1918

« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

V. Au communisme par la dictature du prolétariat

Comment fonder la société communiste ?

Comment y parvenir ?

Le parti communiste répond : Par la dictature du prolétariat !

Dictature ! — Cela signifie un pouvoir de fer, un pouvoir qui n’épargne pas ses ennemis. Dictature de la classe ouvrière ! — Cela signifie le pouvoir d’État de la classe ouvrière qui étrangle la bourgeoisie et les propriétaires fonciers. Ce pouvoir des ouvriers ne peut sortir que de la Révolution socialiste de la classe ouvrière qui détruit l’État bourgeois et le pouvoir bourgeois et qui bâtit sur leurs ruines le pouvoir du prolétariat lui-même et des couches populaires plus pauvres qui le soutiennent.

Ici nous sommes réellement pour un État ouvrier. Les anarchistes sont contre ! Nous, communistes, sommes pour un gouvernement ouvrier, qui est nécessaire pendant un certain temps, jusqu’à ce que la classe ouvrière ait mis un frein à son adversaire, jusqu'à ce que toute la bourgeoisie soit dressée, jusqu'à ce que tout son orgueil soit expulsé, jusqu’à ce que tout espoir de reprendre le pouvoir soit anéanti pour elle.

Vous, communistes, êtes donc pour la violence ? nous demande-t-on. Naturellement ! Répondons-nous, nous sommes pour la violence révolutionnaire. Avant tout, nous croyons que la classe ouvrière n'obtiendra jamais rien en voulant convaincre les capitalistes. On ne trouve rien de bon sur le chemin des compromis qu'enseignent les mencheviki et les socialistes-révolutionnaires. La classe ouvrière ne peut s'affranchir autrement que par la révolution, c'est-à-dire par l’ébranlement de la puissance du capital, par la destruction de l’État bourgeois. Toute révolution est violence pour les anciens maîtres. La Révolution de mars fut violence pour les propriétaires despotiques et pour les tsars. La Révolution d'octobre fut la violence des ouvriers, des paysans et des soldats contre la bourgeoisie. Une telle violence, violence contre ceux qui oppriment des masses de millions d’ouvriers, une telle violence n’est pas mauvaise, elle est sacrée.

Mais la classe ouvrière doit aussi user de violence contre la bourgeoisie, après l'avoir renversée dans la lutte révolutionnaire ouverte. Car en fait, quand la classe ouvrière a détruit l’État bourgeois, la bourgeoisie ne cesse pas d'exister encore comme classe. Elle ne disparait pas complètement d'un coup. Elle continue de nourrir l'espoir d'un retour à l'ancien régime. Elle est donc prête à conclure, avec le premier venu, une alliance contre la classe ouvrière victorieuse.

L'expérience de la Révolution russe de 1917 le confirme complètement. En octobre, la classe ouvrière chassa la bourgeoisie du pouvoir. Et la bourgeoisie ne se tranquillisa pas pour cela : elle a agi, mobilisant toutes ses forces contre les ouvriers ; elle s'efforce d'anéantir de nouveau le prolétariat et de parvenir à tout prix au pouvoir. Elle a organisé le sabotage, l’abandon contre-révolutionnaire de leurs postes par les fonctionnaires et les employés qui ne voulaient pas se joindre aux ouvriers et paysans ; elle a organisé les forces armées de Dutoff, de Kalédine, de Korniloff ; elle organise maintenant, au moment où j'écris ces lignes, les bandes du capitaine cosaque Semionoff pour son expédition contre les soviets de Sibérie. Enfin, elle appelle au secours les troupes de la bourgeoisie étrangère, allemande, japonaise, etc. L’expérience de la Révolution russe d'octobre nous montre donc que la classe ouvrière, même après sa victoire, est obligée de lutter contre de puissants ennemis extérieurs (les États capitalistes rapaces) qui accourent au secours de la bourgeoisie intérieure détrônée.

