1918

« Staline défend non pas des idées progressives, mais les privilèges de caste de la nouvelle couche sociale, de la bureaucratie soviétique, qui, depuis longtemps déjà, est devenue un frein au développement socialiste de l'U.R.S.S. Il est impossible de défendre ces privilèges par les méthodes de la démocratie prolétarienne ; on ne peut les défendre qu'à l'aide de falsifications, de calomnies et d'une sanglante répression. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

XIII.  Répartition régulière des produits ; abolition du profit commercial et de la spéculation ; communautés de consommation

On ne peut donc maîtriser la production sans maîtriser la répartition des produits. Si les produits sont répartis irrégulièrement, la production ne peut marcher régulièrement. Supposons que toutes les grandes branches d’industrie soient nationalisées. Comme nous l'avons vu plus haut, une branche d'industrie travaille pour les autres. Pour que la production marche régulièrement, il est nécessaire que chaque branche reçoive autant de matériel qu'elle en emploie, une entreprise telle quantité, une autre entreprise telle autre. Les produits doivent donc être répartis régulièrement et selon un plan correspondant aux besoins de la production. Les organes de ravitaillement, c'est-à-dire les organisations ouvrières qui dirigent la répartition des produits, doivent donc être liés aux organes qui dirigent la production de ces produits. A cette condition seulement, toute la production peut marcher facilement.

Il y a certains produits qui, comme le pain, passent directement dans les mains du consommateur pour son usage personnel. C'est le cas des nombreuses denrées alimentaires, d’une grande partie des tissus, de beaucoup d’articles de caoutchouc (par exemple, aucune fabrique n’achète des galoches, elles sont destinées à l'usage personnel des consommateurs). Ici aussi un dénombrement exact et une juste répartition de ces produits parmi la population sont nécessaires. Cette juste répartition est complètement impossible sans l'introduction d'un plan défini. On doit d'abord enregistrer l'ensemble des produits, ensuite le besoin dont on en a, enfin répartir sur les bases de ces calculs. L'exemple probant de la nécessité d'un tel plan d'ensemble est la question du ravitaillement, la question du pain. La bourgeoisie, les parasites, les socialistes-révolutionnaires de droite, les menchéviki, les paysans-sangsues privilégiés crient de toutes leurs forces qu'il faut transformer le monopole du blé et autoriser les gros et les petits spéculateurs, les marchands en gros et les maraudeurs, à agir comme il leur plaît. On comprend pourquoi les spéculateurs sont intéressés à la modification du monopole : ce monopole les empêche d’écorcher les consommateurs. D'un autre côté, il est clair qu’il y a maintenant encore des non-sens. Les riches mangent tranquillement du pain blanc qu'ils achètent en secret.

Il n’est pas question pour eux de pain noir, ils payent beaucoup plus cher et ont tout. Qui les aide ? Naturellement, messieurs les spéculateurs. Leur souci n’est pas de rassasier la population, mais de gagner plus et de mettre davantage dans leur poche. Il est connu que le riche peut payer davantage que le pauvre. C’est pourquoi les spéculateurs ne ravitaillent pas en pain les endroits qui en ont le plus besoin, mais ceux qui peuvent les bien payer. Et on n’est pas encore parvenu à mettre un terme à cela. On voit donc clairement que pour organiser une juste répartition du pain, il ne faut pas modifier le monopole du blé, et les travaux des comités et des fonctionnaires du ravitaillement, mais au contraire introduire ce monopole le plus sévèrement possible ; juger sans pitié les spéculateurs, épouvanter les commerçants privés afin qu’ils n’essayent point d’amasser des richesses aux dépens des misères du peuple et de déranger le plan général. Le malheur ne consiste pas dans l’existence d’un monopole et la disparition du commerce privé, mais bien dans le fait que le monopole du blé est mal organisé et que le commerce privé secret demeure, et cela, dans un temps où il y a peu de pain, où les Allemands ont saisi les plus riches provinces, où en maints endroits le blé laissé pour graine est consommé, tandis que les champs restent incultes et où les hommes ont faim. Chaque morceau de pain est cher, chaque livre de farine, chaque livre de blé est inestimable. C’est précisément pourquoi tout doit être soumis à un recensement, afin qu’aucune miette ne soit perdue, que tout le pain soit également réparti, et que les, riches ne jouissent d’aucun privilège. Nous le répétons, on ne peut faire cela, on ne peut l’atteindre, que si tous les ouvriers unanimes se mettent à l’œuvre, s’ils enferment les spéculateurs et les filous.

