1997

Texte de Louise en réaction à la publication d'une brochure "Contribution à l'Histoire de l'Union Communiste".



Louise Barta

mai 1997


Responsable du Centro Studi Pietro Tresso, Paolo Casciola vient de publier la "Contribution à l'Histoire de l'Union Communiste" de Jacques Ramboz. Dans les trois tomes des publications de l'U.C. édités par La Brèche, les introductions signées Richard Moyon présentent de leur côté un historique de l'activité de l'U.C. De la même façon que j'ai rédigé quelques lignes en avant-propos à ces textes, je me crois un devoir de m'exprimer à propos de la "Contribution" de Jacques Ramboz. Ayant été avec Barta à l'origine de l'U.C. et milité jusqu'à la fin sans éclipse, je ne me reconnais nullement dans l'interprétation donnée à nos actes et intentions dans ces pages.

Le texte de Ramboz n'est pas une étude politique, mais se veut un apport à la connaissance historique ; il s'appuie sur de nombreux extraits de textes de l'U.C., cependant largement accompagnés (contrairement à ce qu'il prétend dans son introduction) de commentaires qui en faussent le sens.

Dès le début l'auteur nous attribue une "sous-estimation de la destructuration idéologique et morale réalisée par le stalinisme dans les milieux communistes", notre erreur étant due au fait que : "à l'automne 1940 nous vivions à l'heure de novembre 1917". N'est-ce pas un "commentaire"?
Dans le "Rapport d'organisation" de 1943, auquel Ramboz se réfère, Barta écrivait : "le P.C. avait des militants ouvriers communistes... c'est cette orientation qui a permis notre existence en tant que groupe autonome". Nous n'avions pourtant pas connaissance à l'époque de l'entretien de Trotsky, en juin 40, avec un camarade américain : "en France les staliniens manifestent du courage contre le gouvernement. C'est Octobre qui les inspire encore. C'est une sélection d'éléments révolutionnaires abusés par Moscou, mais honnêtes". (Œuvres complètes, t.24 p. 166). Quasiment tous nos militants étaient issus de familles ouvrières communistes, certains avaient été aux JC, à Goussainville, à Antony, à Calais, ou ailleurs.

En juin 41 les armées allemandes envahissent l'URSS et notre groupe diffuse un tract "Vive l'Armée rouge des ouvriers et des paysans". Ramboz écrit ce commentaire : "cette proclamation s'explique si elle ne se justifie pas". Pourquoi, selon lui, ne se justifiait-elle pas ? Il attribue à Barta "un attachement qu'il faut bien appeler dogmatique aux thèses défendues par Trotsky dans les années 30". C'est une ritournelle bien connue. J'ai milité avec Barta de 1936 à 1950, je n'ai jamais perçu chez lui une "pensée dogmatique". Quand en 1947 Barta a pensé que la création d'un syndicat chez Renault (SDR) était nécessaire dans le combat contre le stalinisme, d'autres l'ont accusé d'aventurisme. Mais la propagande et l'action de l'U.C. n'étaient ni dogmatiques ni aventuristes.

Nouveau commentaire : "il semble que le Groupe communiste ait surestimé l'écho que cette dissolution (du Komintern) pourrait éveiller parmi les militants du PCF à qui il lance un appel". Que signifie "surestimer" ? Avions-nous tort de dire que "la 4ème Internationale ne fait que continuer les véritables traditions de la 3ème Internationale du vivant de Lénine" ? Et rappeler aux militants que l'idée communiste n'était pas morte ?

"Albert parlait ainsi sans hésiter au nom de la classe ouvrière, lui attribuant une conscience de classe politique qu'elle était loin d'avoir". Ce commentaire péremptoire accompagne un extrait de l'article de la Lutte de Classes (février 1944) qui prend la défense des "terroristes" assassinés du groupe Manouchian, stigmatise la lutte sous le drapeau tricolore, appelle, au nom de la 4ème Internationale, les meilleurs militants de la classe ouvrière à serrer leurs rangs autour du drapeau rouge communiste. Et on se demande si c'est vraiment un communiste qui s'exprime, quand Ramboz ajoute : "la tradition bolchevique, dont Albert entendait être un exemple vivant, portait naturellement l'avant-garde non seulement à parler au nom de la classe ouvrière, mais à lui assigner ses volontés et ses buts, éventuellement à se substituer à elle". Barta avait derrière lui une pléiade de prédécesseurs prestigieux, Lénine, Trotsky, ou Rosa Luxembourg, qui eux aussi voulaient assigner soi-disant à la classe ouvrière ses volontés et ses buts, ou plutôt voulaient apporter à la classe ouvrière une pensée et une idéologie de classe.

