs secteurs de notre usine, ces temps derniers, n'est en réalité qu'une lutte contre les effets néfastes du travail au rendement. Dans cette lutte, que la C.G.T. qualifie de "victoire", les travailleurs ont tout juste réussi, par leur action, à mettre un frein aux prétentions patronales. Car le fond du problème, la suppression du travail au rendement qui, seule, peut mettre un terme à la surexploitation patronale, n'a même pas été posée devant les ouvriers !

La C.G.T. revendique, au contraire, l'amélioration des coefficients. Or, il est bien certain que le patron n'améliorera pas le coefficient de la paye sans exiger en retour une amélioration du coefficient de la production, puisque le principe du travail au rendement subsiste et que la C.G.T., bien loin de le contester, le défend.

Dans ces conditions, le patron pourra toujours contester ce que nous avons gagné, puisque lui seul a un contrôle sur la production (soi-disant base de détermination du salaire) et qu'il est le seul à fixer les temps et à établir les chronométrages.

A bas le travail au rendement et, comme premier pas dans cette voie, suppression totale des chronométrages !

Pierre BOIS


CHEZ RENAULT


L'unité d'action au département 49

Sur les revendications les plus minimes, tant qu'elles restent au stade des discussions, la direction fait la sourde oreille.

Dans trois ateliers donnant sur l'avenue Emile-Zola, les ouvriers sont obligés de travailler tout le jour à la lumière électrique. Depuis deux ans, la C.G.T. a réclamé que des fenêtres soient percées et que, là où existent des vasistas, les carreaux soient nettoyés. Elle n'a obtenu aucun résultat.

La semaine dernière, deux camarades du S.D.R. et un camarade cégétiste ont pris l'initiative de soumettre le cas aux ouvriers en faisant circuler une pétition. Devant cette initiative partie de la base, l'unité des ouvriers s'est faite. Tous ont signé la pétition, même certains qui déclaraient ne pas vouloir la signer au cas où elle émanerait de la C.G.T.

Devant une pétition, présentée et appuyée par l'ensemble des ouvriers, le chef de département a dû promettre d'intervenir immédiatement pour que soient percées des fenêtres.

En agissant ensemble, comme des ouvriers conscients doivent le faire, les camarades de la C.G.T. et ceux du S.D.R. ont montré que l'unité des ouvriers peut se faire, quelle que soit l'appartenance syndicale, politique ou autre. Et c'est là le seul moyen de faire aboutir leur action.


En bonne compagnie !

Dans son bulletin "Renault", secteur Collas (mars 1948), la C.G.T. demande que soit reconnu aux ouvriers le droit de travailler le samedi. Pour faire passer pour un avantage ce qui n'est qu'une triste nécessité à laquelle sont réduits les ouvriers, qui ne peuvent pas, avec les salaires actuels, se contenter de travailler quarante ou même quarante-huit heures, la C.G.T. écrit :

"Faut-il, pour avoir le droit de venir le samedi travailler, faire des courbettes au contremaître, ou encore avoir sa carte du S.D.R. (sic) ?"

La C.G.T. ne savait sans doute pas, en quelle bonne compagnie elle se trouvait en écrivant ces lignes.

En effet, dans son bulletin de Simca-Nanterre (Libre Hirondelle (sic), mars 1948), le R.P.F., lui aussi, pour revendiquer le droit pour les ouvriers de faire des heures supplémentaires, "se plaint de ce que... les "petits camarades" (cégétistes) soient les bénéficiaires des heures supplémentaires et en cumulent jusqu'à trois par jour.

Avec des "arguments" du même cru, C.G.T. et R.P.F. propagent l'idéologie patronale, en revendiquant pour les ouvriers non pas le droit aux 5 x 8, le droit au repos, le droit à la vie, mais le "droit" à l'exploitation et au surtravail.


