1918

« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

III. Partage général ou production communiste coopérative?

Nous savons déjà que la racine des maux de la guerre criminelle, de l'oppression de la classe ouvrière et de toute la barbarie du capitalisme, gît dans le fait que quelques bandes capitalistes organisées par l’État, possédant toutes les richesses de la terre, oppriment le monde. Le droit de propriété de la classe capitaliste sur les moyens de production est la cause première expliquant la barbarie de l’ordre étatiste contemporain. Arracher cette puissance aux Riches en leur prenant de force leurs richesses, c’est le premier devoir de la classe ouvrière et du parti ouvrier, du parti des communistes.

Quelques-uns pensent que ce qui a été pris aux riches doit être partagé chrétiennement, équitablement et également entre tous et qu’alors tout serait bien. Chacun aurait autant que l'autre, tous seraient égaux et délivrés ainsi de l’inégalité de l'oppression et de l’exploitation, Chacun travaillerait pour soi, ayant tout en mains ; la puissance des hommes sur les hommes disparaîtrait grâce à cette répartition égale, à ce nouveau partage général et à cette répartition des richesses aux pauvres !

Le parti communiste ne partage pas cette opinion. Il pense qu’un tel partage égal ne peut conduire à aucun bon résultat, qu’il n’en peut sortir que la confusion et le retour à l’ancien ordre de choses.

En effet ; Il est d’abord toute une série de choses simples qu’on ne peut pas partager. Comment devrait-on partager les chemins de fer ? Si l’un commence à s'approprier les traverses, un autre les rails, un troisième les vis, si un quatrième démolit les wagons pour chauffer son poêle, si un cinquième brise les glaces pour se raser devant un des débris, etc., chacun voit qu'un tel partage n'est pas égal et ne conduit qu'à un idiot pillage de choses utiles qu’on aurait encore pu utiliser.

De même on ne peut partager aucune machine. Car si l'un prend le rouage, l'autre le levier, le reste les autres parties, la machine cesse d'être une machine : tout est détruit. Il en est de même de presque tous les outils compliqués qui sont les plus utiles pour le travail. Il suffit de rappeler les appareils télégraphiques et téléphoniques, ceux des fabriques de produits chimiques. Il est clair que seul un homme qui ne comprend rien ou qui est un ennemi de la classe ouvrière peut conseiller un tel partage.

Ce partage n'est pas seulement foncièrement nuisible. Supposons qu’on arrive, grâce à un miracle quelconque, à partager plus ou moins également tout ce qui a été pris aux riches. Il n'en sort finalement rien de raisonnable, — Que signifie en effet le partage ? Il signifie qu’à la place d'un petit nombre de gros capitalistes il y en aura beaucoup de petits, il ne signifie pas l’abolition de la propriété privée, mais son fractionnement. Au lieu de la grosse propriété apparaît la petite. Nous avons déjà vécu un tel temps dans le passé ; nous savons très bien que le capitalisme et les gros capitalistes se sont engraissés de la lutte des petits capitalistes. Si nous créons des petits capitalistes par notre partage, il arrivera ceci : Une partie d'entre eux (et une partie importante) vendrait déjà le lendemain au marché des bric à brac ce qu’ils auraient obtenu et de cette manière leur propriété arriverait aux mains des propriétaires possédant davantage. Entre ceux qui restent éclaterait une lutte pour les acheteurs. Dans cette lutte ceux qui ont davantage vaincraient ceux qui ont moins. Ces derniers seraient ruinés et se transformeraient en prolétaires, leurs rivaux heureux augmenteraient leurs fortunes, s’achèteraient des ouvriers et se transformeraient ainsi en vrais capitalistes. Ainsi nous reviendrions, après un certain temps, au même état social que nous aurions détruit. Nous serions de nouveau devant la vieille auge du brigandage capitaliste.

Le partage en propriété privée, en petite propriété, n'est pas l’idéal de l’ouvrier ou du domestique. C’est le rêve du petit épicier opprimé par le gros marchand qui désirerait devenir lui- même un gros marchand. Pouvoir s'élever, recevoir le plus possible pour lui-même, c’est la pensée du boutiquier. Penser aux autres, voir le résultat de tout cela, ce n’est pas son affaire quand quelques sous de superflu sonnent au fond de sa poche. Il n’est pas effrayé que nous retournions au capitalisme parce que l’espérance lui consume le cœur, de devenir lui-même un capitaliste.