A propos de la brochure "Socialisme et Barbarie" éditée en février 1944, Ramboz écrit : "le but assigné à la brochure explique sans doute que, à notre connaissance, elle ne fut pas discutée dans l'organisation, ni par la suite par ses militants". Il est heureux que dans son commentaire Ramboz précise "à ma connaissance". Quand on connaît mal, mieux vaut se taire, car la brochure était non seulement lue mais étudiée. "Toujours convaincue que la classe ouvrière aspire à renverser la bourgeoisie, 'patriote' ou 'collaboratrice', elle (l'organisation) lance des consignes, bien que pratiquement elle n'ait aucune prise sur le déroulement des événements". Quelles étaient ces "consignes" ? Le regroupement des éléments communistes internationalistes, pour la lutte contre la politique nationaliste et bourgeoise au sein de la classe ouvrière. Faut-il pour cela avoir "prise sur le déroulement des événements" ?

Quant à la "concentration de la réflexion et du pouvoir entre les mains d'un seul", comment Ramboz peut-il se permettre d'insinuer que nos camarades ne réfléchissaient pas, étaient en quelque sorte manipulés ? Ramboz ajoute cependant que notre camarade Pamp "assurait pratiquement la direction du groupe avec Albert". A la "libération" de Paris, Pamp (Bucholz) est tombé victime du stalinisme, assassiné, à 21 ans, par les FTP. Ramboz ne parle pas des deux frères Pierre et Jean Bois, arrêtés dans des conditions analogues, qui ont échappé de justesse au même sort. S'il y avait effectivement un écart entre l'expérience et les capacités politiques de Barta et celles de nos tout jeunes camarades, on peut en dire autant de l'écart entre un élève de CM2 et un autre de Terminale, ou de l'écart qu'il y avait entre Pierre Naville et le jeune militant Barta au POI. Cela n'a rien à voir avec "la concentration de la réflexion et du pouvoir (!) entre les mains d'un seul". Ramboz récidive en affirmant que "Albert entend définir la politique que les militants ouvriers de l'U.C. appliquent sur le terrain". Il se trouve que nos camarades, quand ils affrontaient les bonzes syndicaux, ou M. Lefaucheux, n'avaient pas de téléphone portable pour interroger Barta ; leur culture et leur conscience leur suffisaient. Et personne ne pensait que le syndicat était "un levier plongé dans une classe ouvrière aspirant spontanément à renverser le capitalisme", pensée que nous attribue Ramboz. Selon lui le travail syndical donnait indépendamment de la volonté des militants "une orientation économique à leur action avec l'illusion de s'intégrer à la classe ouvrière".

Ainsi nous militions et vivions avec des illusions, et ainsi se trouve occulté tout l'acquis de ce travail sur toute une période. Oubliée, dans ce texte, notre propagande pour l'élection libre et démocratique des délégués d'atelier, contre le monopole syndical institué par la loi Croizat en 1945. Oubliée l'intervention de nos militants, spécifique et personnelle, dans chaque atelier et département où ils travaillaient. On retient "l'enlisement de la grève Renault et la création du SDR qui en résulte". Le terme enlisement est-il un malheureux lapsus ? Alors que la création du SDR était au contraire le résultat de notre succès. Quand les bonzes de la CGT refusent de reconnaître la nouvelle CE au département Collas, ce sont les ouvriers, non pas éclairés par le saint esprit, mais sur la proposition de leur dirigeant Bois, qui décident de créer leur syndicat.

Dans le chapitre "L'activité ouvrière" il faut réparer un oubli : le 1er mai 1946, notre camarade Rival qui travaillait à la Thomson et publiait le bulletin "La Thomson Syndicale", portait seul dans le cortège de la manifestation, protégé par quelques camarades de l'usine, une pancarte avec la revendication "Echelle mobile des salaires", mot-d'ordre interdit et banni par la CGT, en pleine hystérie stalinienne.
Pendant cette même période quelque cent mille tracts ont été diffusés dans les diverses usines où nous avions des contacts ou des militants (Thomson, Citroën, Hispano, LMT). Le regroupement de nos militants dans la forteresse ouvrière Renault s'est fait pour des raisons tactiques. Des années plus tard Barta s'exprimait ainsi dans une lettre à un jeune camarade : "Qu'étions-nous face à l'appareil stalinien chez Renault en mars-avril 47 ? Une poignée. Mais nous avons misé, prévu et préparé activement la révolte des travailleurs contre l'union sacrée pour la production. Bois joue le rôle principal dans l'usine, mais c'est l'U.C. dans son ensemble qui seule rend possible cette action". Que cette grève commune à tous les ouvriers, contre le patronat et par-dessus la tête de la direction syndicale, n'ait pas tenu les promesses que nous espérions n'a rien à voir avec de quelconques "illusions".
Trotsky avait mis de grands espoirs dans les grèves avec occupation de juin 36, et certains n'ont pas manqué de lui reprocher d'avoir écrit "La révolution française a commencé". Les marxistes ne sont pas sans savoir que "la mentalité humaine est l'élément le plus conservateur de la société" et qu'"avec une politique juste on peut aussi être victime d'un rapport de forces défavorable".