POINT N'EST BESOIN DE BENEDICTION

Voilà trois semaines, La Voix des Travailleurs publiait un écho sur les chauffeurs de four réverbère du département 47. Elle soulignait leur lassitude quotidienne aggravée par le port de lourds sabots gênant leur va-et-vient incessant, et elle les invitait à revendiquer les chaussons et guêtres auxquels ils ont droit, mais que la mauvaise volonté du délégué cégétiste les avait empêchés d'obtenir jusqu'alors.

Un chauffeur montra l'écho à ses deux camarades appartenant, l'un à F.O., l'autre à la C.G.T. Ces deux derniers, affirmant leur accord avec La Voix sur la légitimité d'une telle revendication, il leur proposa de se joindre à lui pour la faire reconnaître. Mais le chauffeur membre de la C.G.T. se récusa derrière cette sentence sans appel : "La C.G.T. n'a pas donné l'ordre !" Quant au membre de F.O., après avoir consulté le représentant de son organisation, il revint, disant "que les ouvriers ne devaient pas entrer en lutte pour des revendications aussi minimes".

Mais alors, d'après les représentants de F.O., dans quel cas les ouvriers doivent-ils donc se faire un devoir de revendiquer ? Car enfin, si, lorsqu'il s'agit de réclamations minimes, elles leurs paraissent trop insignifiantes pour être retenues, lorsqu'elles présentent un caractère plus sérieux, elles sont, à leur gré, trop considérables et audacieuses. Et ils ne peuvent en supporter le poids sur leurs épaules rampantes de valets du patron.

Quant à la C.G.T., qui affuble si aisément ses adversaires de l'épithète de "scissionnistes", que fait-elle d'autre que diviser les ouvriers par une telle consigne ?

Chaque fois que les ouvriers à la base ont exprimé des revendications communes, les syndiqués de la C.G.T., même lorsqu'ils approuvaient de telles réclamations, ont été arrêtés sur le chemin de la lutte pour "obéir" à ses ordres. Mais, quand elle a donné l'ordre de grève, comme en novembre, sans même s'inquiéter de leur opinion et sans leur faire part de ses buts, ils ont suivi cet ordre ! Ainsi, les revendications des ouvriers ont-elles besoin d'être "bénies" par la C.G.T. pour paraître justifiées à leurs yeux ? Et pourtant, qui, mieux que les ouvriers eux-mêmes, connaissent leurs besoins ?

Chaque jour, les ouvriers, dans leurs revendications, se retrouvent du même côté, comme les chauffeurs de four réverbère se sont trouvés d'accord sur la justesse de leurs réclamations.

Mais, c'est à condition d'imposer l'unité dans la lutte par-dessus la tête de ses organisations pourries, que la classe ouvrière vaincra.


L'UNION PAR LA TERREUR

En Algérie, les élections à l'Assemblée générale ont à nouveau illustré les hauts faits du colonialisme.

Après avoir arrêté, plusieurs semaines à l'avance, tous les candidats de l'opposition ou presque (les nationalistes notamment), les autorités françaises ont procédé, la veille et le jour des élections, à des démonstrations de force : défilés de chars, survols de bombardiers, etc. ; les bureaux de vote étaient cernés par la troupe et la plupart ont été fermés bien avant l'heure ; dans certaines localités, les indigènes ont dû voter à bulletin ouvert, dans d'autres ils n'ont même pas été admis (les urnes étaient déjà remplies d'avance).

Le déploiement de force et la terreur n'ont pas seulement entraîné 60 p.cent d'abstentions, mais aussi de nombreux incidents sanglants : dimanche soir, la ville d'Aumale (près d'Alger), seule, comptait sept morts et de nombreux blessés. Et que les indigènes ne s'avisent pas de contester les résultats de ces élections "démocratiques" !


A plusieurs reprises, nous avons signalé les grèves de la faim et les protestations des travailleurs indochinois en France contre la répression gouvernementale à laquelle ils sont continuellement en but.