Il y a malheureusement parmi nous beaucoup de pauvres inconscients qui font des achats à leurs propres risques et périls sans se soucier des organes de ravitaillement des ouvriers et qui détruisent ainsi le plan général. Chacun d'eux pense : « On peut en dire ce qu’on voudra, je m'occupe de moi-même ». Et il va acheter du pain. Mais en agissant ainsi, il s’attire plus tard différents ennuis à cause de ce pain, et cela éveille son mécontentement. « On ne laisse pas les gens se ravitailler ». En réalité, cela ressemble souvent à l’exemple suivant : Supposons qu’un train bondé soit en marche. Les hommes sont debout dans les couloirs ou assis sur le plancher, en un mot une pomme ne pourrait rouler jusqu’à terre. Soudain, on perçoit une odeur de brûlé et on crie de toutes ses forces « Au feu ! », et tous, comme des fous, s’élancent vers la sortie, frappant des poings de tous côtés. Les hommes se précipitent comme s’ils avaient perdu la raison, tous à la fois vers la porte ; il en résulte un pêle-mêle sauvage et des rixes ; les hommes se mordent, se battent, se cassent les côtes, écrasent les enfants. Le résultat : c'est une foule de morts, de blessés et d’estropiés. Est-ce bon? Cela aurait pu se passer tout différemment ; s'il s’était trouvé des hommes raisonnables qui aient maintenu la foule, l’aient apaisée, tous seraient sortis par rangs sans une seule éraflure. Pourquoi en est-il arrivé autrement ? Parce que chacun pensait ; Je m'inquiète de moi-même, que m’importent les autres. Finalement, celui qui raisonnait ainsi s’est cassé le cou le premier.

C’est exactement la même histoire pour ceux qui achètent du pain pour eux-mêmes, contrairement aux ordres de l'organisation ouvrière de ravitaillement. Chacun pense qu'il est utile à lui-même. Qu’arrive-t-il finalement ? Par ces achats, tout recensement régulier de ce qui existe est entravé ; le transport régulier du blé en est rendu impossible. Supposons qu'on doive transporter du blé d’un endroit qui a encore quelque réserve dans un autre où règne la famine, mais les gens de cet endroit viennent, achètent tout et l’emporte. Le premier endroit peut mourir de faim ! Mais après ?... Quand les achats organisés et collectifs sont désorganisés, le maraudeur-spéculateur entre en scène. Il commence par faire son profit des achats privés. Ainsi, les pauvres, inconscients de leurs intérêts de classes commencent, sans le comprendre eux-mêmes, à encourager l'activité des araignées-spéculateurs dont la place serait sur la potence. On comprend maintenant pourquoi messieurs les spéculateurs emploient le mécontentement naturel des affamés contre le pouvoir des soviets et pourquoi les derniers vauriens, les sangsues et les parasites se sont montrés à la tête des soulèvements contre le pouvoir des soviets qui parfois éclataient dans les petites villes de province. Les ouvriers doivent comprendre une fois pour toutes qu’il n’y a aucun salut sur le chemin du retour à l'ancien régime, mais qu’il est sur la voie qui conduit en avant à la suppression de la spéculation, à la suppression du commerce, à la répartition collective des produits par les organisations ouvrières.