La classe ouvrière doit prendre un tout autre chemin et elle le suit déjà. Dans la transformation sociale, la classe ouvrière a intérêt à ce qu'un retour au capitalisme soit impossible. Par le partage on chasse le capitalisme par la porte monumentale, mais après un moment il rentre par la porte de derrière. La seule issue est l’ordre coopératif reposant sur le travail, l'ordre communiste.

Dans la société communiste toutes les richesses n'appartiennent plus à des personnes ou à des classes particulières, elles appartiennent à toute la société. La collectivité est alors une immense coopérative de production. Il n’y a pas de maître. Tous sont camarades. Il n'y a plus de classes : ni des capitalistes qui engagent des ouvriers, ni des ouvriers qui se vendent aux capitalistes. On travaille ensemble suivant un plan de travail préparé et combiné. Le bureau central de statistique calcule combien on doit produire de souliers, de pantalons, de saucisses, de cirage, de froment, de lingerie, etc., pour une année ; il calcule combien de camarades doivent travailler pour cela dans les champs, dans les fabriques de saucisses, dans les grands ateliers de tailleurs ; et les forces ouvrières sont réparties de façon correspondante. Toute la production sera conduite selon un plan rigoureusement calculé et réfléchi, sur la base d’un compte exact des machines, des outils, de toutes les matières premières et de toutes les forces ouvrières de la société. Les besoins annuels de la société seront aussi soigneusement calculés. Les produits fabriqués seront emmagasinés dans des entrepôts publics d’où ils seront repartis entre les compagnons de travail. On ne travaillera que dans les grandes fabriques, sur les meilleures machines, parce qu’elles épargnent de la peine.

L'administration de la production sera la plus économique ; on évitera toute dépense superflue ; le plan général et unifié de production y contribuera. Il ne sera plus d’usage de faire une chose d'une façon dans un endroit et autrement dans un autre, de ne pas savoir dans un lieu ce qui se fait dans un autre. Au contraire, le monde presque entier sera contrôlé et organisé : Le coton ne sera cultivé que là où le sol y est le plus propre, la production du charbon sera concentrée dans les mines les plus riches ; les usines métallurgiques seront construites dans le voisinage des mines de charbon et de minerai. On ne construira plus d'énormes maisons locatives sur un sol utile à la culture du blé, il sera au contraire complètement ensemencé. En un mot tout sera réparti pour que chaque entreprise trouve la meilleure place, où le travail rende le mieux, où tout prospère plus facilement, où le travail des hommes soit le plus productif. On ne peut atteindre tout cela que par un plan unique, une complète union de la société entière en une immense communauté de travail, une coopérative.

Dans la société communiste les hommes ne s'asseyent pas sur la nuque de leurs semblables. Aucun riche et aucun parvenu, aucun supérieur et aucun subordonné, la société n’est pas divisée en classes dont l’une domine l’autre. S'il n’y a plus de classes, il n'y a pas plusieurs espèces d'hommes (les pauvres et les riches), qui grincent des dents les uns contre les autres, les oppresseurs contre les opprimés, et les opprimés contre les oppresseurs. Il n’y a plus d’organisation semblable à l’Etat parce qu'il n'y a aucune classe dominante ayant besoin d’une organisation spéciale pour tenir en bride son adversaire de classe. Il n'y a plus aucune administration des hommes ni aucun pouvoir d'homme sur homme, il n’y a plus qu'une administration des choses, des machines, et un pouvoir de la société humaine sur la nature. Le genre humain n’est plus divisé en camps ennemis, il est au contraire uni par le travail commun et la lutte commune contre les forces naturelles extérieures. Les bornes frontières seront renversées, les patries particulières détruites. Toute l’humanité, sans différence de nations, sera unie dans toutes ses parties et organisée en un tout unique. Tous les peuples formeront une famille du travail, grande et unie.

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