Quand nous considérons froidement le monde entier, nous voyons qu'en Russie seulement le prolétariat est parvenu à renverser la puissance de l’État bourgeois. Tout le reste du monde appartient encore aux pillards du gros capital. La Russie des soviets, avec son gouvernement ouvrier et paysan est une petite île au milieu de la mer furieuse du capitalisme. Même si la victoire des ouvriers russes est suivie d’un triomphe des ouvriers d’Autriche et d’Allemagne, il restera de grands empires capitalistes pillards. Si toute l’Europe capitaliste craque et tombe sous les coups de la classe ouvrière, il restera encore le monde capitaliste d’Asie, à la tête duquel est le Japon rapace, le capitalisme américain, à la tête duquel se trouve cette formidable association de pillards que sont les États-Unis d'Amérique.

Tous ces empires capitalistes n’abandonneront pas leurs positions sans lutte. Ils travailleront de toutes leurs forces pour empêcher le prolétariat de dominer le monde. Plus fort est l'assaut du prolétariat, plus dangereuse devient la position de la bourgeoisie, plus aussi la bourgeoisie sera obligée d’employer toutes ses forces dans sa lutte contre le prolétariat. Le prolétariat, après avoir vaincu dans un, deux ou trois pays, entrera en lutte sans merci avec le reste du monde capitaliste qui s’efforce de ruiner, par le sang et le fer, les efforts de la classe qui s’émancipe.

Que s’ensuit-il ? La classe ouvrière avant la société communiste et après la société capitaliste, dans la période transitoire qui sépare le capitalisme et le communisme, même après la révolution socialiste dans quelques pays, est obligée de soutenir une lutte violente contre ses ennemis intérieurs et extérieurs. Pour une telle lutte, il faut avoir une organisation solide, bien bâtie, qui ait à sa disposition tous les moyens de lutte. Cette organisation de la classe ouvrière est l’État prolétarien, le pouvoir des ouvriers. Comme tout autre État, l’État prolétarien est une organisation de la classe dominante (et la classe dominante est ici la classe ouvrière), une organisation de violence, mais de violence contre la bourgeoisie, un moyen de se défendre contre la bourgeoisie, et de la vaincre complètement.

Celui qui a peur d’une telle violence n’est pas un révolutionnaire. Le problème de la violence ne peut être tranché en disant que toute violence est mauvaise. C'est un non-sens. La violence que les riches exercent contre les pauvres, les capitalistes contre les ouvriers, est dirigée contre les masses ouvrières ; son but est de soutenir et de fortifier le brigandage capitaliste. La violence des ouvriers contre la bourgeoisie a au contraire pour but la libération de millions d’ouvriers, la délivrance du fouet du capital, des guerres de brigands, du pillage et de la destruction sauvage de tout ce que l’humanité a construit et acquis au cours de centaines et de milliers d années. C'est pourquoi la cause de la Révolution et l’établissement de la société communiste nécessite l’appareil de fer de la dictature ouvrière.

Chacun doit comprendre clairement que la classe ouvrière devra tendre toute son énergie (et elle doit le faire déjà maintenant) pour sortir victorieuse de la lutte contre ses nombreux ennemis et qu’aucune autre organisation ne peut soumettre ses ennemis que celle qui englobe la classe ouvrière et les paysans pauvres de tout le pays. Peut-on s’opposer à l’impérialisme étranger si l'on n’a pas en mains la puissance de l’État et une armée ? Naturellement pas ! Peut-on combattre la contre-révolution si on n’a aucune arme en mains (et c’est un moyen de violence), aucune prison pour enfermer les contre-révolutionnaires et les pillards (c’est aussi un moyen de violence), et aucun autre moyen pour contraindre et pour brider ? Comment peut-on obliger les capitalistes à se soumettre au contrôle ouvrier, aux diverses confiscations, etc., si la classe ouvrière n'a aucun moyen de se faire obéir ? On peut dire naturellement que quelques « Associations des cinq opprimés », quelques corps de guerre suffisent à cela. C'est un moyen ridicule. Quand la bourgeoisie fait marcher contre nous des régiments entiers et que nous avons la possibilité d’organiser contre elle aussi des régiments entiers, nous serions les derniers imbéciles si nous ne rassemblions pas toutes les forces pour organiser, exercer et éduquer des régiments rouges, révolutionnaires. Seule une organisation ouvrière ou une organisation des ouvriers et paysans, qui englobe tout le pays, peut le faire. Cette organisation est l’État ouvrier, la Dictature du prolétariat.