Il en est de même pour toute une série d’autres produits. La classe ouvrière ne doit absolument pas souffrir que les gens riches aient tout à l'aide de leur argent. D’un autre côté, la classe ouvrière ne doit pas permettre les profits fabuleux des spéculateurs qui, comme un essaim de noirs corbeaux, volent de tous côtés et font leurs sales affaires. Une juste répartition des produits sur la base du calcul des besoins et des réserves, telle est une des tâches capitales de la classe ouvrière. Qu’est-ce que cela signifie ? Nationalisation du commerce, c’est-à-dire en principe : suppression du commerce ; car le passage à la. répartition sociale ne s’accommode pas de l’existence des spéculateurs et des différents intermédiaires qui vivent comme des parasites et entravent toute l’œuvre du ravitaillement. Non en arrière, vers le « commerce privé libre », c’est-à-dire vers le pillage « libre », mais en avant, vers une juste répartition des produits d'après un plan et par les organisations ouvrières ! tel doit être le mot d'ordre des ouvriers conscients.

En vue d’introduire avec succès un tel plan, on doit s'efforcer de réunir obligatoirement la population dans des communautés de consommation. On ne peut répartir équitablement les produits que lorsque la population qui reçoit ces produits est réunie et organisée dans de grands groupes dont on peut bien calculer les besoins. Quand la population n’est pas réunie et organisée, mais dispersée, il est extrêmement difficile d’organiser cette répartition un peu régulièrement : on ne sait ni ce qu’on utilise, ni dans quelle quantité, ni où, ni combien il faut livrer, ni comment, c’est-à-dire par qui, on doit répartir. Supposons maintenant que la population soit réunie en communautés de consommation par rayons. Chaque quartier de la ville forme une coopérative, une communauté de consommation, qui est en relations avec les comités de maisons. Les produits sont d’abord répartis entre ces communautés, qui calculent à l’avance ce qu’elles utilisent et dans quelle quantité et qui répartissent les produits par leurs hommes de confiance aux consommateurs privés...

Les coopératives déjà existantes peuvent jouer un rôle énorme pour réunir la population dans de telles communautés de consommation. Plus large est l'activité des coopératives, plus elles englobent une grande partie de la population, plus aussi la répartition des produits s’organise facilement et plus les coopératives se transforment en organes de ravitaillement de toute la population. Selon toute probabilité, la forme de répartition des produits qui expulsera le mieux le commerce, et par laquelle on pourra une fois pour toutes détruire le profit commercial, sera d'obliger les communautés à s'unir aux coopératives déjà existantes.

Pour faciliter encore la juste répartition des produits, on doit s’efforcer de remplacer l'économie domestique par une économie sociale. Maintenant, chaque famille a sa propre cuisine, achète elle-même, indépendamment des autres, les produits nécessaires, condamnant la femme à l’esclavage, la transformant en une éternelle cuisinière qui, du bon matin jusque tard le soir, ne voit rien en dehors de la batterie de cuisine, des balais, des torchons et des divers détritus. Une énorme quantité de travail et d'argent est ainsi perdue inutilement. Si l’on réunissait et centralisait l'économie domestique, l'alimentation d'abord, par exemple par la réception collective des produits, la cuisson des repas en commun, l'organisation de grandes salles à manger modèles, il serait plus facile d'enregistrer les besoins, et à côté de l'économie réalisée, le travail de la répartition juste serait grandement facilité.

Une des plus importantes questions pour les consommateurs est la question de l'habitation. Les pauvres sont ici exploités sans pitié. D’un autre côté, les propriétaires y gagnent un argent fou. L’expropriation de cette forme de propriété, la remise des maisons et des places de tous genres aux organes ouvriers locaux, aux organes du pouvoir des soviets, leur enregistrement et la répartition équitable des habitations et des chambres est une tâche difficile, mais non ingrate. Les grands ont assez longtemps mené une vie de seigneurs ! L’ouvrier, le pauvre ouvrier laborieux, a aussi le droit d'avoir un coin chaud et de vivre humainement.

Ainsi, peu a peu, la vie économique s'organisera.

La classe ouvrière organise la production, la classe ouvrière organise la répartition ; la classe ouvrière organise la consommation, alimentation, habillement, habitation — tout est enregistré, tout est réparti le mieux possible. Il n’y a plus d'administration de maîtres, il n’existe que l’administration de la classe ouvrière par elle-même.

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