Pour en finir avec la résistance des travailleurs indochinois, le gouvernement français a décidé récemment de dissoudre les légions (deux le sont déjà) et les compagnies. Les camps de travail vont être supprimés et les travailleurs dispersés dans les camps de concentration construits, comme le camp de Noé, près de Toulouse, à l'usage soi-disant des "collaborateurs", ou dans des forteresses, comme à Metz, où ils seront isolés du monde.

Voilà comment le gouvernement français, promoteur en paroles de la "collaboration étroite et intelligente entre les peuples de l'Union Française", traite les travailleurs indochinois, dont le seul crime est d'avoir été amenés de force dans la "mère-patrie", voici plus de huit ans, pour combattre dans l'armée française.


LA POLITIQUE

Nous avons pensé que nos lecteurs seraient intéressés par l'article ci-dessous que nous reproduisons du Bulletin de la Chambre syndicale typographique parisienne" (mars 1948) :

J'ai choisi ce titre volontairement, après mûres réflexions. Je sais, par expérience, qu'il déplaira à beaucoup, surtout dans les milieux où l'on se flatte d'apolitisme. Je me suis toujours demandé ce qu'était très exactement l'apolitisme. Je dois avouer n'avoir jamais résolu le problème dans ma conscience et, chaque fois que l'occasion m'en fut donnée j'ai interrogé les spécimens qui s'en réclamaient.

La politique, dit le dictionnaire, c'est "l'art de gouverner". Il ajoute même "la vraie politique est honnête".

Si nous acceptons la définition, il est difficile de lui en substituer une autre, nous conviendrons que l'art de gouverner c'est de légiférer, administrer, trancher, à l'échelle d'un gouvernement, d'un Etat, d'une société à l'échelle nationale ou, du moins, à une échelle sociale.

La vraie politique est honnête... Cette affirmation, toute gratuite, placée aussitôt après la définition, m'a fait sourire. Les linguistes du Dictionnaire ne sont certainement pas apolitiques. C'est un autre mot qui qualifie cette affirmation : Jésuites !

Gouverner c'est trancher, administrer, légiférer à l'échelle d'une société, et pour que la vraie politique soit honnête il faudrait admettre le pouvoir de gouverner, légiférer, administrer, trancher, dans une société composée d'intérêts identiques et dans une voie vers laquelle toute la société évolue et se dirige.

Au contraire, la société est composée de classes dont les intérêts divergent, se superposent, se combattent par leur nature même et, de cette contradiction toujours très violente sont nées les doctrines qui prétendent toutes à les réduire au nom de la théorie du Beau, du Bien et du Juste.

Le malheur est que la définition du Beau, du Bien et du Juste diffère selon les classes sociales, les hommes, les doctrines.

Les doctrines ont cet avantage d'avoir défini une conception qui leur est propre, du Beau, du Bien, du Juste. Ceux qui se réclament de la doctrine luttent en serrant au plus près possible la définition donnée.

Donc, ces classes, ces hommes, dont les intérêts divergent ne peuvent prétendre accéder à l'art de gouverner sans être des politiciens.

Prétendre faire prévaloir les théories du syndicalisme pur et ses buts qui sont la suppression de l'exploitation de l'homme par l'homme, du salariat et du patronat et de réaliser l'organisation par la réforme révolutionnaire de la société capitaliste en société collectiviste par la remise de tous les moyens de production et d'échange aux organismes syndicaux de la classe ouvrière, c'est légiférer, administrer, trancher, en un mot pratiquer l'art de gouverner, être des politiciens.

Les buts du syndicalisme étant essentiellement politiques, nous ne pouvons admettre qu'il en soit autrement pour ses voies.

Le syndicalisme, tout comme les partis politiques a ses échelles, une base, un sommet. Les sections, fédérations, unions et confédérations forment les échelles de la construction syndicaliste.