La nature de la période transitoire nécessite un État ouvrier. Même si la bourgeoisie est domptée dans le monde entier, habituée a l'oisiveté, elle grognera contre les ouvriers, elle se débarrassera du travail, et de toute manière nuira au prolétariat. On doit l'obliger à servir le peuple. Seuls le pouvoir et la contrainte peuvent le faire.

Dans les pays arriérés (la Russie est un tel pays) il existe encore une quantité de propriétaires et de capitalistes, petits ou moyens, de petits vampires, spéculateurs et parasites. Tous sont opposés aux paysans pauvres et davantage encore aux ouvriers des villes. Ils suivent le gros capital et les anciens propriétaires fonciers. Il est clair que les ouvriers et les paysans pauvres sont obligés de les brider quand ils combattent la Révolution. Les ouvriers doivent penser comment on pourrait introduire un ordre de choses juste, organiser la production reprise aux fabricants, aider les paysans à organiser l'agriculture, organiser une juste répartition du pain, des manufactures, des produits de fer, etc. Mais le parasite-sangsue, qui pendant la guerre s’est enrichi, se démène opiniâtrement et ne veut pas agir selon les règles générales. « Je suis mon propre maître ! » dit-il. Les ouvriers et les paysans pauvres doivent aussi l'obliger d’obéir, comme ils obligent à l’obéissance les gros capitalistes, les anciens propriétaires fonciers, les anciens généraux et les officiers.

Plus la situation de la Révolution est dangereuse. plus elle est entourée d’ennemis, plus aussi le pouvoir ouvrier doit agir sans pitié, plus la main révolutionnaire des ouvriers et des paysans pauvres doit être sûre et plus la dictature doit être énergique.

Le pouvoir de l’État est une cognée dans la main de la classe ouvrière qu'elle tient prête contre la bourgeoisie. Dans la société communiste; quand la bourgeoisie n’existera plus, quand il n'y aura plus de classes, quand il n'y aura plus ni danger intérieur, ni danger extérieur, cette cognée sera inutile. Mais dans la période transitoire, quand l'ennemi montre les dents et quand il se prépare à noyer toute la classe ouvrière dans le sang (qu'on se rappelle seulement le massacre des ouvriers finlandais les assassinats de Kieff, l’exécution des ouvriers et des paysans de toute l’Ukraine, les assassinats de Lettonie !). seul celui qui ne comprend ren peut rester désarmé et partir en guerre sans cette cognée du pouvoir de l’État.

On injurie la dictature du prolétariat de deux côtés. D'une part les anarchistes : Ils sont opposés à toute violence, par conséquent à la violence des ouvriers et des paysans. On peut leur dire : « Entrez dans un couvent de femmes si vous blâmez les ouvriers d'employer des moyens violents contre la bourgeoisie !

D'autre part, les mencheviki et les socialistes-révolutionnaires de droite s'élèvent aussi contre la dictature ouvrière (bien qu'ils aient écrit à ce sujet autrefois), ils sont surtout opposé-, à ce qu'on touche aux libertés... de la bourgeoisie. Ils voudraient que les chevaliers d'industrie reçoivent de nouveau ce qu'ils possédaient et, le cœur tranquille, se promènent dans les avenues et les parcs. Ils pensent que la classe ouvrière n’est pas tout à fait mûre pour la dictature. On peut leur dire : Allez à la bourgeoisie, qui vous aime tant, vous qui êtes ses avocats, mais laissez la classe ouvrière en repos ; laissez les pauvres tranquilles.»

Le parti communiste, précisément parce qu'il est partisan d’une dictature de fer des ouvriers sur les capitalistes, les vampires, les anciens propriétaires fonciers et tous les autres adorateurs de la vieille société capitaliste, est le groupe le plus révolutionnaire et le plus extrême des partis existants. « Par le pouvoir inébranlable et sans pitié des ouvriers, par la dictature du prolétariat au communisme ! » tel est le mot d'ordre de notre parti. Son programme est le programme de la dictature du prolétariat.

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