De quel droit Ramboz se permet-il d'affirmer: "quant aux militants, leur activité concrète s'exerçait à l'échelle locale et ne leur laissait guère le temps et les moyens d'acquérir 'la largeur de vues à l'échelle nationale et internationale' qu'Albert exigeait d'eux". Notre groupe avait depuis toujours, dans la meilleure tradition, attaché une importance capitale à la culture. Si dans une certaine période les circonstances nous ont amenés à militer "24 heures sur 24", ce n'était pas un choix artificiel, pour jouer aux petits soldats, mais parce que le combat nous l'imposait. Aucun d'entre nous n'avait été éduqué dans la discipline des têtes carrées, et Ramboz ne se souvient sans doute pas que "même" les militants travaillant en usine (Bois, Gelé, et d'autres) avaient leur carte à la Bibliothèque Nationale.

Les contradictions ne manquent pas dans le texte de Ramboz. Alors qu'il nous accuse d'assigner à la classe ouvrière un rôle messianique, on lit par ailleurs que nos militants "ont enfin rendu manifeste la permanence, chez les ouvriers, dune aspiration profonde à une société libérée du capitalisme".
Suivant une citation reproduite du bulletin de l'Opposition syndicale Lutte de Classe de janvier 46, "il faut informer les ouvriers, réfléchir avec eux... trouver avec eux la solution". Que devient alors la prétendue substitution de l'avant-garde à la classe ouvrière ? Pour les militants de l'U.C. rappelle Ramboz, "il ne s'agissait pas de s'autoproclamer Comité de lutte (préconisé par le PCI chez Renault), mais d'aider les ouvriers à constituer leur propre comité et par la suite se soumettre à leur décision collective." Comment concilier ceci avec l'autoritarisme, le dogmatisme, la rigidité, la soumission, l'autocratie, le messianisme et autre bolchevisme dont Ramboz nous gratifie à longueur de pages ?

Au chapitre "Remarques", l'auteur exprime en toute liberté sa philosophie. Je prends moi aussi la liberté de "remarquer" (en recommandant en même temps la lecture des textes de l'U.C.) à quel point sont loin de toute réalité des affirmations comme : "la division s'instaure entre ceux qui 'savent' et les autres, entre ceux qui décident et ceux qui doivent exécuter", ou "la mythique classe ouvrière à laquelle les révolutionnaires assignent une mission historique", ou encore "la rigidité doctrinale de l'U.C. frappe sa stratégie de stérilité", et "l'invocation à la 'fraternité', à la 'confiance entre révolutionnaires' ne faisait que masquer le caractère essentiel : la soumission". Moi qui étais une insurgée (comme mes camarades), me voilà une soumise ! Et bien d'autres poncifs "critiques" : "Trotsky a contribué malgré lui à la mise en place d'un pouvoir oppresseur qu'il a combattu jusqu'à la mort". Quelle généreuse concession Ramboz fait à Trotsky, en lui accordant le "malgré lui" ! "L'U.C, luttait pour la démocratie à l'extérieur, mais l'autocratie s'établissait à l'intérieur", affirme Ramboz qui revient encore et toujours sur la tendance de Barta à "remplacer l'analyse des événements de façon à agir dans et sur eux par une interprétation scolastique". N'en jetez plus, pitié pour les illuminés que nous étions, et que vous découvrez dans votre clairvoyance anti-bolchevique cinquante ans plus tard.

J'engage les militants et tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'U.C. de lire les Introductions et les textes de l'U.C. publiés par La Brèche, ainsi que la brochure consacrée à Barta publiée dans le n° 49 des Cahiers Léon Trotsky. Je finirai sur ces quelques lignes extraites d'une lettre de Barta, adressée à un jeune camarade en 1976 :
"Il faut reconstruire le passé à partir des problèmes, de la situation, des buts et des espoirs (aussi) des protagonistes au moment historique où ils agissaient. ... En histoire les facteurs qui interviennent sont non seulement d'une infinie complexité (intérêts, idéologie, états d'âme, impostures, etc.) mais chaque facteur peut jouer un rôle décisif ou insignifiant selon l'ensemble des circonstances. Et on ne peut pas les disséquer ; il faut les reconstituer dynamiquement, c'est-à-dire en mouvement".

On peut encore moins s'atteler à cette tâche avec des schémas moralistes préconçus, anti­bolcheviques ou autres.

Louise (Irène)

mai 1997


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