Ce qui empêche le syndicalisme d'être un tout homogène, c'est l'esprit apolitique, c'est cette émasculation que beaucoup de faux syndicalistes vont chercher dans la Charte d'Amiens... par exemple.

La construction syndicaliste n'est elle-même qu'une forme adaptée à la société capitaliste, et cela est tellement vrai que ladite construction est exactement la même chez les ouvriers, les patrons, les commerçants, les paysans, les consommateurs, les propriétaires, les locataires, etc... Les politiciens qui sont les représentants des syndicats servent les intérêts pour lesquels ils sont mandatés dans toutes les assemblées légiférantes, donc politiques, du monde entier.

Cette construction syndicaliste peut avoir des noms différents : trusts, consortiums, holdings, cartels, etc..., pour sortir des appellations courantes du syndicalisme ouvriers, C.G.T., C.G.T.U., etc...

Ce qui diffère, c'est la substance, la doctrine, la politique.


Camarade ouvrier, tu luttes chaque jour pour ton salaire. Parfois même, ta lutte emploie des moyens violents : la grève.

La grève, c'est pour toi comme la guerre sur le plan social.

De même que, pour les sociétés, la guerre est le moyen violent de domination des intérêts d'une classe ou d'une nation d'intérêts qui visent à l'étranglement de la concurrence et à la conquête des matières premières en vue de la domination économique et de l'extension et de l'assurance du profit. De même, la grève est sur le même plan, après l'épuisement des réserves, le tarissement du profit.

C'est la lutte inégale entre l'affameur et l'affamé, entre le prolétaire et le profiteur.

Chaque fois que tu triomphes par la grève, le lendemain ou à proche échéance, le profit inscrit ta victoire dans son livre du prix de revient ; il te reprend ainsi l'avantage consenti, faisant de toi l'éternel vaincu qui ne légifère, ni n'administre, ni ne tranche.

La grève... c'est, vois-tu, au fond, pas grand'chose de sérieux puisqu'elle ne te sert qu'à ajuster très passagèrement ton salaire aux besoins de la vie. C'est une lutte nécessaire et j'en conviens.

Tu ajustes ta condition prolétarienne. Exploité tu étais, exploité tu restes. La grève, malgré les apparences, ne t'a donné nulle victoire, tout juste un instant de répit puisque tu restes prolétaire.


L'imprimerie, en général, et la presse en particulier, ce sont les armes lourdes des politiciens.

Dans ta main, les lettres que tu manies et assembles sont les possibilités et les moyens de ton émancipation. C'est aussi, dans les mains de la société capitaliste, le moyen de ton servage. Comme le plat de langues d'Esope, c'est la meilleure et la pire des choses.

Les politiciens s'en servent. Les apolitiques servent... ce n'est pas la même chose.

La grève générale expropriatrice dont les révolutionnaires du syndicalisme t'ont parlé, c'est, évidemment, le moyen de réaliser ton désir d'émancipation. Ce qui manque et fait hésiter les meilleurs ce sont les possibilités politiques, c'est-à-dire les aptitudes à légiférer, administrer, trancher, en un mot : gouverner.

Le jour où les prolétaires auront compris que la politique est dans leur capacité et que c'est le seul moyen de leur émancipation, la route sera ouverte et la voie libre. Ils auront bâti le parti prolétaire.


Le salaire a jusqu'ici la forme immuable que nous lui connaissons. Il représente une somme de travail calculée sur un produit quelconque et sert à rémunérer le contrat de louage du travailleur. Il est exclu du profit et ne donne pas droit à la propriété des moyens de production.

L'entretien du moyen de production prolétaire se fait donc uniquement par le salariat.

Il n'existe aucun moyen apolitique pour faire évoluer la forme du salaire et lui faire perdre sa dénomination.

C'est sur cette vérité évidente que je vais conclure : la politique est le pain de l'esprit dans la lutte que mènent les travailleurs. Tout le reste est du mensonge.

Henri Thomas


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